Pour être gentil, on dira que
Marcel Camus est un cinéaste quelque peu oublié. Pourtant il doivent pas être
très nombreux les Français a avoir cumulé Palme d’Or et Oscar du meilleur film
étranger. Tout ça pour un même film, cet « Orfeu Negro », forcément son
plus connu (au passage, son autre titre de « gloire », c’est d’avoir
réalisé la série télé 60’s « Les faucheurs de marguerites »)
Marpessa Dawn & Marcel Camus |
Autant de louanges et de
récompenses a de quoi laisser songeur une fois qu’on l’a vu cet « Orfeu
Negro ». Pas que ce soit un horrible nanar, mais bon, c’est pas
l’imagination au pouvoir et l’enchantement à chaque plan. Camus est un cinéaste
tout ce qu’il y a de conventionnel dans sa façon de filmer, classique à en
devenir finalement assez ennuyeux, inutile de chercher un procédé narratif original,
ou des mouvements savants de caméra. D’un autre côté, fallait aussi assurer un
strict minimum, parce que quasiment tous les comédiens sont des amateurs, et
logiquement, ils ne crèvent pas l’écran. Le scénario n’est pas d’une
imagination folle, c’est tout bonnement l’histoire actualisée de la légende
antique d’Orphée et d’Eurydice, strictement conforme à celle qui est racontée
par les profs de Français ou d’Histoire dans les collèges. En fait, le seul
trait de génie (et encore, on y reviendra), c’est de l’avoir transposée à Rio,
pour l’ouverture du Carnaval.
On a donc droit à des décors
naturels qui valent quand même le coup d’œil (même si sûrement questions
d’autorisations, aucun des lieux mythiques de la ville genre Corcovado,
Copacabana, Sambadrome, n’apparaît à l’écran, faut se rabattre sur une colline
de favelas qui domine la ville et les plages), et toute une population bariolée
qui fait office de figurants, avec au passage quelques gueules pittoresques ou
comiques, censées représenter au mieux la gouaille et l’exubérance des
quartiers pauvres. Revers de la médaille, on n’échappe pas au côté carte
postale, les Brésiliens ne sont montrés que comme une bande de joyeux crétins
perpétuellement en train de danser la samba. A tel point que les autorités du
pays firent officiellement la grimace devant le film.
Orphée (Breno Mello) et Eurydice (Marpessa Dawn) |
Ça donne quoi, au final ?
Une impression assez mitigée, un film qui tient plus de la comédie musicale que
du cinéma d’auteur, et n’a rien à voir avec le traitement mieux réussi du même
mythe antique par Cocteau. Au crédit de Camus, une bonne perception de la lame
de fond bossa nova qui allait redéfinir de fond en comble la musique
brésilienne, et il fait se côtoyer sur la bande-son l’archi-convenue samba avec
quelques titres d’un encore à peu-près inconnu, Antonio Carlos Jobim.
Parenthèse, les salopiauds responsables de l’édition Dvd (Grayfilm SAS,
collection Ciné Club, qualité d’image tout juste passable), ont trouvé malin de
doubler lesdites chansons en français, seule langue disponible sur leur rondelle,
alors que le film a été tourné en portugais. Fin de la parenthèse.
Les acteurs amateurs (sauf
Marpessa Dawn, celle qui joue Eurydice, pas exactement une star, même Luc B.
doit pas la connaître) ont l’air en totale roue libre, on dirait des footballeurs
de Fluminense, Botafogo ou Flamengo. En fait, c’est ça qui les sauve, cette
nonchalance décontractée, cette facilité qu’ils partagent avec les pousseurs de
ballon locaux de se sortir élégamment de situations pourtant mal engagées.
Cette naïveté démultiplie le côté poétique de l’histoire elle-même.
Pour moi, c’est la fin du film
qui est la plus intéressante, parce que les deux premiers tiers, avec cette
mort en collant sur lequel est peint un squelette ( Entwistle, le bassiste des
Who s’accoutrait parfois de la sorte, y aurait-il un lien ?)
perpétuellement en train de courser Eurydice au milieu des groupes de danseurs,
on peut pas dire que ça génère des poussées d’adrénaline et un suspens
insoutenable. C’est quand Orphée (pour l’occasion conducteur de tram, Eurydice
étant une ingénue provinciale venue en ville pour le Carnaval) commence à
rechercher sa bien-aimée morte que Camus change de registre. Là, tout à coup,
le film devient plus caustique, plus militant. La descente aux Enfers d’Orphée
s’effectue plutôt en montant par des ascenseurs vers les arcanes ultimes d’une
administration pléthorique, croulant sous des montagnes de paperasses, et
servie par une nuée d’employés certes pittoresques mais totalement inefficaces
(pas étonnant que le gouvernement brésilien n’ait pas trop ri avec cet
aspect-là également), à tel point qu’il ne retrouve trace de la morte que par
le biais d’une cérémonie vaudou (ça aussi, ça fait un peu désordre dans un pays
très catholique).
Amusant aussi, et ça aide quand
même à faire passer la pilule de la fable antique recréée, quelques situations
vaudevillesques (Orphée est sur le point de se marier à une putain de bombe
latine, comme de bien entendu très jalouse, lorsqu’il rencontre Eurydice), et
quelques gosses malicieux, espiègles et rêveurs qui renforcent le côté
allégorique et poétique de la chose.
« Orfeu Negro »,
c’est quand même du divertissement familial de base. Même l’originalité de
traitement du scénario n’est pas très novatrice ; il me semble, mais j’ai
rien lu pour l’étayer, que beaucoup de choses ont été inspirées à Camus (aucun
lien de parenté avec l’écrivain) par le « Carmen Jones » d’Otto
Preminger sorti quelques années plus tôt…
Une bande-annonce bien soporifique ...
Une bande-annonce bien soporifique ...