« Talking book » est le second disque du Stevie Wonder
artiste à son compte au sein de la Tamla Motown, le label qui l’avait révélé
tout gamin et qui avait chaperonné jusqu’à sa majorité sa carrière.
« Talking book » est pour moi le premier grand chef-d’œuvre de
Wonder, et n’est seulement éclipsé que par l’immense « Songs in the key of
life ».
Comme sur le précédent (« Music of my
mind »), Stevie Wonder écrit, compose, produit et joue de tous les
instruments. Ou presque. Juste des guests aux guitares et aux cuivres. Ce qui
change tout, c’est qu’arrivent avec « Talking book » les hits. Et pas
les petits …
« You are the sunshine of my life », misérablement
adapté ici par le bellâtre crooner Sacha Distel, qui en a fait une scie
soporifique. Dans la version (instrumentalement identique) de Wonder la voix
est soul. C’est ce qui fait toute la différence entre une rengaine à mi(di)nettes
et une grande chanson. Et puis il y a « Superstition ». Son intro à
la batterie tant de fois imitée-copiée-plagiée. Son riff joué au clavinet, pour
cette merveille de rhythm’n’blues électronique (même si les cuivres sont de
vrais cuivres). On peut pas dire que Stevie Wonder ait un grand sens du
business. Ce titre avait été écrit au départ pour Jeff Beck, pour remercier le
ronchon guitariste de sa présence sur un autre titre de l’album, « Lookin’
for another pure love ». C’est devant l’insistance du patron de la Motown
Berry Gordy que Wonder en fera sa propre version. . Jeff Beck lui l’enregistrera
avec son power trio Beck-Bogert-Appice (deux versions, une studio et l’autre
sur le live au Japon). « Superstition » est peut-être le titre le plus
connu de Wonder, et peut-être bien aussi le meilleur qu’il ait jamais écrit …
Deux titres qui cartonnent, ça peut suffire pour
faire un bon disque. Mais avec « Talking book », Stevie Wonder a mis
les petits plats dans les grands. La seconde face du vinyle original laisse
béat. Après « Superstition », Wonder ressort l’harmonica du Little
Stevie qu’il fut pour le très folky « Big Brother », même si comme
pour l’autre génial aveugle Ray Charles, rien n’est simple, défini. Wonder
triture, mélange, malaxe, des sons venus d’horizons différents. « Blame it
on the sun » reprend donc à sa sauce la ballade qui tue estampillée fin
60’s, ce genre qui a fait la fortune de Procol Harum ou des Moody Blues. Ici,
c’est un peu moins mathématique, beaucoup plus au feeling. « Lookin’ for
another pure love », c’est Wonder côté soul soyeuse, avec donc un solo
(très jazzy) de l’ami (? ) Jeff Beck. « I believe … » clôt le disque,
couplets soul, refrain en forme de mantra country-rock.
Forcément, avec pareil final, c’est le début du
disque qui pâtit un peu de la comparaison. Le titre le plus évident , qui ne
risque pas dépayser les Wonder-addicts, c’est « You’ve got it bad
girl », qui concentre en cinq minutes tous les plans qui seront recyclés
pendant des décennies. Cette première face, c’est aussi en filigrane le Wonder
qui transforme la musique en miel. On est avec « You and I » (la
roucoulade amoureuse), ou « Tuesday heartbreak » (gentiment funky)
dans un style qu’il exploitera plus tard jusqu’à la caricature, quitte à
devenir le soulman soupard et inconsistant des 80’s. Ici, il y a encore de la
qualité d’écriture et de l’émotion à la pelle. Le seul titre que l’on peut à
mon sens zapper c’est « Maybe you baby », avec cette manie de
ressasser une phrase du refrain façon mantra jusqu’à saturation. Là aussi une
marque de fabrique qui sera moultes fois utilisée, sauf que ce coup-ci, la
mélodie répétitive est pas terrible. Pour l’anecdote, c’est Ray Parker Jr (oui,
oui, celui du carton intergalactique « Ghostbusters » de la B.O. du
film du même nom) qui officie à la guitare sur ce titre …
Indispensable
« Talking book » ? Oh que oui …
Du même sur ce blog :