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JOHN LENNON - IMAGINE (1971)

 

Béatification ...

Être John Lennon aurait pu en soi être suffisant … Être un ex-Beatles, plus grand groupe pop de tous les temps, (co-)auteur de la moitié de leurs titres les plus connus, et leader du groupe (enfin, celui qui l’ouvrait le plus souvent, à grands coups de métaphores et de punchlines comme on dirait maintenant dans les conférences de rédaction de CNews) … Un génie, vous disaient plein de gens … Et le John se plaisait à cultiver son image de rigolo sérieux, d’intello loufoque, pour la plus grande extase de ses fans …


Une fois la débandade du plus grand etc … consommée, les quatre (enfin, moins Ringo, qui enchaînait soirées casino et cocktails) vont se livrer à une course à l’échalotte afin de déterminer qui était le meilleur Beatles. Ce qui entrainera une diarrhée vinylique conséquente, à coups d’albums tous les six mois pour Lennon et Macca, et carrément un triple vinyle pour Harrison … et sans compter les machins inaudibles sortis par le couple John et Yoko (« Two Virgins », « Unfinished music », « Wedding Album », le « Plastic Ono Band » version Yoko).

« Imagine » est le second 33T du binoclard le plus célèbre du monde, version Ghandi du pop-rock-machin …. Qui succède à l’introspectif « John Lennon / Plastic Ono Band » et deviendra le plus connu de son auteur et un incontournable de toutes les listes des meilleurs disques ever … en grande partie grâce à son morceau titre, scie pacifique et consensuelle (« … imagine all the people living life in peace, … imagine there’s no countries, no possessions … ») que tout humain, mis à part Vlad the Lad et quelques autres du même tonneau, ont entendu jusqu’à la nausée dans leur vie. S’il ne fallait garder qu’un titre de Lennon pour le « grand public », nul doute que « Imagine » serait celui-là. Un truc bête comme chou, une mélodie toute simple sur un piano légèrement désaccordé, la voix doublée du John (il ne la supportait pas « naturelle » et a systématiquement utilisé le re-recording pour ses parties vocales), et des paroles déjà en 1971 d’un autre temps autour de la thématique hippie du peace and love déjà passée de mode …


Alors forcément, quand un morceau comme ça se trouve en intro d’un disque, ledit disque va s’écouler par millions et ravir ceux qui ne demandent qu’à l’être. Mon exigence et ma rigueur légendaires m’obligent à signaler à l’auditoire que, comme tous les 33T de Lennon, « Imagine » n’est pas le chef-d’œuvre que l’on vous vend depuis cinquante ans. Meilleur que beaucoup d’autres, certes (quelqu’un pour défendre « Some time in New York City » ou « Mind games » ?), mais aussi bien chargé en titres … comment dire … euh … quelconques.

Ici, deux arbres cachent la forêt calcinée. « Imagine » donc et peut-être l’encore meilleur « Jealous guy ». Ce dernier, malgré ses airs de famille troublants avec « Imagine » (le tempo, la mélodie au piano entêtante) est plus fini, plus abouti. Le pont sifflé est une bonne trouvaille et les cordes sont parcimonieusement et judicieusement dosées sur le final.

Ono, Lennon & Spector

L’occasion de citer Phil Spector. On le sait, Lennon et Harrison s’étaient entichés du grand homme (enfin, pas par la taille) dès la période eau dans le gaz des Beatles. Contre l’avis de McCartney, Spector avait produit « Let it be », album poisseux et dégoulinant de violons qui n’arrivaient pas à masquer la panne créative de ceux qui étaient encore quatre mais plus fabuleux pour un sou. Et logiquement, Spector allait accompagner Harrison et Lennon dans leurs débuts en solo. Soyons clair, et de toute façon l’histoire s’est chargée de vérifier les supputations, Spector n’a plus rien de magique depuis l’échec de ce qu’il considérait être son chef-d’œuvre, le colossal « River deep, mountain high » (le titre, mais aussi l’album) de Ike (prié de rester loin de tout ça en studio) et Tina Turner. Le génie capable de transformer n’importe quelle chansonnette en titre d’anthologie commence à être sérieusement à l’Ouest, avant de bientôt basculer de l’autre côté de la farce … Mais en 71, même un Spector déclinant est un type qui sait pousser les boutons dans un studio. Pas de Wall of Sound ici, le Phil donne plutôt dans l’épuration boisée. Quelques cordes, violons, discrets dans le mix, et pas d’instrumentation pléthorique. Même si question casting, y’a du beau linge sur « Imagine ». Les fidèles Klaus Voormann (pote de longue date, la pochette de « Revolver » c’était lui) et Nicky Hopkins (cinquième Beatles et sixième Stones), Jojo Harrison sur une moitié des titres (très bon à la slide sur « How do you sleep ? », on y reviendra sur ce titre), Jim Keltner (avec qui n’a-t-il pas joué ?) et Alan White (futur Yes) se partagent les parties de batterie, le grand King Curtis vient de temps souffler dans son sax … Et Yoko, allez-vous me dire ? Elle se contente de la co-écriture d’un seul titre (« Oh my love »), et surtout ne vient brailler sur aucun. Ah, et pour l’anecdote, c’est elle qui a pris la photo de Lennon qui sert de base avant retouche nuageuse et floutée à la pochette du disque …

A l’heure où le mot disruptif est à la mode, on peut pas dire que « Imagine » soit un disque disruptif. « Plastic Ono Band » l’était beaucoup plus, tout en rugosités et aspérités (le cri primal de Janov, la conceptualisation de Dieu, …). Lennon tirait un trait sur le monde des Beatles, dont « Imagine » est par contraste beaucoup plus proche. Et son ancien acolyte Macca au cœur des débats et du titre « How do you sleep », titre méchant et pas du tout second degré qui lui est adressé. « The sound you make is muzak to my ears », moi je veux bien, mais on peut pas vraiment dire que Lennon n’ait jamais pataugé dans la guimauve depuis la séparation des Beatles … l’assez embêtant et neuneu « Oh my love » en est la preuve ici … Ultime tacle à la carotide pour Macca, une photo au verso de la pochette qui voit Lennon tenir un cochon. Allusion à la pochette de « Ram » du Paulo où l’on voyait le bassiste poser avec un mouton. Tout ça est un peu mesquin et de toute façon niveau coup en dessous de la ceinture est loin de « The Notorious Byrds Brothers » ou David Crosby fraîchement parti du groupe est remplacé par un cheval sur la pochette … Dans ce contexte, on peut trouver étrange « Crippled inside », avec ses faux airs de « Lady Madonna » (signée McCartney), et ses rythmes antiques de jazz New Orleans. Joli morceau un peu quelconque tout de même …


Avec « Imagine » on se retrouve avec un peu de tout et aussi un peu n’importe quoi. « I don’t want to be a soldier », mantra bluesy et pacifique un peu longuet, où le Jojo prend une grosse voix grave farcie d’écho qui fait penser aux ruminations du Morrison de la fin des Doors. Niveau rêche, on a aussi l’autre blues « It’s so hard », ouais, bof … « Give me some truth » fait penser à « I’m the walrus » et bénéficie d’un solo tout en distorsion d’Harrison. Globalement, la fin du disque ne vaut pas le début, malgré un bon « How ? » titre où les arrangements de Spector sont le plus présents mais arrivent à rester sobres, aidés par le chant le moins bidouillé de Lennon et son final à l’harmonica qui renvoie à « Love me do » … Boucle bouclée ?

Au final, si Lennon avait réuni sur un seul disque les meilleurs titres de « Plastic Ono Band » et « Imagine », on aurait eu quelque chose qui ressemblerait au meilleur disque solo d’un ex-Beatles … Qui sera à mon avis « Band on the run » de McCartney-Wings …



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OASIS - BE HERE NOW (1997)

 

Stadium rock ...

Plus dure sera la chute … Quatre ans après s’être extirpés du néant, la bande des frères Gallagher est à peu près devenue la plus grosse attraction musicale du monde dit libre. Il y en a qui arrivent à gérer ce statut et tout le gigantisme dans tous les domaines qui va avec, comme au hasard les Stones. Mais pas Oasis …

D’abord parce que les types sont ingérables. Enfin, les deux qui comptent, les deux frangins. Avec mention particulière à Liam, oscillant en permanence entre Sid Vicious et Mr Bean, capable de réparties incendiaires et parfois drôles, mais aussi de boxer sa gonzesse. Tout ceci hypertrophié par beaucoup d’alcool et de coke. Mais ça fait vendre du tabloïd (la pseudo guéguerre Blur-Oasis), et donc entretient la surmédiatisation du groupe.

Oasis 1997

Qui peut s’appuyer sur ses deux premiers disques plus que bien torchés, reprenant les choses là ou Beatles et Stones les avaient laissées en 68, et Who et Faces en 71. A la manœuvre, et donc à l’écriture, Noel, lider maximo de la bande. Qui a trouvé un gimmick au niveau du songwriting qui fait que ça accroche. Des mélodies mid tempo (qu’il suffit d’accélérer ou de ralentir pour avoir un nouveau titre), des guitares lourdes, une rythmique qui enclume, et des arrangements et des constructions de titres (à peu près toujours les mêmes) qui semblent être ce que le peuple (celui qui contribue à faire des chiffres de vente colossaux) a envie d’acheter à ce moment-là.

Alors, qu’est-ce qui les a pris avec ce « Be here now » ? J’en sais rien et je m’en fous, mais je m’en doute un peu. Tout le monde (le Noel, toujours responsable de tous les titres, le reste du groupe, le management, le label, …) a pris le melon. A voulu faire un disque qui marque l’Histoire. A la manière d’un Michael Jackson qui écrivait tous les jours sur le miroir (qu’on imagine grand comme un parking de supermarché) de sa salle de bain « 100 millions », soit le nombre de disques qu’il voulait en vendre alors qu’il s’attelait au successeur de « Thriller ». Et si le Michou se shootait à l’oxygène dans un caisson hyperbare, les Oasis carburaient à des trucs qui te déglinguent aussi les neurones.

Comment personne, parmi tous ceux qui étaient concernés avant que le disque sorte, n’a été foutu de se rendre compte qu’il y avait un gros souci avec « Be here now ». Peut-être quelqu’un a-t-il osé faire la remarque aux sourcilleux frangins, mais il est sûr qu’il n’a pas été écouté …

Deux frères ...

Tout dans « Be here now » empeste la mégalomanie. De la pochette à « messages » et énigmes, à cette litanie de titres interminables. Le lecteur de Cd affiche 71’38’’ pour onze titres. Presque six minutes par morceau, et il y en a même un (« All around the world ») qui dépasse les neuf minutes. Et comme les types sont pas des virtuoses, ça mouline à l’infini le même accord, et c’est pas les claviers (qui rejouent généralement les accords de guitare) qui viennent aérer ce son. Toutes ces couches instrumentales empilées, mixées tous les potards sur onze, ça fait beaucoup plus de bruit que de musique. Parce que la partie musicale de l’affaire est réduite au strict minimum, des trucs qu’on a déjà entendus sur les deux disques précédents, en plus concis et plus imaginatif (la bonne trouvaille de la scie musicale sur « Wonderwall » par exemple). En gros le son de « Be here now » est peu ou prou celui du magma de guitares saturées qu’on trouvera un peu plus tard sur le live « Familiar to millions ». Qui lui a tout de même l’avantage d’être aussi un greatest hits live.

Bon, des hits, il y en a deux de corrects sur « Be here now ». Pas forcément par hasard, ce sont deux ballades très typées 70’s, où il faut le reconnaître, Oasis excelle. « Don’t go away » ne déroutera pas les fans des Red Hot Chili Peppers, n’est point trop assourdissante, et a l’immense mérite d’avoir un final à la guitare acoustique, ce qui offre une pause bienvenue pour les oreilles …  « Stand by me », elle, figure dans la poignée des meilleurs titres d’Oasis, avec sa montée progressive vers un refrain qui sait se faire désirer. Dans à peu près le même registre, un bon point également au morceau-titre, qui ne marque tout de même pas autant les esprits … Des titres dont la construction convient parfaitement au style vocal de Liam Gallagher, jamais aussi à l’aise que dans les tempos lents. Ce qui nous amène à souligner son inaptitude souvent criante lorsque le rythme s’accélère. Le lad suprême est à la ramasse sur le up tempo de « My big mouth », et la plupart du temps est obligé de gueuler plutôt que de chanter pour pas se faire écrabouiller vocalement par le mur de guitares.


Du coup, tout ce que les détracteurs d’Oasis avaient d’emblée mis en avant se trouve ici de façon exacerbée. Le manque d’imagination de l’écriture de Noel, la manque de souplesse vocale de Liam, la technique musicale rudimentaire de l’ensemble, les citations-hommages-pastiches un peu trop voyants (Lennon et les Who sur l’insignifiant « Fade in – Fade out », « It’s getting better » qui cite par son intitulé les Beatles de « Sgt Pepper’s … » mais est un des plus mauvais de la rondelle avec l’épouvantablement strident « I hope, I think, I know »). Pour tenter de sauver la face, Oasis va même jusqu’à s’autoparodier (« The girl in the dirty shirt » reprend tous les tics d’écriture de Noel et tous les tics vocaux de Liam entendus jusque là).

En fait un seul titre résume l’affaire. Le premier, « D’you know what I mean ? ». Une intro avec bruit d’avions (on se croirait dans « The Wall » ou « The final cut » de Waters / Pink Floyd), des borborygmes de synthés … Il faut attendre une minute pour que le titre « démarre », avant que s’enchaînent clins d’œil appuyés à tout ce qui a fait le succès du groupe, sans que jamais celui-ci ne semble mettre un terme à cet enchaînement de grosses ficelles (7 minutes 42 secondes au compteur).

Un mot sur l’ésotérique pochette. On voit bien qui « commande ». Noel au premier plan, Liam un peu en retrait, les trois autres loin derrière. Un calendrier qui indique la date de sortie dans le pays concerné, une Rolls dans une piscine (référence à une anecdote avinée de Keith Moon), une montre sans aiguilles (là, ça m’étonnerait que ça fasse allusion au film de Bergman « Les fraises sauvages » où on en voit une similaire), la Vespa, le vieil électrophone (la nostalgie, camarades, c’était mieux avant), la mappemonde du premier disque, et puis plein de détails que seuls peuvent assimiler les fans hardcore … Il paraît que c’est une des pochettes les plus chères de l’histoire du rock … bâillements …

La suite de l’aventure ne sera pas meilleure, loin de là. Vladimir Gallagher devra lâcher du lest, laissant les autres (malheureusement) écrire des chansons, en contrepartie de quoi il passera (malheureusement) occasionnellement derrière le micro, le tout dans une ambiance de guerre civile fratricide qui durera une dizaine d’années avant le sabordage parisien.

Bien que globalement très médiocre, « Be here now » est le dernier disque studio encore écoutable d’Oasis …


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ZAKK WYLDE - BOOK OF SHADOWS (1999)

 

Marche à l'ombre ?

Autant le préciser d’emblée, voici le genre de rondelles que j’aborde avec circonspection. Le Zakk est maintenant célèbre (?) pour être le leader de Black Label Society, qui me semble être une bande de chevelus bien bourrins (mais je sais pas trop, j’ai écouté que deux-trois morceaux en travers). Auparavant, Wylde s’est fait remarquer de ceux qui trempent leur slip dès qu’un solo de guitare apparaît à l’horizon en étant l’accompagnateur de Ozzy Osbourne (après Randy Rhoads, … bâillements). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il fallait une bonne dose d’abnégation pour accompagner l’ancien chanteur de Black Sabbath, précocement sénile et rendu totalement cinoque par l’alcool et la coke dans les années 80 et suivantes. Il paraît que cette promiscuité a laissé des traces chez Wylde, le poussant vers la picole à forts volumes et (sans doute pour contrebalancer et éliminer les toxines) la gonflette musculaire. Le type est baraqué et joue de son physique schwarzeneggerien … Les spécialistes pourraient vous tartiner trois feuillets à vous dire l’importance de Wylde live, of course, mais aussi en studio, où il aidait beaucoup son demeuré de patron à écrire et arranger des chansons …

Quand les cures de désintox de l’Ozzy lui laissaient du temps libre, il avait monté un groupe dont j’ai oublié le nom (et que j’ai la flemme de rechercher) qui a duré quelque temps avant de disparaître. Son label Geffen lui a signifié qu’il avait signé un contrat qu’il se devait d’honorer et qu’il lui était redevable d’un disque. D’où de « Book of shadows » en solo. Se méfier des disques de fin de contrat, les artistes ayant souvent tendance à saboter le boulot pour aller plus vite voir ailleurs. Aux dires des spécialistes du Wylde, « Book of shadows » n’a que peu à voir avec ce qu’il avait produit auparavant. Fini les trucs hardos et place à un country-rock viril. Ce qui à titre tout à fait perso me convient mieux.


Et ça commence plutôt très bien. « Between heaven and hell » premier titre de la rondelle, débute par une intro à la guitare acoustique renforcée par un harmonica. Une référence clignote instantanément, celle de « Harvest » de Neil Young. On a connu des débuts de disque moins intéressants. Et petit à petit dans ce titre, l’électricité arrive pour culminer par un solo court et intéressant de guitare électrique. Du bon classic rock, en formation serrée (ils sont que trois en studio, Wylde, un bassiste qu’on retrouvera chez Megadeth (soupirs …), et un batteur, Joe Vitale, habitué des sessions dans le gotha du rock West Coast (CSN, Eagles, Walsh, …). En plus de leurs instruments de prédilection, ils malmènent également pianos et claviers divers. On peut souvent lire que Zakk Wylde en solo pratique du rock sudiste. Amen … sauf que je vois pas bien en quoi ce disque peut ressembler aux premières rondelles des frères Allman ou de Lynyrd Skynyrd.

Pour moi, le premier titre est l’arbre qui cache la forêt. Globalement, « Book of shadows » est supportable. Sauf que Wylde décline toujours la même chose. Une intro acoustique (guitare ou piano), et un crescendo électrique trouvant son aboutissement dans un solo de guitare dans la ligne du parti (entendez par là qu’on n’est pas dans le superfétatoire démonstratif ou l’expérimental forcené). En fait, comme la plupart des titres sont sur un tempo lent ou médium, on a grosso modo un album de classic rock ricain … du genre de ceux que tartine Springsteen depuis la fin des années 80. Sauf que quand le Boss arrive plus ou moins à faire prendre la sauce en mettant ses tripes et son feeling dans le chant, le Wylde, il a pas vocalement le coffre pour insuffler de l’épique dans ses titres. C’est un chanteur juste correct et limité, et à force de pas être capable de varier la voix, ça finit par être redondant. Tous ces titres qui se ressemblent, qui sonnent tous de la même façon, si on n’est pas fan absolu, ça lasse … et c’est pas l’ésotérisme mystique de pacotille des thèmes des chansons (le Bien, le Mal, la culpabilité, la mort, la rédemption, …) qui peut sauver l’affaire.

Je suis guitariste, capito ?

Alors fatalement, ont tendance à ressortir du lot des titres qui essaient de se démarquer du moule uniforme. Comme le strict country-rock énervé de « The things you do », ou l’ultime « I thank you child » qui fait le grand écart entre les gentilles comptines de Donovan et un riff monumental accompagné d’un gimmick de batterie qui évoque le « Kashmir » de Led Zeppelin … Bon titre également, « Throwin’it all away » sous forte influence Dylan période « Knockin’ on heaven’s door » et doté d’un bon solo bluesy sans trop d’esbrouffe ou de fioritures superflues … Quelque part vers le milieu du disque on trouve aussi enchaînés une paire de titres quasi strictement acoustique, assez mignons mais qui courent un peu vainement sur les traces du Neil Young du même genre. Quant au reste, bof …

Comme si ça ne suffisait pas avec l’album original (onze titres, plus de cinquante minutes) la plupart des éditions de « Book of shadows » fournissent un Cd bonus avec trois titres qui n’apportent rien de plus ni de mieux (peut-être un chouia plus acoustique et une déception avec « Evil ways » qui n’est malheureusement pas une reprise du classique de Santana).

Il existe aussi un « Book of shadows II» … Euh, tout compte fait, non merci …




KING CRIMSON - IN THE COURT OF THE CRIMSON KING (1969)

 

D'algébrique et de broc ...

Ce disque-là, c’est un des incontournables du rock au sens large. Nul n’a fait et ne saurait faire quelque chose qui ressemble à une liste des meilleurs disques sans que « In the court … » n’y figure. Avec « Velvet Underground & Nico », « Dark side of the moon », le « White Album », ce disque peut se prévaloir d’une des pochettes les plus connues. La musique ? Juste pour beaucoup l’alpha et l’oméga du prog rock …

Il convient donc de dire le plus grand bien de « In the court » … et à titre tout à fait perso, un peu de mal aussi, hein, on se refait pas …

King Crimson at Hyde Park

King Crimson, qui existe peut-être encore, c’est la chose de Robert Fripp, guitariste virtuose et cérébral. Le groupe a vu défiler un nombre incalculable de musiciens dont la condition préalable à l’embauche était d’avoir un niveau technique très au-dessus de la moyenne. Pourtant, si l’on remonte aux origines du groupe, Robert Fripp n’était que le troisième sommet d’un triangle construit par les deux frères Giles, sous le patronyme hautement imaginatif de Giles, Giles & Fripp. Après quelques changements de personnel, lorsque Giles, Giles & Fripp deviendra King Crimson début 1969, seul un des deux frangins, Michael, sera encore là, à la batterie. Ont rejoint le groupe Ian McDonald, multi-instrumentiste (dont notamment la flûte dont il usera et abusera, on y reviendra), et Greg Lake (bassiste et futur membre de Emerson, Lui-Même & Palmer). Plus un poète, parolier et éclairagiste du groupe, Pete Sinfield.

En cette fin des années 60, rien ne paraît impossible. Qu’on en juge. Le 9 avril 1969, King Crimson donne son premier concert officiel (à Londres, au Speakeasy). Moins de trois mois plus tard, le 5 juillet, King Crimson est en première partie des Rolling Stones à Hyde Park (le concert-hommage à Brian Jones, mort deux jours plus tôt) devant un public estimé entre 250 000 et 500 000 personnes. La prestation de la bande à Fripp reçoit de nombreuses critiques élogieuses. Pas mal pour un groupe qui n’a pas fait paraître un seul single, et encore moins d’album …

Version gatefold ...

Le premier 33T va être enregistré durant l’été, et finalisé (en toute décontraction selon les dires des membres du groupe que l’on n’est pas obligés de croire sur parole) en huit jours. Du strict point de vue de la technique sonore, c’est assez catastrophique. Des problèmes de bandes stéréo à l’origine de craquements et de grésillements sur le master, une batterie mal enregistrée et donc sous-mixée, autant de détails qui auraient pu stopper net la carrière du groupe. Rajouter à cela une pochette où ne figurent ni le nom du groupe ni le titre du disque, encore un élément commercial suicidaire des débuts de King Crimson. C’est cette pochette sans aucune indication qui paradoxalement, va provoquer l’enthousiasme populaire. L’auteur de la pochette est un jeune informaticien, Barry Godber (mort à 24 ans l’année suivante) d’après quelques indications données par Sinfield sur le contenu et la thématique du disque. La pochette est de type gatefold et présente l’homme schizoïde du 21ème siècle. Pas la peine de la décrire, tout le monde la connaît. A l’intérieur, le visage lunaire et apparemment souriant du Roi Cramoisi. Cette pochette, choc visuel et esthétique, fera immédiatement décoller les ventes de disques (on parle là quasiment d’un autre monde, où des gens achetaient des disques et pas des abonnements à des sites de streaming farcis d’ignobles mp3 compressés), avant même de savoir quelle sorte de musique on pouvait trouver à l’intérieur …

Au centre de tout, Robert Fripp

Le premier titre du disque c’est « 21st Century Schizoid Man », un de ces morceaux épiques qui se comptent sur les doigts d’une main dans l’histoire du rock (« Good vibrations », « Born to run », liste close ?), compositions à tiroirs d’une sophistication peu commune. « 21st … » commence par 30 secondes de silences parasitées, avant qu’arrive un riff de guitare monumental doublé au sax et une voix trafiquée (pas au vocoder, qui n’existait pas) déclamant un texte cryptique duquel surnage la référence à la guerre du Vietnam (« innocents raped with napalm fire »). Mais c’est la partie centrale du morceau qui le rend unique. Un empilement de solos (surtout de guitare) construits de façon mathématique (crescendos puis decrescendos symétriques) tout à l’opposé des improvisations bluesy de rigueur à l’époque. « 21st … » sortira en single réparti sur les deux faces du vinyle (jamais écouté, mais ça doit sonner très étrange …).

Le petit frère de « 21st… » c’est le titre éponyme, en conclusion du disque. Une sorte de (très) quiet – (très) loud épique et symphonique, mais avec quelques parties assez pénibles (un malheureux solo de flûte surtout vers la fin) avant un emballement électrique et rageur… Le disque ne comporte que cinq titres enchaînés (certains en plusieurs parties, découpage typique des morceaux du prog à venir).

Il y a un autre titre intéressant, « Epitaph » qui clôture la première face vinyle. Peut-être la seule vraie concession de King Crimson à l’air du temps. Trame issue de la musique classique tendance un peu pompier (dans la lignée de Procol Harum ou des Moody Blues), et qui ressemble par moments à ce que fera le Floyd dans les années 70.


Les deux titres restants sont pour moi les deux plus problématiques. « I talk to the wind » et « Moonchild » abordent les thématiques qui feront florès chez les progueux et les babas-cool de tout poil : la balade campagnarde, la communion avec la nature (on parle au vent, à la lune, on fait l’amour aux arbres, …, toutes ces sornettes bucoliques). On notera l’omniprésence de la flûte (les fans du pénible Ian Anderson de Jethro Tull seront ravis), des interminables passages où il ne se passe strictement rien (gazouillis ineptes de mellotron exceptés).

On sait cependant que tout ce qui semble n’être que jams farineuses informes était en fait très écrit. Rien n’est improvisé dans « In the court … », tout est chirurgicalement mis en place. Fripp qui est dès cet essai inaugural le leader du groupe a un discours plombant sur la musique, intellectualisant la moindre bribe sonore. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne très pote avec Brian Eno, autre conceptualisateur forcené.

Le caractère de cochon du Robert génèrera un turn-over assez frénétique au sein de King Crimson. Qui passera le début des années 70 dans le marigot du prog-rock, d’où surnageront à peine quelques riffs monstrueux (celui de « Lark’s tongue in aspic » étant le plus mémorable), avant un nouveau disque hors norme, le très noir et très étouffant « Red » (le meilleur du groupe selon moi).

Même si « In the Court of the Crimson King » est loin d’être parfait d’un bout à l’autre, on peut difficilement se passer de l’avoir sur ses étagères …


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ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



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TRAFFIC - Mr FANTASY (1968)

 

Explosés avant d'exploser ...

Philippe Manœuvre, dans une de ses « Discothèques » (idéale, secrète, je sais plus …) développe une théorie intéressante sur cette rondelle de Traffic : c’est la première de la « musique des cottages », qui partira du Berkshire, dans les Midlands anglais, pour finir avec les premiers Black Crowes, en passant par toute la scène psychédélique anglaise (Pink Floyd entre autres), californienne (la clique de Laurel Canyon), avec des escapades métalliques dans les 70’s (Led Zeppelin) … A savoir un groupe claquemuré dans un cottage cossu à la campagne, se nourrissant de jams bluesy et de toutes les drogues qui passent à sa portée … Et ma foi, c’est une vision d’une certaine forme de création musicale qui se tient … et j’ai pas la culture musicale suffisante pour contredire Manœuvre …

J’ai quand même une autre théorie qui concerne ce disque. On y trouve le musicien le plus honteusement oublié par la Grande Histoire et les petites histoires du rock, j’ai nommé Steve Winwood. Ce type est numéro un des charts des deux côtés de l’Atlantique à 17 ans avec le Spencer Davis Group avec « Keep on running », un succès qu’a bien failli imiter « Gimme some lovin’ ». Et en cette fin des années 60, on retrouvera le nom de Steve Winwood sur plein de groupes et de disques qui comptent (dans Blindfaith, Ginger Baker’s Airforce, sur « Electric Ladyland », pour ne citer que ses faits d’armes les plus marquants …).

Mason, Winwood, Capaldi, Wood : Traffic 1968

C’est Winwood (ou plutôt son départ du Spencer Davis Group) qui va déclencher la formation de Traffic. Un groupe de potes, Winwood donc (multi-instrumentiste avec prédisposition pour tout ce qui a des touches d’ivoire), Jim Capaldi (batterie), Chris Wood (flûte et sax essentiellement), et Dave Mason, le meilleur pote de Winwood (multi-instrumentiste lui aussi, très porté sur le sitar, période oblige …). Tous les quatre chantent, mais en laissant pour l’essentiel la voix lead à Winwood. Heureusement, ce type a une voix « noire » (le genre de voix qui fera la fortune de Joe Cocker ou Rod Stewart, même si Winwood n’est pas autant dans les graves et la raucité), à tel point que de nombreux DJ’s des stations noires des USA le prenaient pour un Black (carrément pour Ray Charles), ce qui avait largement contribué au succès du Spencer Davis Group. Les Traffic sont jeunes, très (vingt et un ans de moyenne d’âge).

Deux autres types vont être essentiels dans les débuts de l’aventure Traffic. Le Jamaïcain Chris Blackwell qui a monté un petit label dans son pays pour promouvoir les débuts du rocksteady, du ska et du reggae, sans trop de succès. Mais le gars a du pognon, ouvre une succursale de son label à Londres, tombe sous le charme de la voix et du talent d’auteur de Winwood, signe Traffic et paye au groupe son fameux séjour dans le cottage de Berkshire. L’autre gars qui va compter est un jeune producteur américain, qui a fait ses premières armes derrière la console avec le Spencer Davis Group et va suivre Winwood et Traffic dans leur virée campagnarde. Il se nomme Jimmy Miller, un nom que les fans des Stones vont rapidement apprendre à connaître …

Tout ce beau monde improvise, jamme (et se défonce) dans la riante campagne anglaise. Les titres issus de ces rustiques séances seront finalisés aux Olympic Sound Studios, dans la banlieue de Londres. C’est là que tout va se compliquer. Mason est soit absent soit ailleurs, les tensions vont s’accumuler avec les autres (notamment Winwood). Mason quittera le groupe avant la fin des séances, et de fait Traffic n’existe plus lorsque paraît « Mr Fantasy » …


Encore faut-il savoir de que « Mr Fantasy » on parle … celui avec la pochette rougeâtre très psychédélique, ou celui avec le visuel beaucoup plus sobre du groupe (les trois moins Mason) ? Le premier est en vaillante stéréo, compte dix titres, et est sorti en Angleterre (et en Europe). Le second a douze titres en stricte mono, est paru quelques semaines plus tard aux States (entre temps Mason a définitivement quitté le groupe, c’est pour cela qu’il n’est plus sur la pochette). Les deux ont sept titres en commun, l’ordre du tracklisting est totalement différent. Une fois n’est pas coutume, rendons grâce aux industriels de la musique qui ont mis les deux vinyles originaux sur la même réédition Cd (dans la série des Island remasters) …

Vu ses conditions d’élaboration, il y a de tout sur ce « Mr Fantasy », les fulgurances géniales côtoient les pochades datées de défoncés. Quand c’est bon, c’est stratosphérique. Deux titres fabuleux ne se trouvent que sur l’édition américaine, « Paper sun » le 1er single du groupe (pop soul psychédélique avec arrangements de sitar) et « Smiling Phases » (une face B de 45T, merveille de soul blanche avec un chant sublime de Winwood, ce titre sera repris et fera le bonheur et le succès de la troupe Blood, Sweat & Tears). Commun aux deux disques, on a « Heaven is in your mind » (pop soul, conclu par un homérique solo de guitare), « No face, no name, no number » (ballade frissonnante cousine de « Whiter shade of pale ») et « Dear Mr Fantasy » (mélodie slow blues avec harmonica et tout le tremblement, au service de la voix magique de Winwood).


Le reste n’est pas toujours à négliger, on sent l’influence de l’époque (le psychédélisme à fond les manettes), que ce soit dans les bluettes très floydiennes époque Barrett (la comptine « Berkshire poppies », « House for everyone », ces deux titres très corrects) voire dans le trip vers Katmandou (« Utterly simple » tout sitar en avant, très harrissonien et aussi pénible que le « Whitin you whitout you » du George sur « Sgt Peppers … »). Quand la fumée dans le manoir devenait trop épaisse, ça pouvait partir dans des directions étranges (« Coloured rain » entre jazz, prog, blues, psyché, « Dealer », son sitar et sa saugrenue guitare flamenco sur le final, ou « Giving to you » avec son Hammond traité façon Lord dans le Deep Purple de la grande époque quelques années plus tard) …

La référence évidente de l’inspiration générale est Jimi Hendrix (la façon d’utiliser la guitare, la technique extra-terrestre en moins), comme toute la scène anglaise plus ou moins bluesy de l’époque, traumatisée par les prestations scotchantes du gaucher de Seattle, le son de Jimmy Miller risquant quant à lui de surprendre ceux qui ne le connaissent que par le cafouillis bordélique des Stones à venir. Certes, quelquefois ça sonne bizarre (pourquoi foutre au fond du mix sur certains titres la voix unique de Winwood), mais globalement c’est assez clair, bien en place, avec un gros travail sur la batterie (rappelons que Jimmy Miller sera à la batterie sur « You can’t always get what you want », ceci expliquant sans doute cela …).

Traffic n’aura jamais le succès escompté par Blackwell (qui ne laissera pas tomber Winwood pour autant, il le signera pour sa carrière solo dont les débuts fin 70’s seront très lucratifs aux States), et entamera dès ce disque inaugural un parcours en dents de scie entre brouilles, splits, réconciliations, reformations, changements de line-up, d’où réussiront quand même à surnager quelques perles méconnues ou oubliées (« John Barleycon must die ») …


THE KINKS - SOMETHING ELSE BY THE KINKS (1967)

 

Something about England ...

Que les choses soient claires : les Kinks sont le groupe le plus sous-estimé des 60’s (avis comme de bien entendu ferme, définitif et incontestable). Ils ont commencé comme tous ceux de la même génération (Beatles, Stones, Who and so on …), en truffant leurs albums de reprises, plus des originaux ressemblant à des reprises… Puis petit à petit les compositions originales ont pris le dessus. On prête aux Kinks l’invention du hard-rock (accidentelle, une histoire d’ampli lacéré au rasoir par Dave Davies, qui a donné ce son de guitare sauvage et inouï) avec « You really got me » en 1964. Très vite le talent d’auteur et de compositeur de l’autre Davies du groupe, le frère aîné Ray, s’imposera, et après avoir surfé sur la vague et dupliqué « You really got me », l’écriture des Kinks basculera dans une autre dimension à partir du disque « Face to face » en 1966 avec des masterpieces (« Dandy », « Most exclusive residence for sale », « Sunny afternoon ») et quelques singles fabuleux parus dans la foulée (« I’m not like everybody else », « Dead End Street »). « Face to face » inaugure le quartet de disques indispensables qui vont se succéder (« Something else … », « Village green », « Arthur »), faisant de Ray Davies l’auteur d’un répertoire fabuleux (rappelons que les Stones étaient deux à écrire, les Beatles deux et demi avec Harrison, et que Townsend s’est quand même quelquefois fourvoyé dans la grandiloquence, avec l’essentiel de « Tommy » mais pas seulement …).


Et durant cette période « pop » des Kinks, seul un Brian Wilson de l’autre côté de l’Atlantique réalisait aussi des prodiges. Le plus gros malheur des Kinks fut certainement d’être sur Pye, gros petit label mais sans toutefois avoir les moyens des majors pour booster la carrière de ses artistes. Les Kinks ont eu des singles à succès, mais leurs albums se sont toujours piètrement vendus. Et pourtant …

Les disques des Kinks sont dans l’air du temps au niveau sonore (pop, psyché, arrangements classiques, baroques, cuivres, chœurs, ou instruments jusque là délaissés dans le rock …). A la console, ils bénéficient de Shel Talmy (producteur des Who entre autres) avec Ray Davies toujours pas très loin de lui. Lequel Ray Davies est un équilibriste de l’écriture. Dans l’air du temps et en même temps très personnel …

Alors en 67  les Kinks portent des chemises à pois ou à jabots, du velours, des vestes à brandebourgs, … comme tout musicien branché londonien qui se respecte. Mais alors que la concurrence a la tête dans les étoiles, les buvards, la route de Katmandou, et toute cette sorte de choses, les Kinks sont profondément et viscéralement Anglais avant tout le reste … et pas des beuglards nationalistes bas du front, juste des types attachés à un territoire, sa culture, son Histoire, son patrimoine … pas étonnant qu’ils se soient vautrés dans la conquête de l’Amérique dans cette décennie-là, on imagine mal le répertoire kinksien de la fin des 60’s dans les arenas des grandes métropoles et encore moins dans les salles du Midwest ou les bars du Texas …


« Something else … » n’est pas parfait … difficile de faire des disques parfaits en 67, quand tout le monde goûte sans modération à tout un tas de plaisirs et de substances jusque-là inconnus ou défendus. Il y a toujours une ou plusieurs couillonnades dans les totems de l’époque que leurs auteurs s’appellent Beatles, Stones, Who, Hendrix, Doors, Jefferson Airplaine, Beach Boys, Love, Byrds, … et les Kinks n’échappent pas à la règle (le seul à y échapper est Dylan, parce qu’il ne fait pas comme tous les autres, il fait du Dylan). Sur « Something else … » on peut zapper « No return » (dérive vers des rivages bossa nova ?) et « Funny page » (bâclé et sans intérêt). Le reste on peut le garder, et plutôt deux fois qu’une …

Avec par ordre d’apparition « David Watts », une mélodie instantanément mémorisable, qui avait un gros riff de guitare hardos aurait pu être un hymne pour stades genre « Smoke on the water », « We will rock you », « Seven nation army ». Si elle n’inspirera pas les candidats hooligans, elle fera le bonheur de Paul Weller qui en donnera une version hommage énergique et un des incontournables des Jam sur « All mod cons », leur troisième disque.


Second titre de « Something else … » une étrangeté comme le music business en tolérait dans ces années 60 un peu folles. En effet, le titre est signé du seul Dave Davies, chanté par lui, sorti en single sous son nom. Les trois autres Kinks se sont contentés de jouer dessus en studio. Ce titre, (« Death of a clown »), avec son intro à la « Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane », allez fissa réviser la bio de Brian Jones, et si vous savez pas qui est Brian Jones, oh putain, qu’est-ce que vous foutez sur ce blog ?). En tout cas, « Death of a clown » sera à cette époque-là le plus gros succès commercial de toutes les choses plus ou moins estampillées Kinks, ce qui ne contribuera pas à arranger les relations compliquées (un peu à la Gallagher Brothers) des frères Davies. A noter que dans les bonus de la réédition Castle Music de « Something else … », on a droit aux deux titres (« Lincoln County » / « There’s no life without love ») d’un autre single (sans le moindre succès) publié par Ray Davies, et qui vaut une blinde en vinyle sur les sites spécialisés …

Ray Davies

Bon, je vais pas faire l’article titre par titre, sachez qu’à part les deux évoqués plus haut, le reste est excellent, avec mention particulière à des bluettes comme « Harry Rag », « Tin soldier man », « End of the season », qu’on retrouve souvent sur des compiles des Kinks, et qui traduisent le début de l’évolution de l’écriture de Ray Davies, vers ce qui sera appelé de l’autre côté de la Manche du « vaudeville » (rien à voir avec la signification française du mot) … Une évolution des Kinks au niveau sonore similaire à celle des Beatles (« Sgt Peppers … » et « Something else … » sont parus à un mois d’intervalle, fanfares, arrangements à base d’orchestrations classiques, travail sur les chœurs (chez les Kinks, c’est la femme de Ray Davies, Raisa, qui vient souvent susurrer derrière le groupe). Là où Davies se distingue c’est par ses textes et ses thèmes. C’est un observateur plutôt caustique de la société anglaise (mais le « petit peuple » dont il est issu garde toujours son affection), et un adepte de la théorie du « c’était mieux avant », la nostalgie d’époques révolues …

Ce qui nous amène à « Waterloo Sunset », titre de clôture du disque, description nostalgique et attachante d’un coucher de soleil sur la station de métro de Waterloo Station, avec son couple d’amoureux qui se balade … plus londonien que ça, tu peux pas. Ce qui n’empêche pas ce titre d’être fabuleux et universel, et considéré par beaucoup (dont moi) comme le meilleur des Kinks …

Conclusion : « Something else by the Kinks », c’est peut-être pas encore leur meilleur, mais à tout le moins une pierre angulaire de leur discographie …


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Think Visual


BIJOU - OK CAROLE (1978)

 

Nostalgia …

Les Bijou furent en 76 et 77 à l’affiche de l’improbable European Punk Rock Festival de Mont-de-Marsan, initié par Marc Zermati (mort l’année dernière) et son label Skydog. Seuls les Anglais Sean Tyla et Eddie & the Hot Rods furent également des deux éditions … oui, le festival de Mont-de-Marsan, s’il fut le premier festival punk au monde, était quand même beaucoup plus orienté pub-rock (surtout la première année) que punk …


Et Bijou ? Très peu punks et pas plus pub-rockeurs. Ils venaient d’ailleurs. Géographiquement de la banlieue parisienne (Juvisy) et musicalement de déjà vieilleries pour l’époque. Des machins 50’s et 60’s. Mais ils jouaient ces trucs vieillots avec une énergie qui faisait la farce, et les faisait respecter par toute la scène musicale française contemporaine.

Bijou était le groupe de cette époque-là qui allait devenir énorme, tout le monde en était certain. Ils sont pas passés loin (quoique, ils ont vendu que des clopinettes de leurs disques), et ce sont Téléphone (surtout) et Trust (un peu moins) qui allaient rafler la mise et rallier les suffrages populaires fin 70’s – début 80’s.

Les Bijou sont un trio … de quatre personnes. Trois sur scène (Yann Dynamite à la batterie, Philippe Dauga chant et basse, Vincent Palmer chœurs et guitare), plus leur parolier et mentor Jean-William Thoury. Les lecteurs de Rock & Folk depuis …euh longtemps auront remarqué que Palmer et Thoury ont fait (font encore ?) partie de la rédaction, causant de vieilleries qui le temps passant deviennent de plus en plus vieilles. Et puisqu’on en est à causer Rock & Folk, les jambes sur la pochette de cet « OK Carole » sont celles de Brenda Jackson, elle aussi pigiste, mais chez leurs concurrents de Best dans les années 70.

« OK Carole » est le second disque de Bijou après le sympathique « Danse avec moi » (grâce notamment à ses deux quasi-classiques « Marie-France » et la reprise de « La fille du Père Noel »). « OK Carole » est plus homogène, ce qui selon le côté par lequel on aborde la chose, peut être un atout ou un handicap. Ici, la barre est carrément mise sur le vintage et la nostalgie.


Vintage parce que tout sonne « comme avant », c’est-à-dire en gros la première moitié des années soixante. Musicalement, c’est très anglais (les influences mod, premiers Who, Small Faces, …), et les paroles très français (les textes naïfs des Chats Sauvages, de Danny Boy, ce genre …).

Nostalgie parce que forcément rien ne rattache Bijou à son époque (allez si, le court « Pic à glace » peut évoquer le punk’n’roll des Ramones, exception qui confirme la règle). Palmer, maître musicien de la bande, fronce les sourcils dès qu’il est question d’un disque paru après 1966, et tout chez le Bijou de 1978 renvoie à des temps antédiluviens, la période yé-yé française (« Décide-toi (Twist) », rien que le titre, « Ton numéro de téléphone »), d’autres sont clairement sous influence période mod anglaise circa 63-65 (« Je te tuerai », « Non pas pour moi »). Le reste est à l’avenant, petits rocks concis et énergiques, paroles désuètes (l’esprit yé-yé, encore et toujours, l’ambiance du film « American graffiti »). De ce point de vue-là, un des descendant évidents de Bijou est Didier Wampas et son groupe du même nom …


Mais « OK Carole » restera surtout dans la petite (ou la grande, d’ailleurs) histoire du rock de par ici. A cause de Gainsbourg. Le Serge, plus ou moins retiré des affaires et surtout de la scène, autorisera la reprise par Bijou d’un de ses vieux titres oubliés « Les papillons noirs » (à l’origine un duo en 1967 avec Michèle Arnaud). Gainsbourg la chantera sur le disque (mixé très en arrière, c’est Dauga qui est à la voix lead), puis ne manquera pas une occasion d’aller voir ces jeunots de Bijou de scène, où il finira toujours par les rejoindre pour chanter avec eux « Les papillons noirs ». Devant l’accueil enthousiaste qui lui est réservé par le public (plutôt jeune) de Bijou, Gainsbourg se laissera tenter par l’idée de se produire à nouveau live, chose qu’il n’avait pas faite depuis des années. Ce sera la tournée restée dans les annales pour l’émoi réactionnaire qu’elle avait soulevé (à cause de sa version reggae de « La Marseillaise »), la renaissance populaire de Gainsbourg, et la naissance (plus souvent pour le pire que le meilleur) de son double Gainsbarre.

« Les papillons noirs » est le titre atypique qui sert de locomotive à « OK Carole », très largement au-dessus du lot. Dans un registre plus propre à Bijou, il convient de citer le morceau-titre, petit rock et nerveux sans fioritures (13 titres en demi-heure, des fioritures y’en a pas de toutes façons), « Sidonie » (du Wampas avant l’heure).

Difficile cependant de ne pas se gratter la tête à l’écoute de titres qu’on qualifiera d’erreurs de jeunesse (à force de rechercher la naïveté originelle du rock, faut éviter l’écueil de l’infantilisme), la palme revenant au (heureusement très court) morceau a capella « L’amitié » (peut-être une pochade de studio, chantée faux et aux paroles simplettes).

Enfin, pour l’anecdote, en plus de s’être fait piquer la popularité par Téléphone, les Bijou se sont aussi fait piquer un nom de morceau par la bande à Aubert (« J’avais un ami », les deux titres n’ont rien à voir, celui de Téléphone est le meilleur).

Inutile de préciser qu’aujourd’hui, sous le règne du streaming et des Maître (?) Gims de tout poil, ce petit disque sympa mais pas essentiel de Bijou, est, comme le reste de sa production, plutôt difficile à trouver …


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Danse Avec Moi