« Further » est un disque pour les vieux
fait par un vieux … même si Richard Hawley n’est pas vieux (enfin pas tant que
ça, plus de cinquante prunes au compteur quand même), il est né vieux.
Comprendre qu’il a jamais été à la mode (même s’il a fait a partie de Pulp,
Pulp de quoi ? … laisse tomber), qu’il a le sourire amoché par un bec de
lièvre, qu’il a pas la même garde-robe qu’Elton John (Elton qui ?? oh ta
gueule, ignare), oubliant le noir pour le gris anthracite quand il est de bonne
humeur, ce qui lui arrive pas souvent, et qu’il est né avec une guitare (un
truc de vieux, évidemment) greffée au bout des bras et qu’en plus il sait s’en
servir …
Donc quand il est en costard gris anthracite, c’est
qu’il est de bonne humeur (c’est-à-dire triste, le gars vient de Sheffield,
morne cité qui fut industrielle avant Thatcher et la mondialisation), sinon
normalement il est sinistre … Ses disques, c’est pas exactement Patrick
Sébastien.
N’empêche que le bonhomme il a construit –
patiemment, c’est pas un hyper productif – ce qu’il faut bien appeler une
œuvre. Cohérente, même si ses disques ne sont pas des copier-coller des
précédents. Il peut passer de ses blues à lui (qui ont peu à voir avec Muddy
Waters), ceux du sublime « Truelove’s gutter », à une rondelle tous
potards sur onze, son ode à la guitare électrique qu’est « Standing at the
sky’s edge » tout en gardant une qualité d’écriture et d’interprétation
remarquables. Hawley sait écrire des chansons et sait les coucher sur disque …
« Further » est concis (11 titres pour 36
minutes). Et c’est regrettable. Parce qu’on passerait des heures à en écouter
des morceaux comme ça … Parce qu’aujourd’hui, à part des types qui ont plus de
soixante-dix balais (Dylan, Macca, les Stones, Neil Young, Ray Davies,
Springsteen, liste close), personne n’est en théorie capable de sortir des
trucs comme ça. Et ceux que je viens de citer encore moins, en tout cas pas sur
un disque entier.
« Further » il serait sorti y’a
quarante-cinquante ans, il serait aujourd’hui sur toutes les listes des albums
qui comptent. Là, il va s’en vendre trois douzaines.
« Further », il me semble que c’est un jeu
de pistes, parce que trop de hasard, c’est plus du hasard, c’est fait exprès.
« Further » il est pas monolithique, il commence par le meilleur
morceau d’Oasis (l’axe Beatles meets the Stones en gros) que Noel Gallagher n’a
pas écrit depuis environ un quart de siècle. « Off my mind », il
s’appelle, c’est du rentre-dedans mélodique avec sax discret et solos de
guitare. Ah ouais, je vous ai pas encore dit, « Further » il est joué
par un noyau dur de quatre types, Hawley, guitares, chant, écriture et
production, Shez Sheridan, guitares, claviers, backing vocaux, et une section
rythmique. Sheridan et le bassiste co-produisant également la rondelle,
enregistrée at home, à Sheffield donc. Et sur quasiment tous les titres, une
section de cordes intervient, avec bon goût et sans jamais être envahissante,
ce qui aurait pour résultat de donner dans le pathos larmoyant.
« Further » n’est pas vraiment joyeux et sautillant, mais c’est loin
d’être un machin plombant tire-larmes. Il y a même un titre enlevé
(« Alone », superbe) comme si Chris Isaak s’essayait au reggae (le
rythme). Et vers la fin un boogie colossal avec un le réglementaire harmonica,
ça s’appelle « Time is », croisement entre les Stones et Free (le
refrain commence par « Time is on your side right now », et si ça
c’est pas du message subliminal je veux passer le reste de mes jours à écouter
Louane et Angèle). Tant qu’on est dans le subliminal on a « Galley
girl » entre le glam prolo de Slade et l’allusion à Creedence (répéter des
« rollin’, rollin’, rollin’ » à foison renvoie quand même un peu à
une certaine Fière Mary …).
Les morceaux dont au sujet desquels je viens de
parler constituent la face la plus enjouée et rythmée de la rondelle. Tout le
reste repose sur des ballades plus ou moins désenchantées, quelquefois sur fond
de country-rock pépère, réminiscent des Eagles des débuts ou du Neil Young
campagnard de « … Gold Rush » et
« Harvest » (« Further » le morceau, « Emilina says »,
« Not lonely »). Hawley nous fait aussi sa confession claptonienne avec « My little
treasures », où comment voir le monde à travers le cul des bouteilles
d’alcools forts consommés sans modération. On voit planer l’ombre tutélaire des
meilleurs moments du Dylan 70’s (« Midnight train »), et parfois
celle d’un de ses disciples, l’oublié Lloyd Cole (« Not lonely »,
« Doors », cette dernière avec ses relents de « Forest
fire »). Et comme de bien entendu, on ne peut pas faire de disque triste
classieux sans que surgisse à un moment ou un autre le fantôme de Roy Orbison.
Ici le binoclard est présent par l’esprit sur le lamento électrique de
« Is there a pill ».
« Further » ne se résume cependant pas à
un catalogue d’influences trop visibles qui empêchent de voir l’originalité de
Hawley. Ce disque est un sommet de finesse d’écriture (et de production) et à
ce siècle-ci, je ne vois guère que Wilco (si Jeff Tweedy et sa troupe
daignaient nous honorer d’un disque, mais que deviennent-ils donc ?)
capable de sortir un machin de classic rock de ce niveau.
Incontournable …
Du même sur ce blog :