La poésie selon Almodovar ...
« Parle avec elle » est un des films les
plus subtils (le plus subtil ?) d’Almodovar. Un de ses plus basiques
aussi. Un mélo de derrière les fagots, traité quasiment de façon
« académique ».
Sauf un interlude en noir et blanc, film dans le
film qui a fait débat, hommage au cinéma muet et aussi à « L’homme qui
rétrécit » de Jack Arnold, avec notamment une scène qui voit un homme de
quelques centimètres se glisser dans le sexe d’une femme. C’est pas choquant, de
toutes façons mon degré de blasitude est tel qu’il en faut plus que çà pour
m’émouvoir, c’est juste à mon sens un gros hors-sujet par rapport à l’histoire,
et ça montre que c’est un fantasme récurent chez Almodovar (le plongeur-jouet
qui explore l’entrejambe de Victoria Abril dans « Attache-moi »).
Côté récurent et également hors-sujet par rapport à l’intrigue, un dialogue sur
les curés (« si ce ne sont pas des violeurs, ce sont des
pédophiles »), témoin d’une rancune-haine tenace que voue Almodovar au clergé,
et qui trouvera son développement dans sa pelloche suivante « La mauvaise
éducation ».
Les deux "couples" : Benigno & Alicia, Marco & Lydia |
Pour le reste, ce film fut une bonne surprise pour
beaucoup, Almodovar alignant à l’écran des personnages « vrais », qui
ne surjouent pas (ce qu’il a souvent tendance à demander à ses acteurs), au
service d’une histoire étonnante. Le choix du sujet est difficile, tout tourne
autour de deux femmes qui à la suite d’accidents sont dans un état végétatif
irréversible dans une clinique. Les deux personnages principaux sont deux
hommes, l’un, Benigno est infirmier, l’autre, Marco est le compagnon d’une des
deux femmes. La situation est traitée
avec beaucoup de justesse, en évitant tout misérabilisme lacrymal. En gros,
c’est un film, pas un rallye télévisé genre Téléthon. Et quand par la suite, il
sera question de viol sur une des deux femmes, là aussi, le ton adopté sera
juste, en ne cherchant pas à jouer sur la facilité de gros effets provocateurs,
et évitant d’instaurer l’atmosphère scabreuse dans laquelle beaucoup auraient
fait sombrer leur histoire.
De nombreux flash-back, signalés par des intertitres
à l’écran, nous montrent comment ces quatre personnages en sont arrivés là, et
comment leurs destins vont se retrouver liés. Le personnage central, c’est
Benigno, joué par un acteur peu connu, Javier Camara, venu du théâtre.
D’ailleurs, les trois autres rôles principaux sont également tenus par des
quasi-inconnus du grand public (Dario Grandinetti, Leonor Watling et Rosario
Flores). C’est Benigno, infirmier a priori remarquable, mais personnage
complexe, qui porte sur ses épaules tout le poids d’une existence secrète et
renfermée. On pourrait craindre l’analyse psychologique tarabiscotée et
plombante, mais Almodovar en montre ou en suggère juste assez pour que l’on
puisse cerner le personnage, et « comprendre » ses actes.
En face de lui, les autres rôles sont sinon plus
stéréotypés, du moins pas autant fouillés. Lydia, la femme torero détruite par
son orgueil macho, son copain Marco, journaliste globe-trotter qui ne comprend
pas que de toutes façons il allait la perdre, et Alicia, la danseuse fille de
bonne famille. Il n’était pas utile de s’appesantir sur leur caractère, ils
subissent tous plus ou moins (et les femmes par la force des choses, passant
l’essentiel du film dans le coma) leur situation.
Evidemment, on peut à la fin se dire que cette
histoire est trop folle pour être accrocheuse, beaucoup d’éléments du scénario
apparaissant totalement invraisemblables. Mais Almodovar n’a pas voulu faire du
Dickens ou du Zola revisité par Freud. Ce film n’est pas un fait divers
sordide, c’est un long poème. Une poésie déconstruite et ce n’est pas un hasard
que le film s’ouvre et se ferme sur deux extraits de ballet mis en scène par
Pina Bausch, qui traite la danse comme Almodovar traite la poésie, en rompant
pas mal de codes. C’est aussi une réflexion sur l’amour qui peut faire perdre la raison. L’intrigue
par son évolution est dérangeante, glauque, mais Almodovar a rendu une copie
qui n’est pas oppressante, il se dégage une humanité, une empathie pour tous
les personnages.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux …
A noter que ce film récent n’est pas disponible en
Blu-Ray et que la version DVD est ultra-basique (quasiment aucun bonus).