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AL GREEN - LIVIN' FOR YOU (1973)


La fin d'une époque ...

Parce que quand paraît ce « Livin’ for you » fin 73, ça commence à sentir le sapin pour la soul music, qui après la lente transmutation à partir du blues, du rhythm’n’blues et de la pop et une apogée dans la seconde moitié des sixties, commence à passer de mode. Les figures légendaires sont mortes (Sam Cooke, Otis Redding), ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes (qui peut citer un 33T d’Aretha Franklin des 70’s ?), ont fait évoluer le genre, allant vers des sonorités moins rauques, moins exubérantes, plus soyeuses (Gaye, Wonder, Mayfield, Hayes, …). Les grands labels historiques du genre (Stax, Atlantic, voire Tamla Motown) ne publient plus de singles, d’albums et d’artistes soul majeurs, du côté de Philadelphie, on enrôle des armadas de violonistes pour ce qui deviendra le sous-genre soul baptisé Philly Sound, et un peu partout les grosses séquences rythmiques pré-disco pointent leur tchac-poum métronomique.
En fait, c’est dans la terre des rednecks, là où est né le rock’n’roll que la soul résiste. Plus particulièrement à Memphis, où est basé le label Hi Records de Willie Mitchell, un patron qui met la main à la pâte, puisque auteur, compositeur, arrangeur et producteur des artistes du label. La grosse affaire de Hi Records, c’est Al Green. Une voix de velours et une image de séducteur à la Marvin Gaye, et quelqu’un qui sait écrire des chansons d’amour langoureuses. Le duo Mitchell – Green, lentement mais sûrement, mettra en place une formule sonore reconnaissable. Une triplette de disques à gros succès (« Let’s stay together », « I’m still in love with you », « Call me ») apportera succès critiques et commerciaux à Al Green.
« Livin’ for you » est le disque qui paraît alors que Green est au sommet de sa popularité, qui contient deux de ses plus gros succès (le morceau-titre et « Let’s get married »), et qui constitue l’apogée artistique de Hi Records.
Tout ici n’est que luxe, calme et volupté, et ce disque acclamé au moment de sa sortie a tout compte fait plus mal vieilli que ses prédécesseurs. On n’est pas dans la guimauve, mais on s’en rapproche, on a perdu tout sens de la bestialité, de l’animalité, qui sont indispensables à toute bonne soul music. Toutes les aspérités, vocales ou instrumentales, sont gommées par des arrangements chiadés, de cuivres notamment (Mitchell est un ancien trompettiste, ceci explique sans doute cela). Le dernier titre du disque traduit bien cette évolution, il est le plus long produit par Green, et tire furieusement vers une sorte de jazz-funk qui laisse assez dubitatif. La reprise du « Unchained Melody », le classique des Righteous Brothers, est pareillement révélatrice de cette évolution, et même si Al Green en donne une bonne relecture, elle n’a rien à voir avec l’exubérance de la version originale produite par Spector …
Ce disque n’est pas mauvais, loin de là, ça reste un des meilleurs d’Al Green, mais il va marquer un tournant dans sa carrière, lui faisant quitter le registre d’une soul music seventies somme toute classique, et semblant s’orienter vers une soul beaucoup plus easy-listening. Al Green n’aura pas le temps de se poser trop de questions sur son évolution artistique, la rubrique faits divers se chargera de modifier en profondeur sa personnalité.
Quelques semaines après la parution de « Livin’ for you », sa femme tentera de l’assassiner avant de se suicider, et Al Green, choqué à jamais par cette tragédie, se tournera vers le mysticisme, la religion, deviendra pasteur. Evidemment, l’impact sur sa carrière, qu’il continuera et continue encore de nos jours, n’aura plus rien à voir avec la soul veloutée et hédoniste de ses débuts …

BOBBY WOMACK - THE BRAVEST MAN IN THE UNIVERSE (2012)


Un come-back étonnant ...

Il ne devait pas y avoir grand-monde pour espérer un disque, et surtout un bon, de Bobby Womack en 2012. Même pas lui d’ailleurs …
Bobby Womack, 68 ans au compteur. Repéré par Sam Cooke (Bobby repèrera lui Barbara, la femme de Sam Cooke qu’il épousera, scandale médiatique à l’appui, trois mois seulement après l’assassinat du grand Sam), Womack deviendra la figure de proue et principal auteur du groupe doo-wop pré-soul Les Valentinos. Dont la reprise d’un de ses titres « It’s all over now » deviendra en 1965 un des premiers gros hits des Rolling Stones, ce qui offre une promotion artistique conséquente et une notoriété certaine. Bobby Womack végètera cependant des lustres avant d’obtenir son plus gros succès, l’album « The Poet » au début des années 80, avant de sombrer à nouveau dans l’indifférence du grand public.
Les cinéphiles l’avaient peut-être entendu en 2009 dans le fabuleux « Fish tank » (c’est sa reprise, quelconque il faut bien dire, de « California dreamin’ » qui est en fond sonore à plusieurs reprises dans le film). C’est Damon Albarn, l’année suivante qui le remettra encore sous les feux de l’actualité en l’embauchant pour son groupe virtuel Gorillaz, pour le Cd « Plastic Beach » et la tournée qui s’ensuivit. C’est le même Albarn que l’on retrouve partout, à la co-écriture, aux arrangements et à la production de ce « Bravest man … ». Un disque pour lequel il faut au préalable évacuer quelques méchants préjugés, à commencer par une pochette hideuse, mais c’est pas tout. Bobby Womack, à cause de l’âge et surtout d’excès opiacés en tout genre, n’a plus la voix du chanteur des Valentinos. Sa voix aujourd’hui est étrangement aiguë, éraillée et métallique, et on la devine fortement triturée par les machines d’Albarn en studio, pour un résultat qui peut parfois rebuter (comme sur « Stupid », titre sur lequel elle me paraît vraiment trop bidouillée et pénible), mais s’accorde généralement assez bien, voire très bien, avec la musique concoctée par Albarn.
Damon Albarn & Bobby Womack
« The Bravest man … » est clairement un disque de soul music. Mais là aussi, ceux qui attendent quelque chose qui sonne comme du temps de l’âge d’or sixties du genre, une resucée du son Stax ou Atlantic, risquent fort de se gratter l’occiput. « The Bravest man … » est clairement aussi un disque de son temps, les dernières bécanes et plug-in électroniques constituent l’essentiel de la trame sonore. Et la vieille légende et le (plus tout) jeune touche-à-tout n’y vont pas avec le dos de la proverbiale cuillère, le premier titre éponyme est le plus avant-gardiste du lot, mix improbable, surprenant et pourtant réussi entre trip-hop et soul, et pourrait figurer tel quel sur un Best of de Massive Attack.
Tout n’est cependant pas férocement expérimental et étrange. Il y a des titres soul bien dans la ligne du parti (en gros mélodie de baise et voix de braise), juste maquillés par un léger fond de teint électronique (« Please forgive my heart », un titre tout au feeling), un morceau avec juste la voix et une guitare acoustique (la reprise de l’antique classique « Deep river » qui du coup sonne comme un « Redemption song » ... de Marley , et surtout pas  comme la scélérate version de Jahnnick Noah). Il y a de très excellentes choses, avec un « Sweet baby mine » qui ressort du lot, les machines envoient une pulsation cardiaque sur une chanson soul vintage et ça le fait grave, il y a des tempos qui s’accélèrent vers la fin (« If there wasn’t something there » on jurerait une chute de Gorillaz), des choses qui renvoient au balancement dansant des autres Womack (en l’occurrence Womack & Womack, soit Cecil, le frère de Bobby et Linda, sa belle-fille et belle-sœur, puisque fille de Sam Cooke et femme de Cecil, vous suivez ?), ça s’appelle « Love is gonna lift you up » …
Il y a un hommage à Gil Scott-Heron (mort l’année dernière), l’un de ceux présentés comme les antiques parrains du rap, pote de Bobby et l’on entend sa voix dans l’intro de « Stupid », titre par ailleurs peu convaincant. Il y a un duo (très bon) avec l’actrice et chanteuse malienne Fatoumata Diawara (« Nothin’ can save ya »), une sorte de court rythm’n’blues tribal qui conclut le disque (« Jubilee ») et qui si on en juge par les rires de fin de bande est plus une récréation de studio qu’un titre vraiment finalisé.
Et puis il y a ce qui sera la grosse affaire de ce disque. Le genre de truc qui peut vous mener en heavy rotation sur MTV ou vous ringardiser à jamais, un duo avec Lana Del Rey. Etant d’humeur charitable, je ne dirais pas de mal du dernier cataplasme branchouille botoxé qui ravit tous les sourds aux goûts de chiotte de la planète. Je m’en tiendrais strictement à la qualité du titre (« Dayglo reflection ») qui mélange les voix du vieux faune et de l’aphone, et je dirais que l’alchimiste Lana Del Machin tourne là à plein régime, et confirme que tout ce qu’elle chante (enfin, chanter est un bien grand mot, elle essaye d’imiter la voix tuberculeuse de la Marianne Faithfull des années 80 et suivantes) se transmute instantanément en grosse daube.
Sinon, le reste du disque est très bon, c’est un disque de soul fait en 2012 par une des dernières vaches sacrées encore en vie, et ça pourrait même plaire aux geeks puceaux (pléonasme) qui attendent impatiemment la sortie du prochain iPhone …

STEVIE WONDER - HOTTER THAN JULY (1980)


Un coup de froid ...

Les années 70 ont été la décennie prodigieuse de Stevie Wonder, culminant en 1976 avec le double 33T « Songs in the key of life », qui devrait être dans le Top 10 de quiconque ayant des oreilles et un cœur en état de marche … On ne sort pas indemne de la production de tels monuments, et Wonder attendit trois ans avant de lui donner une suite, plus ou moins un album de commande pour une bonne cause ou prétendue telle (une fondation écolo), le pas terrible (également double vinyle) « Journey throught the secret life of plants ». On l’excusa pour ce faux pas et on attendit la suite. Qui s’appelle « Hotter than July ».
Et rien qu’à voir le livret, liste interminable de musiciens de séances, on se dit que pas mal de choses ont changé. Révolu le temps de l’ermite génial révolutionnant la soul musique tout seul dans son studio avec ses machines, place au notable de la variété qui vient livrer son nouveau blockbuster. Car c’est bien de courbes de ventes qu’il s’agit avec « Hotter than July », qui sera le disque de Wonder qui se vendra le mieux (on parle de millions d’exemplaires, là, pas de succès d’estime).
Pour moi, « Hotter than July » marque le début de la fin, de cette inexplicable dérive qui verra un des artistes les plus doués et les plus originaux de sa génération, sombrer dans la mélasse artistique. Bon, il n’y a encore rien d’aussi honteux que « I just call to say I love you », mais enfin on s’en approche à grand pas. Le plus frappant est l’évolution de la voix de Stevie Wonder. Auparavant gorgée d’émotion et de feeling, ce qui l’entraînait parfois à la limite de la justesse, elle est sur ce disque très en place, trop en place, techniquement irréprochable, mais beaucoup moins chaude que par le passé récent. En cause aussi, ce revirement artistique, qui le voit passer de la création solitaire de disques à une liste de participants interminables sur tous les titres. Des musiciens compétents de studio, certes, mais sûrement pas des pointures qui auraient tiré les morceaux vers le haut. Oui, je sais, il y a Michael Jackson sur un titre (« All I do »), mais il n’était pas encore le « King of Pop », il n’est que dans les chœurs, et on ne  le distingue même pas …
Certains de ses biographes ont souligné, peut-être à juste titre, l’instabilité de sa vie privée à cette époque-là, une relation pas au beau fixe avec sa compagne Yolanda Simmons, conjuguée à la présence de son ancienne femme Syreeta Wright dans les chœurs du disque. Mais bon, Stevie Wonder a toujours eu un cœur d’artichaut, c’est pas ça qui l’avait empêché de faire de bons disques auparavant. Peut-être simplement est-il comme à peu près tous les autres, après avoir atteint les sommets, il ne pouvait qu’en redescendre.
La cassure est pour moi nette, sans que pour autant ce « Hotter than July » soit infâme. Il est bien moins bon que les précédents, c’est tout. Même s’il subsiste de belles choses comme « I ain’t gonna stand for it » disco-funk dans l’air du temps mais tout entier imprégné de la « patte » Wonder, la ballade lacrymale « Lately », encore digne, mais qui annonce toutes celles pleurnichardes à venir. Egalement au crédit de ce disque, les trois hommages, avec des résultats différents.
La meilleure vente en 45T de Stevie Wonder
Un à Tammi Terrell, la chanteuse de la Motown morte sur scène dans les bras de Marvin Gaye, et pour laquelle l’alors tout jeune Little Stevie avait écrit un titre resté par la force des choses dans les tiroirs, ce « All I do » réarrangé pour l’occasion ici, et morceau sinon crucial, du moins intéressant.
Second hommage à Bob Marley qui par son charisme avait fortement impressionné Wonder. En pleine reggaemania et Marleymania, Wonder écrit ce qui deviendra le plus gros hit du disque « Master Blaster (Jammin’) » en partie inspiré par le « Jammin’ » de Marley. La mort de Marley six mois après la sortie de « Hotter than July » affectera profondément et durablement Stevie Wonder.
Dernier hommage (et dernier titre du disque) « Happy birthday » à la mémoire de Martin Luther King et pour que soit instauré un jour férié correspondant à l’anniversaire de sa mort, ou plutôt de son assassinat. Intention hautement louable, sauf que ce morceau est une horrible scie interminable …
La poignée de titres restant sont soit mauvais (« Rocket love », « As if you read my mind », l’atroce « Catch in your face ») soit insignifiants (« Did I hear … », « Do like you »).
« Hotter than July » est le disque charnière de Stevie Wonder. Avant tout est bon, par la suite tout sera à peu près à jeter …

Du même sur ce blog : 
Talking Book
Innervisions

Dr. JOHN - LOCKED DOWN (2012)


Plutôt ouvert, le Dr.

A près de soixante dix balais, il aurait pu se contenter de sa petite réputation auprès du « grand public » et de sa grosse cote auprès des autres musicos. Le musician’s musician par excellence. Il aurait pu continuer à sortir des disques tous les deux-trois ans, qui certes ne valaient pas ceux de ses débuts à la fin des 60’s, mais qui bon an mal an, ravissaient son public clairsemé.
Ce « Locked down », rien qu’à voir la pochette, on sent qu’il s’est passé un truc. Pas au niveau de la coiffure, Dr John s’est toujours coiffé avec un poulpe. Non, non, l’indication cruciale, elle est en bas à droite, c’est le logo du label, Nonesuch. Le label des aujourd’hui très bankables Black Keys. Dont le guitariste Dan Auerbach a produit et co-écrit tous les titres de ce « Locked down ». Que les fans du duo à la mode ne se jettent pas sur ce disque, le bon docteur ne s’est pas fait phagocyter par le Black Keys sound. Dr John, c’est pas le genre à se laisser impressionner par le premier type à la coule venu. Pensez, on la fait pas à un gars qui ouvrait pour les Stones au début des seventies. Dr John fait du Dr John, avec du piano (son instrument de prédilection sous toutes ses formes) omniprésent, tout juste peut-on noter de temps en temps quelque guitare d’Auerbach qui dépasse du fouillis sonore habituel … Parce que McRebennack (son vrai nom), c’est le spécialiste de l’épais potage sonore, bien épais et consistant, d’où surnagent des bouts de blues, de jazz, de soul, de rhythm’n’blues, des fanfares cajun, du groove à la tonne, une incompréhensible voix nonchalante, … et tout ça mélangé, malaxé, trituré dans absolument tous les morceaux. Le New Orleans groove dans toute sa splendeur par un des ses meilleurs démiurges … On est ici en terrain connu.
Sauf que la confrontation-collaboration avec Auerbach a peut-être obligé Dr John à sortir de sa routine, à écouter et partager avec un autre, alors qu’il avait depuis longtemps l’habitude de n’en faire qu’à sa tête. Rarement sa voix aura été aussi claire et précise, lui qui d’habitude se contentait de marmonner et grommeler sur sa musique. Sans que pour autant on puisse le confondre avec Florent Pagny.
En fait, le seul moment de flottement à l’écoute de ce disque, c’est pendant l’intro de « Locked down », le titre. Une similitude rythmique très troublante avec … le Magma de73. Le reste est, comme d’habitude, indescriptible, humide, sale, moite, un joyeux foutoir groovy et festif. On jurerait entendre le ronronnement des antiques amplis à lampes tant on est loin du son actuel ripoliné et ultra-compressé.
De temps en temps, on perçoit une tentative de prise de pouvoir par Auerbach, quand la rythmique se rigidifie un peu (« Revolution »), ou « You lie » avec sa guitare aux riffs très Black Keys, avant que les cuivres ne viennent faire tanguer et swinguer ce boucan … Et puis, on sent que les deux ont du s’amuser, en écrivant pour recréer des choses que l’on n’avait plus l’habitude d’entendre. Une paire de titres très blackxploitation (« Gateway », « Eleggua »), qui voient passer les ombres de Richard Roundtree, Ron O’Neal, Shaft, Superfly, Curtis Mayfield et Isaac Hayes. On a droit aussi en filigrane sur quelques morceaux à des chœurs féminins traités façon hippie enjoué, des choses qui rappellent « Jesus-Christ superstar », « Hair », ce genre de comédies musicales désuètes fleurant patchouli et baba-coolisme. Marrant, parce qu’effet madeleine proustienne garanti.
Il faut attendre les deux derniers titres pour avoir les choses les plus classiques, celles dont on peut désosser le  plus facilement la mécanique. C’est très fin années 60, l’un dominé par un Rhodes, l’autre par un B3, et ça évoque furieusement ce que faisait Dylan à cette époque-là, c’est dire si c’est du très bon …
Résultat, on se retrouve, un peu con parce qu’on l’avait pas vu (re)venir, avec un bon disque de Dr John sur les bras. Qui ne vaut pas « Gris-gris » ou « Gumbo », mais n’en est pas si loin que çà …

Du même sur ce blog :
Gris-Gris
In The Right Place
The Very Best Of Dr John 

RAY CHARLES - ULTIMATE HITS COLLECTION (1999)


Génial, oui ... mais pas toujours ...

Ray Charles, c’est le Genius. Et si plein d’autres contemporains, dotés d’un talent certain et d’un ego démesuré (James Brown, Sinatra, Elvis, Miles Davis, Coltrane, …), ne lui ont pas contesté ce titre, c’est peut-être bien que Charles le méritait.
En une décennie magique (en gros de 1955 à 1965), il allait faire la synthèse de tous les genres de musique populaire existants et jeter les bases de nouveaux. Venu du gospel et du jazz, il va s’approprier le rock’n’roll naissant, le blues, la country et graver la définition du  rythm’n’blues et de la soul, laissant à chaque fois au passage quelques classiques imputrescibles.
Dresser la liste de ceux qui l’ont repris ou qu’il a directement influencés est totalement impossible tant cette liste est démesurée. Tous ceux qui se sont inspirés ou servis de la musique noire pour créer la leur lui doivent quelque chose. Et des morceaux géniaux de Ray Charles (je ne suis pas un grand connaisseur du bonhomme), il doit y en avoir de quoi remplir des coffrets de plusieurs Cds.
Le problème de ce « Ultimate Hits Collection » en deux Cds et trois douzaines de titres, c’est qu’il s’agit d’une « compile de supermarché » (c’est là que je l’ai achetée d’ailleurs il y a bien longtemps quand je voulais les versions originales  de tous ces morceaux que je connaissais repris par d’autres. Et même si c’est édité par Rhino, gage de qualité sonore, de travail sérieux et de notes de livret intéressantes). Une jolie ( ? ) photo consensuelle, un intitulé ronflant, et au final les 2/3 du second Cd qui, comment dire, … ne sont pas géniaux. Des titres des années 70 et 80 avec de grandes orchestrations, des cascades de violons, des roucoulades d’armées de choristes, des morceaux avec Willie Nelson, Chaka Khan, Quincy Jones, … eux aussi pas dans leurs meilleures périodes.
La faute aux clopes et au bourbon qui ont amoché la voix de Charles. A l’héroïne qu’il a consommé en quantités industrielles et qui, comme chez tous les autres, a fini par lui bouffer la créativité et l’inspiration. Ray Charles, comme tous les autres artistes noirs de sa génération, a été copieusement détroussé au début de sa carrière par l’ « industrie musicale ». Et parce qu’il faut payer les croquettes du chien et l’eau de la piscine, comme tous les autres, il a fini par faire de l’ « alimentaire » … même si sa soupe à lui est quand même meilleure que celle de beaucoup d’autres …
Un premier Cd fabuleux, l’autre dispensable …

Du même sur ce blog:
The Genius Of Ray Charles

LOUIS ARMSTRONG - LOUIS AND THE GOOD BOOK (1958)


Et Dieu dans tout çà ?

Parce qu’on a tendance à l’oublier, Il est à la base de tout. Enfin, du rock’n’roll au moins. Que ce soit dans le blues, la country, le folk, on le retrouve dans un paquet de titres antédiluviens. Et sans parler de la soul ... ils ou elles ont toutes commencé dans les églises … La source d’inspiration, la quête de rédemption, toutes ces choses…
Même si à un moment, y’a eu comme un bug … Robert Johnson au Crossroad, « Helter Skelter » et Manson,  « Sympathy for the Devil » et Altamont, Black Sabbath et le satanisme de pacotille, et tout ce qui a suivi…
Tout ça pour dire que plus encore que les gonzesses et les bagnoles, c’est la religion qui a été au cœur de la musique plus ou moins populaire depuis cent ans … Tout ça aussi pour meubler, parce que Louis Armstrong et son jazz à trompette, j’y entrave que dalle … Mais lui aussi a touché au « sacré » …
Quand un populaire trompettiste de jazz s’attaque au chant religieux, cela donne le forcément biblique « Louis and the Good Book » (le « good book », c’est l’Ancien Testament). Soutenu par une (superbe) chorale, rajoutant quelques touches de trompette, Armstrong a visiblement pris grand plaisir à poser sa voix si particulière sur cet enregistrement, à la bonne humeur et à la ferveur communicatives… euh, non, pas communicative la ferveur, faut pas déconner non plus …
Bien sûr, il est vivement conseillé d’apprécier a priori ce que l’on nommait autrefois avec une forte connotation raciste le « negro spiritual » pour profiter pleinement de ce Cd exclusivement consacré au genre.
A noter une copieuse section bonus (par rapport au vinyle original) d’une piètre qualité sonore et musicalement inférieure également (2 sermons putain de pénibles à la fin) mais qui ravira les amateurs d’Armstrong et du genre.
Voilà voilà … j’ai lu je sais plus où que si on doit avoir qu’un seul disque de spirituals, c’est celui-là. Ça tombe bien, je compte m’arrêter là …



AMY WINEHOUSE - BACK TO BLACK (2007)


Lady Soul ou Lady Heroïne ?

On va pas refaire l’histoire, la réécrire … Encore moins faire une bio ou une nécro. Je bosse pas aux Pompes Funèbres du rock… Il est des destins qui s’écrivent tout seuls, sans que qui ce soit ait à les forcer. Et celui d’Amy Winehouse était tellement prévisible, qu’il n’y aura finalement que tous les Pujadas de JT qui ont pu feindre la surprise ou l’incompréhension quand elle a clamsé.
Pour moi, Amy Winehouse, ça restera un putain de bon disque qui à lui seul a relevé le niveau des années zéro. Un disque pour les vieux, tous ces grabataires qui savent que Wilson Pickett ou Marvin Gaye ne sont pas des rugbymen. Un disque de vieille soul américaine. Et là où ça prenait une tournure surréaliste, c’est qu’il était fait par une jeune Anglaise de vingt-trois ans. Tatouée avec un mauvais goût de docker, coiffée comme Aretha « Lady Soul » Franklin ou Dusty « In Memphis » Springfield, fringuée comme une pute roumaine de bord d’autoroute…
Et pourtant ça n’avait pas très bien commencé. J’avais entendu une pub à la radio, avec un type qui baragouinait un truc du genre : « Avec Amy Winehouse, la nouvelle révélation soul, revivez la légende Tamla ». Derrière, en fond sonore, des extraits de « Rehab », 45T éclaireur de ce « Back to black ». Tamla de la soul ? C’est nouveau, il me semblait plutôt que c’était Stax ou Atlantic. Comme quoi les directeurs marketing des maisons de disques sont même pas foutus de promouvoir correctement des artistes exceptionnelles comme Amy Winehouse. Parce que moi, ce que j’entendais, c’était des « no, no, no » gospel et cette voix grave et soyeuse, naturelle. On sentait pas la technique d’une Castafiore braillarde comme chez toutes ces fuckin’ québecquoises dont on nous gave depuis cent ans … Le flash … quelques jours après, le Cd est sorti et a tourné plus que de raison dans le lecteur.
Un Cd sur lequel il n’y a pas grand-chose à jeter, à l’opposé d’un single malin entouré de sinistres daubes. Un truc cohérent, avec une couleur et une unité de son homogène. Dus à un assemblage hétéroclite, celui d’un jeune producteur tendance Mark Ronson, et de vieux de la vieille, les Dap Kings, musiciens de studio du label revivaliste soul américain Daptone Records qui végétaient dans l’anonymat comme backing-band de Sharon Jones, leur star inconnue … Emmené par des simples ô combien évidents, « Rehab », « You know I’m no good », « Back to black », « Love is a losing game », qui arrivèrent à concilier tendances, courants et chapelles a priori antagonistes, surfant sur un retro-futurisme-revivalisme-machin (de toutes façons, depuis en gros le milieu des seventies, tout n’est que rabâchage permanent), Amy Winehouse récolta un succès aussi bienvenu que quelque peu démesuré, comme le music-business et le buzz savent si bien les générer, dès lors qu’ils sentent entre leurs pattes quelque personnage hors-normes. On s’aperçut même qu’elle avait sorti un disque auparavant (« Frank », que j’ai pas réussi à écouter jusqu’à la fin mais qui m’a tout l’air épouvantable). Le reste s’écrira à la une des tabloïds, la toxique diva se révélant totalement destroy et nettement plus punk que tous les Blink Chose et Sum Bidule réunis.
Certains lui prédisaient une carrière à la Aretha Franklin, elle choisira une courte vie à la Janis Joplin … Reste ce « Back to black » miraculeux qu’on ne se lasse pas d’écouter …

BLOOD SWEAT & TEARS - BLOOD SWEAT & TEARS (1969)


Classique en son temps

Le Blood, Sweat & Tears Rugby Club, saison 1969
Second album du groupe, qui se retrouve déjà privé de son fondateur Al Kooper (entre autres participations, le Hammond B3 sur « Like a rolling stone » de Dylan), ce « Blood, Sweat & Tears » a été le plus grand succès commercial du groupe. La locomotive du disque est le hit « Spinning Wheel », les autres titres alternant le bon, le moyen et le franchement pénible. En fait, un Cd ancré dans son époque (la fin des 60’s) où toutes les expérimentations étaient permises, dans l’insouciance de la portée finale du résultat.
Ainsi, reprendre du Erik Satie (le 1er et le dernier titre) en version psychédélique n’était pas forcément une bonne idée, de même que le « Blues Pt 2 », longue jam auto-complaisante de 12 minutes. A l’inverse, faire une superbe reprise du « Smiling Phases » de Traffic est nettement plus intéressant.
 La musique développée par Blood, Sweat & Tears, puisant dans le jazz, le blues, le classique, le rock au sens large, servie par un groupe pléthorique (neuf musiciens dont une copieuse section de cuivres) a eu son moment de gloire à la fin des sixties. Blood, Sweat & Tears ont lancé le mouvement mais n’ont sorti que trois albums (avant dissolutions, reformations, auto-tributes qui perdurent encore). Chicago, oeuvrant sensiblement dans le même registre (au moins à ses débuts) existe (?) lui aussi encore aujourd’hui et a récolté un succès colossal.
Preuve que l’idée de départ d’Al Kooper n’était pas mauvaise.

Des mêmes : Greatest Hits

ZOO - ZOO (1969)


Comme un air de famille ...

La filiation est clairement évidente et d’ailleurs revendiquée, Zoo a pour modèles Blood Sweat & Tears et Chicago, et surtout les premiers. Petite précision à l’usage des non encore grabataires, Zoo est un groupe français.
Famille évidemment nombreuse vu les influences (les Zoo sont neuf), lorsque la fanfare se forme, ses membres sont déjà des musiciens accomplis, ayant sévi dans des groupes ou hanté les studios de l’époque. Leaders et figures de proue, le chanteur Joel Daydé, le bassiste Michel Hervé et le guitariste Pierre Fanen, autant de noms que le fan de Lady Gaga ne connaît pas, mais que quelques vénérables ancêtres chenus doivent encore avoir à l’esprit.
Ce disque éponyme est tout à fait représentatif d’un genre aujourd’hui totalement désuet, cet amalgame entre toutes les musiques « de jeunes » de l’époque. Se mélangent, et s’entrechoquent parfois, mélodies pop, tristesses blues, langueurs soul, énergie rock, transpiration rythm’n’blues, une pincée de fuckin’ jazz… Bref, tout ce qui était matière à se disputer avec ses parents en cette fin des années 60. Mais aussi et surtout une fascination pour la technique instrumentale, avec le funeste prog-rock en gestation. Encore plus frappant en ce qui concerne les groupes français de l’époque, persuadés qu’une reconnaissance et qu’une crédibilité musicale dans le rock au sens large ne pouvait passer que par une démonstration technique alambiquée et grandiloquente. Les Zoo maîtrisent leur sujet et ne perdent pas une occasion de le montrer.
Ce qui donne lieu à quelques choix pour le moins curieux. Comment, lorsque l’on a dans ses rangs un aussi bon chanteur que Daydé, à la voix grave très soul, aligner sur un disque la moitié d’instrumentaux, mettant en avant un violon imbécile ou des cuivres redondants ? L’époque y est sans doute pour beaucoup, mais ce genre de choix artistique délibéré est pour le moins curieux, et les conséquences ne se feront guère attendre, Daydé et le guitariste Fanen quitteront le groupe après ce disque.
Les meilleurs titres de ce « Zoo » sont d’assez loin ceux qui sont chantés, le rythm’n’blues jazzy de « If you lose your woman », l’alerte « Memphis train » repris à Rufus Thomas, le très Ray Charles « You sure drive … ». Les instrumentaux, forcément très datés, s’empêtrent dans la copie de BS & T (« Ramsès »), les pénibles jams violoneuses (« Rythm and Boss »), ou bluesy (« Bluezoo », comme son nom l’indique). Deux morceaux sont un peu à part, « Un samedi soir à Carnouet », ambiance bal à papa psychédélique ayant plus à voir avec Chicago (le groupe) qu’avec les Cotes d’Armor ; également le dernier, « Mammouth », avec sa rythmique très lancinante qui fait penser à ce que produira plus tard Magma …
Les départs de Daydé et Fanen porteront un trop rude coup à Zoo pour qu’il s’en remette. Un autre disque verra le jour, avec beaucoup moins de retentissement que ce premier qui avait quand même réussi à marquer les esprits. Quelques musiciens accompagneront Léo Ferraille momentanément en quête d’un virage « électrique », et quelques survivants remonteront le groupe sous le nom de Zoo Tribute en 2010 avec le succès que l’on imagine …

BLOOD, SWEAT & TEARS - GREATEST HITS (1972)


Fanfare en fusion
Ils étaient dans l’air du temps à la fin des années 60. Mieux, même ils avaient lancé la mode, celle de ces formations pléthoriques, très « techniques », mélangeant (mais pas toujours avec bonheur) rock, blues, jazz, rock, soul, rythm’n’blues, …
A la base de Blood, Sweat & Tears, on trouve Al Kooper, organiste du Blues Project, mais surtout sessionman dont l’orgue Hammond a enjolivé ou enjolivera les disques de Dylan (« Like a rolling stone » ou tout « Highway 61 revisited », il y est), mais aussi d’Hendrix ou des Stones. Une pointure et un type recherché, qui n’aura guère de mal à trouver des complices, et en premier lieu, un autre ancien du Blues Project, le guitariste Steve Katz. Kooper quittera « son » groupe après un seul disque (pour monter un « super-groupe » avec Michael Bloomfield notamment), et sera remplacé dans le leadership par un guitariste canadien, David Clayton-Thomas. Pour les autres de la formation, c’est le panier de crabes total, tant dès le départ le line-up a été très fluctuant, et on s’en fout un peu, BS & T est plus une formule qu’un groupe bien défini …
Le Blood, Sweat & Tears Football Club
Ce « Greatest hits » de 1972 visite les cinq premiers disques du groupe et a la bonne idée (contrairement à certaines rééditions de ce disque), de présenter les single-edit du groupe, c’est-à-dire les morceaux sans les inévitables solos ou jams en roue libre les encombrant. Même si tous les titres se ressemblent un peu, car à l’opposé des « rivaux » de Chicago œuvrant dans à peu près les mêmes sonorités mais où tous les zicos n’intervenaient pas systématiquement sur chaque titre, les  BS & T ont la fâcheuse manie d’être toujours tous présents. Alors la plupart des titres commencent par des riffs de cuivres, cuivres très présents et qui ont tendance à boursoufler l’ensemble, signe des temps qui (heureusement) changent.
A leur crédit, BS & T a toujours pu compter dans ses premières années sur de bons chanteurs à la voix soul et chaude (Kooper, Clayton-Thomas), qui rendent efficace tout ce qui dans leur répertoire touche à la soul et au rythm’n’blues.
Il y a dans cette compile l’essentiel des titres les plus connus de cette formation assez ringardisée aujourd’hui, et qui a perduré sans aucun de ses membres fondateurs pendant des décennies, avant de se « reformer » pour quelques lucratifs concerts, au hasard des disponibilités de ses anciens musiciens …

JAMES BROWN - IN THE JUNGLE GROOVE (1986)


Du groove (et des souris ?)

Au milieu des années 80, tout le monde s’en tamponne de James Brown, il n’est plus dans le coup, tout juste bon à sortir des stupidités comme le grossier « Living in America ». Plus personne ne l’écoute. Plus personne, … sauf les rappeurs qui pillent à qui mieux mieux son catalogue pour poser les structures rythmiques de leurs titres. Certes, les avocats du vieux coq d’Atlanta multiplient les procédures et l’argent rentre dans les caisses du Parrain de la soul, mais artistiquement, James Brown est submergé par tous ces nouveaux sons (bientôt la house, et les joueurs de disquettes qui achèvent juste de lire la notice de leur Atari ne se priveront pas non plus de sampler dans sa discographie).
Son historique maison de disques Polydor réagit, et plutôt qu’une énième compilation survolant ses hits 50’s et 60’s, lâche un pavé dans la mare, manière de remettre les pendules à l’heure. Et ce pavé (70 minutes tout de même) s’appelle « In the jungle groove » et met l’accent sur la période la plus samplée de James Brown : son évolution musicale à la fin des années 60.

A cette époque-là, le disque du « tournant », c’est « Sex Machine », faux live mais gigantesque leçon de soul. Le nouveau backing-band de Brown recruté pour l’occasion, articulé autour des frangins Collins (guitare et basse) et de rescapés des antiques JB’s (Wesley, Stubblefield, et le toujours fidèle Bobby Bird), change radicalement l’enrobage sonore du Godfather. Fini le classic soul sound, et place à des structures rythmiques répétitives et lancinantes, le chant devient cri et hurlement, les cuivres répètent ad lib juste quelques notes … la recherche de la transe par l’épure se substitue à celle de la danse. Des albums, souvent inégaux, seront produits en nombre, et la machine à funker James Brown, un temps menacée par la comète Sly & the Family Stone, sera définitivement supplantée par George Clinton et ses tribus bariolées (Parliament, Funkadelic). Mais malgré tout, il y aura dans ces années 70 de grands titres signés Brown.
When he was king, James Brown à Kinshasa, 1974
Cette compilation en sert quelques-uns uns, et des fameux. Et pour faire « in », certains se voient même affublés du qualificatif de « remix » ou « extended », la bonne blague, on voit pas vraiment la différence. Le must de la blague étant le remix mono ( ! ) de « Get up … », brut de décoffrage, direct dans le plexus pour montrer que le groove, tu l’as ou tu l’as pas. On trouve bien sûr « Funky drummer », une des rythmiques les plus samplées du monde avec ses ambiances jazzy, « Give it up or turnit a loose », l’implacable groove mathématique de « Talkin’ loud … », l’épure squelettique mais infernale de « Soul power ».
Musicalement, c’est une tuerie sous hypnose, les types ne lâchent et ne relâchent rien (les titres durent entre sept et dix minutes), et là c’est pas Cubase en position « repeat », c’est du jus de coude (la colossale ligne de basse de Bootsy Collins sur « Hot pants », c’est quand même quelque chose, ma bonne dame …). Le James est peinard derrière une assise pareille, il n’a plus qu’à pousser quelques hurlements de temps et temps sur l’imperturbable rengaine que lui servent les autres. A tel point que le « Blind mind can see it » qui clôt cette compile est quasi instrumental.
Bon, évidemment, les grincheux pourront toujours dire que c’est toujours le même bouzin, et ils auront pas tout à fait tort. C’est quand même un choix délibéré de Brown, qui s’en est exliqué à maintes reprises, il voulait sortir de l’aspect chanson de la soul et du funk, et revenir à l’essence même de la musique noire, la trame percussive tribale. Et contrairement à d’autres stars des 60’s ou 70’s totalement larguées par ce qui se tramait dans les ghettos new-yorkais ou les entrepôts de Detroit, James Brown est allé se frotter à l’electro (Afrika Bambaata), ou au rap (son excellent et très sous-estimé « I’m real » avec Full Force) …
L’innovation et l’ouverture d’esprit, ça sert aussi à reconnaître les plus grands, et James Brown fait partie des quatre ou cinq types les plus importants de la musique populaire du siècle passé. Et même s’il a très mal fini, le crack et le PCP lui ayant calciné le cerveau, ce « In the jungle groove » est un témoignage captivant de son talent …
 

SMOKEY ROBINSON - SMOKEY (1973)



Bonne came ...

« Shop around », « Track of my tears », «  You’ve really got a hold on me », « Tears of a clown », autant de succès, autant de titres des Miracles signés ou co-signés Smokey Robinson … sans compter les titres produits ou écrits pour d’autres …

« Smokey Robinson est le plus grand poète américain vivant ». C’est Bob Dylan, qui sait quand même un peu de quoi il parle qui l’a dit un jour …

Smokey Robinson fut un des piliers « historiques » de la Motown dans les années 60, et un des derniers fidèle à Berry Gordy, après « l’émancipation » et les départs en solo (toujours chez Motown) de Diana Ross, Marvin Gaye, Stevie Wonder … Mais au début des années 70, Smokey Robinson entend voler de ses propres ailes. Totalement dans la nature du personnage, la séparation d’avec les Miracles se fait en douceur, sans rupture, en toute simplicité et camaraderie (la lente ballade soul « Sweet harmony » est d’ailleurs dédicacée dans une intro parlée à ses copains restés dans les Miracles).

« Smokey » est le premier disque solo de Robinson, initialement paru en 1973. Un disque de soul sophistiquée, lente, douce, quasi bucolique, portée par la voix de miel de Smokey Robinson. Souvent voisin par le rythme du « What’s going on » de Marvin Gaye, ce qui n’est pas un petit compliment. Tout en laissant de côté le discours écolo et social du Marvin … Chez Robinson, tout n’est qu’amour, luxe, calme et volupté.

Les lentes ballades soul dominent (la très belle « Holly », la fabuleuse  et pour moi sommet du disque « Just my soul responding » qui oscille entre soul, gospel et psychédélisme, « Sweet harmony », « The family song », l’intemporelle « Baby come close » et son orgue Hammond, …) et c’est le registre dans lequel Smokey Robinson excelle. Quand il s’en éloigne quelque peu, sur la reprise de « Never can say goodbye » par exemple, il en donne pour moi la moins bonne version de tous ceux de la Tamla qui l’ont chantée, sans même parler de la superbe relecture des Communards. Quand le tempo s’accélère et s’oriente vers le funky et les prémisses du disco, là aussi les résultats sont un peu moins convaincants (« A silent partner », « Wanna know my mind ») …

A noter que curieusement, alors qu’il en était le chanteur lead, les Miracles continueront d’obtenir des succès après son départ, tandis que la carrière solo de Smokey Robinson se fera à peu près dans une indifférence polie. A tel point que ses disques solo seront quasiment introuvables pendant des décennies. Ils sont maintenant réédités (très correctement) sous l’appellation générique « Smokey Robinson : The solo Albums », à raison de deux 33T par Cd. « Smokey » est couplé avec son successeur de 1974 « Pure Smokey ».

MINK DEVILLE - LE CHAT BLEU (1980)


Willy au bout de ses rêves ...

Ce disque est le troisième de Mink DeVille, le dernier chez Capitol, et s’il fallait n’en garder qu’une petite poignée du dandy new-yorkais, il serait forcément dans le lot. Parce que c’est celui qui représente le plus et le mieux Willy DeVille, le leader de son Mink de groupe.
Il y a tout des débuts de Willy, et même beaucoup de son âme, de ses fantasmes, de ses obsessions. Willy est un étrange personnage, qui, comme le chat (bleu ou pas) qui sert de titre au disque, a eu plusieurs vies, renaissant sans cesse de naufrages, et pas seulement artistiques, avant de voir son existence s’arrêter pour cause d’hépatite C carabinée dans l’été 2009.
Souvent en équilibre entre sublime et ridicule, et réussissant on ne sait trop comment (la classe, peut-être) à très souvent, mais pas toujours, retomber du bon côté. D’abord Willy est un fan. De plein de choses essentielles et très bonnes (la soul, le doo-wop, le rythm’n’blues, et en gros de tout ce que la musique américaine a produit de meilleur et de rythmé), de choses auxquelles on a du mal à échapper quand tout gosse on a toujours rêvé de New York et qu’on est allé y habiter (les comédies musicales comme « West Side Story », où Willy est allé trouver son look durant les années 70 et sa fascination pour le côté borderline des gangs). Et fan de la France à travers quelques chanteurs ou musiciens qu’il vénère. Passe encore pour Piaf, mais l’adoration de Willy DeVille pour Michel Legrand ou Charles Dumont, beaucoup ont eu et ont encore du mal à saisir …
Willy & Toots : félins pour l'autre ?
Pour ce « Chat Bleu », Willy réussit à travailler avec une de ses idoles, Doc Pomus, qui a été chanté par Elvis (Viva Las Vegas »), ou Ray Charles (« Lonely Avenue »), et un des auteurs attitrés des Drifters (« Save the last dance for me », « Sweets for my sweet », …) de Ben E. King, dont l’énorme succès de sa carrière solo (« Stand by me ») sera souvent , dans des versions tout en crucifixions et génuflexions, le point d’orgue des concerts de Willy-Mink DeVille …
Pomus et DeVille cosignent ici « Just to walk that little girl home », fabuleux doo-wop dans les règles de l’art, l’excellente ballade soul « That world outside », et l’espagnolade, avec ses arrangements de castagnettes, « You just keep holding on » … Pour le reste, hormis une reprise du « Bad boy » de Lil Armstrong (la femme du trompettiste Louis Armstrong), c’est Willy DeVille qui signe tous les titres. Dont quelques-uns de renversants, les fantastiques rythm’n’blues « This must be the night », « Savoir faire » et « Lipstick traces » notamment.
Willy DeVille est aussi attiré par des choses plus « exotiques ». La Nouvelle-Orléans (qui plus tard le verra « renaître ») et la Louisiane, ce qui donne la mazurka traitée cajun-zydeco « Turn you every way … », titre entraînant et réussi. Mais aussi les sonorités hispano-caraïbes (cf les gangs portoricains de « West Side Story »), ce qui donne un morceau raté (« Slow drain »), crispé et coincé du popotin, à des lieues des choses torrides et swinguantes de Kid Creole & The Coconuts, qui débutent dans le même genre à la même époque. Niveau titre quelconque, il faut aussi rajouter l’anecdotique conclusion « Heaven stood stills », gâchée par un piano grandiloquent …
Mais la balance est malgré tout très largement favorable, car en plus de grandes chansons, Willy DeVille peut s’appuyer sur un grand backing band. Mink DeVille est un super groupe, soudé et cohérent, emmené par le guitariste killer Louie Erlanger, s’appuyant sur quelques vieux de la vieille, Jerry Scheff (basssite chez Presley et sur le « L.A. Woman » des Doors), Steve Douglas, remarquable sax (chez Spector, les Beach Boys, Aretha Franklin, …) et ici également producteur, ou encore le multi-instrumentiste Kenny Margolis. Certains, la presse musicale française notamment ne tariront pas d’éloges sur Mink DeVille, et les comparaisons en cette fin des 70’s – début des 80’s avec le E-Street Band iront bon train. Bon, soyons clair, autant Mink DeVille peut rivaliser très favorablement sur disque (avec Willy, pas de morceaux à l’arrache, tout est dans le feeling et l’émotion, Erlanger c’est quand même mieux que Miami « Bandana » Van Zandt, et ne parlons pas de Douglas comparé à Clarence Clemons et sa corne de brume), autant sur scène, Willy DeVille, ça coince… Capable de prestations phénoménales, mais aussi et plus souvent que de raison de concerts pathétiques qui le voient s’écrouler au sens propre sur scène, Willy DeVille payera très tôt un lourd tribut à des addictions diverses et variées, qui relègueront sa carrière à quelques succès d’estime …
L’occasion de souligner l’importance ( ? ) à ses côtés de sa gorgone de femme, sa Yoko Ono à lui, la très insupportable Toots. Comme la femme à Lennon, avec qui elle partage bien des ressemblances et pas seulement physiques, elle ne quitte jamais son Willy d’époux, l’« assistant » dans ses interviews, et à l’époque de la parution du « Chat Bleu » (c’est son épaule tatouée à elle sur la pochette), en plein trip mystico-vaudou, se trimbalant toujours avec force amulettes, et petits réticules emplis de préparations, potions et philtres divers. Et malheureusement pour Willy, au milieu d’inoffensives poudres de perlimpinpin soi-disant magiques, d’autres bien blanches, dont son mari abusera, ruinant sa santé, sa carrière et les espoirs que certains, dont Ahmet Ertegun (qui allait le signer pour le disque suivant, le fabuleux « Coup de Grâce »), mettaient en lui …


Des mêmes sur ce blog :












DUSTY SPRINGFIELD - A GIRL CALLED DUSTY (1964)


Une certaine idée de la variété

Ce Cd est la réédition du 1er album de 1964 publié par l’Anglaise Dusty Springfield. Une Anglaise sous forte influence US, ainsi que le montrent les (nombreuses) reprises présentes : Dionne Warwick, Lee Dorsey, Supremes, …

Le résultat est excellent, une  soul teintée de rythm’n’blues, servie par une des meilleures (la meilleure ?) voix blanches de l’époque. Des arrangements et une production « grand public » ne doivent pas rebuter les puristes. Le tout donne certes dans la variété, mais de la variété de très grande classe. Tout le contraire des Nouvelles Stars, Star Ac et Cie.

Sa voix, les genres musicaux abordés font de Dusty Springfield une des grand-mères artistiques d’Amy Winehouse, autre chouchroutée anglaise.

A noter sur ce Cd une section bonus conséquente (8 titres) avec notamment le 1er single de Dusty (« I only want to be with you »), énorme succès en Angleterre, mais aussi en France par l’adaptation qu’en avait faite Richard Anthony (« A présent tu peux t’en aller »).


DR JOHN - THE VERY BEST OF DR JOHN (1995)


 Le groove de la Nouvelle Orleans

Gris-gris et Dr John
Malcolm John Rebennack, plus connu sous le pseudo de Dr John, est un artiste important, pianiste de son état (mais pas que), reconnu par ses pairs, mais négligé par le grand public, que ce soit ici ou aux USA. Pourtant les plus grands (Stones, Clapton, Clash, …) ont travaillé avec lui, s’en sont inspirés, ont repris ses morceaux.

Cette compilation offre un bon aperçu de la discographie (pléthorique) de Dr John. Sa musique, comme la ville de La Nouvelle Orleans à laquelle il est indéfectiblement attaché, est un immense melting pot où se côtoient blues, rock, funk, vaudou, jazz, et toutes les spécificités sonores locales. Ce qui donne ce groove chaloupé, moite, inimitable de Dr John. Qui rajoute par dessus les instruments le grognement mélodique qui lui tient lieu de voix.

Pour tous ceux qui ne connaissent pas, dépaysement sonore garanti.

Du même sur ce blog :
Gris-Gris
In The Right Place
Locked Down

DUSTY SPRINGFIELD - DUSTY IN MEMPHIS (1969)


Un homme et une femme ...

La femme, c’est Dusty Springfield. La plus belle voix anglaise, quelque peu au creux de la vague en cette fin des 60’s après quelques années de gros succès populaires.

Encore un peu de choucroute ?
L’homme, c’est Ahmet Ertegun. Fondateur des disques Atlantic, qui a personnellement engagé Aretha Franklin, Wilson Pickett, Otis Redding et vient de signer Led Zeppelin. Le plus grand patron de maisons de disques que la musique ait connu. Avant tout un connaisseur et un fan de ses artistes. Rien à voir avec les sinistres comptables actuels dont le seul intérêt est de se faire de l’argent sur le dos du public ET des artistes.

En 1968, Ertegun offre à Dusty Springfield tout ce dont un chanteur pouvait rêver : un disque clé en mains, enregistré dans les studios de Memphis, avec les plus grands musiciens,  producteurs et compositeurs de soul. Lorsque Dusty est arrivée à Memphis, cette perfectionniste maladive aurait testé une centaine de titres ! Insatisfaite du résultat, elle abandonne le projet, avant de se raviser sous l’amicale pression d’Ertegun et de finaliser onze titres à New York qui sortiront sur le 33T original.

Le résultat est exceptionnel, les critiques dithyrambiques, et « Son of a preacher man » (que le malin Tarantino ira chercher pour le soundtrack de « Pulp Fiction ») choisi comme premier single fait une percée dans les charts … Et le public ne suit pas et « Dusty in Memphis » est un bide retentissant, qui va marquer le début de la fin pour sa carrière.

Il s’agit pourtant bel et bien d’un des quatre ou cinq plus grands disques de soul jamais gravés. Une œuvre totalement indispensable.

Réédité il y a quelques temps par Rhino avec la bagatelle de 14 titres bonus. Tous également d’une qualité sidérante, tant artistique que sonore.


DEXYS MIDNIGHT RUNNERS - SEARCHING FOT THE YOUNG SOUL REBELS (1980)


Soul anglaise des 80's 
Brouillages radio. Bribes de Deep Purple, Sex Pistols, Specials. Puis explosion de cuivres. Ainsi débute « Burn it down », le 1er titre du 1er Cd des Dexys Midnight Runners.

Dexys Midnight Runners 1980 : on danse pas,on garde les sacs de nos copines ...
Dexys Midnight Runners, c’est pour les profanes (éclairés) un tout-puissant (Kevin Rowland) leader tyrannique et qui le deviendra de plus en plus, et leader et tyrannique, et un titre ( « Come on Eileen ») que l’on trouve sur toutes les compilations estampillées musique des années 80. Le tube est sur le Cd suivant (« Too-Rye-Ay »), mais pourtant c’est bel et bien ce « Searching … » qui est le meilleur du groupe.

Disque hommage à la soul et au rythm’n’blues des années 60. Une fois que l’on s’est habitué à la voix aiguë de Kevin Rowland loin des standards du genre (Redding, Pickett, …), reste un disque agréable qui a bien vieilli. Normal, la soul (comme le blues), lorsque l’on respecte les codes de l’diome, donne des œuvres intemporelles.

Derrière la locomotive « Geno » (en hommage au chanteur américain de rythm’n’blues Geno Washington) lui aussi gros succès en son temps, le reste de ce « Searching for the Young Soul Rebels », se montre également au niveau.

Cd hautement recommandable.



Des mêmes sur ce blog :

CURTIS MAYFIELD - THERE'S NO PLACE LIKE AMERICA TODAY (1975)


Rage Against The Machine ?

Un disque atypique de son temps et de la discographie de Curtis Mayfied … Mayfield qui est déjà un peu à part dans la musique noire avec sa soul soyeuse s’aventurant dans les contrées jazzy. Quand paraît ce « There’s no place like America today » en 1975, l’heure est au funk discoïde, et Mayfield quelque peu au creux de la vague. Les succès de ses premiers disques solos, avec mention particulière à « Curtis » et le très successful « Superfly », commencent à s’estomper, et forcément plus encore ses hits des 60’s avec les Impressions …

Et alors que les Blacks cultivent l’hédonisme dansant et insouciant, Mayfield va donner dans le revendicatif et le social. La pochette est sans équivoque. On y voit des Noirs dans une file menant à quelque soupe populaire sous une affiche représentant une famille blanche dodue et souriante en voiture. Contraste des clivages sociaux accentué par l’ironie quelque peu amère du titre de l’album. Même si Curtis Mayfield ne se prend pas pour Luther King, et encore moins pour Malcolm X ou les Black Panthers. Pas de revendications, pas de militantisme guerrier dans les textes, juste quelques-uns ont une portée « sociale » marquée (« Billy Jack », « Hard times », « Blue Monday people »), mais l’espoir reste présent à travers l’amour (« So in love », « Love to the people »), ou la foi (« Jesus ») …

Musicalement, c’est épuré à l’extrême, basé sur des tempos lents, la voix de fausset immédiatement reconnaissable et la Telecaster aigrelette de Mayfield. Il y a pourtant pléthore d’instruments présents, des plus classiques (rythmiques, claviers, cordes, cuivres) aux plus inattendus (quelques accords de harpe)… Mais chacune de leurs interventions est dosée avec parcimonie, quelques notes des uns ou des autres suffisant à emplir l’espace sonore. Un travail d’orfèvre au niveau de la production et des arrangements, particulièrement en évidence sur le gospel futuriste « Jesus », la classique roucoulade soul « So in love », le « Billy Jack » inaugural et son ambiance soft jazz. Seul « Hard times » est plus allegro, avec sa guitare folle qui égrène des notes aiguës …

Le seul reproche que l’on peut faire à ce disque, c’est son côté monolithique, on aurait aimé trouver quelque mélodie up tempo, quelque rengaine un peu plus « facile » au milieu de toutes ces suites d’accords tarabiscotés …

Ne pas faire le difficile pour autant. Si un Prince (qui s’est énormément inspiré de Mayfield) venait à sortir un disque de cette qualité, tout le monde s’esbaudirait sur le talent et le génie retrouvés du nabot de Minneapolis… Avec « There’s no place like America today », on est juste en présence d’un des derniers (le dernier ?) grands éclats de la discographie de Curtis Mayfield …

Du même sur ce blog :
Superfly