Talents à la tonne ...
Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son
titre, « 21 grammes » n’est pas un film léger. C’est un film très
noir, très sombre. « 21 grammes », selon l’accroche de la
bande-annonce, c’est le poids que nous perdons tous à l’instant précis de notre
mort. Et donc c’est bien évidemment la mort qui est au centre du film. Mais pas
seulement.
Watts & Inarritu |
Le scénario est superbe. Paul (Sean Penn),
enseignant supérieur est dans une situation physique désespérée et son couple
bat de l’aile. Seule une transplantation cardiaque peut le sauver. Jack
(Benicio Del Toro), petit délinquant multirécidiviste, veut s’en sortir, en
s’appuyant sur une foi et un mysticisme exacerbés. Christine, ex alcoolo et
junkie, s’est sortie de ses addictions en fondant une famille avec un mari
architecte et deux fillettes. Le destin va faire se rencontrer ces trois
personnages qui ne se connaissent pas, et va les entraîner dans une terrible
spirale.
Derrière la caméra, un quasi-débutant, le Mexicain
Alejandro Gonzales Inarritu. Mais dont le premier film, l’extraordinaire
« Amours chiennes » a suffisamment fait parler de lui, pour que les
producteurs hollywoodiens lui confient un gros budget pour « 21
grammes ». Un bon scénario, un bon réalisateur, de bons acteurs, ça peut
faire un bon film. « 21 grammes » a quelque chose en plus. C’est un
film qu’on ne regarde pas distraitement. Un chef-d’œuvre de montage fait qu’il
nécessite toute notre attention pour comprendre quelque chose. A titre d’exemple,
la première scène est chronologiquement l’avant-dernière, et seule la dernière
est vraiment à sa place. Durant la première demi-heure, on navigue dans le
temps et l’espace autour des trois personnages principaux, au mépris de toute
chronologie. Et puis, à partir de là, quand on a fini par saisir tous les
tenants et aboutissants de l’histoire, on reconstitue tout le puzzle, aidé aussi par un récit qui devient « normal ». Enfin, presque, car sont
menées en parallèle les histoires des protagonistes avant et après l’accident.
Del Toro |
L’accident ? Oui, car comme dans « Amours
chiennes », c’est un accident de voiture qui va nouer l’intrigue. Et dès
lors comme dans les tragédies raciniennes ou cornéliennes, c’est le
déterminisme des personnages qui va inexorablement guider leurs vies et leurs
choix. Responsable de l’accident : Jack. Victimes : le mari et les
deux filles de Christine. « Bénéficiaire » : Paul, qui y
trouve un cœur pour sa transplantation.
Fondamentalement, et d’après Inarritu dans les
(maigres) bonus du Dvd, « 21 grammes » est un film sur le pardon et
la rédemption. Pas un hasard si c’est le personnage de Jack qui est le plus
marquant, personnage rehaussé par une prestation hallucinante de Benicio Del
Toro. Le seul des trois protagonistes principaux, d’une détermination mystique
sans limite, et qui ne va pas varier d’un iota, malgré le monde qui se dérobe
sous ses pieds après l’accident et dont la vie ne sera plus dès lors que quête
de la rédemption. Cette quête du pardon, Jack et Christine (Penn et Watts
également à leur meilleur niveau, le premier ayant suggéré la seconde à
Inarritu) vont s’y trouver confrontés. Paul, parfait égoïste (notamment avec sa
femme, bon second rôle pour Charlotte Gainsbourg), qui fait passer ses envies
et ses quêtes au mépris des cataclysmes qu’ils peuvent engendrer va pourtant
hésiter lorsqu’il se retrouve flingue au poing face à Jack. La plus ambiguë
face à cette notion de pardon et de rédemption, c’est Christine, qui replonge
dans la came, ne porte pas plainte après l’accident mais veut ensuite se
venger, passe par des sentiments contradictoires vis-à-vis de Paul, et est
perpétuellement déchirée entre faiblesses et déterminations.
Penn |
Les personnages d’Inarritu ne sont pas des héros, ce sont des gens « normaux », des gens auxquels on peut s’identifier, plutôt banals, même. Ils sont filmés crûment, souvent en gros plan et en
lumière naturelle (ou alors c’est bien imité) dans leur milieu parfois sordide.
Naomi Watts joue sans maquillage (ou alors là aussi, c’est plus que bien fait)
et n’a rien de glamour avec ses survets informes …
Il y a dans « 21 grammes » des scènes très
dures, sans aucune outrance « hollywoodienne », reposant entièrement
sur le jeu des acteurs face aux événements que leurs personnages affrontent,
avec mentions particulières à la scène de l’hôpital où se rend Christine après
l’accident, à celles de Jack en prison ou lorsqu’il scarifie ses tatouages
religieux devant le Dieu qui l’abandonne et qu’il veut abandonner …
Il n’y a dans « 21 grammes » rien de
superflu, tous les personnages secondaires (notamment les enfants de Christine
et Jack, quatre mini-comédiens très bien utilisés) et les intrigues mineures
sont juste là pour permettre de cerner au plus près les rôles principaux et
comprendre leurs réactions. Avec ce film, similaire par bien des points au
« Amours chiennes » (trois personnages centraux, l’accident de
voiture au cœur de l’histoire, le montage oubliant la chronologie), Inarritu
confirme ô combien tous les espoirs (et les dollars) placés en lui, impose un style,
une vision narrative de ses histoires, assez rare dans le milieu du cinéma
actuel, et en tous cas assez unique et originale.
Autant d’éléments qui tourneront quelque peu au
procédé sur le suivant (« Babel »), plus « facile », plus
« grand public », qui sera juste un bon film … assez loin de ce
« 21 grammes » qui risque fort d’être un chef-d’œuvre difficile à
dépasser …
A noter que dans la musique, dûe à Joao Santaolalla, les synthés ont des sonorités proches de la guitare de Neil Young sur la B.O. du « Dead Man » de Jarmusch, autre grand film mystique sur la mort ...
Du même sur ce blog :
A noter que dans la musique, dûe à Joao Santaolalla, les synthés ont des sonorités proches de la guitare de Neil Young sur la B.O. du « Dead Man » de Jarmusch, autre grand film mystique sur la mort ...
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