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FRANÇOIS TRUFFAUT - TIREZ SUR LE PIANISTE (1960)

Oldies & Goodis ...
Truffaut, c’est la Nouvelle Vague. Enfin, pour moi, c’est la Nouvelle Vague pour ceux qui aiment pas la Nouvelle Vague. En gros, le cinéaste le plus classique de tous ceux qui ont été les plus virulents dans « Les Cahiers du Cinéma » à définir une nouvelle forme de cinéma. Excellent pour la théorie, Truffaut, mais avec ses films il m’a plus souvent gavé ou laissé indifférent que ravi …
Truffaut, Aznavour & Dubois
« Tirez sur le pianiste » est son second long métrage, et vient après le succès des « Quatre cent coups ». D’ailleurs, parenthèse, si « Les quatre cent coups » a été un succès populaire dans la France de la fin des années 50, c’est qu’il était pas si avant-gardiste que ça … Pour « Tirez … », Truffaut, se lance dans un hommage-pastiche aux films noirs américains en adaptant (il est parmi les premiers à le faire, faut pas lui enlever ce mérite) un roman du « difficile » auteur américain David Goodis.
Mais Truffaut donne l’impression de s’être fait totalement déborder par son scénario, et au final, on se demande ce qu’il a voulu faire. Un film noir ? Ouais, en partie, mais très vite ça embraye sur du mélo, ça se focalise sur une histoire d’amour, ça envoie devant la caméra des personnages stéréotypés dont on se demande ce qu’ils viennent apporter à l’intrigue. Enfin, intrigue, il faut le dire vite, la trame du film est quand même bien légère. Et à la fin on se demande même ce que Truffaut a voulu faire passer au premier plan.
Est-ce la carambouille des frères Saroyan avec les deux truands ? Est-ce l’histoire et l’esquisse psychologique d’Edouard Saroyan ? Est-ce la vision de Truffaut sur les femmes et l’amour ? Va savoir, on a des petits bouts de films sans liens, visons fugaces de tranches de vie qui n’ont rien à voir entre elles. Rien n’est développé, tout est assez bâclé, et l’affaire conclue en même pas une heure vingt…

Celui qui apparaît le plus souvent à l’image c’est Charles Aznavour. Qui me fait à peu près autant d’effet comme chanteur que comme acteur (oui, je sais, la Nouvelle Vague redéfinissait aussi le rôle et la « performance » de l’acteur dans le film, mais là où de grands acteurs « déjouaient » volontairement, Aznavour me donne l’impression de s’employer à fond pour être finalement transparent …). Donc Aznavour est Charlie Kohler, pianiste de balloche dans un troquet minable. En fait, c’est l’ancien virtuose Edouard Saroyan, échoué dans ce rade parce qu’il a raté autrefois son mariage. Ce qui donne lieu à un grand flashback avec analyse psychologique à deux balles des relations du couple Saroyan. Dans le présent, Truffaut va nous montrer parallèlement les déboires de Saroyan avec ses frères, truands à la petite semaine coursés par d’autres branquignols, et les relations de Saroyan avec deux femmes (sa voisine de palier prostituée, et la serveuse du troquet).
Peu de choses sont crédibles. On s’en fout un peu des situations crédibles, c’est pas un reportage ou un docu, c’est un film. Mais bon, y’a des limites, voir à la fin un gunfight où des gusses se canardent en étant à dix mètres les uns des autres et en se manquant, c’est pas tragique ou haletant, c’est involontairement ballot. Et finalement la seule qui ramasse une bastos, c’est Marie Dubois, planquée derrière des buissons … Nous montrer un Aznavour qui est debout depuis deux jours et deux nuits lors de cet assaut, rasé de frais comme un jeune marié, c’est aussi assez curieux … Ne parlons pas du corps à corps qui le voit tuer accidentellement (quoique on se demande si c’est un accident) le patron du bar qui l’emploie …

C’est un peu filmé avec les pieds aussi, le plus souvent en lumière naturelle, ce qui vaut plein de reflets sur l’objectif de la caméra. D’un autre côté, ça renforce le style amateur et dilettante caractéristique de la Nouvelle Vague, on est pas chez Max Ophuls …
Il y a aussi des choses à sauver, « Tirez … » n’est pas un ratage total. Les dialogues, signés Truffaut, sont vifs, alertes, pleins de gouaille parisienne, bien qu’assez éloignés des merveilles rhétoriques d’un Audiard ou d’un Prévert. On évite le contemplatif, les réparties absconses, le rythme est soutenu. Et puis, il y a un quasi inconnu, Bobby Lapointe, qui crève l’écran au début avec deux chansons (dont « Avanie et Framboise » sous-titrée à la demande des producteurs qui n’arrivaient pas à suivre les jeux de mots mutants !), dans une interprétation live très physique (pour l’époque s’entend). Beaucoup plus anecdotique, un full topless frontal de Michèle Mercier, pas encore Angélique marquise des Anges, l’occasion pour Truffaut de jongler avec les codes de la bienséance et de la censure de l’époque.
Pour la Nouvelle Vague, le polar et le film noir n’ont pas été les genres de prédilection, le truc de base étant plutôt l’observation de la société à travers le prisme d’une jeunesse souvent déphasée dans un monde adulte grisâtre. La comparaison qui me vient à l’esprit pour « Tirez … », c’est le « Alphaville » de Godard. Même si cette relecture par Godard des aventures du privé Lemmy Caution ne restera pas comme son chef-d’œuvre (c’est grave barré dans un trip mystico-philosophique), c’est à mon sens assez nettement supérieur au film de Truffaut.

Lequel Truffaut ne fera pour moi rien de mieux que son quasi chant du cygne, l’ultra classique dans tous les sens du terme « Le dernier métro »…


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ALAIN RESNAIS - HIROSHIMA MON AMOUR (1959)


Tu n'as rien vu à Hiroshima ...

« Hiroshima mon amour » est le premier film d’Alain Resnais, pas un inconnu derrière la caméra pour autant, réalisateur « engagé », dont un documentaire « Nuit et brouillard » sur les camps de concentration nazis a déjà marqué quelques esprits.
Cette guerre mondiale qu’il a vécue (Renais est né en 1922) est aussi au cœur de son premier long métrage. Au scénario, une jeune écrivain « Rive Gauche », qui rêve de faire bouger les lignes de la littérature bourgeoise, Marguerite Duras. Ça tombe bien, Resnais va faire évoluer le cinéma, et pas seulement français.
Les dix premières minutes de « Hiroshima … » sont un choc visuel et esthétique. Des visions d’un couple nu tout d’abord recouvert de cendres, entrecoupées d’images purement documentaires sur une Hiroshima dévastée par la bombe atomique, une musique lancinante et obsédante (signée Georges Delerue et Giovanni Fusco), et une phrase qui revient, hypnotique : « Tu n’as rien vu à Hiroshima ». Une ouverture qui laisse scotché, quelque peu béat devant cette forme d’hermétisme où se mêlent poésie des corps enlacés et visions crues des stigmates nucléaires sur la ville et ses habitants, morts ou rescapés …
Petit à petit, l’intrigue et les personnages se mettent en place. Elle (jamais de prénoms ou de noms ne sont cités) est française, actrice, et termine (c’est son dernier jour au Japon) un tournage à Hiroshima. Lui est japonais, architecte. Tous les deux sont mariés, ont certainement des enfants. La brève passion dévorante qui les unit touche à sa fin, ils vont devoir irrémédiablement se séparer. Cette dernière journée sera pour les deux l’occasion d’une mise à nu émotionnelle. Chacun a ses secrets, des brisures profondes issues de la guerre.
Lui a au fond de son cœur le traumatisme d’une population « atomisée » par l’ennemi militaire (« Hiroshima … » n’est jamais un film à charge contre les Américains qui ont bombardé, mais contre le bombardement lui-même et ses conséquences).
Elle, c’est le personnage « fort » du film (assez rare dans le cinéma de l’époque, trop souvent reflet d’une société patriarcale). Provinciale de Nevers, elle est tombée toute jeune amoureuse d’un soldat allemand des troupes d’occupation (Bernard Fresson dans un de ses premiers rôles). Là aussi, Resnais et Duras zappent volontairement le nazisme. « Hiroshima … » n’est pas un film à vocation idéologique, c’est un film sur une histoire d’amour impossible. Et Elle fera dans ces dernières heures passées avec Lui un transfert de son amour de jeunesse « immoral » (on sait comment ont fini en général ces amants « maudits » de l’Occupation, et Elle et le soldat allemand n’y ont pas échappé) avec son amour forcément sans suite inenvisageable avec Lui, allant jusqu’à fusionner ces deux hommes qui ont traversé sa vie à quinze ans d’intervalle.
C’est le récit de cette liaison à Nevers, alors qu’ils sont attablés dans un bar, qui est le cœur du film. Un récit que rien ne vient parasiter, pas de musique, aucun bruit d’ambiance, seul le dialogue des deux acteurs, et le parallèle et la confusion entre l’Allemand et le Japonais. Un récit conclu par une magistrale paire de claques qu’Il lui donne.
Elle, c’est Emmanuelle Riva, troublante (très) plus que belle. Lui, c’est un acteur japonais Eiji Okada. Il y a dans leurs échanges tout ce détachement, cette lenteur typiques des dialogues de ce qui deviendra la Nouvelle Vague et que ce film commence à codifier. Tous ces gros plans, ces regards fixes, comme éteints par le poids de leurs destins, alors que l’on sent à l’intérieur l’incendie qui les consume.
Resnais fait preuve sinon de virtuosité, du moins d’une maîtrise certaine, dans ces deux histoires d’amour qu’il mène en parallèle. Si la fin de la première est montrée, celle d’Hiroshima est laissée en suspens, même si rien ne laisse supposer une happy end. Resnais joue les contrastes entre une ville de la France victorieuse, mais terne et grise, et celle d’Hiroshima, rasée mais qui renaît dans la lumière et le mouvement.
« Hiroshima … » a été dès sa sortie perçu comme un chef-d’œuvre, un film sans équivalent, sans référence dans le passé du septième art. Bon, je vais pas jouer les malins, mais j’en ai vu une. L’hôtel dans lequel Elle est descendue et dont on voit l'enseigne dans la dernière bobine s’appelle le Casablanca Hotel … Euh, « Casablanca », ce serait-il pas un film avec Bogart et Bergman qui raconte leur impossible amour sur fond de guerre mondiale ? Et ça ne voudrait-il pas dire que les deux films ont le même épilogue, même si ici il n'est pas montré ?

JEAN-LUC GODARD - MASCULIN FEMININ (1967)


Les enfants de Marx et de Coca Cola

La décennie prodigieuse de Godard, c’est celle des années 60, avec sa triplette de chefs-d’œuvre (« A bout de souffle », « Le mépris », « Pierrot le Fou »). Et quelques autres, un peu moins célébrés, le plus souvent à juste titre, tant le prolifique réalisateur donnait parfois l’impression d’être en roue libre face à son scénario et derrière la caméra. Dont ce « Masculin Féminin » de 1967.
Le pitch est simple, pour ne pas dire simpliste. L’histoire raconte la relation entre deux jeunes, Julien (Jean-Pierre Léaud) et Madeleine (Chantal Goya), et à vrai dire, on a l’impression que Godard s’en cogne un peu de cette histoire, elle n’est qu’un prétexte à ses légendaires digressions, et on est même un peu surpris qu’il la conclue, et en plus d’une façon assez abrupte et inattendue …
Masculin Féminin - Jobert, Goya, Léaud au cinéma 
« Masculin Féminin » est un film typique de la Nouvelle Vague. Après l’exubérance colorée de « Pierrot le Fou », Godard revient à un strict noir et blanc en 1/33, filmant souvent ses acteurs en gros plans serrés, et surtout, voire exclusivement  le visage des filles lors des scènes de dialogue.  Le choix de Léaud pour le rôle principal n’est évidemment pas innocent, il y joue à quelque chose près « son » rôle d’Antoine Doinel, adulescent existentiel et désabusé (d’ailleurs Julien se fait passer pour le général Doinel lors d’une scène-gag vers la fin du film). Léaud – Julien vient de finir son service militaire, réalise occasionnellement des sondages pour l’IFOP, son meilleur copain est un syndicaliste CGT, et Julien tombe plus ou moins amoureux de Madeleine, employée dans un magazine pour ados et qui rêve de devenir chanteuse yé-yé à succès.
Le film se passe dans Paris, avec en toile de fond l’élection présidentielle de 1965. A travers cette trame, Godard se livre à une mise en abyme de ses préoccupations en matière sociétale. Ici la politique et le sexe sont au centre des discussions. Godard n’y allant pas avec le dos de la cuillère, les censeurs de l’époque ne trouvèrent rien de mieux à faire que d’interdire à sa sortie le film aux moins de dix-huit ans. Sous prétexte que l’on y parlait de moyens contraceptifs, d’amour tarifé, que l’on y voyait deux hommes s’embrasser dans les chiottes d’un cinéma, Julien et deux femmes (tous en pyjama) dans le même lit, et une étrange relation quasi sado-maso dans un film dans le film … Aujourd’hui, y’a vraiment pas de quoi intéresser le fan de base des productions Marc Dorcel, mais cela traduit bien le puritanisme exacerbé des années 60, et la farouche volonté transgressive de Godard.
Masculin Féminin - Symboles ou clichés ?
Qui évidemment ne se prive pas de livrer quelques sentences et aphorismes de son cru, souvent affichés plein écran (le film est divisé en 15 chapitres), la plus célèbre étant « Ce film aurait pu s’appeler : Les enfants de Marx et de Coca Cola ». Mais aussi quelques dialogues croustillants : « Y’a plus de papier dans les chiottes ? – Prenez le Figaro sur la commode ! » ... Godard se veut aiguillon d’une rébellion-révolte-révolution dont la jeunesse serait l’épicentre. Il s’en prend à l’impérialisme américain tant militaire (la guerre du Vietnam) que culturel. Dans ce domaine, une de ces cibles est  Bob Dylan, « accusé » de vendre 10 000 disques par jour. Et le nom de famille de Madeleine, qui préfigure la Bécassine que deviendra la vraie Chantal Goya, est Zimmer (comprenne qui pourra ou qui voudra). Godard n’hésite pas à faire se lancer ses personnages dans du name-dropping pour les ancrer dans la réalité (sont évoqués ou présents sur des affiches le Bus Palladium, Hallyday, Sylvie Vartan, Alain Barrière, Ronnie Bird, …). Mais Godard fustige la frivolité de la jeunesse, son insouciance face à ce que lui pense être les vrais sujets de préoccupation. A ce titre l’interview d’une Miss de magazine est un moment d’anthologie, et on vient à se demander si ces répliques surréalistement naïves sont écrites ou naturelles par la transparente nunuche …
Un film de Godard des années 60 ne serait pas « normal » s’il n’était pas traversé de quelques personnages lunaires qui apparaissent furtivement dans le champ pour quelques passages incongrus (le gars qui cherche le Palais des Sports, la femme qui flingue son mari à la sortie du bistrot, le jeune loubard qui se fait hara-kiri, l’opposant au Vietnam qui s’immole hors-champ). Même Brigitte Bardot y va de sa courte apparition (1’30) dans à peu-près son propre rôle d’actrice répétant une pièce de théâtre. Tiens, au rayon pin-ups de l’époque, on aperçoit quelques secondes Françoise Hardy sortant d’une limousine américaine que vont taguer Julien et son pote …
Masculin Feminin - Bardot, figurante de luxe
Godard est en colère contre cette jeunesse amorphe et lobotomisée, que l’activisme politique ne « sauve » même pas (voir la scène où Robert, le copain syndicaliste d’Antoine, tente maladroitement de séduire Catherine-Isabelle, l’amie de Madeleine). En fait Godard, malgré tous ses efforts ne comprend pas grand-chose à la jeunesse (une jeunesse qu’il voudrait révolutionnaire et qu’il montre sombrant dans les futilités yé-yés), ni à ses aspirations. Il y a un monde entre ce réalisateur de trente cinq ans et ceux qui ont quinze ans de moins que lui, et on sent que ça l’énerve. Et finalement, il finit par donner une image somme toute convenue, limite réactionnaire et mysogine d’une génération qu’au fond de lui il semble mépriser pour sa nonchalance. Godard se montre particulièrement dur avec ses personnages féminins, transparents et sans relief (l’indécision finale de Madeleine, le rôle peu valorisant confié à l’autre débutante Marlène Jobert, la séquence avec la fille dans le photomaton …)
« Masculin Féminin » plus qu’un film sur la jeunesse se révèle finalement plutôt un film à charge contre la jeunesse. Godard est trop dans son monde, trop dans sa tour d’ivoire, et commence à traduire son asociabilité de génial réalisateur qui deviendra finalement récurrente chez lui …

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