« Subterranean … », il s’appelait à sa sortie
« Bringing it all back home ». Pour une raison qui m’échappe et dont
je me fous, les deux titres sont indifféremment employés. Le contenu est dans
les deux cas rigoureusement identique, les onze même morceaux.
« Subterranean … », c’est un des disques les
plus importants, les plus cruciaux des années 60. Aussi un des plus importants
et cruciaux de Dylan. « Subterranean … » marque un changement radical
dans la façon d’utiliser le support du 33 T. Jusque-là, ces grosses rondelles
de vinyle ne servaient qu’à refourguer des titres vite bâclés, organisés autour
d’autres déjà parus sous forme de 45T ou de Ep 4 titres. Le succès du 33 T
dépendant très fortement de celui acquis précédemment par les morceaux déjà
parus. Le 33 T n’était pas envisagé comme une œuvre en soi, mais comme une
juxtaposition de titres.
Musicalement, « Subterranean … » est
conceptuel. Une face électrique et une face acoustique. Les titres électriques
sont déterminants dans la carrière de Dylan. Mais également pour beaucoup
d’autres. On entend dans « Subterranean … » un type qui est considéré
comme un maître d’un genre (le folk « à textes » avec juste guitare
en bois et harmonica), utiliser de la musique venue d’ailleurs (du rock au sens
large). Personne, parmi les stars déjà établies (Beatles et Stones au hasard)
ne s’était hasardé à çà. Quand on tient le succès avec une formule, on la
perpétue, on n’expérimente pas. Dylan s’en foutait un peu de tout ça, malgré sa
réputation en béton, il ne vendait guère, ses titres obtenant beaucoup plus de
succès quand ils étaient chantés par d’autres. Dernier exemple en date, des
fans californiens du Zim, réunis sous le patronyme de Byrds, venaient de
claquer un numéro un national avec la reprise d’un titre de lui pas encore paru
sous son nom, « Mr Tambourine Man ». Juste en insistant sur le côté
mélodique et en incluant des instruments électriques. L’histoire (ou la
légende) prétend que c’est l’écoute de la version des Byrds qui aurait poussé
Dylan à virer électrique.
1ère de photo de Dylan avec une guitare électrique : 17 Juillet 1965 Newport ? |
Des requins plus ou moins anonymes sont embauchés, on se
met tous dans le studio, on joue ensemble, « 1,2,3,4 » et c’est
parti. On sent que « Subterranean … » est enregistré dans
l’urgence, que tout n’est pas maîtrisé. Sur « Bob Dylan’s 115th
dream », un énorme fou rire saisit Dylan après un false start comme on dit
dans les notes de pochette, ça a été conservé. Dylan ne maîtrise guère le fait
de jouer avec un « groupe de rock », il doit lui sembler que tant de
vacarme va le faire passer au second plan, alors il hurle littéralement ses
textes. Sur le plan strictement musical, il n’y a rien de révolutionnaire en
soi, ça mouline gentiment, d’une façon quasi austère (les deux boogies du
disque, « Outlaw blues » et « On the road again » - rien à
voir avec le titre homonyme de Canned Heat quoi que … - feraient justement
passer l’intégrale de Canned Heat pour un manifeste de rock progressif).
Cependant, le disque sera assez mal perçu, Dylan sera accusé d’avoir
« trahi » la cause du folk pur et dur dont il était le héraut. Dans
le meilleur des cas, cette première face de disque électrique sera considérée
comme une parenthèse mal venue (les quatre titres acoustiques auraient pu se
retrouver tel quels sur n’importe lequel de ses 33T précédents). La suite de
l’aventure sera sans équivoque. Dylan va embaucher un jeune guitariste de rock
virtuose, Mike Bloomfield, enregistrer un disque quelques semaines plus tard,
uniquement électrique, « Highway 61 revisited », et se lancer dans
une tournée tous potards sur onze avec une bande de graisseux venus du
rock’n’roll tendance garage, les Hawks, anciens accompagnateurs de Dale Hawkins
(l’auteur de « Suzie Q »), qui deviendront The Band. Dylan monte dans
le train de l’histoire en marche et accélère la locomotive …
Si « Subterranean … » ne peut être considéré
comme le meilleur disque de Dylan, surtout à cause d’un backing band sous-mixé
et qui sonne baloche, c’est malgré tout pour moi son plus important, celui qui
fait exploser toutes les lignes et les chapelles musicales de l’époque. Si l’on
enlève les deux boogies déjà cités, restent neuf morceaux qui sont absolument
tous des classiques de Dylan (le morceau-titre, « She belongs to me,
« Maggie’s farm », « Love minus zero », « Bob Dylan’s
115th dream » pour la face électrique, plus les quatre acoustiques
« Mr Tambourine Man », « Gates of Eden », « It’s
alright, Ma », « It’s all over now, Baby Blue »). Autant dire
qu’avec les musiciens de « Highway … » ou « Blonde … », il
n’aurait rien à envier à ces deux-là …
« Subterranean homesick blues » est le premier
classique tout-terrain de Bob Dylan, et malgré la bonne trentaine d’albums qui
a suivi, reste pour moi dans le quintet majeur de sa carrière …
A noter pour les amateurs de symboles et fétichistes
divers que la pochette est un vaste puzzle regorgeant de détails (la femme en
rouge, les mags, les pochettes de disques, …) sur lesquels les fans du Zim se
sont abîmé les yeux et creusé les méninges …
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