Le disque maudit ...
Le plus connu des disques qui se sont pas vendus …
et pourtant, c’est pas faute d’avoir été encensé depuis des décennies par toute
la crème de la rock-critic internationale, de faire systématiquement partie de
toutes les listes recensant les merveilles musicales du rock. Pas faute non
plus d’avoir été réédité à maintes reprises sous des formes plus ou moins
luxueuses et expended. Rien n’y a fait, et même pas un groupe londonien ou de
Brooklyn à la mode trois semaines n’a dû le citer, ce « Odessey &
oracle ».
Qui est un bon disque, et même plus que çà. Le
chef-d’œuvre d’un groupe à singles de l’Angleterre des sixties. Aussi son chant
du cygne. Les Zombies donc. Qui ne se sont pas baptisés de la façon la plus
judicieuse qui soit pour toucher un public ado. Mais qui avec leur premier
single (« She’s not there ») avaient presque touché le jackpot, et
qui vont se lancer dans cette quête du numéro 1 des charts. Et qui n’y
arriveront pas, un peu la faute à leurs chansons suivantes, pas aussi bonnes,
et beaucoup la faute à la concurrence de l’époque (pas la peine de citer des
noms, y’en a trop, et tous plus connus les uns que les autres).
Ils avaient pourtant une tête de premiers de la classe ... |
Les années défilant, les Zombies jouent leur va-tout
fin 67 sur l’enregistrement d’un 33T, et sur fond de dissensions internes. En
gros, ça passe ou ça casse … parce que chez les Zombies, il y a trop de talents
au mètre carré pour pas assez de succès, et les egos commencent à s’affronter,
notamment ceux de Colin Blunstone (chanteur qui doit partager le micro avec …
trois autres membres du groupe), de Rod Argent (claviers) et Chris White
(basse), les deux compositeurs du groupe le second plus prolifique, mais le
premier écrivant les meilleurs titres. Les choses se passent tellement mal
entre eux, et entre le groupe et la maison de disques, qu’une fois
l’enregistrement terminé fin 67, le groupe se sépare. « Odessey & oracle »
(on n’a même pas pris le temps ni la peine de rectifier la coquille
orthographique de la pochette) sortira au printemps 68. Un disque fantôme, sans
un groupe pour en assurer la promotion. De toutes façons, les deux premiers
singles « Care of cell 44 » et « Friends of mine » se sont
ramassés dans les charts. Une sortie du disque a lieu dans l’été aux States, et
devant l’enthousiasme d’Al Kooper (sessionman de Dylan, fondateur de Blood,
Sweat & Tears, entre autres …) qui ne rate pas une occasion d’en dire du
bien, un nouveau single (« Time of the season ») sort aux Etats-Unis
et grimpe dans les hit-parades américains. Malgré les sollicitations de
reformation, les Zombies ne reviendront pas sur leur décision de jeter
l’éponge. Voilà pour l’histoire du disque.
Et la musique dans tout çà ? Quand les Zombies
en commencent l’enregistrement, « Odessey and oracle » est conçu
comme le descendant direct de deux œuvres emblématiques de l’époque, « Pet
sounds » des Beach Boys et « Sgt Pepper’s … » des Beatles. Et
les comparaisons ne sont pas exagérément
flatteuses, il joue dans la même cour. A savoir une pop très
« écrite », revendiquant l’influence et les arrangements de la
musique classique ou baroque, des titres noyés sous des cascades de chœurs et
d’harmonies vocales, et un usage immodéré pour le nec plus ultra des claviers
de l’époque, le Mellotron. A l’écoute on est stupéfait de la richesse et de la
qualité des douze titres (un seul assez faiblard, « Brief candles »).
Surnagent du lot « Care of cell 44 », énorme claque de perfection
d’entrée, la ballade aérienne « A rose for Emily », la très
Beatles-McCartney « Beachwood Park », et l’ultime et grandiose
« Time of the season », avec effets sonores à la « Pow R. Toc
H. » du Floyd, une mélodie belle à pleurer, un solo jazzy de Hammond, … la
petite sœur du « Good Vibrations » des Beach Boys …
Alors revient la sempiternelle question :
pourquoi personne l’a acheté quand il est sorti et pourquoi tout le monde s’en
fout depuis ? Autant une partie de la réponse tient à l’irrationnel qui
entoure la démesure dans le succès ou l’échec d’un artiste, de son œuvre, d’un
disque, autant certains éléments de réponse se situent dans la chronologie des
faits d’armes de l’époque. Les deux disques auxquels se réfère le plus
« Odessey … » (« Pet sounds « et « Sgt Pepper’s
… ») datent lors de sa parution de quasiment un an. Une éternité à une
époque où l’innovation musicale se mesurait quasiment au jour le jour. Les
Beach Boys sont perdus pour le monde libre avec un Brian Wilson lobotomisé par
le LSD, les Beatles enregistrent dans une ambiance délétère (à Abbey Road, tout
comme les Zombies) le Double Blanc, disque en totale rupture avec les
fanfreluches psyché du Sergent Poivre. Entre-temps sont apparues les grosses
déflagrations à guitares signées Hendrix, Cream, et quelques jours après la
parution de « Odessey … » les Stones vont sortir « Jumpin’ Jack
flash », mettant fin à leur peu glorieux épisode pop et signant un retour
tonitruant et définitif vers des sonorités nettement plus burnées. A côté, le
Floyd et Soft Machine partent dans le cosmique, ailleurs Zappa déstructure, les
hippies triomphent avec leurs impros de demi-heure, Morrison chamanise le rock,
… et surtout, dans cette seconde moitié des années 60, le terme revival
n’existe pas. Il faut toujours aller de l’avant, ne jamais regarder en arrière,
telle est la tendance …
« Odessey & oracle », dès sa sortie,
était un disque nostalgique, qui n’était déjà plus de son temps. Qu’il soit
assez exceptionnel n’y pouvait rien changer …