ALEJANDRO GONZALES INARRITU - 21 GRAMMES (2004)


Talents à la tonne ...

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son titre, « 21 grammes » n’est pas un film léger. C’est un film très noir, très sombre. « 21 grammes », selon l’accroche de la bande-annonce, c’est le poids que nous perdons tous à l’instant précis de notre mort. Et donc c’est bien évidemment la mort qui est au centre du film. Mais pas seulement.
Watts & Inarritu
Le scénario est superbe. Paul (Sean Penn), enseignant supérieur est dans une situation physique désespérée et son couple bat de l’aile. Seule une transplantation cardiaque peut le sauver. Jack (Benicio Del Toro), petit délinquant multirécidiviste, veut s’en sortir, en s’appuyant sur une foi et un mysticisme exacerbés. Christine, ex alcoolo et junkie, s’est sortie de ses addictions en fondant une famille avec un mari architecte et deux fillettes. Le destin va faire se rencontrer ces trois personnages qui ne se connaissent pas, et va les entraîner dans une terrible spirale.
Derrière la caméra, un quasi-débutant, le Mexicain Alejandro Gonzales Inarritu. Mais dont le premier film, l’extraordinaire « Amours chiennes » a suffisamment fait parler de lui, pour que les producteurs hollywoodiens lui confient un gros budget pour « 21 grammes ». Un bon scénario, un bon réalisateur, de bons acteurs, ça peut faire un bon film. « 21 grammes » a quelque chose en plus. C’est un film qu’on ne regarde pas distraitement. Un chef-d’œuvre de montage fait qu’il nécessite toute notre attention pour comprendre quelque chose. A titre d’exemple, la première scène est chronologiquement l’avant-dernière, et seule la dernière est vraiment à sa place. Durant la première demi-heure, on navigue dans le temps et l’espace autour des trois personnages principaux, au mépris de toute chronologie. Et puis, à partir de là, quand on a fini par saisir tous les tenants et aboutissants de l’histoire, on reconstitue tout le puzzle, aidé aussi par un récit qui devient « normal ». Enfin, presque, car sont menées en parallèle les histoires des protagonistes avant et après l’accident.
Del Toro
L’accident ? Oui, car comme dans « Amours chiennes », c’est un accident de voiture qui va nouer l’intrigue. Et dès lors comme dans les tragédies raciniennes ou cornéliennes, c’est le déterminisme des personnages qui va inexorablement guider leurs vies et leurs choix. Responsable de l’accident : Jack. Victimes : le mari et les deux filles de Christine. « Bénéficiaire » : Paul, qui y trouve un cœur pour sa transplantation.
Fondamentalement, et d’après Inarritu dans les (maigres) bonus du Dvd, « 21 grammes » est un film sur le pardon et la rédemption. Pas un hasard si c’est le personnage de Jack qui est le plus marquant, personnage rehaussé par une prestation hallucinante de Benicio Del Toro. Le seul des trois protagonistes principaux, d’une détermination mystique sans limite, et qui ne va pas varier d’un iota, malgré le monde qui se dérobe sous ses pieds après l’accident et dont la vie ne sera plus dès lors que quête de la rédemption. Cette quête du pardon, Jack et Christine (Penn et Watts également à leur meilleur niveau, le premier ayant suggéré la seconde à Inarritu) vont s’y trouver confrontés. Paul, parfait égoïste (notamment avec sa femme, bon second rôle pour Charlotte Gainsbourg), qui fait passer ses envies et ses quêtes au mépris des cataclysmes qu’ils peuvent engendrer va pourtant hésiter lorsqu’il se retrouve flingue au poing face à Jack. La plus ambiguë face à cette notion de pardon et de rédemption, c’est Christine, qui replonge dans la came, ne porte pas plainte après l’accident mais veut ensuite se venger, passe par des sentiments contradictoires vis-à-vis de Paul, et est perpétuellement déchirée entre faiblesses et déterminations.
Penn
Les personnages d’Inarritu ne sont pas des héros,  ce sont des gens « normaux »,  des gens auxquels on peut s’identifier, plutôt banals, même. Ils sont filmés crûment, souvent en gros plan et en lumière naturelle (ou alors c’est bien imité) dans leur milieu parfois sordide. Naomi Watts joue sans maquillage (ou alors là aussi, c’est plus que bien fait) et n’a rien de glamour avec ses survets informes …
Il y a dans « 21 grammes » des scènes très dures, sans aucune outrance « hollywoodienne », reposant entièrement sur le jeu des acteurs face aux événements que leurs personnages affrontent, avec mentions particulières à la scène de l’hôpital où se rend Christine après l’accident, à celles de Jack en prison ou lorsqu’il scarifie ses tatouages religieux devant le Dieu qui l’abandonne et qu’il veut abandonner …
Il n’y a dans « 21 grammes » rien de superflu, tous les personnages secondaires (notamment les enfants de Christine et Jack, quatre mini-comédiens très bien utilisés) et les intrigues mineures sont juste là pour permettre de cerner au plus près les rôles principaux et comprendre leurs réactions. Avec ce film, similaire par bien des points au « Amours chiennes » (trois personnages centraux, l’accident de voiture au cœur de l’histoire, le montage oubliant la chronologie), Inarritu confirme ô combien tous les espoirs (et les dollars) placés en lui, impose un style, une vision narrative de ses histoires, assez rare dans le milieu du cinéma actuel, et en tous cas assez unique et originale.
Autant d’éléments qui tourneront quelque peu au procédé sur le suivant (« Babel »), plus « facile », plus « grand public », qui sera juste un bon film … assez loin de ce « 21 grammes » qui risque fort d’être un chef-d’œuvre difficile à dépasser …
A noter que dans la musique, dûe à Joao Santaolalla, les synthés ont des sonorités proches de la guitare de Neil Young sur la B.O. du « Dead Man » de Jarmusch, autre grand film mystique sur la mort ...

Du même sur ce blog :