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JACQUES TATI - MON ONCLE (1958)

 

Guerre des mondes ?

Une anecdote révélatrice : quand la version en anglais de « Mon oncle » (tiens, si j’y pense, on en causera de cette version) obtint en 1959 l’Oscar du meilleur film étranger, les membres du jury américain demandèrent à Jacques Tati quelle était la personnalité qu’il souhaitait inviter à la réception donnée en son honneur. Réponse : Buster Keaton. Et le Buster, bien que vieillissant se pointa à la sauterie …

Normal, il y a du Buster Keaton chez Tati : Hulot est impassible en toute circonstance, et peu bavard, pour ne pas dire muet. Le comique de Tati est toujours de situation, visuel. Bon, de toute façon, Tati pouvait pas inviter Méliès, mort depuis vingt ans. Même si la poésie loufoque de Tati doit beaucoup au Georges …

La villa Arpel

« Mon oncle » est un peu l’articulation de la carrière cinématographique de Tati. Après avoir visité la France d’en bas comme ils disent maintenant à travers le regard de son alter ego facteur puis Monsieur Hulot (« Jour de fête », « Les vacances de Monsieur Hulot ») et avant de s’attaquer au futur crispant (« Trafic », « Playtime »), Tati expose avec « Mon oncle » la confrontation – cohabitation forcée de la tradition et de la modernité. Le contraste est saisissant entre la ruralité banlieusarde de Saint-Maur et la villa futuriste des Arpel. On passe d’un monde à l’autre par une sorte de friche industrielle, genre pochette du « Led Zeppelin IV ». D’un côté les « petites gens » et leur univers suranné et gentiment bordélique, de l’autre les gros bourgeois, leur monde aseptisé et balisé aussi bien physiquement que mentalement.

La place du marché de Saint-Maur est la vraie … à une exception près, la « maison » et ses dédales d’escaliers ubuesques où vit Hulot (création du chef décorateur Henri Schmitt, et "réinventée" dans la première scène de "The French Dispatch" de Wes Anderson) qui masque la vraie église sur laquelle le décor est appuyé. L’usine est aussi en banlieue parisienne (Créteil), quant à la maison des Arpel elle a été pensé et dessinée par Tati et construite dans les studios de la Victorine à Nice. Il doit y avoir des encyclopédies consacrées à cette « Villa Arpel ». En tout cas, cinquante ans après les faits, des architectes, sociologues, designers, … en gros toute cette engeance furieusement branchouille théorise et dissèque encore sur les emprunts, inventions, incohérences, etc … de cette baraque. Les bonus des Dvd en sont pleins, et on voit même des gars qui ont construit les vrais décors ou « meubles » que l’on voit dans le film et qui sont pas peu fiers de leurs réalisations. Tout ça pour dire que ce décor qui traduit en fait la suffisance, le mauvais goût et la bling-bling attitude des bourgeois (les CSP++ d’aujourd’hui) de la fin des années cinquante a suffisamment marqué les spectateurs du film et n’a rien perdu de son surréalisme comique des décennies plus tard …

La maison de M Hulot

La villa Arpel est habitée par – forcément – monsieur et Madame Arpel et leur petit garçon. Lui est directeur d’une usine qui fabrique des tuyaux en plastique, elle est femme au foyer tendance « Maldon » de Zouk Machine, nettoyer, balayer, astiquer (vous voyez que j’ai des lettres, limite doctorat es tubes pourris des années 80). Le tout caricaturé au maximum. Le seul être à peu près normal de la baraque est leur minot Gérard, qui a surtout envie de jouer avec ses potes péquenots, qui adore son oncle Monsieur Hulot, et qui se fout du milieu et des contraintes bourgeoises que lui imposent ses parents. Evidemment, et comme souvent chez Tati, l’essentiel du casting est constitué de parfaits inconnus (Jean-Pierre Zola ?, Adrienne Servantie ?, et une ribambelle de quinzièmes rôles habitués aux apparitions le plus souvent muettes dans les films de l’époque) couplés parfois à de parfaits débutants (la stupéfiante voisine, son physique rachitique et anguleux, ses tenues et mimiques extravagantes, on n’est même pas sûr que le Dominique Marie qui apparaît au générique soit son vrai nom, tant elle a disparu de tous les radars).

Mais que raconte donc « Mon oncle » ? Euh, quasiment rien. Même ce qui est annoncé par les rares dialogues (Hulot à l’usine, la réception pour lui trouver compagne (la voisine des Arpel), Hulot part pour la province, …) tout ça n’est que prétexte à mises en scènes drolatiques. Et là Hulot se taille la part du lion, même si en fait toutes les scènes et tout le casting (et même au-delà, voir l’usage récurrent qui est fait du poisson-jet d’eau dans la villa, où l’usage du mobilier et des accessoires, notamment dans la cuisine de la même villa) sont traités avec humour, distanciation et second degré … ce qui entre autres m’enchante, c’est la démarche de la secrétaire de l’usine, toute en trotte-menu rigide (le rythme est donné par une balle de ping-pong, c’est elle qu’on entend et pas le bruit de ses talons).


Hulot a un look, qui ne change jamais. Galure, long imperméable, pantalon trop court sur chaussettes rayées, la pipe au coin du bec et le Solex pour se déplacer … hors du temps et des modes. Hulot est un timide maladroit et complexé (voir sa gêne devant la fille de la concierge qui grandit et devient mutine et coquette) qui dans son inamovible désir de se faire le plus discret possible, réussit par sa maladresse à devenir le centre de l’attention. Et Hulot-Tati est très fort. A peu près tout est prévisible (la carafe qui rebondit et le verre qui se casse) et pourtant ça fonctionne magnifiquement. Son passage à l’usine de son beau-frère, même s’il doit quand même beaucoup au « Modern times » de Chaplin, on sait bien que lui confier même momentanément la gestion de la machine qui fabrique les tuyaux va mal se passer. Et évidemment, le tuyau se transforme en chipolata …

Et il faut être sacrément sûr de soi (parce que c’est pas évident d’être acteur et réalisateur) pour donner dans le running gag (le plus fameux, c’est le balayeur qui ne balaye jamais de tout le film, Mme Arpel toujours en train d’épousseter, mais on pourrait aussi évoquer le reflet du soleil dans la vitre qui fait chanter le serin, les déplacements dans la villa en suivant les dalles sur la pelouse, …).

Tout chez Tati est prétexte à comique (les « petites gens » du marché comme les bourges du beau quartier), les rencontres ou confrontations entre les deux montrent bien que ces mondes qui se côtoient ne se comprennent pas … Le petit reproche que j’émets, c’est que comme dans tous les films où tout est prétexte à gag, le scénario et l’histoire passent au second plan, voire sont abandonnés en cours de route ;

On ne peut pas parler de « Mon oncle » sans évoquer la partie sonore et musicale. Les dialogues donnent l’impression d’être captés depuis le fond d’une piscine, des bribes sont compréhensibles, le reste est inaudible, renforçant l’aspect totalement out of time du film. Le thème musical (une valse à flonflons renforcée par un accordéon que n’aurait pas reniée Nino Rota) est lancinant et répétitif juste ce qu’il faut.


J’en ai causé au début (ce qui prouve qu’il m’arrive de me relire), « Mon oncle » gagnera l’Oscar du meilleur film étranger dans sa version anglaise. Et même si les deux versions sont quasiment identiques (il faudrait faire de l’image par image pour voir les différences), il s’agit bien de deux films différents. La version anglaise a été tournée en anglais pour la partie des dialogues qui devaient être audibles, le reste est en français. Et comme les acteurs ne maîtrisaient pas vraiment la langue de John Wayne, les dialogues originaux en anglais ont été ensuite doublés. Hasard ou pas pour que le film fasse une carrière internationale, toutes les voitures utilisées sont des grosses voitures américaines (on se croirait chez Melville ou Godard de ce côté-là).

Aujourd’hui, les films de Tati sont disponibles dans des versions superbes. Grâce surtout au couple Jérôme Deschamps – Macha Makeieff, fans ultimes de Tati, qui ont remué ciel et terre pour effectuer des restaurations mirifiques sur du matériel d’origine qui commençait à subir des ans l’irréparable outrage …

Je laisse le mot de la fin à Hervé Bazin qui dans sa critique du film dans les Cahiers du Cinéma posait au final la question suivante : « Mon oncle » est-il un film réactionnaire ? Vous avez deux heures et interdiction de fumer …


SAMUEL FULLER - LE PORT DE LA DROGUE (1953)

 

France, pays des libertés ...

Commençons d’abord par ce qui souvent n’est décrit que comme une anecdote concernant ce film … En version originale, il s’appelle « Pickup on South Street », ce qui, de quelque façon qu’on l’envisage, est pour le moins assez éloigné niveau traduction du titre français. L’intrigue tourne autour du vol d’un microfilm contenant des secrets (lesquels, on ne sait pas et on s’en fout un peu) qu’une cellule de communistes américains veut transmettre aux Russes … en France, comme le Parti Communiste fait un paquet de voix aux élections et afin de ne pas fâcher ses sympathisants, d’aimables pressions ont été faites sur la Twentieth Century Fox pour que le film soit présentable. Solution : garder exactement les mêmes images et le même minutage, supprimer la version en anglais, et la remplacer par une version française dans laquelle tout ce qui faisait allusion au communisme sera remplacé par des allusions à la drogue … Je sais pas ce que Fulller a pensé de tout ça. Peut-être qu’on lui a pas demandé son avis ou qu’on a jugé en haut qu’il avait rien à dire … Parce que quand il tourne « Le Port … », Fuller est une recrue de la Twentieth qui ne remplit guère les coffres de la compagnie.

Samuel Fuller

Fuller, c’est d’abord une grande gueule. Journaliste et reporter de guerre, il a même servi dans la 1ère Division d’Infanterie, la fameuse Big Red One qui sera plus tard le sujet et le titre de son film le plus populaire. Dans un début des années cinquante qui voit les Etats-Unis se méfier de plus en plus de l’ancien allié Russe, Fuller fait figure par ses prises de position d’anticommuniste que pour faire simple on qualifiera de primaire… en fait, ce serait plutôt un anar de droite réactionnaire, rien à foutre de rien et mort aux Rouges. Finalement pas très éloigné de Godard qui en fera un acteur dans son propre rôle au début de « Pierrot le Fou » …

Là, pour le moment, quand il envisage le tournage de « Pickup … », il a tout à prouver à Hollywood. Bizarrement, ce film au scénario un peu bas du front, est très réussi. Jouant sur des genres voisins (polar, film noir, espionnage), il est sauvé par un rythme d’enfer (tout est dit en 77 minutes), des performances d’acteurs de haut vol, et quelques scènes marquantes …

D’entrée la caméra se fixe dans un métro archibondé sur une belle brune Candy (Jean Peters) en gros plan. Deux autres types ne la quittent pas des yeux. Un troisième survient, s’approche de Candy, se colle à elle et commence à déplier son journal. Tout le monde a l’air tendu, l’atmosphère est oppressante et étouffante dans la rame, la sueur perle sur les tempes de la fille. Et puis la caméra nous montre en gros plan les mains du liseur de journal. L’une des mains est libre, ouvre le sac à main de Candy, tâtonne à l’intérieur, et finit par se saisir du portefeuille. Le métro arrive à la station, la porte s’ouvre, le pickpocket disparaît, les deux gars qui surveillaient la fille échangent des regards, hésitent à le poursuivre, la rame repart.

Jean Peters & Richard Widmark

On apprend très vite que Candy est une « mule » (le terme n’existe pas à l’époque), son amant lui a confié des microfilms qu’elle doit remettre à une personne dans un hôtel, les deux gars qui la surveillaient sont des flics qui voulaient coincer le destinataire du microfilm, et le pickpocket, qui n’était au courant de rien, s’aperçoit rentré chez lui (une cabane sur pilotis au bord du fleuve) qu’il a mis la main sur quelque chose qui peut s’avérer rentable …

Dès lors, tout le monde va se mettre à chasser tout le monde, tout le monde va chercher à faire basculer quelqu’un dans son camp. Le scénario est d’une fluidité remarquable, ce qui est loin d’être toujours le cas pour ce genre de films. Candy retrouve assez vite son voleur, interprété par un superbe Richard Widmark, qui quitte ses seconds rôles dans les westerns pour trouver là le personnage de sa vie … frimeur, arrogant, grande gueule, il est le centre de toutes les attentions (c’est lui qui a le Précieux, comme on dit dans le Seigneur des Anneaux). Les trois ou quatre personnages de flics les plus présents sont des flics typiques du cinéma américain de l’époque (maniant alternativement bluff, coups de pression, chantage, arrangements douteux, et évidemment souvent en retard et blousés …). Le petit ami (au début, la situation s’envenimera ensuite entre eux) de Candy est aussi une petite frappe typique (pétage de plombs, torgnoles, coups tordus et flingue sorti plus souvent que de raison).

Ritter & Widmark

Le haut de l’affiche (en plus de Peters et Widmark) est tenu par l’excellente Thelma Ritter, spécialiste des seconds rôles (six nominations aux Oscars dans cette catégorie). C’est elle l’annuaire des quartiers mal famés de la ville, elle connaît tout sur tout le monde dans cette faune interlope. Son job dans cette sorte de Cour des Miracles, c’est de vendre des cravates et de monnayer des infos. Elle vit seule dans une chambre minable, et économise de l’argent pour atteindre le but de sa vie, se payer une concession dans une cimetière pour ne pas finir à la fosse commune … Son face-à-face avec les policiers alors que ceux-ci n’arrivent pas à identifier le pickpocket et ont recours à ses « services » est une merveille d’enquête sommaire (était-il blond, brun, droitier, gaucher, comment tenait-il le journal, était-il très près de sa victime, …) et efficace. L’autre face-à-face de Thelma Ritter avec le petit ami de Candy est au cœur du film, lorsqu’elle comprend que quoi qu’elle dise (ou ne dise pas) elle a toutes les chances de se faire descendre. Un quasi monologue avec un antique blues qui passe sur un électrophone, le retour du bras à la fin du morceau est synchro avec le coup de feu qui lui est destiné …

La bicoque de Widmark ...

L’intrigue évolue sur le même tempo que la relation Peters – Widmark (je t’aime moi non plus, j’essaie de t’arnaquer, je ne t’aime plus, je suis amoureux, …), deux marginaux (on apprend qu’elle a eu fait le trottoir), prêts à tout au début pour de l’argent, puis après pour sauver l’être aimé.

Fuller met aussi au centre des retournements de situation le drapeau (rouge, forcément rouge) que constitue l’anticommunisme. Point remarquable du film, le traitement réservé aux femmes : menacées, tabassées (la première rencontre de Peters et Widmark après la subtilisation du microfilm est plutôt musclée, il l’aligne pour le compte d’une bonne droite), Ritter et Peters finiront révolvérisées. Même si à l’époque dans ce genre de film les femmes n’ont pas le beau rôle, victimes du machisme ambient (dans les scénarii et la vraie vie), dans « Le port de l’angoisse », elles dérouillent salement …Fuller n’est pas exactement un tendre romantique derrière la caméra …

Ce film, passé quasiment inaperçu lors de sa sortie, a depuis été réévalué. Il est maintenant reconnu comme un petit classique du film noir, et c’est mérité …


A noter une excellente édition Dvd (série Hollywood Llassics) qui donne les deux versions du film, l’originale sous-titrée et la piteuse version française …


VINCENTE MINNELLI - GIGI (1958)


Tragédie musicale ?

Dans l’industrie du divertissement américaine, le nom de Minnelli est un de ceux qui comptent. Le Vincente Minnelli donc, réalisateur multi-oscarisé, ancêtre de toute une lignée d’Italo-américains versés dans le septième art (les Scorsese, De Palma, Cimino, Coppola, …), mais aussi père de la Liza du même nom, reine des cabarets et revues de Broadway, et mari de l’alcoolo dépressive, l’ex-enfant star Judy Garland.

Vincente Minnelli, c’est une filmographie assez conséquente, placée pour la majorité de ses œuvres les plus connues sous le sceau de la comédie musicale (« Le chant du Missouri », « Tous en scène », et son meilleur, « Un Américain à Paris »). Plus quelques films plutôt noirs, dont les excellents « Les ensorcelés » et « Comme un torrent ».

Vincente Minnelli

« Gigi » est une comédie musicale et son plus gros succès (huit statuettes, dont meilleur film et meilleur réalisateur), et comme d’autres films avant lui (dont une « version française » une dizaine d’années plus tôt), inspirée d’un bouquin de Colette. Le film de Minnelli respecte globalement les grandes lignes du livre, tout en y rajoutant quelques touches personnelles, la plus notable étant l’ajout d’un personnage, vieux bourgeois grivois, et oncle du principal protagoniste masculin.

Colette a situé l’action de « Gigi » à Paris vers 1900, au milieu d’une faune de riches et de « demi-mondaines » (gentille expression d’époque pour désigner des femmes dont l’outil de travail était situé un peu au-dessous du nombril) annonciatrice de la Belle-Epoque. Minnelli a donc fait un film parisien tourné à Paris. Un Paris qu’il connaissait peut-être, mais qu’il rend totalement fantasmatique, vision grotesque de carte postale, de la ville de La Tour Eiffel, la ville des allées du Bois de Boulogne (alors lieu de promenade et d’exposition de la haute bourgeoisie), la ville des soirées chez Maxim’s, la ville des amours romantiques…


Là où ça se complique, c’est que Minnelli a décidé d’en faire une comédie musicale et confié les trois rôles principaux à des Français. Deux plus ou moins expatriés, Louis Jourdan et Leslie Caron (c’est elle qui serait l’instigatrice principale du projet qui a fini en film), plus l’inénarrable Maurice Chevalier. Tous les trois jouent comme des savates, en faisant des brouettes. Même si ce jeu outré est un peu récurrent avec les comédies musicales, là c’est vraiment too much. D’autant plus que la Caron et le Jourdan sont à la ramasse sur leurs parties chantées, heureusement peu nombreuses. Minnelli aussi est en roue libre. Certes il sait tenir une caméra, le cadrage est précis, le montage fluide, les costumes censés être d’époque sophistiqués, malgré un traitement des couleurs bien pétaradant … Ce qui ne masque pas la vacuité simplette de l’histoire (il me semble que le bouquin lu il y a des décennies est moins neuneu). Tout ça fait un peu « Un Américain à Paris » bis.

Minnelli a toujours eu le chic pour surexposer des ringards improbables. Dans « Un Américain … » c’était Georges Guétary dans un second rôle (et la première apparition de Leslie Caron qui allait en faire une vedette grâce au succès du film). Ici, on peut s’interroger sur la pertinence du choix Louis Jourdan, totalement inexpressif et transparent. Plus encore sur celui de Leslie Caron qui à 27 ans joue une gamine (15 ans dans le bouquin, 17 dans le film). Certes elle est toute petite, mais elle se force à minauder et à grimacer au-delà du raisonnable. Le pompon est attribué à Maurice Chevalier. Rarement vu dans un film un rôle principal aussi mauvais, figure cireuse rigide (à force de maquillage), perpétuel sourire benêt toutes dents blanches (refaites) en avant, … si on voulait être méchant (pas mon genre, hein, vous le savez), on dirait que pousser la chansonnette pour les officiers nazis pendant l’Occupation n’en a pas fait un grand acteur …


La première scène résume tout ce qu’il y a de mauvais dans ce film. Alors que des équipages de calèches luxueuses traversent au second plan les allées du Bois de Boulogne, Maurice Chevalier dont le personnage se définit comme un libertin forcené, reluque des fillettes qui jouent au cerceau (dont Leslie Caron, grotesque de puérilité) en entonnant une des chansons à succès du film « Thanks heaven for little girls ». Dont les paroles sont encore pires que ce que laisse présager le titre, ça donne en français des choses à haute allusion pédophile comme « c’est une veine qu’il y ait des fillettes ». A l’heure où pour beaucoup moins que ça, certains ont généré contre eux des hashtags incendiaires associés à des campagnes d’opprobre et de destruction massives pour de très vieilles histoires, il est étonnant que ce film n’ait pas été montré du doigt …

Remarquez, qui peut bien se fader des niaiseries pareilles ?


INGMAR BERGMAN - LES FRAISES SAUVAGES (1957)

 

Une journée particulière ...

… dans la vie d’Isak Borg, riche médecin qui doit aller fêter son jubilée (50 ans de diplôme) à la fac de médecine où il a étudié. Et dans cette journée, c’est toute la vie d’Isak Borg qui va défiler …

« Les fraises sauvages » est un tour de force scénaristique (Bergman sera d’ailleurs nommé pour l’Oscar du scénario en 1960, soit deux ans et demi après la sortie du film en Suède), et aussi un grand numéro d’acteurs.

Bon, soyons clair. Bergman, c’est déjà alors que les années cinquante tirent à leur fin (et ça l’est toujours encore, personne ne l’a supplanté ou remplacé) la superstar du cinéma « nordique » (plus que l’austère et « difficile » Dreyer, seul concurrent valable), qui vient d’enchaîner deux merveilles, la comédie « Sourires d’une nuit d’été » et « Le septième sceau », un des plus grands films de tous les temps.

Bergman, Andersson & Sjöström aux fraises ...

« Les fraises sauvages » n’atteint même pas l’heure et demie, et sous son apparente simplicité, c’est un film qui en plus de sa propre histoire, développe toutes les thématiques récurrentes de l’œuvre de Bergman (les études de caractère fouillées, les relations familiales, l’amour et la mort). Avec toujours de sublimes actrices blondes, ici Ingrid Thulin et Bibi Andersson (employées de façon moins perverse que chez Hitchcock). Et un hommage de Bergman à une de ses références, Victor Sjöström. Mais qui est Sjöström, se demande le fan de Gad Elmaleh ? Ben, Sjöström, c’est le premier à avoir placé la Suède sur la carte du cinéma international avec une des masterpieces du cinéma d’épouvante, « La charrette fantôme », il y a pile cent ans.

En choisissant ce metteur en scène retiré du circuit comme acteur principal, Bergman inaugure (peut-être, il me vient pas d’autres exemples antérieurs) une idée qui sera maintes fois reprises par d’autres cadors de la caméra. Au hasard, Spielberg avec Truffaut pour « Rencontres du troisième type », Godard avec « Fritz Lang pour « Le mépris », Polanski avec John Huston pour « Chinatown » …

Isak Borg /Sjöström est le cœur du film. Il est assis à son bureau et se présente en voix off avant le générique. Il a 78 ans, est médecin, veuf, très riche, égoïste et misanthrope et doit se rendre dans la journée à Lund (assez loin de là où il habite, peut-être Stockholm, mais c’est pas précisé) pour être honoré dans son ancienne fac. Après le générique, Borg nous fait revivre un rêve qu’il a fait dans la nuit, où il arpente une ville déserte, rencontre un homme sans visage, regarde l’heure à une horloge sans aiguilles, voit passer un corbillard qui perd une roue, le cercueil tombe et s’ouvre, une main en sort saisit celle de Borg, et le force à se pencher vers l’intérieur où le cadavre, ben c’est lui. La scène du corbillard est très certainement un hommage à « La charrette fantôme » de Sjöström, les autres éléments trouveront leur signification plus loin dans le film.

On s’aperçoit que la seule personne qui relie Borg à la société, voire à l’humanité, c’est sa vieille gouvernante à laquelle il annonce au réveil que son voyage à Lund, il va finalement le faire en voiture, ce qui n’était pas prévu. Sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) qui vit chez lui depuis quelque temps (on saura là aussi pourquoi vers la fin) se décide à l’accompagner.

Thulin & Sjöström

Dès lors, l’essentiel du film va se passer en voiture, et dans les lieux où ils vont s’arrêter durant leur voyage. Le premier arrêt à lieu dans l’ancienne maison de campagne familiale, inhabitée depuis longtemps. Il faut pour y accéder traverser des sous-bois, où Borg adolescent venait cueillir des fraises sauvages. Et ces fraisiers sauvages vont agir sur lui telle la madeleine de Proust. Ressurgissent alors les repas de famille (nombreuse, Borg était l’aîné de dix enfants, lui seul est encore en vie), et la cour qu’il faisait à Sara (Bibi Anderson), qui lui préfèrera un de ses frères. Et dès lors s’enclenche tout le process du film. Chaque lieu, chaque rencontre, lui remémore un ou des épisodes de sa vie. S’il s’agit d’évocations, un jeune acteur joue son rôle. Lorsqu’il voudrait « réécrire » des événements, agir différemment avec le recul du temps, c’est Sjöström qui joue face à de jeunes acteurs.

Vont se succéder la rencontre de trois jeunes auto-stoppeurs, une fille (elle aussi prénommée Sara, elle aussi jouée par Bibi Anderson) et ses deux soupirants, un couple qui vient d’avoir un accident de voiture et qui passe son temps à s’engueuler, la (très) vieille mère de Borg, encore plus revêche que lui, chaque rencontre appelant des souvenirs passés de la vie de Borg. Le voyage sera aussi l’occasion de faire le point pendant le trajet avec sa belle-fille, et arrivés à Lund et après la cérémonie de son jubilée, de retrouver son fils, l’époux de Marianne, et sa vieille gouvernante qui a fait le déplacement (en train ?). En une journée, Borg aura fait face à son passé, les fantômes qui le hantent et sera prêt à affronter l’avenir, autrement dit vu son âge, la mort …

Sjöström & Andersson, jeux de miroirs et reflets d'existence

Même si une bonne moitié du film se passe en voiture, on est assez loin d’un road movie à la « Thelma et Louise ». Il n’en reste pas moins que raconter les éléments marquants de la vie d’un type en une heure et demie, avec un procédé narratif assez unique constitue une prouesse cinématographique. Sans que ça sonne comme un exercice de style plombant (ce que Bergman fera parfois dans sa carrière). Et sans que ça sonne sinistre. Il y a des scènes plutôt drôles (les deux sœurs jumelles qui pensent et parlent en parfaite stéréo), la mère de Borg qui en quelques minutes à l’écran définit un portrait de mégère insupportable comme on en a rarement vu (une Tatie Danielle puissance dix pour situer), ce couple d’échoués de la route qui finit par se donner des baffes (c’est la femme qui cogne), le trio de jeunes auto-stoppeurs, leur triangle amoureux et leurs disputes futiles … et là aussi, c’est la fille qui mène le jeu. Et on se retrouve donc, alors que le personnage central est un vieux con misogyne, avec un film qui tourne le plus souvent au manifeste féministe.

Bon, comme il s’agit de Bergman, inutile de s’étendre sur le fait que les images, les cadrages et le jeu des acteurs sont d’une précision diabolique.

Allez, un reproche pour finir. « Les fraises sauvages » est un film tellement dense, tellement original dans sa forme, qu’un seul visionnage ne suffit pas à en saisir toutes les subtilités.

Un des très bons du Maître suédois cependant.


THE PLATTERS - THE GOLD COLLECTION (1997)

 

Guimauve ou tartiflette ?

Les Platters, c’est « Only you », la putain de chanson de mariage, un des titres les plus connus, joués et repris du monde, avec ses trémolos à l’entame du refrain, sa voix de ténor et ses violons dégoulinants … Bon, aujourd’hui, les cinq Platters présents sur la version originale sont tous morts, mais des Platters continuent de tourner dans le circuit des oldies aux States pour des grabataires en smoking et des mémères à chien-chien.


Mieux, plusieurs formations vocales sont les Platters. Jamais vraiment un « groupe », plutôt un conglomérat de tessitures de voix assemblées par un manager, grâce à un subtil (?) montage juridique, quiconque a un jour fait partie des Platters peut, une fois qu’il a quitté le groupe « original », tourner avec des comparses sous le nom de Platters. Ainsi, il paraît qu’à la fin des 80’s, plus d’une demi-douzaine de formations des Platters tournaient en même temps, et il est arrivé qu’il y en ait deux à l’affiche le même soir dans la même ville …

Les Platters c’est une formule et une recette pressées jusqu’au trognon. Au départ (début des 50’s) groupe vocal issu des chorales d’église comme l’Amérique en comptait des multitudes, ils se professionnaliseront en rencontrant un manager (véreux, forcément véreux, il signera ou cosignera sans avoir écrit la moindre note ou le moindre mot un paquet de chansons du groupe), le dénommé Buck Ram. Après quelques ajustements d’effectif (des types sont virés, remplacés par d’autres, une chanteuse-choriste est rajoutée) et quelques galettes gravées dans l’indifférence générale, le jackpot arrive en 1955 avec « Only you », les Platters profitant alors de l’engouement pour le doo-wop naissant, même s’ils sont assez éloignés des standards de ce genre. Ils en laisseront de côté l’aspect festif et joyeux, se contentant de livrer une palette sonore irréprochable aseptisée … et blanchie. Il est saisissant de constater que quasi toutes les photos sont trop éclairées, et donc les reflets de la lumière sur leurs visages en blanchissent fortement le teint … on parle d’une époque où la ségrégation vivait des jours heureux. Bien évidemment, les chansons ne véhiculeront rien qui puisse faire ciller qui que ce soit, no sex, no drugs (même si leur premier chanteur lead s’est fait virer pour consommation de marie-jeanne), et no rock’n’roll …

Même si, pas cons, ils se raccrocheront à tous les courants musicaux noirs qui fleurissent à l’époque. Les Platters seront gentiment rhythm’n’blues (« Ridin’ on the mainline » avec ses effluves rythmiques louisianaises), tâteront à leur façon de la soul (« Put your hand in the hand » chanté lead par la femme) et inventeront quasiment (involontairement ?) le rythme Tamla Motown (« Headin’ time » en 1956, soit trois ans avant les débuts du label de Berry Gordy). L’âge d’or du groupe durera en gros une poignée d’années (la seconde moitié des années 50) et les verra truster le haut des charts avec les follow-ups de « Only you » (« The great pretender », leur plus gros succès aux States, « Smoke gets in your eyes » pour moi leur meilleur titre), avant de descendre lentement mais sûrement du haut des charts.


Leur style (une irréprochable voix de ténor, celle de Tony Williams, des chœurs discrets et sirupeux) sera copié durant des décennies par des formations chorales noires, mais aucune n’obtiendra leur succès. Leur répertoire (chansons crées ou reprises obscures popularisées pour la première fois) sera repris maintes fois. Deux de leurs titres finiront plus tard en haut des hit-parades, « Crying in the chapel » par Elvis himself et « The great pretender » par Freddy Mercury.

Les Platters ont été (et sont toujours) de dociles exécutants, les montagnes de dollars qu’ils ont générées n’ont bien évidemment pas toutes finies dans leurs poches. Témoin cette compilation au packaging minimaliste (le « livret » est une feuille cartonnée recto-verso), parue sur un label douteux (Fine Tune, « spécialisé » dans les fonds de catalogue et « gold collections » de vieilleries). Il n’est même pas sûr que les versions présentes soient les versions originales, leurs succès ayant été réenregistrés plusieurs fois par les différentes formations des Platters …

C’est très bien les Platters … pour un faire un gentil cadeau à vos grands-parents … quel que soit votre âge …




ALFRED HITCHCOCK - L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP (1956)

 

Sauvé par le gong ?

Ou plus exactement par les cymbales (celles du London Symphony Orchestra), lors d’une scène à l’interminable tension … et comme (trop ?) souvent, je vais aller à contre-courant des affirmations données comme définitives.

L’on vous dira que « L’homme qui en savait trop » est un des classiques absolus d’Hitchcock. Parce qu’il est à peu près pile au milieu de sa décennie fabuleuse (les années 50), et que c’est sa énième collaboration avec cet immense acteur qu’est James Stewart. Jusque-là, rien à dire … c’est une fois « The End » écrit sur l’écran qu’on peut tirer le bilan de ce que l’on vu, entendu et ressenti pendant près de deux heures.

Moi, « L’homme qui en savait trop » me laisse une impression mitigée. Celle d’être un peu en roue libre. « L’homme … » n’est pas une création originale, c’est un remake d’un film du même nom que Hitchcock avait tourné dans les années 30, et qui n’avait guère imprimé auprès du public. C’est aussi contractuellement le dernier film que Hitchcock devait à la Paramount, ceci expliquant peut-être cela …

Image rare : Hitchcock en chemisette sur le tournage ...

Avant même les premiers tours de manivelle, beaucoup de choses sont déjà établies. Les grandes lignes de la première version seront conservées (on voit dans les bonus un peu foutraques du Dvd des scènes, des plans, refaits à l’identique), la musique (qui prend une place déterminante vers la fin) sera remaniée par le complice sonore habituel Bernard Herrmann qui jouera même son propre rôle de chef d’orchestre, et le rôle principal sera tenu par James Stewart.

Partant de là, il faut compléter le casting, et organiser un tournage sur deux pays, le Maroc et l’Angleterre (l’action s’y déroulant à peu près à parts égales). Le rôle féminin principal est confié à Doris Day, chanteuse américaine de variété assez populaire (parce qu’un morceau chanté s’avèrera essentiel lors du dénouement, tant vaut-il avoir une actrice qu’il n’y a pas besoin de doubler au chant, et qui plus est, Doris Day est naturellement et forcément blonde, critère déterminant pour un premier rôle féminin chez Hitchcock). Le reste du casting est tout simple, les moches sont les méchants et les plutôt mignons les gentils, et ça finit par devenir un procédé prévisible (le tueur, joué par Reggie Nalder, habitué des seconds rôles de « mauvais », a une bobine qui ne s’oublie pas) …

Doris Day & James Stewart : les époux McKenna

On suit donc les pérégrinations d’une famille américaine, les McKenna, le père, médecin (Stewart), la mère, chanteuse classique « retraitée » depuis son mariage (Day), et leur gosse d’une dizaine d’années. Ils sont en vacances au Maroc et les premières minutes nous les montrent en complets bisounours, c’en est même assez gênant tant tous les clichés et les tics d’acteurs de sitcom semblent de la partie (à noter qu’au Maroc, Hitchcock avait interdiction de tourner pendant le ramadan, ce fut un perpétuel contre-la-montre, et ça fait parfois un peu trop carte postale)… se met ensuite en place l’intrigue, la rencontre avec un espion français (Daniel Gélin) qui finira poignardé mais aura le temps de révéler au toubib une tentative d’assassinat de haut dirigeant étranger à Londres. Et ceux qui sont derrière le complot kidnappent le gosse pour que le père ne s’occupe pas de ce qui ne le regarde pas … Et voilà donc notre toubib du Midwest (Indianapolis) et sa moitié qui vont se transformer en James Bond du dimanche, et partir à Londres pour retrouver leur mioche et accessoirement déjouer l’attentat … Et la partie anglaise du film relève techniquement le niveau, Hitchcock est dans son élément, c’est beaucoup plus chiadé niveau visuel.

Mais c’est aussi là que le maître du suspense passe un peu à travers. Parce qu’on connaît au fur et à mesure du film tous les protagonistes et leurs enjeux et qu’il n’y a guère de surprises dans le déroulement du scénario. Ainsi, dans la fameuse (et très longue scène) au Royal Albert Hall lorsque l’attentat doit être commis au moment d’un grand coup de cymbale dans l’orchestre, la seule question qui se pose est de savoir lequel du toubib ou de sa femme va empêcher le crime … et l’épilogue, cousu de fil blanc, de la libération du gosse, nous montre des revirements d’attitude (la kidnappeuse) et une naïveté (son pasteur de mari) assez peu raccord avec l’image dure et impitoyable qu’ils avaient jusque-là …

Ce qui laisse aussi une impression mitigée, c’est le parti-pris de Hitchcock de donner des respirations humoristiques voire franchement comiques. Témoin le quiproquo sur le jeu de mots (ça marche moins bien en français) Ambrose Chapell et Chapelle Ambrose, qui voit Stewart s’embrouiller avec un taxidermiste jusqu’à une bagarre-mêlée au ralenti. Témoin aussi la très réussie scène au restaurant marocain qui voit le même Stewart desservi par sa grande taille (plus d’un mètre quatre-vingts dix) et s’emmêler les jambes (pour s’assoir) et les doigts (pour manger). Perso, ce qui m’a fait le plus sourire c’est dans la première scène quand toute la famille McKenna s’extasie en apercevant du car un chameau. Euh … il aurait fallu dire au scénariste qu’un chameau à une bosse ça s’appelle un dromadaire … Ce mix de dramaturgie et de comédie se fera sa place dans la dernière partie de la filmographie du Maître, mais là c’est pas encore au point, les scènes comiques font un peu pièce rapportée, elles se situent totalement en dehors de l’intrigue …

Entre les cymbales : Bernard Herrmann

D’autres choix seront plus judicieux. Doris Day, sur laquelle beaucoup avaient des doutes (c’était une quasi débutante au cinéma, elle y prendra goût) tire plutôt bien son épingle du jeu, et n’est pas ridicule loin de là dans les scènes « difficiles » comme celle où Stewart lui apprend l’enlèvement de leur fils. Et puis elle a fait d’une pierre deux coups, se positionnant comme une actrice crédible et obtenant un de ses plus gros succès de chanteuse avec l’interprétation de « Que sera sera » créée pour l’occasion. Ritournelle évidente (mais fallait l’écrire) très « mélodie du bonheur » devenue depuis un classique. Pour l’anecdote, même le Keith Richards punk Johnny Thunders en livrera une version (calamiteuse) au milieu des années 80 …

Pour finir un film d’Hitchcock se doit de nous le montrer lors d’une fugace apparition. Ici, on le voit juste de dos sur le marché de Marrakech en train de regarder une troupe de saltimbanques …

Conclusion, « L’homme qui en savait trop » est pour moi un film plaisant, mais pas une masterpiece d’Hitchcock …


Du même sur ce blog :

Fenêtre Sur Cour

Frenzy


VITTORIO DE SICA - LE VOLEUR DE BICYCLETTE (1948)

 

Faits divers ...

Imaginez aller voir un film où le héros serait un péquenot accompagné de son moutard qui passerait son temps à chercher dans Rome une putain de bicyclette qu’il s’est fait piquer … à l’heure où tout ce qu’on vous montre c’est des super-héros qui essayent de sauver l’humanité et la galaxie en luttant de tous leurs super-pouvoirs contre les forces du Mal, aidés de gadgets qui feraient passer les iPhone 12S à 1500 euros pour des silex  préhistoriques … Bon, ça c’était il y a déjà une éternité, quand on pouvait aller au cinéma, dans le monde d’avant … alors que le monde de maintenant et celui d’après, ils sont ou seront pires que celui d’avant … Eh oh les super-héros, vous foutez quoi? On aurait bien besoin que vous fassiez quelque chose, là, tout de suite, y’a tout qui part en sucette, vous voyez pas ?

De Sica et ses acteurs

Autant dire qu’avec « Le voleur de bicyclette », on est vraiment dans un autre monde. Un monde où l’on n’avait pas besoin de millions de dollars et de technologie high-tech pour faire un film. Et si vous voulez mon avis, c’était vraiment mieux avant … parce que « Le voleur … » c’est un des plus grands et des plus beaux films de tous les temps (y’a pas que moi qui le dit, y’a aussi Woody Allen, et il doit y en avoir quelques autres aussi qui pensent la même chose).

« Le voleur … » c’est tourné dans Rome en 1948. Dans une ville sinistrée par des années de fascisme et de guerre. Une ville qu’il faut reconstruire et agrandir, parce que la misère elle est encore pire partout ailleurs dans l’Italie, et que les gens viennent essayer de (sur)vivre, habiter, et si possible de travailler dans la capitale. Le film commence d’ailleurs par une scène où des dizaines de types attendent le matin pour voir s’il n’y aurait pas du boulot pour eux, devant une sorte de bâtiment d’aide sociale ou de Pôle Emploi. Parmi eux, Ricci, qui se tient à l’écart, et n’y croit plus. Mais voilà qu’on l’appelle, y’a du travail pour lui. Il est embauché pour coller des affiches. Seule condition à remplir, il lui faut un vélo. Et à le voir hésiter, on devine qu’il y a un problème, il finit par avouer qu’il a bien une bécane, mais elle est gagée, mais promis, il aura un vélo le lendemain pour aller bosser …


Et le décor est posé. Dans ces terrains vagues qui s’urbanisent à marches forcées, on est au cœur de l’Italie d’en bas. On a appelé ça le néo-réalisme, une façon de faire du cinéma sans pognon et sans acteurs (tout le casting est composé de non-professionnels) avec juste une caméra qui tourne (en extérieur, pas les moyens de créer des décors dans un studio, d’ailleurs il n’y en avait plus, la Cinecitta étant devenue un camp de déplacés ou de déportés). Une technique et une philosophie artistiques héritées du cinéma russe des années 20. Le côté propagande du régime en place en moins côté italien, même si les deux « stars » du néo-réalisme (Rossellini et De Sica) ont entretenu durant leurs premiers tours de manivelle des rapports assez ambigus avec Mussolini et sa clique fasciste. Et même si au final, un des films dont « Le voleur … » est le plus proche, ce serait « Les raisins de la colère » de John Ford.

Searching in the rain ...

« Le voleur … » c’est en même temps un film qui raconte une histoire (une journée dans la vie d’un Romain à la recherche de sa bécane), mais c’est aussi un formidable document(aire) sur l’Italie de l’immédiate après-guerre. Qui en dit plus en 86 minutes chrono sur l’état d’un pays et sa société que le tocard franchouillard Pernaut, ce héros (?) de l’information télévisée en a dit en plus de trente ans de JT. On visite cette banlieue romaine où commencent à s’aligner de nouvelles constructions (des barres HLM) plus ou moins finies (les bâtiments sont neufs, mais l’eau potable tu fais la queue pour en avoir à une pompe au pied des immeubles). On voit un pays qui se libère du joug du fascisme (les caves où se côtoient répétitions des « artistes » du quartier, et réunions syndicales, des communistes forcément). On y voit ces intérieurs de logements sans meubles, le crédit municipal où s’amoncellent (ces vertigineuses piles de draps et de linge) ce que toutes ces familles pauvres viennent gager pour avoir en échange quelques billets grands comme des feuilles A4 qui leur permettront de payer le loyer et de manger quelques jours, ces églises délabrées où contre une messe, le Secours Catholique te donne une gamelle de nourriture (cette lutte d’influence entre cocos et bigots pour la mainmise morale sur le peuple). On y voit tous ces petits trafics en tout genre qui permettent de profiter de la misère de ses semblables (la file d’attente dans la cuisine de la voyante, ces amoncellements de vélos entiers ou en pièces détachées sur des marchés très tôt le matin où quelques aigrefins viennent vendre des engins qu’aujourd’hui on dirait tombés du camion). On y voit ce peuple qui va s’entasser dans les stades pour nourrir une véritable dévotion aux équipes de foot (c’est aux abords du stade où s’affrontent Rome et Modène que va se conclure l’histoire). On y voit ces policiers et ces gendarmes qui se foutent de tous les petits larcins dont on vient se plaindre (en gros dis-nous le si tu la retrouve ta putain de bicyclette, nous on va pas la chercher), qui font semblant de faire leur boulot (la « perquisition » chez la mère du voleur). On voit aussi ceux qui sont en train de monter à toute blinde l’ascenseur social (les grosses dondons bourges et leur progéniture tête à claques au restaurant), et une parenthèse assez hallucinante et prémonitoire de plein de hashtags d’aujourd’hui, cet élégant gommeux qui propose une glace au fils de Ricci sur le marché aux bécanes à condition qu’il le suive discrètement (pour le kidnapper ? pour le sauter ?).

On trouve aussi dans « Le voleur … » une étude poussée de caractère du cocon familial. La femme de Ricci n’apparaît qu’au début, mais on devine que c’est elle qui porte la culotte, qui est énergique, qui agit (la vente des draps pour racheter le gage sur le vélo). Dans le reste du film, on voit les rapports qui se nouent entre le père et le fils. Ce dernier d’abord traité comme une aide, puis comme un poids mort, avant une crise d’amour paternel qui fait lâcher à Ricci ses derniers billets pour l’amener au restaurant, une fois qu’il l’a cru noyé. Et le dernier plan les voit partir main dans la main après une journée fertile en émotions et rebondissements.


« Le voleur … » (encore une fois, traduction hasardeuse, c’est « Les voleurs … » en V.O. et c’est beaucoup plus en relation avec la réalité du scénario), c’est une sorte de bicyle-movie avec courses-poursuites désespérées (l’obscur objet du désir à portée de main, ça se joue à quelques mètres, et puis ça bascule). Evidemment, on est assez loin des scènes d’ouverture des Indiana Jones, mais il y a toujours en filigrane cette quête du Graal à deux roues, qui va permettre de survivre, puis de vivre et pourquoi pas de s’élever dans la société (ces alignements de chiffres sur la nappe du restaurant, comme un mirage là aussi de la « fortune » à portée de main si on arrive à retrouver cette foutue bécane).

A la marge, on trouve aussi dans « Le voleur … » un hommage au cinéma. Quoi de plus normal de la part de De Sica, véritable stakhanoviste du septième art, en tant que scénariste, réalisateur et même acteur (il a tourné dans des dizaines de films). Le boulot de Ricci, c’est coller une affiche de film sur les murs. C’est celle de Rita Hayworth dans « Gilda », déclaration d’amour du metteur en scène italien fauché au cinéma hollywoodien. Lequel le lui rendra, décernant à De Sica l’Oscar du meilleur film étranger pour « Le voleur … ».

Sergio Leone face à Ricci

Enfin, on peut signaler qu’il y a non crédité au générique dans « Le voleur … », un des ténors à venir du cinéma italien, Sergio Leone, même pas vingt ans à cette époque. Il a participé au scénario et fait de la figuration.

« Le voleur … », c’est le genre de très grand film construit sur des petits riens et des gens ordinaires. Il y en a quelques-uns, et pas des moindres (Sautet et Ken Loach sont les deux premiers noms qui me viennent à l’esprit) qui passeront leur vie à filmer des gens ordinaires et à nous les rendre intéressants, voire captivants. Sans jamais faire aussi bien que De Sica avec « Le voleur de bicyclette ».



 


WILLIAM CAMERON MENZIES - LA VIE FUTURE (1936)

 

Nouveau Monde et Ordre Nouveau ...

William Cameron Menzies c’est un peu le prototype du poissard. Plus gros coup de malchance : c’est en quelque sorte l’âme damnée de Selznick sur le projet, et un des gars qui a le plus bossé sur « Autant en emporte le vent », eh bien il a disparu du générique (c’est pas le seul sur cette affaire-là me direz-vous, mais bon …). Idem un peu plus tôt sur « La vie future » (« Things to come » en VO). Celui qui a son nom écrit en gros sur l’affiche, c’est HG Wells, le plus célèbre écrivain d’anticipation de l’époque (« La machine à explorer le temps », « L’Île du Docteur Moreau », « l’Homme invisible », « La guerre des Mondes », …).

« La vie future », c’est le projet totalement délirant et mégalo du producteur anglais d’origine tchèque Alexander Korda et de Wells, lequel s’implique à fond dans le scénario, allant même jusqu’à choisir celui qui sera chargé de la musique (Arthur Bliss, un cador du genre, qui composera une pièce de quatre (!) heures dont seules quelques bribes seront utilisées pour le film). Parce qu’à moment, il a fallu trancher dans le vif, et revenir à quelque chose de « réalisable » (techniquement et financièrement).

WC Menzies

Le bouquin de Wells (« The shape of things to come »), paru en 1933, décrit l’évolution de l’Angleterre (mais pas seulement) de 1940 jusqu’en 2106. Dans le film, l’histoire s’arrête en 2036. Classique, Wells sera très fâché par la tournure des évènements, devant ce qu’il estime être un film au rabais de son œuvre …

Le film commence pour le Noel 1940 à Everytown, ville fictive d’Angleterre. Les gens s’affairent à préparer le réveillon, au milieu de placards qui annoncent l’imminence d’une guerre mondiale. Et dans la nuit, les bombardements commencent. Le conflit va durer jusqu’en 1970, deuxième époque de l’histoire. Dans une humanité quasi décimée en proie à une terrible pandémie, toute structure sociale et politique a disparu. Ne subsistent que des systèmes claniques dirigés par des chefs de guerre qui luttent entre eux pour la conquête de territoires ou d’outils technologiques (des avions, de l’essence, …). Atterrit dans la ville à bord d’un avion futuriste une sorte de gourou qui prêche pour un monde scientifique et pacifique. Retenu prisonnier, il sera libéré par ses amis, technologiquement supérieurs au reste de l’humanité. Transposition en 2036 pour la troisième partie dans laquelle un nouveau monde scientifique hégémonique (voire dictatorial) part à la conquête de l’espace.

1940

Evidemment, à quelques mois près, le déclenchement d’un conflit mondial a fort logiquement marqué les esprits. Même si le régime nazi n’est pas directement évoqué, il est fortement suggéré (il en restera des traces lors de la période suivante, dans un plan fugace où on salue le chef de guerre – tyran, en levant et tendant les deux bras main ouverte). Extrapolation audacieuse mais guère « magique » au vu de la montée conjointe du Reich et de la capitulation diplomatique du reste du monde face à Hitler et sa clique … Beaucoup plus intéressante est la vision des années 70. Quand on voit la situation (la recherche de l’essence, le virus qui zombifie les infectés, ne laissant le choix aux autres que de les abattre) et les fringues de rigueur (les armures en haillons, pour faire simple), on tient là la matrice du 1er Mad Max, du dernier (« Fury Road »), et de « La nuit des morts-vivants » (mêmes symptômes, même démarche, même inexpressivité). Miller et Romero doivent avoir vu « La vie future » …

La dernière partie laisse quelque peu dubitatif. Cette vie future, où savoir, science (et népotisme, on y reviendra) dirigent d’une main de fer le monde pour le bien de tous (selon la formule consacrée), où face à une contestation sociale qui commence à s’amplifier, on envoie en catastrophe un couple (vision allégorique et biblique d’Adam et Eve à la recherche d’un nouveau jardin d’Eden) vers la Lune, cette vie future-là, on sait pas trop quoi en penser, et surtout ce qu’on veut in fine nous montrer, les « effets spéciaux » prenant le pas sur l’histoire elle-même, au milieu de dialogues et de situations confuses…

1970

Mais un film, c’est avant tout des images. Et qu’est-ce qu’on voit dans la vie future ? Visuellement, c’est un « Metropolis » version british. Menzies à l’origine est chef décorateur sur les tournages et ça se voit. « La vie future » ne fait pas son âge, exploite des décors pharaoniques (ou plutôt romains, en 2036 les types sont habillés en toge et jupettes), des effets spéciaux (la flotte d’avions futuristes) qui n’ont rien à envier à ce qui se fera à la fin des années 50 (certains trucages sont trop voyants, on voit bien que ce sont des maquettes miniatures, mais ça confère une patine poétique à l’ensemble). De ce côté-là, « La vie future » est réellement en avance sur son temps …

Une fois posé le contexte général, il y a un « héros » dans « La vie future ». Il s’appelle John Cabal, il est en 1940 dubitatif face à la menace de guerre, il pense que la sagesse humaine l’emportera sur les velléités belliqueuses, et on le retrouvera 30 ans plus tard face au chef de guerre (c’est lui qui atterrit avec son avion futuriste), avant de s’apercevoir après sa libération (pacifique, grâce à des gaz anesthésiants) qu’il est le leader de cette espèce de secte-confrérie qui entend amener l’humanité vers justement plus d’humanité. Et dans la dernière partie, c’est son petit-fils Oswald qui est la plus haute autorité de ce monde nouveau (d’où le népotisme). C’est le même acteur, le Canadien Raymond Massey qui joue les deux Cabal, et qui bien qu’ayant participé à quelques classiques dans des seconds rôles, trouvera avec « La vie future » son apparition la plus célèbre. Une remarque : dans les étriqués bonus, Jean-Pierre Dionnet, maître es-cinéma de série B, suggère que le nom du personnage vient de la Kabbale, et de la pseudo-secte qui découle de cette fumisterie mystique.

2036

Que retenir de ces visions d’anticipation ? Des images, des effets spéciaux et des décors grandioses (notamment ceux de la dernière partie, genre style romain démesuré), font de « La vie future », sinon un classique absolu, du moins un film qui compte parmi ceux d’anticipation de la première moitié du siècle dernier. Des systèmes d’organisation publique et sociale, qui une fois oubliés les oripeaux fashion des costumes, mettent tous en filigrane des systèmes totalitaires très hiérarchisées, même si un semblant de révolte populaire contre les « élites » semble possible (dernière partie). Et la conclusion n’est guère optimiste, le seul salut semble être pour la fille Cabal (décidément une affaire de famille) et son compagnon d’aller rechercher des jours meilleurs sur la Lune …

Remarque : la vraie star du film ne figure même pas au générique. Il s’est occupé un peu du montage et fait une apparition en tant que figurant. Son heure de gloire sera tardive (plus de 50 ans plus tard !) lorsqu’il tournera son dernier film, la fabuleux « Un poisson nommé Wanda ». Il (pour ceux qui confondent cinéma et films Marvel) s’appelle Charles Crichton.


ORSON WELLES - LE CRIMINEL (1946)

 

Le glaive de la Justice ...

Le plus mauvais film d’Orson Welles. C’est pas moi qui le dit, mais Orson Welles lui-même …

Comme j’ai pas vu tous ses films, je vais pas le suivre ou dire le contraire. Même si effectivement, « Le Criminel » n’est pas son meilleur. Evidemment, quand a tourné « Citizen Kane » (à 25 ans !), tout le reste a toutes les chances de souffrir de la comparaison. « Citizen Kane » c’est le « Sgt Pepper’s » du cinéma, il y a dans le septième art un avant et un après, et quatre-vingts ans après sa sortie, le film est toujours cité comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur jamais tourné …

C’est un peu tout le problème de Welles, trop jeune et trop génial dans une forme d’expression (le cinéma) en pleine expansion, et que quelques studios et financeurs entendent gérer comme une affaire qui tourne et rapporte de plus en plus, l’Art devant s’accommoder des montagnes de dollars déjà en jeu. Welles en fera très rapidement les frais avec le successeur de « Citizen Kane », « La splendeur des Amberson ». Film charcuté au montage (trois quarts d’heures supprimés et détruits à jamais), final rejeté et retourné, la RKO n’y va pas avec le dos de la cuillère …

L'épilogue : Robinson, Young & Welles

Welles est un boulimique, qui a toujours plusieurs projets sur le feu, dont l’essentiel se retrouvent avec un veto hollywoodien. « Le Criminel » (« The Stranger » en VO) est un projet que Welles voulait de toute façon bâcler, sa priorité d’alors étant de tourner avec son épouse légitime Rita Hayworth.

L’histoire a pourtant de la gueule. En 1946, faire un film sur la traque des nazis enfuis à l’étranger relevait de l’actualité brûlante. C’est semble-t-il aussi la première fois que seront montrées au grand public des images (réelles) de reportages sur l’holocauste et les camps d’extermination … sauf que Welles mélange tout, réalité et cruauté historiques, et scénario en totale roue libre. Pour ne rien arranger, Welles interprète un des deux rôles principaux, cabotinant devant la caméra (on se demande s’il joue dans un film ou donne une représentation théâtrale, tant il en rajoute des tonnes). Ce n’est pas le seul problème du casting. Loretta Young, qui joue sa femme dans le film est certes une stakhanoviste des plateaux (elle a commencé à trois ans !), mais est ici totalement dénuée de charisme (de talent ?) et sa (longue) carrière n’est qu’une litanie sans fin de séries B.

Le seul rôle majeur à tirer son épingle du jeu est Edgard G. Robinson (l’inoubliable interprète de Rico « Le Petit César »), en enquêteur (l’inspecteur Wilson) traqueur de nazis (il n’a pas dû avoir besoin de trop forcer, tout dans sa biographie laisse à penser qu’il détestait Hitler, son régime et ses sbires).

« Le Criminel » commence pourtant bien. Robinson veut retrouver Franz Kindler, un des théoriciens et acteurs de la « solution finale », disparu sans laisser de traces lors de la chute du Reich. Il fait libérer un de ses lieutenants (Meinike), et le fait suivre pour qu’il le conduise à son ancien chef. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Harper, petit bled du Connecticut, dont le seul centre d’intérêt est une église dotée d’un clocher comportant un mécanisme d’horloge sophistiqué avec procession de personnage symboliques qui marquent les heures.


Et au bout d’un quart d’heure, on a retrouvé Kindler (Orson Welles) qui est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin et vient d’épouser la fille du notable du coin, un juge de la Cour Suprême à la retraite. La ficelle est un peu grosse, mais pourquoi pas … Dès lors, ce coupable que l’on connaît va faire ou tenter de faire disparaître tous ceux qui le relient à son passé où l’ont découvert (Meinike, le chien de sa femme, sa femme, …).

Le film ne sera que la tentative de l’inspecteur pour le confondre. Faut dire qu’il prend son temps et ne se montre guère perspicace. Une phrase de Rankin / Kindler lors d’un dîner (« Karl Marx n’est pas un Allemand, mais un vulgaire juif ») le laisse sur le coup de marbre, il ne percutera que des heures plus tard …

L’épilogue ne fait guère de doute (sans même évoquer le code Hayes) y compris dans sa scène finale qui se veut choc, mais qui nous est amenée plutôt lourdement. Comme Louis XVI, Rankin / Kindler est passionné d’horlogerie, et passe son temps libre à retaper l’horloge récalcitrante du clocher. C’est bien évidemment dans ce clocher que se dénouera l’intrigue …

Il y a quand même des détails qui agacent, et qui montrent le je-m’en-foutisme de la réalisation. Dans le bar du patelin, tous les clients jouent aux dames avec le patron. Sauf que le jeu de dames est un jeu d’échecs (64 cases au lieu de 100), lors d’une partie ce sont les noirs qui commencent (alors que ce sont toujours les blancs), lors d’une autre partie Rankin et son adversaire avancent tous les deux le même pion … On peut aussi déduire que Welles n’est guère bricoleur, ou tout au moins guère porté sur la menuiserie. Lorsqu’il scie un barreau de l’échelle qui mène au haut du clocher, il utilise une scie à métaux et non une scie à bois …

En fait, la seule chose qui sauve (un peu) « Le Criminel » c’est le génie de Welles derrière une caméra. Des angles de vue inventifs (plongée, contre-plongée, …), des panoramiques bien choisis, des gros plans quand il faut. Et surtout un travail phénoménal sur les éclairages, ces jeux d’ombre et de lumière avec ces ombres démesurées et omniprésentes, qui renvoient bien évidemment aux films expressionnistes allemands des années 20.

Ce qui ne suffira tout de même pas pour réhabiliter « Le criminel ».