Epitaphe
Ils auraient pu être … le groupe français d’une
génération, ou quelque chose comme ça. Ils ont été les Coronados, pour deux
tours de piste, « N’importe quoi » en 1984 et ce « Un
lustre », forcément cinq ans plus tard.
Les Coronados avaient tout pour eux. Une crédibilité
sans faille, eux les provinciaux de Limoges montés à Paris pour matraquer
d’abord, puis peaufiner ensuite leur rock garage. Ils pouvaient compter sur le
soutien indéfectible des fanzines, de la presse rock, avaient des fans chez les
chroniqueurs de la presse dite sérieuse, tout un buzz patiemment fomenté.
Parce que si leurs prestations étaient violentes et
chaotiques, c’étaient des bosseurs. Acharnés, même, d’après ceux qui les ont
côtoyé, remettant inlassablement sur l’ouvrage leurs morceaux, fignolant avec
un soin maniaque leurs compositions.
Les Coronados, début des années 80 |
« Un lustre », dans sa version originale,
comporte dix titres dont deux reprises et dure demi-heure. Mais chaque seconde
compte, on n’est pas dans une configuration d’enregistrement où l’on passe deux
heures à régler le matos, et puis on balance les morceaux sans rien toucher et
on garde la première prise. Il y a un qualificatif à manier avec précaution que
j’ose lâcher, c’est spectorien. Non pas dans le résultat, c’est pas le Wall of
Sound ici, mais il y a mille trouvailles, mille gris-gris sonores dans ce
disque. Responsables, le groupe et l’ingé-son Didier Le Marchand, au pedigree impressionnant, qui a
traîné en studio avec foultitude de gens, de la scène rock et alterno française
(Little Bob, Road Runners, Stinky Toys, Pigalle, …), jusqu’au gotha du rock
mondial (Prince, Dylan, Michael Jackson, Miles Davis, Patti Smith, Peter Tosh,
Kraftwerk, …). Chaque titre est conçu indépendamment des autres, il n’y a pas
d’unité sonore dans le mix, les arrangements très nombreux sont chaque fois
différents, les textes alternent français (le plus souvent) et anglais, la voix
n’est jamais utilisée de la même façon. Et miracle, ce disque ne sonne pas
comme un patchwork, un collage contre nature de bric et de broc, il y a
derrière tout cela une impression d’homogénéité qui se dégage.
Il y a un choix délibéré de mettre les mélodies en
avant, au détriment du mur de guitares crasseuses qu’on serait en droit
d’attendre, certains titres n’évoquent en rien le rock garage, c’est de la pop
first class (« Un lustre », « Encore », « Inutile de
dire », « Pas de raison de se plaindre », …). Il y a aussi cette
envie d’afficher des racines, de montrer d’où l’on vient musicalement (le
tex-mex de « Collectionneur maniaque », le rock hardcore de
« Chienne de retour », le garage psyché de « Comment croire
… »). Les reprises, on sent aussi qu’elles ne sont pas là par hasard,
soigneusement choisies, un titre de Muddy Waters – Willie Dixon (« I live
the life I love ») traité façon Cramps, un shot de rock’n’roll brut et
sauvage signé Gerry Roslie, le furieux chanteur des Sonics (« I’m gonna
dance ») …
Dès la sortie du disque, tout le
« réseau » se mit en branle, les articles dithyrambiques fleurirent
et … le disque se ramassa. La « faute » à une parution sur un tout
petit label indépendant, qui n’avait pas les moyens d’affronter la concurrence
des majors derrière des Rita Mitsouko ou des Mano Negra alors au sommet de leur
popularité, en attendant le raz-de-marée imminent des « Sombres héros de
la mer » de Noir Désir. Les jours des Coronados étaient dès lors comptés,
le groupe se sépara l’année suivante.
« Un lustre » a été réédité avec un bonus
(« Un lustre … et plus »), tout comme leur premier (« N’importe
quoi », plus rock, plus garage, plus basique), et les deux Cds présentent
à peu près l’intégrale des enregistrements des Coronados. En bonus sur
« Un lustre », on trouve notamment une superbe ballade (« La
disparition des possibles ») et deux versions live ultra sauvages et
destroy de classiques de la Tamla (« Money ») et Screamin’ Jay
Hawkins (« I put un spell on you »), avec le renfort au chant (enfin,
façon de parler, c’est chanté atrocement faux comme d’hab) de Patrick Eudeline.