Jouets extraordinaires ...
Aujourd’hui, faut vraiment avoir du temps libre et à
perdre pour écouter les derniers disques d’Aerosmith. Et pourtant, ce sont
toujours les mêmes cinq types qui depuis quarante ans composent le groupe, fait
rarissime et peut-être unique parmi tous les grabataires du rock… Et c’est pas
faute d’avoir tout essayé pour pas devenir vieux, Tyler et Perry feraient
passer Lemmy ou Keith Richards pour des prêcheurs amish, même si forcément,
comme les deux Anglais, ils se sont bien calmés maintenant …
« Toys in the attic » est le troisième disque
du Smith. Qui est, faute de mieux, un groupe connu aux States, pays assez à la
ramasse au début des seventies question groupes de rock. Les Anglais dominent
outrageusement le rock mondial à guitares. Les Américains, après la débandade
des immensément populaires Creedence, en sont réduits à faire des héros et de gros vendeurs des groupes assez bas du front comme Grand Funk Railroad. Mais le
music business américain fourbit ses armes dans l’ombre. A New York, le Blue Oyster Cult balance son
heavy metal intello et violent. Au Sud Lynyrd Skynyrd et tout au Nord à
Boston Aerosmith sont lancés comme les « Rolling Stones américains »,
comparaison quelque peu hâtive et flatteuse. Et ces trois groupes vendent du
disque. Si le Cult et Lynyrd ont d’entrée sorti des bons disques, les deux
premiers d’Aerosmith sont assez quelconques, et ne doivent leurs succès qu’à
des ballades (« Dream on ») ou des boogie stoniens un peu
« légers » (« Mama Kin ») qui ont grimpé dans les charts.
« Toys … » va les propulser dans la
stratosphère des gens qui comptent vraiment. Les ventes se chiffreront en
millions, les singles vont cartonner all around the world alors que le groupe
était pratiquement inconnu hors des States. « Toys … » constitue un
virage radical. Fini la comparaison avec les Stones (même si on comparera beaucoup
Tyler et Perry à Jagger et Richards, Toxic Twins vs Glimmer Twins, les lippes
de Tyler et Jagger, les montagnes de coke, …). Musicalement, Aerosmith n’a plus
rien à voir en 75 avec les Stones. Le propos se durcit très nettement, et dès
lors le Smith sera souvent rattaché au courant du hard-rock. Parce que
« Toys … », en plus d’être une pièce maîtresse du Smith, est un
disque rageur, violent. Les types jouent leur va-tout, n’ont rien à perdre, et
vont foncer, repoussant toutes les limites que l’on croyait entrevoir chez eux.
Le Smith se met à composer des chefs-d’œuvre, et pas
seulement Tyler et Perry. Hamilton et Whitford apportent aussi leur écot. Plus
besoin de meubler le disque avec des classiques moultes fois célébrés, comme
ils l’avaient fait précédemment avec « Walkin’ the dog » ou
« Train kept-a-rollin’ ». La seule reprise de « Toys … »,
c’est un obscur titre rhythm’n’blues des années 50, « Big ten inch
record ». Servi façon swing jazzy avec orchestre et cuivres. Très mauvais,
de loin le pire titre du disque. Mais c’est ce genre de bêtise qui fait tout le
charme du reste, allez on y va, on fonce, on verra bien … Parce que le reste,
justement, ça déménage. Démarrage sur les chapeaux de roues avec le dragster
boogie « Toys in the attic », les voix qui se répondent sur le
refrain, le chorus tout en saturation de Perry. Night in the ruts, comme ils
diront plus tard …
Du riff qui fissure le cérumen, il y en a … Il faudra
enseigner dans les écoles que l’intro de « Walk this way » est une
des sept merveilles du rock des seventies, avec son célébrissime riff killer.
Le phrasé de Tyler, entre parlé et chanté a fait croire à ceux qui n’en ont
jamais écouté que ça ressemblait à du rap. Même si c’est ce titre en version
rap par les Run-DMC qui remettra Aerosmith sur les rails (les bons, parce que
les autres, ceux qu’on s’envoie dans le pif, ils les ont jamais quittés) au
milieu des années 80 quand les Bostoniens étaient devenus des has-been
totalement ringardisés. Niveau riff de la mort qui tue, « Sweet
emotion », l’autre gros succès du disque, il est pas mal non plus et vient
remettre dans le droit chemin le titre après une intro défoncée. Tout comme
celui, reptilien de « Adam’s apple », classic hard-rock 70’s …
Tyler & Perry live 1976 |
Et puis, en s’inspirant (attention, sans copier bêtement)
de ce que fait la concurrence, le Smith peut sonner comme Alice Cooper, évident
sur « No more, no more » à cause du phrasé de Tyler, proche de celui
du sieur Furnier. Il peut aussi aller faire un tour sur les terres
zeppeliniennes (la batterie, les intonations de Tyler) le temps d’un
« Round and round ».
Aerosmith sont aussi une bande de sacrés défoncés, et
l’inconvénient des drogues, c’est qu’à force d’en prendre on finit par faire
des morceaux de drogués. Le très psyché mais malgré tout excellent « Uncle
Salty » est là pour le rappeler.
Tout disque d’Aerosmith ne serait pas complet s’il n’y
avait de la ballade épique et lyrique. Ici, elle conclut le disque, s’appelle
« You see me crying », et dans le genre, le Smith n’a pas fait mieux.
Un petit mot sur la production de Jack Douglas, en
parfait équilibre entre séduction chromée et vicieux bordel sonore, le cocktail
malin qui ratisse un large public tout en ravissant les amateurs de sensations
fortes. Cet état de grâce ne durera pas longtemps (les drogues après l’avoir
exacerbée te bouffent vite la créativité), mais se poursuivra avec
« Rocks », aussi bon que « Toys … » mais en version plus
« jolie », plus radiophonique encore … Le reste de la saga Aerosmith
incite à la prudence, quelques rares bons disques (« Pump », voire
« Get a grip ») se retrouveront perdus dans un océan de mélasse qu’il
vaut mieux oublier …