ROMAN POLANSKI - CHINATOWN (1974)

Noir et brillant ...
« Laisse tomber Jake, c’est Chinatown ici … ». La dernière phrase du film, prononcée par un des associés de Gittes, alors qu’il l’amène loin du carnage final…
Chinatown, c’est le quartier de Los Angeles où Gittes a commencé sa carrière de flic. Et puis dans des circonstances qui resteront mystérieuses mais qui l’ont traumatisé, il a monté un cabinet de détective privé assez florissant, qui le conduira à nouveau vers Chinatown pour l’épilogue tragique d’une enquête.
« Chinatown » le film, est sorti au mauvais moment. En 1974. Année qui a vu « Le Parrain II » rafler toutes les récompenses. Bon, moi je suis client des deux, mais s’il fallait vraiment choisir, je crois que je prendrais le film de Polanski.
John Huston & Jack Nicholson
« Chinatown » c’est une synthèse. Et une déclaration d’amour d’un des cinéastes les plus controversés (déjà à l’époque, quelque temps avant sa mise en accusation pour viol, et des années avant que cette histoires de coucherie avec une mineure plus ou moins consentante soit remise récemment d’actualité). Dont les films les plus marquants jusque-là (« Repulsion », « Rosemary’s baby », « Le bal des vampires ») ont choqué, voire traumatisé les spectateurs du monde entier, et plus encore les Américains chez lesquels il réside. « Chinatown » est totalement différent, c’est l’hommage de Polanski à une certaine forme de cinéma typiquement américain au départ, le film noir. Qui a connu son apogée dans les années 30 et 40, et généré un nombre conséquent de chefs-d’œuvre. Avec en tête de gondole son sous-genre policier, qui a vu portées à l’écran de longues lignées de (détectives) privés, englués jusqu’au trognon dans des intrigues - sacs de nœuds, et sous le charme de créatures aussi affriolantes que dangereuses, dans des ambiances alcoolisées et enfumées rythmées par du jazz cool … La quintessence du genre c’est « Le faucon maltais », adapté d’un bouquin de Dashiell Hammett, avec Humphrey Bogart - Sam Spade, et derrière la caméra John Huston.
Et pour que les choses soient bien claires, c’est le vétéran John Huston, ayant à son actif une lignée de chef-d’œuvres plus que bien fournie, qui va jouer dans « Chinatown ». Et pas une fugace apparition en guise d’hommage. C’est l’un des trois personnages centraux du film, le vieux patriarche richissime Noah Cross vers lequel vont converger toutes les intrigues du scénario. Mais les deux têtes d’affiche sont le « couple » (en fait, ils ne passent qu’une partie d’une nuit ensemble) JJ « Jake » Gittes (Jack Nicholson) et Evelyn Mulwray (Faye Dunaway). Dunaway en veuve noire (dans tous les sens du terme), allumeuse, manipulatrice, et qui cache un bien pesant secret. Nicholson en détective malin, perspicace et débrouillard, jamais armé, et n’utilisant que rarement ses poings. Un net démarquage par rapport aux Marlowe-Spade dont il est le descendant.
Jake Gittes & Evelyn Mulwray
Descendant, même pas, car dans le scénario, il est leur contemporain puisque le film se déroule dans la seconde moitié des années 30. Au départ, Gittes est contacté par une femme (Diane Ladd qui dit être Evelyn Mulwray), pour enquêter sur son mari, ingénieur directeur du Service des Eaux de Los Angeles. Lequel Mulwray ne tarde pas à être retrouvé noyé, l’occasion pour Gittes de s’apercevoir que ce n’est pas la veuve de l’ingénieur qui l’avait contactée. Malgré les pressions diverses qu’il va subir, Gittes va continuer son enquête, au milieu d’imbroglios économiques sur fond d’été caniculaire, de spéculation foncière sur l’irrigation, et d’intrigues familiales chez les Mulwray. Bien dans la tradition du film noir, faut s’accrocher pour tout suivre, mais ça reste quand même plus évident que les rebondissements en cascade du « Faucon maltais » par exemple.
L’occasion de signaler qu’il vaut mieux avoir un bon scénario pour faire un bon film. Celui de « Chinatown » est signé Rober Towne, c’est lui qui récoltera le seul Oscar du film, et en plus d’une intrigue complexe et machiavélique à souhait, un gros travail a été effectué sur le caractère et la psychologie des personnages.
Nicholson écrase la distribution, dans un jeu tout en finesse et en retenue, beaucoup plus dans la suggestion que dans la démonstration. Un jeu d’acteur quasi à l’opposé de celui très typique, tout en performance exubérante, de l’Actor’s Studio qui lui vaudra les pluies de louanges (méritées, d’ailleurs) pour « Shining », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Broadcast News », … C’est Nicholson qui le premier se saisira du scénario de Towne, et réussira à convaincre Polanski de revenir à Los Angeles pour tourner le film. Polanski hésitera beaucoup avant de se lancer.
Roman Polanski & Jack Nicholson sur le tournage
Faut dire qu’il a de plus que mauvais souvenirs à L.A., où fut sauvagement assassinée au cours d’un meurtre rituel sa femme Sharon Tate, meurtre commandité par le cinglé Charles Manson et commis par sa secte de demeurés The Family. Il y a certainement comme une forme d’exorcisme pour Polanski de se mettre en scène dans « Chinatown » sous les traits d’un homme de main de Noah Cross, prompt à sortir le stilleto (Sharon Tate, enceinte, avait été éventrée à l’arme blanche). Dans le film, c’est le nez de Nicholson qui tâtera de la lame … Mais surtout Polanski signe une merveille de réalisation, avec une reconstitution crédible (j’ai beau être vieux, j’ai pas connu cette époque) du Los Angeles des années 30, avec un foisonnement de détail vintage dans les costumes, les voitures, les demeures de la haute bourgeoisie. Une mise en scène hyper classique, avec un soin que l’on devine maniaque apporté à la lumière, au cadrage, et une place de choix accordée aux accessoires de vision (on voit beaucoup de choses à travers des jumelles, dans les miroirs ou les rétroviseurs, et une paire de lunettes brisées à double foyer mènera à la résolution de l’énigme).

Le Blu-ray disponible en France a une image d’une netteté fabuleuse, avec cependant une très légère tendance à se figer ou à tressauter. Par contre seule la VO bénéficie d’un son « moderne » (VF en mono !), et les bonus sont inexistants. La meilleure édition du support serait la version américaine All-zone pas facile à dénicher semble t-il. 



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