Le Retour
Plus que dans tous les autres genres musicaux pour
les djeunes, le rap a toujours été celui où les carrières se font et se défont
le plus vite. LL Cool J est un cas d’école. Un des premiers à rapper en solo et
non pas dans un « collectif », et de fait un des premiers rappeurs
tout court (premier disque, « Radio », en 1985). Cinq ans plus tard, LL
Cool J n’a que vingt-deux ans et se traîne une réputation de terrible has-been,
de ringard total.
Ce jeune con ( ? ) a totalement zappé l’aspect
qui commence à devenir essentiel dans le rap, la surenchère verbale s’appuyant
sur la fameuse et fumeuse street credibility. Un « bon » rappeur se
doit d’être une grande gueule, et avoir un lourd passé indiscutable de caïd de
cage d’escalier, voire de dealer ou de pimp. Ceux qui cumulent tout ça (ou le
prétendent) deviennent les héros d’une jeunesse américaine quelque peu lobotomisée,
ayant oublié d’où venait le rap (de la rue certes), et à quoi il servait (à
faire passer des messages comme le disait Grandmaster Flash, à s’exprimer, à
revendiquer).
En quelques années, les petits loulous machos et
bling-bling ont zappé tout ça, seuls ne comptent plus que la réputation et le
paraître. Et pendant ce temps, le LL Cool J sortait des slows rap romantiques,
et prenait position contre la drogue, et notamment le crack qui commençait à
remplir les cimetières des ghettos urbains. Tout le « milieu » du rap
s’esclaffait et rimaillait sur le pauvre James Todd Smith (son vrai blaze).
Aujourd’hui, LL Cool J est toujours là (certes pas au sommet de son art), et
ses détracteurs oubliés par à peu près tous (MC Hammer quelqu’un l’écoute
encore ?).
LL Cool J a fait la seule chose qui vaille vraiment
quand on fait de la musique, il a sorti un bon disque qui s’est vendu par
pleins camions. Raide dans ses baskets, réglant juste de ci de là quelques
comptes avec la concurrence, Cool J a démontré tout un tas de choses. Qu’il a
un flow énervant de facilité, assorti d’une diction parfaite (en gros, il rappe
pas façon Uzi en bouffant la moitié des syllabes), qu’avec son producteur
Marley Marl (un des cadors aux manettes de la fin des années 80, précurseur
innovant qui a déblayé le terrain pour tous les Dr Dre à venir) il a l’air et l'art de
faire passer du rap pour des chansons, ou vice-versa. Il y a sur ce « Mama
… » des mélodies qu’on pourra qualifier de « faciles », derrière
chaque couplet, chaque refrain, chaque break … un son qui cherche pas
l’agression systématique (même si accessoirement on peut penser au terrorisme
sonore de Terminator X chez Public Enemy comme sur « Murdergram »),
cherchant plutôt à synthétiser sur un seul disque tout ce qui a été entendu dans le
rap depuis qu’il existe.
Ici plus de breakbeats colossaux comme à ses débuts,
mais des rythmiques soyeuses, tout en souplesse (le morceau-titre), drivées par
des basses souples, rondes, élastiques, tirant parfois vers le jazzy (« To
da break of dawn »). LL Cool J n’hésite pas à balancer des cuivres
rhythm’n’blues ou disco (« Jingling baby »), des ambiances envapées et
guillerettes qui montrent que le premier disque de De La Soul a été assimilé.
LL Cool J était accusé de faire des trucs mollassons, voire des slows ? qu’à
cela ne tienne, il récidive ave « 6 minutes of pleasure » et ce titre
évoque autant le Curtis Myfield des 70’s que les Fun Lovin’ Criminals à venir …
Et puis, manière d’aggraver encore plus son cas, il chique au dur sur la
pochette tout en biscotos saillants, chaîne en or de quinze kilos, bagouzes en
poing américain pour balancer dès le second titre une chanson (y’a pas d’autre
mot) très pop, avec un sample du hit bubblegum oublié des Mary Jane Girls.
En fait, avec ce disque, LL Cool J peut tout se permettre,
c’est le genre de choses que l’on doit sentir dès le studio promues au succès.
Les moqueurs se sont moqués, LL Cool J a raflé la mise et est devenu une
institution de rap.
« Mama … » est un disque de rap qui
pourrait plaire à tout le monde, et surtout à ceux qui n’aiment pas le rap.
Et si LL Cool J avait inventé le rap
centriste ?