Culte ...
« Obsolète » est un objet sonore à peu près unique
par chez nous. Peut-être bien le seul disque culte de France et de Navarre.
Bonne question et merci de me l’avoir posée, c’est quoi un disque culte ?
En gros un machin enregistré il y a très longtemps par des inconnus et qui fait
le bonheur d’une poignée de maniaques qui le vénèrent, persuadés de tenir là
l’œuvre géniale ignorée de tous. Sauf que nous on fait rien comme tout le monde
avec le rock …
Dashiell Hedayat |
« Obsolète », même s’il en traîne pas un
exemplaire dans chaque grenier, s’est assez bien vendu à sa sortie, a été
réédité à maintes reprises, et il continue bon an mal an, à s’en écouler des
copies. Des inconnus derrière ce disque ? Pas vraiment. Dashiell Hedayat,
c’est un pseudo (composé à partir des noms et prénoms de Dashiell Hammett,
auteur américain de polars, et de Sadegh Hedayat, écrivain iranien) derrière
lequel se cache une seule personne, mais hydre à plusieurs têtes
essentiellement connu pour ses bouquins (Jack-Alain Léger, Melmoth, Paul Smail,
Eve Saint-Roch sont ses autres pseudos). Et derrière Hedayat, également
planqués sous des pseudos étranges, Gong au grand complet. Largement de quoi
détaler ventre à terre pour tout être muni de raison et d’oreilles en état de
marche… Pensez, la troupe de babas progressifs anglais accompagnant les délires
littéraires d’un schizophrène. On peut difficilement imaginer pire …
Et pourtant il y a de bonnes, voire de très bonnes choses
dans ce « Obsolète ». Et des trucs beaucoup plus pénibles aussi. En
fait une œuvre typique de tous ces disques faits par des foncedés. Des
fulgurances géniales qui se mélangent à un gloubiboulga psychédélique avachi,
des délires écrits qui côtoient des impros datées. La balance penche du bon
côté, essentiellement grâce au titre d’ouverture, le génial
« Chrysler », hit underground de son temps, où sur un rock psyché, Hedayat
décrit me semble t-il une sorte de déliquescence et d’effondrement du mythe
américain, à travers la vision d’une épave de Chrysler dans le fond de son
jardin.
Evidemment, il y a des efforts requis pour saisir les
paroles. D’abord parce qu’elles sont un peu plus élaborées que chez
Barbelivien, et ensuite parce que le disque est produit « à
l’anglo-saxonne », et ne met pas, comme dans les productions françaises,
la voix très en avant. Et puis, faut reconnaître aussi que Hedayat c’est pas Otis
Redding, d’ailleurs il parle (ou aboie !) plus qu’il ne chante. Beaucoup
de similitudes dans l’esprit avec le disque de Houellebecq accompagné par AS
Dragon …
Gong 1971 |
« Fille de l’ombre » est un titre heureusement
court qui n’intéressera que ceux qui ont trouvé géniaux les bruits domestiques
d’« Alan’s psychedelic breakfast » du Floyd. « Long song for
Zelda » commence très mélodique, évoque Polnareff, avant de tourner psyché
sous l’influence d’un solo « cosmique » d’Allen et de se conclure par
un talk-over et des aboiements d’Hedayat. Si j’ai bien saisi, il fantasme sur
une fille (Zelda) qui a un chien, mais les interprétations de ce titre assez
barré peuvent être différentes …
Dernier morceau (il n’y en a que quatre) qui occupait
toute une face de vinyle, une tournerie entre prog et impro en roue libre
(c’est l’impression que ça me fait, mais la conception du disque a pris une
paire d’années, c’est pas si improvisé que ça …), commencée avec des accords de
basse qui tournent en boucle, avant de finir en ballade planante.
En résumé, un disque qui mérite mieux que sa relative
confidentialité (ça vaut bien les Triangle ou Zoo de l’époque, les Variations
étant hors concours), un super titre (« Chrysler »), les autres assez
loin voire très loin derrière … Certainement beaucoup plus efficace dans le
contexte de l’époque, disque sous substances (y’a Burroughs qui vient marmonner
sur un titre, c’est tout dire) à l’attention de gens sous substances … Un space
cake, quelqu’un ?