Question : comment tu fais pour vieillir quand
tu t’appelles Iggy Pop, que personne ne te voyait survivre aux 70’s, et que
t’es encore là en 2016 ? Et que quand tes voisins d’une célébrissime photo
de 73, Lou Reed et Bowie, sont eux définitivement refroidis. En d’autres
termes, c’est quoi ta vie quand un des types réputés les plus destroy du rock
va entamer sa sixième décennie de carrière ?
J Homme à genoux, Iggy sur un tabouret ... |
Carrière, vous avez dit carrière ? Dans le
rock ? Quel vilain mot … mais pourtant c’est celui qu’il y a tout lieu
d’employer quand il s’agit d’Iggy Pop. Les points retraite qu’il a cramés dans
sa jeunesse, depuis disons un quart de siècle (disque-charnière, le pourtant excellent
« Brick by brick », qui voit l’Iguane lorgner pour la première fois
délibérément vers le jackpot commercial), l’Iggy essaye de les engranger,
passant du fantasmatique (les multiples reformations des Stooges de ce siècle)
au navrant (des pubs pour SFR, des duos avec qui veut bien, qui veut connaître
le frisson de côtoyer un mec présumé dangereux, …). Quoique dangereux, Iggy ne
l’est plus depuis longtemps. Il fait comme tous les autres encore en vie de sa
génération, il gère sa santé et son art sans prendre de risques …
Iggy Pop, ça reste tout de même un nom bankable,
surtout quand on le laisse pas livré à lui-même. Parce que le bougre, s’il n’a
pas à ses côtés un type capable de lui fournir un enrobage sonore (au hasard
Ron Asheton, James Williamson, David Bowie), ben, il y arrive pas, il a jamais
été foutu d’écrire seul une chanson audible. Alors ces temps-ci, grosse
affaire, il s’est acoquiné avec Josh Homme, le Jimmy Page du pauvre. Homme,
c’est le type qu’aurait bien voulu être une légende de la guitare, mais qui y est
pas arrivé. Pas faute d’avoir essayé, depuis Kyuss et Queens of the Stone Age,
en passant par Them Crooked Vultures, où il essayait de (re)faire du Led Zep
avec John Paul Jones, le bassiste du feu dirigeable. Voire Eagles of Death
Metal, orchestre à géométrie variable monté avec son pote Jesse Hughes, et tristement
entré dans l’Histoire un soir de Novembre 2015 au Bataclan. Mais voilà, Homme
n’était pas sur scène ce soir-là, et c’est le moustachu réac Hugues qu’on a vu
partout exorciser le cataclysme sanglant.
Donne-moi ta main, et prends la mienne ... |
Mais bon, jamais avare de tentatives de monter un
supergroupe à succès (Josh Homme, qui a postillonné sur un Clapton en bout de
course, partage maintenant avec l’ex God cette manie du supergroupe, comme quoi
y’a des fois où quand t’es jeune, tu sais pas de quoi ton avenir sera fait et
tu ferais souvent mieux de fermer ta gueule …), Homme se retrouve donc en
compagnie de l’Iguane, et a amené dans ses bagages une section rythmique assez
inattendue, le bassiste Dean Fertita (QOTSA, Dead Weather, …) et le jeune
batteur Matt Helders (Arctic Monkeys). Cette troupe cosmopolite étant censée accompagner
l’Iggy pour la parution d’un chef-d’œuvre incontestable et annoncé comme tel.
Ben je vas vous dire, j’ai écouté ce « Post Pop
Depression », et j’ai rien trouvé là de prodigieux. Composé et joué à huit
mains, plus quelques backing vocaux, cuivres et cordes additionnels sur
quelques titres, produit par Homme, ce « Post Pop Depression » est
assez vite prévisible (on n’a certes pas à faire à des expérimentateurs
forcenés, mais quand même …) et, plus grave, assez vite pénible. La faute
essentiellement à Iggy, qui s’obstine en dépit du bon sens à user et abuser de
sa voix grave de crooner. Pas forcément qu’il ait envie de succéder à Sinatra,
mais parce que, à 69 ans, les cordes vocales abîmées par les hurlements
stoogiens et quelques excès médicamenteux, ben y’a plus que ça qui sort du
gosier. Terminés les aigus, basta les modulations. Et Iggy Pop, n’en déplaise
au fan-club, n’a jamais été et ne sera jamais un grand chanteur. Sa voix n’a
toujours été qu’une partie du personnage, chien fou furieux et destroy qu’il a
mis en place au début de son parcours.
Joshua Tree ? |
Forcément, les autres doivent faire avec. Tricotant
une palanquée de mid-tempos lourds et déclamatoires. Et pour qui connaît un
tant soit peu le parcours et surtout l’œuvre d’Iggy, tout cela a déjà été
entendu. « Post Pop Depression » est un mix (pas trop mal foutu, faut
être honnête, pas renversant non plus) de « The Idiot » (1977, chef-d’œuvre
avec Bowie) et de « Avenue B » (album un peu beaucoup foutraque de la
fin du siècle dernier, avec Don Was). Vous en voulez des preuves qu’ils se sont
pas foulés ? « Gardenia » (un des meilleurs titres du disque
pourtant), est introduit par un gimmick très Bowie, quand à la voix, on dirait
que c’est Bowie lui-même qui chante. Bon, ils se sont auto-inspirés il fut un
temps, mais quand même … Dans « American Valhalla », ce sont les
mêmes sonorités asiatiques qui avaient fait le succès intergalactique de
« China girl » … Oui, je sais, le titre était coécrit Bowie-Pop, mais
quand même … « Chocolate drops », autre bon titre (mais atypique par
sa forme – une ballade - , alors que pratiquement tout le reste est construit
sur du mid-tempo), reprend une grille d’accords similaire à celle du hit
« A girl like you » d’Edwin Collins, morceau moultes fois imité, mais
quand même … Dans « Paraguay » (après « Miss Argentina »
sur « Avenue B », y aurait-il une sorte de fascination pour l’AmSud
chez Iggy ?), seconde ballade sophistiquée et très arrangée, il y a un
passage qui rappelle furieusement le refrain de « The memory
remains » , le duo Marianne Faithful-Metallica, ça dure pas longtemps mais
quand même …
Pop Pop Depression - The band live |
Sinon, « Sunday » est un très bon titre,
emmené par un drive groovy de Helders, le petit jeunot pas imressionné par les
vieux et qui tire très bien son épingle du jeu. Homme nous fait le coup de la
guitare sèche flamenco sur « Vulture » (Them Crooked ???) avant
de se prendre pour Robert Fripp le temps d’une démonstration de chorus
dissonants, ouais, bof … La plupart du temps, c’est d’ailleurs Fertita, mixé
très en avant qui ressort plutôt du lot (mais il a du nez, Fertita) … Et il
faut attendre le septième titre (sur neuf) pour voir débouler « German
days », un bon vieux rock (certes emphatique et un poil grandiloquent,
mais un rock tout de même), ce qui prouve bien qu’on est assez loin des Stooges
…
En résumé, il y a une éternité qu’Iggy Pop n’a pas
sorti de grand disque. Ce n’est pas ce surévalué « Post Pop
Depression » qui va modifier la tendance …