Junior Murvin, il joue en Seconde Division du reggae,
mais il a réussi à arriver en finale de la Coupe, pour reprendre une parabole
footbalistique, sport dont, allez savoir pourquoi (enfin si, je sais, mais j’ai
pas le temps de développer), les rastas sont friands. Bon, le Junior, c’est un
de la vieille époque, des années septante où le reggae a dépassé le cadre de
son caillou entouré d’eau dans les Caraïbes pour envahir les transistors du
monde supposé libre.
Junior murvin |
Murvin, il avait qu’un truc pour lui. Une unique et
exceptionnelle vois de falsetto (à peine moins étonnante que celle d’Aaron
Neville, mais nettement plus spectaculaire que celle de son idole Curtis
Mayfield). Qui se révèlera être plutôt un handicap, elle est tellement atypique
et tellement loin des voix de mâles dominants qui commencent à se tailler un
nom en Jamaïque, que personne ne veut le faire enregistrer. Autre particularité
qui jouera à terme en sa défaveur, Junior Murvin n’est pas un auteur
prolifique. C’est malgré tout avec un de ses titres qu’il a proposé sans succès
à tous les producteurs de l’île, qu’il finit par accrocher l’oreille de Lee
Perry. Pas exactement le premier venu donc (je rappelle à l’usage des fans de
Stromaé que Lee Perry est un des quatre ou cinq plus grands producteurs de tous
les temps), même si Perry a circa 1976 l’essentiel de ses meilleures choses
derrière lui. Mais comme tout cinglé intégral qui se respecte, il est resté
capable de sortir de temps à autre des fulgurances sonores étonnantes.
Ce titre que Perry va retravailler et sur lequel Murvin
va coucher une prestation vocale fabuleuse, c’est « Police &
thieves ». Oui, oui, ami punk nostalgique du premier disque des Clash, on
parle bien du même titre. D’ailleurs suffit d’écouter la version originale pour
se rendre compte que le camarade Strummer s’est pas trop foulé pour la cover.
Tout (mélodie, arrangements, chœurs, gimmicks) est rigoureusement identique.
Seul le tempo a été accéléré, et la voix d’Action Joe est un peu moins euh …
suave que celle de Murvin. Ne pas confondre cause et conséquence, le
« Police & thieves » de Murvin a été un hit avant que le Clash se
l’accapare.
Lee "Scratch" Perry |
« Police & thieves » ne repose pas
seulement sur son morceau titre. Perry, très impliqué au niveau des
compositions (il signe seul ou cosigne l’essentiel des titres), produit et fait
intervenir son backing band, les Upsetters. Et cette fine équipe œuvre dans un
registre assez atypique. Perry, c’est l’inventeur du dub, ces titres décharnés
reposant sur des basses grondantes, et il est capable d’en tartiner des disques
entiers. Ici, seul un morceau, « Tedious », est résolument orienté
dub. Le reste est beaucoup plus léger, très mélodique, à la limite du sucré et
s’accorde impeccablement à la voix haut perchée de Murvin. Dans ce genre,
« Roots train » qui ouvre le disque, est un sommet. La black music
américaine des sixties inspire nettement « False teachin’ » (le côté
soul), ou « I was appointed » (soul, rhythm’n’blues, cuivres très
présents), les sonorités typiquement jamaïcaines du début des seventies
remontent à la surface le temps d’un « Worin’ in the cornfield ».
Paradoxalement, alors la musique est légère, une bonne
part des textes sont assez plombants avec leurs références à gros sabots au mysticisme
de pacotille dont s’entourent souvent les reggaemen, toutes ces extrapolations
à partir de légendes bibliques (« Salomon », « Rescue Jah
children », « False teachin’ », « Lucifer »). Bon,
c’est du reggae, faut savoir faire avec …
Souvent décrit comme un des grands classiques du reggae
(non, non, pas à ce point, faut pas abuser …), ce « Police and
thieves » de dix titres à l’origine, a été réédité avec des bonus
comprenant notamment des versions longues de « Roots train » (avec un
toasting dû à la voix grave de Dillinger) , un « Discomix » ( ?
) de « Police & thieves » (sous le nom de « Bad
weed »). Une manière de montrer que des années avant les technoïdes, un
type comme Lee Perry quand il se lâchait sur des durées de dix minutes, rendait
déjà obsolètes tous les joueurs de disquettes.
A noter qu’un des titres bonus (« Rasta get
ready ») est un hommage assez évident au « People get ready » de
Curtis Mayfield & The Impressions. Enfin, pour les insatiables,
« Police and thieves » existe même en une version DeLuxe de deux Cds
…
Ah, et Junior Murvin est mort fin 2013 … ça n’a pas fait
la une des JT …