Un petit tour au Rock’n’Roll Hall of Fame des has-been,
ça vous dit ? Vous savez, là où on trouve les cadavres de tous ces types
morts (pas forcément physiquement), toutes ces superstars qu’ont pas sorti un
bon disque depuis au moins vingt ou trente ans, les Bowie, Stones, Springsteen,
Prince, Wonder and so on … Pourquoi cette balade gothique me direz-vous ?
Ben pour voir si Neil Young ne s’y trouve pas …
Un cas à part, lui. Nettement plus vieux que la
plupart des croûtons suscités, et qui s’est entêté à sortir de bons disques
dans les années 60, 70, 80 et 90. Qui dit mieux ? Personne, même pas
Dylan. Ouais, mais voilà, le bon Neil depuis pile vingt ans (le fabuleux
« Mirror Ball » avec les tocards du grunge Pearl Jam, fallait le
faire, sortir pareil chef-d’œuvre avec pareille ribambelle de pas bons …),
n’était plus que l’ombre chauve de lui-même, on le voyait traîner ses larsens
et ses rouflaquettes tombantes sur tout un tas de galettes qui sentaient la
redite, le pilotage automatique et l’inspiration aussi sèche qu’un vagin de
centenaire. A tel point que le seul truc qui ait fait illusion, c’était le
soundtrack de « Dead man », tout en saturation et grondements
guitaristiques, enregistrés live pendant que défilaient les images de Jarmusch.
Problème, sans les images justement, ce truc est inécoutable …
Neil (Plus Très) Young 2015 |
Par contre, Neil Young avait quelque peu accentué
son côté Don Quichotte, soutenant de plus ou moins bonnes causes, de plus ou
moins catastrophiques candidats à la Présidence US (alors qu’il est Canadien,
de quoi il se mêle, ce con ?), se lançant dans des combats épiques perdus
d’avance. Comme sa dernière tocade, le Pono, iPod version hi-fi, censé grâce à
un encodage (de mouches ?) novateur, donner un son qui déchire sa mère …
alors que le brave Neil, t’écoutes ses disques, on est quand même assez loin du
Pharell Williams sound, t’as le choix entre de la saturation et du folk
acoustique, pas besoin de stéréo de la mort pour ça, mais bon, c’est Neil Young
et ses croisades …
Plus haut fait d’armes, l’ancien Roi des Hippies s’était
reconverti dans l’humanitaire social concerné, était devenu la pierre angulaire du Farm Aid, ce téléthon
musical annuel pour les paysans américains, encore plus mal barrés que les
bouseux d’Europe, ce qui n’est pas rien. Et on le voyait chaque année depuis
trente ans arpenter les scènes du Midwest en compagnie de Willie Nelson (prenez
des notes, y’a des trucs qui ont leur importance) et John (anciennement Cougar,
on ne rit pas) Mellencamp, vous savez le Springsteen campagnard, celui qui fait
des disques (pas mauvais au demeurant) sur des petites villes et des
épouvantails…
Et pourquoi il fallait que Young les soutienne les
culs-terreux yankees ? Ben en gros parce qu’ils se faisaient niquer grave
par toute l’industrie agro-alimentaire,
peu soucieuse d’environnement, de commerce équitable, de partage et
autres balivernes de gauchistes révolutionnaires et surtout prompte à ramasser
tout le brouzouf qu’on pouvait tirer de l’agriculture. Principale cible :
la multinationale Monsanto (on y arrive … quoi, qui a dit enfin ?) qui
fournit graines et semences et pesticides divers pour que tes mouflets ils se
gavent d’OGM et pèsent deux cent kilos à quatorze ans … En fait, Neil Young,
c’est un peu le José Bové de son continent, la guitare en plus et la pipe en
moins …
Promise Of The Real |
Et aux concerts du Farm Aid, Young découvre les fils
de Willie Nelson, Lukas, leader et guitariste, et Micah (comme papa est de
toutes les éditions, ça aide pour se faire connaître, népotisme quand tu nous
tiens …) et leur groupe Promise of the Real. Un groupe qui casse pas trois pattes
à un canard transgénique, mais qui assure d’après quelques extraits écoutés, le
minimum syndical en termes d’americana sans imagination. On sait pas trop
pourquoi, Neil Young convoque ces minots pour enregistrer un disque. « The
Monsanto Years » donc. Le truc à gros sabots, le gros pamphlet, la charge
incendiaire qui mange pas de pain, mais qui fait bien dans un CV, ou, vu l’âge
du Neil, dans une prochaine épitaphe : « Il est mort guitare au
poing, dénonçant les complots des suppôts du capitalisme sans frontière qui
exploitent les autres, les ruinent pour s’en foutre encore plus plein les
fouilles etc, etc … », alors que les mecs maintenant ils ont la flemme de
se brosser les dents, ils achètent un bidule électrique qui leur bousille les
gencives, tu parles s’ils vont se bouger pour faire la révolution … Et bizarrement,
la rumeur enfle, prétendant que vous allez voir ce que vous allez entendre.
Sauf qu’on me la fait pas, des retours du diable vauvert orchestrés par le buzz
de vieux schnocks qui seraient meilleurs à 70 balais qu’à 25, y’en a chaque
semaine. Et quand t’écoutes leurs rondelles, oh putain la misère …
Et plus par réflexe boulimique que par conviction,
tu mets le skeud dans le lecteur, t’appuies sur Play … une intro folky
électro-acoustique dont voudrait même pas Hugues Aufray(ses), tu te dis que
cinquante minutes ça va être long et que comme il fait un putain de cagnard,
vaudrait mieux aller chercher une mousse pour aider à tuer le temps. Sauf qu’au
bout d’exactement vingt et une secondes, il se passe un truc, y’a la foudre qui
sort des haut-parleurs. Un riff de brontosaure, hyper cradingue, saturé, une
batterie aplatissante jouée par un mammouth en rut, un tempo rampant comme un
crotale ébouillanté, la voix du Neil certes vieillie, breathless mais toujours
reconnaissable entre dix millions. Et les neurones en surchauffe font clignoter
des titres qu’on croyait à jamais disparus, des « Down by the
river », des « Cortez the Killer », des « Hey hey
my-my », des disques comme « Live rust », « Ragged
glory », « Weld », « Mirror ball », … Ouais, carrément … Le Neil Young que j’aime is back, alive and very well.
« A new
day for love », il s’appelle ce titre inaugural de « Monsanto
years ».
Un peu fatigué, quand même, le Loner |
Et ça va durer comme ça jusqu’au bout. Sauf sur
« Wolf moon », la ballade acoustique éternelle, comme tout le monde
en pond, et Young particulièrement sur « Harvest » ou sa fausse suite
« Harvest moon ». Et ce « Wolf moon » n’aurait pas dépareillé
dans ces deux classiques, c’est dire son niveau. « The Monsanto
Years » est à peine un peu moins bon que « Ragged glory » (parce
70 balais le Neil, parce que Promise of the Real c’est pas Crazy Horse, que
Lukas Nelson c’est pas Whitten ou Sampredo, et que moi aussi j’ai plus vingt
ans …). Il y a des choses raisonnablement inenvisageables ou qu’on croyait
maintenant inaccessibles à Young, cette colère électrifiée tous potards sur
onze, ces coulis de distorsion, ces duels épiques de guitare, ces slogans braillés
rage aux tripes. Des titres comme « People want to hear about love », «
Workin’ man », « Monsanto years», sont
proprement exceptionnels et « A rock star bucks a coffee shop », avec son
refrain à limite de la rupture et son irrésistible gimmick sifflé est un des
dix meilleurs morceaux que Neil Young ait jamais écrit. Et ne me dites pas que
j’exagère, c’est brothers and sisters la putain de vérité vraie …
Disque de l’année, au moins …
Du même sur ce blog :