Il a demandé à la Lune ...
Rares sont ceux qui ont quitté un groupe relativement
connu, ont changé assez radicalement leur style musical, et rencontré un succès
supérieur. Même si Van Morrison n’a jamais été un gros vendeur …
Irlandais, chanteur au tempérament et au gosier de feu
des Them, performance incandescente sur « Gloria », un des près
fameux titres des sixties (et qui près de cinquante ans après les faits, est
toujours une planche de salut en concert pour les groupes avec un répertoire
personnel un peu mou du genou), Van Morrison envoie bouler ses potes, quitte le
London pas encore tout à fait swingin’ pour New York. Là, un premier hit
« Brown eyed girl », des séances qui n’aboutissent à rien (les bandes
sortiront des décennies plus tard). Van Morrison va jouer son va-tout, faire une
croix sur tout plan de carrière, tourner le dos au rock et au rhythm’n’blues,
et enregistrer avec les moyens du bord et un groupe de jazzeux de studio
« Astral weeks », que l’on retrouve vers le haut de toutes les listes
des meilleurs disques de tous les temps. Perso, « Astral weeks »,
avec son joli hermétisme musical dont se délectent les gens prétendus de bon
goût me gave assez vite, ça m’accroche pas trop.
« Moondance », on y vient, est le disque
suivant. Qui reprend peu ou prou les mêmes recettes, mais avec des musiciens
différents, des titres plus concis et une production de Van the Man himself.
Moins mignon et plus direct en somme… La poésie onirique de « Astral
weeks » se voit traversée par un souffle lyrique qui emporte tout, le
jazz, le blues, la soul, le rhythm’n’blues, le rock … Autant pour moi
« Astral … » est un disque froid, « éteint », autant
« Moondance » est un brasier dans lequel Morrison se consume et nous
consume … sans faire rugir guitares et Marshall, sans gueuler comme au temps
des Them … pas de technique, pas de physique, du feeling …
Pour moi, il n’y a rien qui arrive à la cheville de
« Moondance » dans l’œuvre de Morrison, et pas grand-chose chez la
concurrence. Il y a tout dans « Moondance ». La voix qui arrive dès
la première seconde du premier titre « And it stoned me ». Une voix
facile, toute en retenue et nuances, avec en filigrane une puissance
phénoménale en réserve. Les compositions, toutes signées du seul Morrison. De
l’écriture dans une sorte d’état d’apesanteur ou d’état de grâce, comme on
veut. On passe des ballades éternelles (« Crazy love », la perfection
faite chanson, « Brand new day », le « Whiter shade of
pale » de Van Morrison, le côté pompier de Procol Harum en moins) aux
vapeurs jazzy de « Moondance » le titre, aux parfums baroques de
« Everyone », au rhythm’n’blues de « Caravan » sur lequel
Van Morrison lâche les watts vocaux au refrain. Il se dégage du disque une
impression de calme, de majesté, de fausse simplicité (ça fourmille de
trouvailles et d’arrangements).
« Moondance » est totalement anti-commercial,
ne se rattache ni ne suit aucune mode (un seul titre « léger »,
enjoué et sautillant, « Glad tidings »). On y trouve par contre toute
la ferveur religieuse et mystique de cette terre d’Irlande qu’a quittée
Morrison, sur « Come running » et ses intonations gospel, et surtout
sur le sommet de ce disque (et même de la carrière de Morrison ») qu’est
le fantastique « Into the mystic », le genre de titre qui rend
obsolète tous les machins celtiques enregistrés par tous ces bardes à la petite
semaine qui nous les brisent avec leurs binious, leurs renards et leurs
belettes …
Tout à fait logiquement, l’audience de ce disque sera
famélique, Van Morrison, à l’humeur ronchonne légendaire, n’étant de plus guère
enclin à participer à un cirque promotionnel quelconque. Il reste aujourd’hui
un des derniers dinosaures en activité, même si sa production a fortement
baissé en qualité et originalité depuis le milieu des années 70. Et sans jamais
rien qui atteigne le niveau d’exception de ce « Moondance » …
Du même sur ce blog :