Malgré l’image policée, sympathique et festive donnée par
les Beach Boys, elle devait pas être marrante tous les jours, la vie de Brian …
Le plus doué du groupe familial Wilson
avec la pression qui va avec (des singles, des skeuds pour Noël, des
inédits pour les 33T), bien entretenue par un père maquereau de sa progéniture
dans la grande tradition show-bizz du « on achève bien les chevaux »
…
Le fiston idéal, Brian, cependant pas très bien dans ses
baskets, et qui commençait à (gentiment) se défoncer pour aller un peu mieux
dans sa tête au milieu des années 60. Peut-être un peu à l’Ouest (non, je parle
pas de la Californie), mais passionné par l’écriture de chansons, le travail en
studio (la scène, pas son truc, il se faisait souvent porter pâle quand les
Boys tournaient). Et aussi ambitieux, avec les oreilles grandes ouvertes sur le
monde merveilleux ( ? ) de la pop, il voulait toujours faire mieux … que
tous les autres en fait.
Seulement voilà, en cette fin 65, quatre types qu’il
surveillait de près, issus des brumes de Liverpool, venaient de mettre dans les
bacs un disque appelé « Rubber soul », et là, tout d’un coup, Brian
se rendait compte que Lennon, McCartney, Harrison et Martin (oui, j’ai bien
écrit Martin et pas Starr, si vous savez pas pourquoi, je peux plus rien pour
vous …) étaient en train de placer la fuckin’ barre très haut. « Rubber
soul » était pensé, construit, cohérent, d’un déroulement qui lui
apparaissait logique, évident … fini les collages de bric et de broc de six
titres disparates sur chaque face de plastique noir, fini le disque, place à
l’album.
Les Beach Boys 1966 : bientôt, Brian va voir des éléphants roses |
Et Brian Wilson, pour qui les Beatles étaient les seuls
concurrents valables, se mit en tête de faire le disque parfait, celui qu’il
imaginait devenir le plus grand disque de pop jamais réalisé. Il lui fallait
non seulement écrire une douzaine de chansons parfaites, mais surtout les lier
en un bloc, en faire un ensemble indissociable devant lequel le Monde se
prosternerait. Et Brian Wilson, ce challenge un peu fou, il l’a réussi.
Quand au mois de mai 1966 paraît « Pet sounds », rien de comparable
n’existe …
« Pet sounds » n’est pas un album gai, d’ailleurs
cette forme de tristesse, de mélancolie, ne quittera plus l’écriture de Brian
Wilson. Fini le « Fun, fun, fun » des ados surfeurs, leur sunshine
pop est quelque peu ombragée, voilée. Et l’entraînant « Wouldn’t it be
nice » (le titre imparable qui ouvre « Pet sounds », les autres
sommets seront placés tout à la fin avec « Caroline no » et pile au
milieu avec « Sloop John B » / « God only knows ») n’est qu’un
trompe-l’œil, la tonalité globale du disque est assez sombre, nettement moins
enjouée que sur ceux du passé.
Alors que les Beatles sont de fait quatre pour créer
leurs disques, Brian Wilson est lui à peu près seul. Inutile de compter sur les
frangins, bringueurs peu concernés par l’écriture, et pas trop sur le cousin
Mike Love, qui ne cherche qu’à placer une note ou trois mots de temps en temps,
juste pour empocher des droits d’auteurs. Parenthèse : ce crétin
ultra-républicain de Love intentera moult procès pour se faire créditer sur
quantité de titres des Beach Boys, il réussira devant les tribunaux à récupérer
le nom du groupe, et c’est maintenant ce pitoyable vieillard mesquin qui tourne
avec quelques employés menés à la trique sous le nom de Beach Boys. S’ils
donnent un concert près de chez vous, faites-vous plaisir, n’y allez pas … Fin
de la parenthèse … De fait, le seul complice de Brian (uniquement pour les
textes, lui se réserve toute la musique) sera le parolier Tony Asher.
Wilson s’aperçoit que les Beatles s’inspirent de la
musique classique pour les mélodies et les arrangements. La musique classique,
lui n’y connaît rien. Il va se tourner vers les maîtres américains de la
comédie musicale (Bernstein, Gershwin, Berlin, …), et aussi vers ce génie de la
pop qui dévastait les charts du début des années 60, Phil Spector. Comme
d’habitude (Brian Wilson est au piano et divers claviers le seul des Beach Boys
à jouer sur les disques, dans une moindre mesure frangin Dennis à la batterie),
il va s’appuyer en studio sur le Wrecking Crew, le groupe attitré des sessions
de Spector. Ce sont donc les Hal Blaine, Carol Kaye, Leon Russell, Steve
Douglas et consorts que l’on entend sur « Pet sounds ». Brian Wilson
pourra aller au bout de ses idées, car Spector est en train de devenir furieusement
cinglé et son label Philles commence à prendre l’eau de toutes parts …
Il y a dans « Pet sounds » une unité sonore
assez frappante. Il y a un rythme, une ambiance générale, des tics de
construction, d’utilisation des voix (là, c’est vraiment la tribu Wilson qui
est à l’œuvre pour les parties vocales, Brian se réservant souvent la voix
lead) communs à tous les titres. On retrouve partout ces voix de cristal
portées par des crescendos mathématiques (la leçon retenue de Spector), ces
mélodies qui vont plus loin que le binaire du rock, qui font la jonction entre
les grands musiciens américains du passé et la « variété » des années
60 …
Brian Wilson va devenir complètement chèvre ... |
Même si les quatre titres évoqués plus haut se dégagent
du lot et sortiront en single (aucun n’atteindra cependant la première place
des charts), Brian Wilson a sorti avec « Pet sounds » une œuvre sans
point faible (même pas les deux instrumentaux). Le disque se retrouve
systématiquement listé dans les tous meilleurs jamais parus (malgré sa
pochette, putain qu’elle est horrible …), McCartney déclarera que « God
only knows » est la plus belle chanson jamais écrite. Quand paraît
« Pet sounds », Brian Wilson oublie son surmenage et est sur un
petit nuage (qu’il commence à parfumer au LSD).
Cette plénitude (ça y est, il l’a réussi, son immense
grand disque) ne durera pas. Moins de deux mois après « Pet sounds »,
les Beatles lâchent « Revolver ». Wilson estime qu’ils ont fait mieux
que lui, mais ne s’avoue pas vaincu. Il va s’attaquer à un projet pharaonique,
que cette fois personne ne pourra égaler ou surpasser. L’entreprise « Smile »
est mise en chantier. Brian Wilson commence à perdre pied mentalement, fait
paraître ce qui est pour moi de très loin son meilleur morceau « Good
vibrations ». Quand il entendra quelques semaines plus tard la
« réponse » des Beatles, le 45T avec « Penny Lane » en face
A et « Strawberry fields forever » en face B, Brian Wilson va craquer
psychologiquement, il estime qu’encore une fois, qu’encore et toujours, les
Beatles ont fait mieux que lui ... La parution de « Sgt
Pepper’s » va finir de le détruire. Le « Smile » en chantier ne
sortira jamais …
Ne reste que « Pet sounds » comme preuve
tangible du génie trop vite calciné de Brian Wilson…
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