Les Anciens et les Modernes ...
« Le Parrain »
premier du nom, c’est le film-jalon, le film-référence, celui autour duquel un
genre (en gros le polar-film de gangsters) s’articule. Et … oh misère,
qu’est-ce que vous voulez que je raconte sur ce film que vous ayez pas entendu
ou lu des centaines de fois (notamment chez un certain Luc B., auteur ailleurs
sur la Toile d’un article définitif sur ce film et sa suite …).
Coppola, Brandon & Pacino |
Il y a eu un avant et un après
« Parrain ». Mais surtout pour Coppola. Qui jouait son va-tout avec
ce film. Jonglant avec un budget dont il n’avait pas l’habitude, lui qui se
serait bien vu héritier américain de la Nouvelle Vague française, et qui
végétait dans le « film d’auteur ». Jouant serré avec les financiers
et les boss de la Paramount qui mettaient les dollars, et voulaient d’un
réalisateur à leurs ordres. Edulcorant par son adaptation le bouquin de Mario
Puzo, beaucoup plus trash et cul que le film, un bouquin qui au fur et à mesure
que Coppola avançait dans la préparation et le tournage du film devenait un
best-seller, ce qui accentuait la pression sur le réalisateur. Un Coppola composant
avec un casting de bric et de broc, à savoir une superstar réputée ingérable (Brando),
confrontée à un ramassis de troisièmes couteaux ou d’inconnus, voire même
piochés dans le cercle familial (papa, maman, fifille, la petite sœur, …) parce
que le budget explosait et que les personnages secondaires étaient légion … En
fait, Coppola réunissait avec une persévérance louable tous les éléments
susceptibles de ruiner sa carrière.
Bizarrement, il a avec cette fresque démesurée assuré sa fortune …
Parce que plus qu’un film,
c’est d’une épopée, d’une saga, qu’il s’agit. Celle de la famille Corleone,
dirigée d’une main de fer par un patriarche (Brando), une des familles qui
comptent dans la mafia new-yorkaise. Qui dit mafia dit embrouilles et elles
sont nombreuses, on a un peu de mal à s’y retrouver (et d’ailleurs quelques
types au patronyme sentant bon la Calabre, la Sicile et les affaires douteuses
qui vont avec ont été choqués de voir leur communauté présentée sous cet angle
et se sont montrés « menaçants »), c’est au bout de plusieurs
visionnages qu’on « s’approprie » tous les personnages. Qui nous sont
tous présentés dans une séquence devenue mythique, les vingt sept minutes
initiales de la noce. Tous les acteurs de la tragédie, certains n’intervenant
que beaucoup plus tard dans le film y participent, dans cette alternance de
scènes lumineuses et ensoleillées en extérieur, tandis que dans la pénombre de
son bureau, le Parrain Corleone tire les ficelles (superbe lettrage "marionnete" de l'affiche du film au
passage, très stylisée, mais tellement parlante …), dévide l’écheveau et tisse
ses toiles dans un dédale de « petits services » et de gros délits.
L’occasion déjà de s’apercevoir que le personnage de Vito Corleone va marquer
les esprits des spectateurs et l’histoire du cinéma.
Caan, Brando, Pacino & Cazale |
Qu’en serait-il de ce film sans
Brando, that’s the question … Tant le Marlon livre une performance hallucinante
de laquelle beaucoup de ceux qui deviendront les grandes stars des années
suivantes s’inspireront. Performance typée Actor’s Studio certes, mais avec une
patte tellement personnelle que Brando « est » Corleone. Et pourtant,
les gros cigares de la Paramount n’en voulaient pas de lui, ils préféraient
Laurence Olivier, prévu au départ. L’histoire du casting de Brando, avec le
coton qu’il se met dans les joues, la voix cassée, le regard, les épaules
voûtées comme s’il devait supporter toute la misère du monde fait partie de ces
anecdotes qui n’en sont plus tant elles sont connues. Brando, assez
« bizarre » tout de même allait effectuer en cette année 1972, un
comeback fracassant, l’autre film sur lequel il sera tête d’affiche c’est rien
de moins que « Le dernier tango à Paris », qui apprendra à toute une
génération un usage alternatif du beurre … Deux films au succès que l’on
pourrait qualifier d’accidentels, tant sur l’un comme sur l’autre, Brando a
tout fait pour foutre le boxon sur le plateau de tournage et déstabiliser ses
partenaires ... Il faut, même si ça dure trois heures comme le film, écouter
sur le BluRay la version commentée par Coppola lui-même narrant au fur et à
mesure des scènes les « trouvailles » de Brando pour déstabiliser ses
partenaires, s’en donnant encore plus à cœur-joie quand il s’agit de simples
figurants (à titre d’exemple, déjà qu’à l’instar d’Obélix il était
naturellement un peu « enveloppé », Brando avait rajouté des barres
de plomb sur son brancard quand on le ramenait de l’hôpital, juste pour voir la
tronche que feraient les deux brancardiers, quand ils devraient le monter à
l’étage …). Le refus de l’Oscar que Brando obtiendra pour son rôle dans
« Le Parrain » ne fut dès lors qu’une surprise de pacotille, énième pirouette
d’un type quand même assez mal en point dans sa tête …
Des lasagnes au petit déjeuner ? |
La performance de Brando a tiré
tout le casting du « Parrain » vers le haut. Pour beaucoup ce film
est la première ligne glorieuse de leur CV (Pacino, Keaton, Duvall, Cazale,
Caan), pour d’autres notamment l’ancienne gloire des roaring fifties Sterling
Hayden dans le rôle du flic ripou qui finira buté par Pacino dans le
restaurant, c’est un retour inespéré sous les feux de l’actualité …
Comme toute saga qui se
respecte, « Le Parrain » aura une suite … sans Brando,
« remplacé » par De Niro. Une suite excellente, un peu moins que le
premier volet, mais nettement meilleure que le dispensable épilogue du « Parrain
III ».
Tiens, avec ces titres
numérotés, cette série de films me fait penser à un groupe de rock de qualité
(le crétin qui a hurlé « Chicago » est prié de dégager avant que je
me fâche) de la même époque, connu sous le nom de code de Led Zeppelin. Dont le
succès gigantesque avait commencé dans des conditions similaires : une
major derrière, certes, un type qui joue gros (Jimmy Page dans le rôle de
Coppola-Brando), et un premier disque enregistré en une trentaine heures (à peu
près le temps nécessaire au pénible Stromae pour trouver une minable rime
triste) …
O tempora o mores …
O tempora o mores …