Ouais, sale journée… il paraît qu’on est en guerre … mais
celle contre la connerie, les QI négatifs, on l’a perdue, dix douzaines de
morts à zéro... Et pourtant on peut pas dire qu’on soit encore au siècle des
Lumières par chez nous. Qu’est-ce qu’il faudrait faire, alors que les prétendus
« spécialistes » qui monnayent leur incompétence sur les chaînes d’info
en boucle n’en savent rien ?
Moi aussi, j’en sais putain de rien, mais j’ai vu que des
mecs qui buvaient un godet en terrasse d’un bistrot, ou étaient à un concert se
sont fait dégommer juste parce qu’ils étaient là en 2015, par des zozos obscurantistes
qui réinventent le Moyen-âge.
Tiens, aujourd’hui j’ai réécouté deux très vieux morceaux de
Lavilliers, l’Indiana Jones de Saint-Etienne, pas entendus depuis des
décennies, « Les barbares » et « Juke-box ». En mélangeant
les paroles des deux, vous avez à peu prés ce que je pense de ce fuckin’
Vendredi 13 (« les cités exilées au large des business » … « rééduqués
par des curés new look armés de pataugas de parkas et de boucs »).
Et ces tarés à Kalach et ceintures d’explosifs seraient les
héros de quelqu’un ? Quelle misère …
Tiens, des héros populaires, et de tous les méprisés, les
pauvres, les laissés-pour-compte de notre putain de monde capitaliste, j’en ai
un là … Il était petit, pas Blanc, miaulait comme un chat en rut quand il
lattait les sales mecs…
Ce ne sera pas faire injure au
pauvre Robert Clouse, tâcheron réalisateur à la solde de la Warner, de dire que
« Opération Dragon » (« Enter the Dragon » en VO), est plus
le film de Bruce Lee que le sien.
Bruce Lee & Robert Clouse |
D’ailleurs, si c’est lui
derrière la caméra face à un casting de quinzième zone (et c’est pas la
présence du figurant Jackie Chan qui se prend une fugace torgnole par Bruce Lee
dans une scène de baston qui rehausse le niveau), c’est qu’il y avait de l’incertitude
au sujet de la réussite de ce film.
Bruce Lee était un inconnu aux USA,
au mieux remarqué pour un second rôle de donneur de baffes dans une navrante série
tout ce qu’il y a de familiale au mauvais sens du terme, « Le frelon vert ».
Il était pourtant venu faire fortune à Hollywood, sans succès ; mais
voilà, Bruce Lee était une idole dans une grande partie de l’Asie par ses films
réalisés à Hong-Kong et produits par les frangins Chow. Là, il avait le rôle
principal, devenait une légende de la baston en 16 mm sur fond de scénarios
simplets filmés à la va-vite avec les pieds par d’obscurs cameramen chinois (« The
big boss », « La fureur de vaincre », « La fureur du dragon »).
Des types de la Warner subodorèrent qu’il serait peut-être possible de ramasser
quelques liasses de billets verts en rationalisant quelque peu « le
phénomène », d’où Robert Clouse en charge des caméras pour diriger ce qui
me semble t-il constitue une première en matière de cinéma, une collaboration
et une coproduction sino-américaine.
Les bons |
La prise de risque n’est pas
énorme, le nom de Bruce Lee est vénéré dans tous les ghettos et les quartiers
populaires du monde, où des hordes de gamins s’agglutinent dans les cinémas pour
littéralement vivre les combats du petit niaouké musclé (c’est pas des
conneries, j’ai de mes yeux vu un dimanche après-midi dans mon petit bled de
province tout ce qu’il y a de peinard, des gosses comme moi hurler, monter sur
les sièges, « participer » à la bagarre avec Bruce Lee arrachant les
poils du torse du bovin Chuck Norris dans le Colisée, il y a avait plus de
spectacle dans la salle qu’à l’écran, moi je m’en foutais un peu de tout ce
bazar, mais plein de mes potes adoraient, fallait y être quoi …). Plus encore
que le Che et avant Marley, Bruce Lee allait être une star planétaire venue de
ce que l’on appelait pudiquement le « tiers monde ». Si Lennon dans
une de ses sentences avinées avait affirmé que les Beatles étaient plus
célèbres que Jésus, Bruce Lee était immensément plus célèbre que les Fab Four. Au
milieu des années 70, personne n’égalait sa notoriété, dans quelque domaine que
ce soit.
Le méchant |
« Opération Dragon »
est un film qui marche au premier degré. Les bons contre les très méchants, et
personne qui change de camp en cours de route. Le droit et la vengeance contre
les bandits et la cruauté. De la baston (beaucoup) et du nichon (un tout petit
peu). Un déroulement vers un final cousu de fil blanc, autant prévisible qu’inéluctable.
Toutes les grosses ficelles d’un scénario basique sont de sortie. Mais pas que.
Ceux qui ont des lettres cinématographiques verront les allusions aux James
Bond (le commanditaire de Lee très british, le méchant très Dr No et Blofeld
avec son chat blanc et sa base souterraine), le karateka black Williams est
très blaxploitation (les fringues, la coupe afro, jusqu’à la musique de Lalo
Schifrin lors de son apparition à l’écran qui parodie celles de «Shaft »
ou « Superfly »), l’américain flambeur et tombeur ressemble étrangement
au Roger Moore « Amicalement vôtre »). On a même droit à la « caméra
documentaire » dans la misère du port de Hong-Kong, et même au surprenant
(dans ce genre de film) commentaire social (Williams, que l’on devine pro-Black
Panthers : « Les ghettos sont les mêmes dans le monde entier. Tous dégueulasses. »).
A room full of mirrors |
Mais tout ça, c’est de l’accessoire.
Le centre de gravité du film, c’est évidemment Bruce Lee. Metteur en scène de
fait de toutes les scènes de baston, qu’il chorégraphie avec une précision et
un sens du rythme, de l’espace et de la dynamique qui ne doivent rien au hasard
ou à l’improvisation. Tout est fait pour le mettre en valeur, pour présenter le
contraste entre le type hyper zen, mais qui quand on le cherche écrase (hors
champ) les têtes et malaxe les cervicales. La scène finale, au milieu de
paraît-il huit mille ( ! ) miroirs, est une de celles qui feront date.
Le succès de « Opération
Dragon » sera colossal … dans le monde anglo-saxon, entraînant une
véritable Bruce Leemania. Par contre, ce film au scénario très américanisé (l’immense
majorité des méchants sont des asiatiques) n’a pas marché très fort lors de sa
sortie en Asie, contrairement aux précédents de Lee. Et ce malgré la mort de
Bruce Lee quelques jours avant la sortie du film.
« Opération Dragon » est
plus qu’un film. Ou plus qu’aucun autre film, toutes époques et tous pays
confondus. C’est un phénomène de société, un marqueur et un inspirateur pour
des lignées infinies de héros dérivés (tous les bastonneurs indestructibles des
décennies suivantes, qu’ils soient asiatiques ou pas, qu’ils soient réels ou virtuels
dans les jeux vidéo, lui doivent tout), Bruce Lee a fait la fortune pour tous
ceux qui ont eu la bonne idée d’ouvrir une salle d’arts martiaux dans la foulée, et est en quelques
mois devenu le héros de tous les asiatiques et de tous les laissés-pour-compte
du reste de la planète, ce qui même à l’époque faisait beaucoup de monde.
« Opération Dragon »
est un film populaire, au sens le plus pur du terme …