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LYLE LOVETT - I LOVE EVERYBODY (1994)

 

Andy Warhol l'avait dit ...

… que tout le monde aurait son quart d’heure de gloire… Et donc, en cet an de grâce de mil neuf cent nonante quatre, vint le tour de Lyle Lovett…

Ceux qui avaient l’œil exercé pouvaient l’avoir vu traverser le champ des caméras pour quelques petits seconds rôles, surtout chez Robert Altman. Ceux qui faisaient les bacs à soldes rayon « new country & folk-rock singers-songwriters, americana & so on … » étaient peut-être un jour tombés sur un de ses disques précédents…

Lyle Lovett, bientôt de retour dans l'ombre ...

Lyle Lovett était un gars à la renommée confidentielle chez lui aux States et un inconnu à peu près total partout ailleurs. Et puis, tout à coup les rotatives de la presse musicale se sont emballées et on vit un peu partout  en quadrichromie sa bouille émaciée en lame de couteau de clown triste et sa silhouette filiforme. La raison de tout ce tapage médiatique est à chercher à la dernière ligne du livret de ce « I love everybody », au chapitre dédicaces : « For Julia ». Julia ? Julia Roberts, la Pretty Woman que le Lovett venait d’épouser. Dès lors, de troisième couteau, Lovett va devenir au bras de sa belle une figure people. Dont on  guette les moindres faits et gestes … et les sorties de disques. Que certains, perdant tout sens de la mesure, trouveront géniaux et entretiendront ainsi le buzz … Ne reculant pas à le comparer à de chenus et respectables ancêtres, lâchant un peu trop précipitamment  les noms de Dylan, Leonard Cohen ou Randy Newman.

Bon, ce « I love everybody » n’est pas si mauvais que çà, mais c’est loin d'être un disque crucial. Composé pour l’essentiel de morceaux anciens, antérieurs à ses premiers opus des années 80, retravaillés pour l’occasion. Un disque doté d’une grande unité de son, tous les titres se ressemblent, tempo ralenti, country-folk pépère, batterie balayée, basse et guitares discrètes … généralement un trio basique et une propension, pour pas dire une manie de rajouter des arrangements à base de violon ou de violoncelle. Au début, ça fait la farce, mais comme le procédé se répète quasi systématiquement sur l’ensemble des dix-huit titres, ça fait monotone. On trouve de temps en temps quelques cuivres, bien discrets au fond du mix, mais ça donne pas forcément de l’entrain …

Quelques anciennes gloires sur la pente savonneuse de l’oubli sont dans les chœurs sur quelques titres, comme le Simple d’Esprit Jim Kerr, la Tom Waits à cigarillo Rickie Lee Jones, le chanteur de Was (Not Was) Sweet Pea Atkinson, sans oublier Madame Lovett sur une paire de titres … de toutes façons, c’est tellement perdu au fin fond de la bande, que la Julia Roberts, elle pourrait chanter comme la Aya Machin, on s’en rendrait pas compte … et le requin de studio tambour majeur  Kenny Aronoff vient donner le rythme sur quelques titres. Il a pas dû pécho une tendinite, tout est down tempo, pour pas dire comateux … Dans cet exercice casse-gueule de chansons dépouillées, faut pas être le premier blaireau venu si on veut se faire remarquer. Et comme le Lyle a une voix uniforme, pour pas dire monocorde, et que dès qu’il essaye de la pousser, par exemple sur « Old friend », ça frise le pathétique on a bien du mal à se raccrocher à quoi que ce soit dans cette rondelle …

Lyle Lovett et sa choriste préférée ...

Des fois on y croit, quand arrive un pied de batterie énervé et en avant (« Penguins »), las on déchante vite, ce n’est qu’un machin avec des cuivres que même Danny Brillant il en aurait pas voulu. Le tour des morceaux à sauver est vite fait. « Fat babies », le meilleur de la rondelle, assez étoffé au niveau sonore, puis on peut zapper une dizaine de plages pour arriver à « La to the left », vraie chanson avec belle mélodie, et ensuite la dernière l’éponyme « I love everybody », construite sur le même modèle que « Fat babies » avec un crescendo point trop mauvais …

Tout le reste, c’est bien gentillet, bien soporifique, des ersatz d’americana, de country-rock, de folk, de blues ( le mal nommé « I’ve got the blues », aucun feeling), ça ronronne doucement … S’il faut trouver quelque chose de positif, c’est au niveau de l’enrobage que ça se passe, jolie pochette classieuse à la Doisneau, résultat d’une séance « sur le vif » parisienne (comme les photos du livret), informations copieuses, nombreuses notes … très intéressant pour les yeux, sauf que le problème d’un disque, c’est d’abord fait pour les oreilles, et là, ça coince quand même …

Je sens poindre une question essentielle … si on a beaucoup parlé de celui-ci, pourquoi les disques suivants sont passés sous les radars ? La réponse, my friends, elle est chez les avocats, lorsque la Julia et le Lyle ont divorcé, l’année suivante. Et Lyle Lovett est devenu forcément beaucoup moins intéressant …


JONATHAN DEMME - LE SILENCE DES AGNEAUX (1991)

 

Deux en un ...

Jonathan Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé « Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer, « Le silence des agneaux ».

Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992

« Le silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris, centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et serial killer cannibale.

Le film se resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …

Et pour le même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling – Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des deux histoires.

Clarice de l'autre côté du miroir ...

Jodie Foster (Clarice Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver », et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés au seconds rôles …

Ce qui impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève, tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue avec lui …

La jeune stagiaire est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence », lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice, grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues du FBI sont sur une fausse piste …

David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...

Starling, comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sens  du terme. Hopkins est magistral dans le rôle de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran. Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).

Même Jonathan Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie …

On a rarement l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux qui le visionnent pour la première fois …

PAVEMENT - CROOKED RAIN, CROOKED RAIN (1994)


 Lo-Fi ...

Pavement est censé avoir inventé ce qu’on appelle « lo-fi » (low fidelity par opposition à high fidelity, entendre par là qu’on cherche pas la perfection à quelque niveau que ce soit, on enregistre comme ça vient, voire on fait en sorte que ça sonne tout pourri). Bon évidemment, comme tout le monde, ils ont rien inventé, ils ont juste mixé et codifié des choses qui existaient déjà. Depuis le rock garage des 60’s, en passant par le Velvet, Patti Smith, Television, les punks, le Neil Young saturé, Sonic Youth, … En rajoutant l’évidence mélodique de REM et des Pixies … et en se faisant bien sûr publier par des labels le plus indépendants possible …

Pavement 1994

Les Pavement ont fait de l’approximation un art. Et c’est pas facile d’être systématiquement approximatif. Parce que figurez-vous, je les soupçonne (enfin, Stephen Malkmus surtout, guitariste, chanteur et compositeur quasi exclusif du groupe) de faire semblant. Prenez un truc composé avec les pieds un lendemain de cuite, enregistrez-le dans un état comateux ou avoisinant, vous obtiendrez au mieux une bouillasse infame et bruyante. Chez Pavement, au contraire, tout repose sur des chansons tout ce qu’il y a de bien écrites, que l’on s’efforce de démantibuler, de désosser, pour que ça ait l’air tout foireux. A preuve le sieur Malkmus (en solo, avec les Jicks, avec Pavement reformé, ou au sein de multiples collaborations) a montré depuis des décennies que c’est un super songwriter et un grand mélodiste, un des plus doués de ce que l’on appelle désormais du classic rock …

Pavement est au départ un vrai groupe de potes, même si une fois les premiers enregistrements parus, les frictions entre membres apparaîtront vite. Leur point de départ, « Slanted & enchanted » (lui-même précédé de quelques singles et Ep’s) sera parfait. Ses deux successeurs (chronologiquement ce « Crooked … » et « Wowee Zowee ») seront un cran en dessous, sans que l’on puisse parler de déclin.

Stephen Malkmus

« Crooked rain, crooked rain » paraît presque deux après « Slanted … ». Le temps pour le groupe de mettre sur la touche leur pote batteur, rendu ingérable avec ses problèmes d’alcoolisme démesuré. Avec « Crooked … », on reste en terrain connu. A peine si globalement, c’est un peu moins bordélique que le coup précédent. Le premier titre (« Silence kid », écrit avec un lettrage genre gosse de six ans sur le verso de la pochette « Silence kit », rien que ce détail je suppose que c’est fait exprès, genre « regardez comme on s’en branle, comme on s’en fout de ce qu’on fait ») est un peu le stéréotype du Pavement sound. Une espèce d’intro toute foireuse, comme si les types avaient tout juste fini de s’accorder approximativement et commençaient à jammer sur un rock mid tempo. Puis la voix de Malkmus arrive, on dirait que le bonhomme sort du lit avec une gueule de bois en chêne massif, il expédie une paire de couplets et de refrains, avant un final de titre tout hésitant. Conclusion surtout pas définitive, les types savent pas commencer et achever un morceau, et ça chante plutôt faux … sauf que si on dissèque un peu le titre, on s’aperçoit qu’il y a une jolie mélodie et un refrain qui peut se siffloter.

C’est à peu près toujours comme ça sur la durée du disque. Enfin, une fois sur deux, parce que dans une espèce de rigueur mathématique saugrenue, après un rock feignasse mid tempo, on a droit à une ballade déglinguée. Constante, la qualité d’écriture, l’ensemble dénote quand même un sens de la composition plutôt hors du commun, assez loin de l’image de slackers que les Pavement veulent de donner … de faux dilettantes, même si instrumentalement on a l’impression que chacun joue son truc sans s’occuper de ce que jouent les autres …


Pavement a quand même réussi à proposer trois singles issus de ce « Crooked … ». Aucun n’a marché, remarquez ça les aurait certainement bien emmerdés si « Cut your hair » (hommage à David Crosby ? hum, je crois pas …), « Gold soundz » ou « Range life » avaient fini en haut des charts, ils étaient pas prêts à gérer du succès, et là on peut supposer que c’était pas bluff … D’autant que ces trois titres sont parmi les plus bancals de la rondelle, le plus « accessible » de ce tiercé dissonant était le rock pépère de « Range life » où les gars ont rajouté leurs discussions sur la fin, comme si ça avait été enregistré live en studio, ce qui ne doit bien sûr pas être le cas …

Quand on n’a pas peur du ridicule on n’a peur de rien et les Pavement font une sorte de jazz psychédélique ( ? ) incongru sur l’instrumental « 5-4 = Unity », et concluent sur un titre à tiroirs (« Fillmore jive », encore un titre qui ne veut rien dire, et n’est en aucune façon une allusion au club de Bill Graham dans le Frisco psychédélique) où sont convoqués le Velvet des deux premiers disques sur l’intro, puis un rock lent et lourd avant de finir sur une sorte de rave up toute en brisure de rythmes …

Ne pas croire que les Pavement sont hors du temps et à côté de leurs pompes. Ils sont bien ancrés dans le début des années 90, ils reprennent du R.E.M. (« Camera ») en face B du single « Cut your hair » et étrangement, malgré leur amateurisme qu’ils prétendent forcené, réussissent à faire sonner un titre (« Unfair ») comme le Nirvana de « In Utero ».

Pavement des bricolos approximatifs ? Non, juste des imposteurs qui voudraient faire croire qu’ils savent pas composer, jouer ou chanter …


Des mêmes sur ce blog :

Slanted & Enchanted

FRANK BLACK - FRANK BLACK (1993)

 

Sur la lancée ...

Les Pixies furent (oui, je sais, ils se sont reformés depuis) à la fin des années 80 et au début des années 90 un groupe majeur. Et un groupe d’une influence colossale sur la scène rock des années 90, s’il ne fallait citer qu’un nom parmi ceux qui leur doivent beaucoup, allons-y pour Nirvana.

Dès le départ, on savait que les Pixies, c’était avant tout Charles Michael Kittridge Thompson IV, auto-rebaptisé Black Francis. Guitariste rythmique et compositeur quasi exclusif, gabarit de garçon boucher et voix principale assez souvent dans le registre hurlée suraiguë. Il aurait dû être de très loin le plus visible du groupe. Sauf que beaucoup de regards allaient se focaliser sur la bassiste Kim Deal, toxico hédoniste, et chœurs très présents. Qui a récupéré le qualificatif de fille la plus cool du monde. Assez rapidement, Fat Black en prit ombrage, la laissant de moins en moins intervenir vocalement sur les titres. D’où frictions et tensions entre les deux. Jusqu’à ce que début 93, Black Francis décrète tout seul la dissolution des Pixies. Les trois autres du groupe sont avertis soit par téléphone, et Kim Deal par fax (no comment …)


Exit les Pixies. Black Francis n’attend pas longtemps avant de donner des nouvelles discographiques. Il se rebaptise Frank Black et moins de deux mois après la fin officielle des Pixies, fait paraître son premier et éponyme album solo … Ou son second, ou le dernier des Pixies selon comment on envisage la chose. « Trompe le monde », le dernier Pixies c’était lui et les autres très loin derrière, un disque de Black Francis accompagné par un groupe. A bien des égards, « Frank Black » peut passer pour un disque des Pixies … avec de nouveaux membres, dont un qui est omniprésent et deviendra le compagnon attitré des jeux sonores de Frank Black pendant quelques années, Eric Drew Feldman. Lequel Feldman a commencé sa carrière avec le Captain Beefheart, puis Père Ubu, et fera plus tard partie au début des années 2000 des Residents, autrement dit pas les groupes les plus faciles musicalement à aborder.

Feldman est très présent sur ce « Frank Black ». Basse mais surtout claviers. Ce sont ses interventions qui changent la donne sonore du disque par rapport aux Pixies. Par contre, les compositions sont dans droite ligne de ce qu’on connaissait. A quelques petits changements près : finis les morceaux fourmillant d’idées et d’arrangements, les compositions sont beaucoup plus classiques, voire linéaires ; Frank Black a laissé tomber ses hurlements, il chante sur la mélodie ; et finis les chœurs additionnels. On reste quand même en terrain connu.


Et il faut bien reconnaître que les trois premiers titres de ce « Frank Black » font la farce. Tellement bons qu’ils font oublier tout le reste (voir paragraphe précédent et ce qui suit sur le disque). « Los Angeles » ouvre les hostilités. Intro acoustique, mélodie électrochoquée par la batterie, arrivée de guitares très énervées (le genre de choses qu’on devrait apprendre dans les écoles de rock, si elles existaient), une chanson haut de gamme, qui se calme peu à peu avant un final qu’on pourrait se hasarder à qualifier de planant, d’atmosphérique. Du grand art, rendre simples des choses compliquées. En parlant de choses simples, suit « I heard Ramona sing », hommage respectueux aux Ramones, dont on a souvent tendance à oublier que derrière le jemenfoutime bruyant, se cachaient des chansons bien écrites, mélodiques (enfin, au début, avant que les faux frangins virent hardos bas de gamme). L’hommage de Frank Black est un mid tempo hyper mélodique, enrobé des claviers tournoyants de Feldman. Rien à dire, parfait.

Et puis se pointe « Hang on to your ego ». Pas signé Frank Black, mais Wilson-Asher, Brian et Tony de leurs prénoms, autrement dit le duo responsable de la quasi-totalité de « Pet sounds », œuvre majeure des Beach Boys, et de la pop des années 60 et suivantes. Cherchez pas sur votre 33 T vintage de « Pet sounds », elle y est pas « Hang on to your ego ». Mais il y en a une qui lui ressemble plus qu’étrangement, en fait y’a que les paroles qui changent, elle s’appelle « I know there’s an answer ». « Hang … » était la version originale, censée vanter les vertus du voyage sous LSD. Sous la pression (de la Columbia, de cousin réac Mike Love, …) elle sera rebaptisée « I know … » et figurera sur « Pet sounds ». Au final, aucun des deux titres siamois ne traite de LSD. La version de « Hang … » par Frank Black est mirifique, et surpasse les versions originales des Boys, ce qui n’est pas à la portée du premier corniaud venu … Et cette reprise assez inattendue (peu d’atomes crochus entre Pixies et Beach Boys) figure au moins dans le tiercé majeur des titres de la galaxie Frank Black – Pixies.


Avec les dix minutes de cette triplette introductive, ce disque place la barre à des hauteurs stratosphériques. La suite est très nettement en dessous. La douzaine de titres qui suit semble dominée par une sorte de power pop, où comment l’écriture novatrice et originale de Frank Black marche maintenant sur les traces de Cheap Trick (qui était un bon groupe avec de bons titres, mais là n’est pas le problème, c’était quinze ans avant ce disque …).

Le cœur de ce « Frank Black » ronronne doucement, basé sur des midtempo interchangeables. Quelques titres restent à sauver, comme « Fu Manchu », « « Parry the wind high, low » avec ses airs de « Paint it, black » sur les couplets, et surtout l’instrumental surf « Tossed ». Globalement, le final du disque est correct, avec « Parry … », « Adda Lee » et son intro ska, la ballade glam « Every time I go around here » et la power pop musclée de « Don’t ya rile ‘em ». Et même si la durée totale n’est pas déraisonnable (trois quart d’heure ), Frank Black aurait été bien inspiré de laisser de côté quelques titres, ça aurait rendu la rondelle meilleure et plus homogène …

Malgré son tiercé de titres majeurs, ce « Frank Black » sera loin d’avoir le succès des disques des Pixies (qui n’on jamais été de très gros vendeurs, c’est dire qu’ici ça va pas faire très lourd). Les suivants de Franck Black ne feront pas mieux, leur qualité ira déclinant. A tel point que dix ans après ce disque, Fat Frank reformera (ça à dû lui coûter au niveau amour-propre) les Pixies, tout d’abord pour l’alimentaire (et pour des disques oubliables dans la foulée) dans leur formation originale, c’est-à-dire avec Kim Deal. Qui ne tardera pas à se casser, et l’histoire ne dit pas si elle en a averti Frank Black par fax.

Et pour que le calice soit bu jusqu’à la lie, quelques mois après la parution de ce « Frank Black », Kim Deal réactivera son groupe récréatif-exutoire les Breeders, et sortira un honnête « Last splash » qui sera lui un carton mondial grâce au gros hit « Cannonball » …


RONI SIZE REPRAZENT - NEW FORMS (1997)

 

Petites formes ...

Quasiment deux heures et quart sur deux Cds … ça ferait combien de vinyles ? Trois, quatre, cinq ? Sérieusement, qui peut raisonnablement avoir envie de se fader un truc pareil ? Au moins le jury du Mercury Prize, qui a décerné son glorieux prix millésime 1997 à ce « New Forms », au nez et à la barbe de Radiohead, Primal Scream, Suede, Chemical Brothers (tous avec des rondelles passées à la postérité, genre « OK Computer »), … ou les Spice Girls … Même si on sait que ce genre de récompenses n’engagent que ceux qui les décernent et les reçoivent …

Roni Size

Mais de quoi dont est-ce qu’il retourne avec « New Forms » ? L’on vous dira que c’est la référence en matière de drums & bass, sous-genre de ces musiques électroniques fort en vogue dans la dernière décennie du siècle dernier … Oui, mais encore ? Euh, pas grand-chose, je vais essayer de faire aussi court que ce disque est long …

Derrière tout ça, il y a un vrai type et un plus ou moins faux groupe. Le type c’est Roni Size, DJ electro d’origine jamaïcaine, considéré comme underground mais défricheur de sons. Le « groupe », c’est Reprazent, en gros les types ou nanas présents sur ces rondelles (par intermittence, il peut faire des morceaux tout seul comme un grand), l’accompagnant à la production, à la programmation, au chant, au rap, parfois s’escrimant sur de vrais instruments. Parce qu’il y a quand même quelque chose de drôle d’appeler un genre musical drums & bass, quand il n’y a ni batteur ni bassiste qui joue (pour être tout à fait honnête, il y a un bassiste sur quelques titres, tout le reste de la rythmique c’est de la programmation, des boucles, des samples, …).

Les titres reposent sur un machin tellement simple que beaucoup ont dû bouffer les varices de leur grand-mère et se demander pourquoi ils y avaient pas pensé avant. L’essentiel des morceaux repose sur des rythmes tachycardiques sur lesquels se superposent des lignes de basse très down tempo. Suffit ensuite de rajouter des « ambiances », et là, le trip-hop se taille la part du lion (« New forms » le morceau, « Heroes », « Watching windows », …). Un peu normal, Roni Size est de Bristol et le trip-hop vient d’y cartonner (Massive Attack, Portishead, Tricky, et autres joyeux lurons du même tonneau). Y’a aussi du jazz ou des trucs qui y ressemblent (« Brown paper bag »), parce que le jazz, ça fait musicien sérieux, et que la crédibilité, c’est un peu le problème de toute la scène electro, les types planqués derrière leur Mac et leurs platines. D’où très certainement le « groupe » Reprazent, conçu pour jouer live et si possible dans les festivals « rock », où y’a de la thune à se faire (contrairement aux free partys, où par définition t’es bénévole ou quasi …). A noter que le coup d’éclat des lascars sera à peu près sans suite, deux ou trois disques en vingt-cinq ans, et peut-être que tous ces gens-là se sont retirés du circuit (imprimé) …

Roni Size Reprazent

Le premier disque est le meilleur (et il y a un titre avec les deux Everything But The Girl qui aurait pu être excellent si seulement ils avaient laissé chanter Tracey Thorn au lieu d’un strict instrumental) le second disque me semble être du pur remplissage, un alignement de gimmicks guère travaillés. Au final, si tout ce bazar avait duré juste une heure, ça aurait été assez sympa … Y’a des titres qui font sourire, ou alors le Roni a un humour king size. « Heroes » n’a rien à voir avec Bowie, « Morse code » rien à voir avec « Lust for life » de Bowie-Iggy Pop, « Jazz » rien à voir avec le jazz, « Hot stuff » rien à voir avec les Stones ou Donna Summer … Et puis le truc le plus pénible, c’est une police de caractères microscopique blanche sur fond gris, qui fait que t’arrives pas à lire quoi que soit sur le livret (bon, y’a pas grand-chose à lire non plus …).

Bon, j’avais dit que moi je ferais court. Promesse tenue …


TAKASHI MIIKE - AUDITION (1999)

 

Télénovela et scie à fil …

Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.

Takashi Miike

Miike sera au sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000. Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition » deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords, micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini » que Ed Wood par exemple …

« Audition » dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales. Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante. « Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».

Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …

Un casting ...

D’autant plus qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring », filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable … Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la bar a mauvaise réputation …

Là, commence à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette, mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille, doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …

Pour un truc tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …

... qui va mal finir

Dès lors c’est parti pour une dernière demi-heure où faut quand même s’accrocher. On a droit à tous les clichés et fantasmes de BDSM, la robe d’infirmière blanche avec tablier de boucher en cuir par-dessus, gants et bottes en latex, les petits cris de jouissance suraigus, et tout l’attirail pour jouer au Dr Mengele (les seringues, les longues aiguilles d’acupuncture, les ustensiles de bricolage divers, et scie à fil pour couper les quartiers de viande). Heureusement que c’est fauché, que les effets spéciaux ont vingt ans de retard, qu’on voit bien les trucages et le latex … mais enfin, lors de la première, étaient fourni aux spectateurs des sacs à vomi floqués avec l’affiche du film, et paraît-il que de nombreux ont été les sacs qui ne sont pas sortis vides de la salle de projection.

Y’a quand même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve l’affaire …

« Audition », c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans, et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible » (Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …


PRODIGY - THE FAT OF THE LAND (1997)

 

Fury Road ?

« The fat of the land », c’est un cas d’école. Celui d’une surenchère appliquée à un genre musical. Aujourd’hui, les genres musicaux sont marioupolisés. Détruits jusqu’au trognon par la dématérialisation (le peer to peer), et pire encore par le streaming musical (les ignobles Deezer, Spotify et leur semblables), les tarifs exorbitants de la musique live d’après Covid, et j’en passe …

Au premier plan, Howlett, Flint & Maxim

Dans les années 90, c’était très différent. L’offre était pléthorique, les genres, sous-genres et chapelles diverses se multipliaient, chacun voulant sa part du (gros) gâteau. Et contre toute attente, au sortir d’années 80 dominées par les synthés (techno-pop puis electro pour schématiser), les années nonante voyaient le retour de ces machins en bois avec six cordes, comment on appelait ça, déjà … ça me revient, … les guitares. Les groupes à guitare cartonnaient (ventes de disques à a tonne, têtes d’affiche et cachets qui vont avec dans les festivals) dans le sillage de Nirvana d’abord (le grunge) et au mitan de la décennie dans celui d’Oasis (la britpop). Les joueurs de disquette en avaient pris un gros coup derrière le casque. Mais ils lâchaient pas l’affaire pour autant (les labels pullulaient, les raves étaient la version péquenot-punk à chiens des gros festivals bourgeois) … Mais les free parties, comme leur nom l’indique, ça rapporte à quelque dealer chelou, mais pas à ceux qui font de la musique … et les ventes de disques, chez ces gens-là, c’était misère … Même si quelques-uns venus de la mouvance electro, avaient su « commercialiser » leur truc (Massive Attack, Portishead, …). Dès lors, la porte de sortie de la précarité underground était grande ouverte : la musique électronique s’approprierait les codes du rock pour être « visible » … et tant qu’à faire, aller voir du côté du rock à guitares qui avait le vent en poupe. Et tant pis s’il n’y avait pas de guitares ou de batterie, on récupérerait les codes, on ferait de gros riffs avec des synthés et des breaks de batterie avec des boîtes à rythmes … Au grand dam des autoproclamés puristes de la chose electro, des gens comme Fatboy Slim, Chemical Brothers ou Prodigy allaient se ruer dans la brèche, et écouler du Cd par millions.

Prodigy donc. Qui présentait jusque-là parfois une version electro « musclée » (le très hendrixien « Voodoo people » sur « Music for the jilted generation »), commençait à vendre du disque, était invité dans les festivals « rock ». Le trio de base Liam Howlett (cerveau, synthés et compos), Keith Flint (chant, arpenteur de scène), Maxim (bouche-trou) s’adjoint un guitariste (siège éjectable, plusieurs seront utilisés), et veut mettre en avant ses influences punk, indus, hard, … en gros toute la partie « violente » du rock. Et pour se faire une nouvelle place au soleil, durcit outrageusement son propos. Tous les potards sur onze, des tenues très Mad Max – Fury Road, et la recherche du buzz, sinon de la polémique (Victor) …


A cet égard, le titre inaugural de cette période sorti en single éclaireur sera « Smack my bitch up » (tabasse ta salope de meuf en gros), accompagné d’un clip Rated R comme disent les anglo-saxons. Scandales, mini bataille d’Hernani, le tour est joué, Prodigy devient incontournable. Bizarrement, ce titre controversé qui ouvre « The fat of the land » est contrebalancé par le dernier du disque, une reprise avec synthés à la place des guitares du « Fuel my fire » des L7. En gros le manifeste beauf cogneur opposé au groupe féministe leader du mouvement « riot grrl ». La boucle est bouclée, tout le monde (?) est content (?). La provo de mauvais goût ne s’arrête pas à « Smack … ». Eparpillée tout au long du livret, on trouve une citation (non créditée) de Hermann Goering (cette fascination glauque de quelques musiciens Anglais pour la symbolique nazie, de Sid Vicious à Lemmy, en passant par Siouxsie et Bowie, beaucoup plus coupables de mauvais goût provocateur que d’approbation idéologique).

« The fat … » enverra deux autres singles en haut des charts. « Breathe », rythmique très rock, cousin du metal rap de Rage Against The Machine, avec break central anxiogène, ouais bof ... ; et l’excellent « Firestarter », le plus « classique » du lot et accessoirement meilleur titre de la rondelle … Et le reste ? Ben, du bruit et de la fureur sur disque. Et de la surenchère sonore, sur des choses qui rappellent furieusement … les riffs du « Andy » de Rita Mitsouko sur « Diesel power », la rythmique du « The Rover » de Led Zep sur « Serial thrilla », la folie fusionnelle de Magma sur « Narayan » (près de dix minutes, pas toujours passionnantes), Massive Attack sur l’intro de « Climbatize » (instrumental plutôt intéressant, contrairement à « Funky shit » au titre trop long, bon, ça c’est fait …). Sans compter tous le samples recensés dans le livret …


Sur scène aussi, les Prodigy envoyaient (déraisonnablement ?) le bois, les types partaient de temps en temps se foutre un masque à oxygène sur le museau pour éviter la syncope … comme à peu près au même moment les Leatherface de carnaval de Slipknot …

« The fat of the land » est tellement too much que ça n’a finalement pas tant vieilli que ce que l’on pourrait croire, et ça tient par exemple plus la route que le troisième Oasis (« Be here now ») paru simultanément et lui aussi porté sur la démesure à tous les étages …

« The fat of the land » sera en tout cas l’apogée commerciale de Prodigy. Depuis, le groupe a essayé un temps de faire aussi bien (ou aussi fort) sans vraiment y parvenir, avant de disparaître peu à peu des radars, et la mort il y a quelques années de Keith Flint devrait mettre un point final à leur carrière …


PUBLIC ENEMY - APOCALYPSE 91 ... THE ENEMY STRIKES BLACK (1991)

 

Envoyez le boucan !

S’il fallait résumer tout ce qu’a pu représenter le rap dans ses vingt premières années (y’en a eu d’autres des années, mais celles qui ont compté étaient au vingtième siècle, et qu’on vienne pas me causer du génie de Kendrick Lamar, Kanye West, … ou qui sais-je encore, sinon je vais me fâcher tout rouge …) il suffirait de dire Public Enemy. Pas les premiers, pas les plus spectaculaires, pas les plus gros vendeurs, juste les meilleurs et de très loin à mon avis …

Terminator X, Flavor Flav, Chuck D : Public Enemy 1991

Parce qu’ils étaient au bon endroit au bon moment (New York, où toute l’affaire avait commencé fin 70’s), parce qu’au-delà de l’engagement convenu de tous les rappers, ils avaient un discours politique (on y reviendra), parce qu’ils avaient avec Chuck D un frontman-leader comme on n’en reverra plus dans le genre, et parce qu’au niveau son et musique, ils enterraient tout le monde (plus pour longtemps, en 1991 un certain Dr Dre pour le moment encore anonyme au sein des encore obscurs NWA, fourbissait ses armes) …

Public Enemy a enquillé les disques majeurs entre 87 et 91 (donc jusqu’à ce « Apocalypse 91 … » en question). Ensuite, ils ont plus ou moins perdu le fil de leur truc (trop d’ingrédients humains instables dans leur affaire, et plein de concurrents qui poussaient très fort pour tenir le haut de l’affiche). Là, pendant un lustre, Public Enemy a été le groupe capable de fédérer toutes les communautés et toutes les chapelles musicales. En plus de s’adresser de manière assez radicale aux Blacks, ce sont les Whitey (comme disait Sly Stone, autre fusionneur de musiques) qui sont en ligne de mire (faut les obliger à « réfléchir » et accessoirement prendre leurs dollars). Le titre du disque renvoie à la culture blanche cinématographique (un mix entre « Apocalypse Now » et « The Empire Strikes Back » le second – ou cinquième – volet de la saga « Star Wars ») et Public Enemy va plus loin dans la drague des hardeux (genre musical éminemment blanc) que les égéries (?) d’Adidas Run DMC associés au come-back d’Aerosmith ( « Walk this way »). Ici, Public Enemy s’acoquine avec les trashers d’Anthrax pour un « Bring the noise » anthologique (le titre est paru initialement sous la forme d’un single mais est repris sur la dernière plage de l’album). Conséquence : Public Enemy se verra inviter au festival pourtant pas très funky de Reading en 1992, généralement chasse gardée des rockers à guitares …

Anthrax & Public Enemy

Public Enemy, de par son nom, vient de James Brown. Et « Apocalypse … » est leur disque le plus funk. Même si l’essentiel de la musique est à base de machines et de samples, on quitte souvent le métronomique inhérent au genre pour aller vers le lancinant et le répétitif, juste comme le faisait Jaaames dans les années septante, réduisant son funk à une pulsation rythmique obsédante (flagrant sur des titres comme « Rebirth » ou « I don’t wanna be called yo Nigga »). Et plutôt que de se faire les interprètes rigides des Tables de la Loi qu’ils ont créées, Public Enemy n’hésite pas à incorporer quelques notes de piano house (le genre électronique de base de toutes les rave parties qui commencent à se multiplier partout sur la planète) comme sur un break de « Can’t truss it » ou le « I don’t wanna be … » déjà cité. Public Enemy va encore plus loin vers le défrichage sonore avec « More news at 11 » qui tient beaucoup plus du chant que du rap, est très mélodique et précurseur de ce que feront bientôt les Arrested Development …

Public Enemy live

« Apocalypse … » n’en est pas pour autant un disque exagérément novateur. Tout ce qui fait et résume la patte Public Enemy est là. Des samples anxiogènes de Terminator D (crissements et sirènes divers et variés) aux règlements de compte perso (pas ce que je préfère chez eux, cette posture de matamores revanchards comme dans le très quelconque « A letter to the New York Post »), en passant par le ping pong verbal entre Chuck D et Flavor Flav. Et puis et surtout, Public Enemy est un groupe militant et politique. Une « organisation », pas seulement composée des deux rappers et du Dj. Parties intégrantes du groupe, le Bomb Squad (les producteurs), et le S1W (Security of the First World, ses tenues (para)militaires et ses chorégraphies violentes sur scène). Côté politique, P.E. fricote avec Farrakhan (le leader-gourou de la Nation of Islam, extrapolation souvent douteuse, équivoque et religieuse des discours de Malcolm X). On est assez loin des gentils prêches militants de la cause Noire de Martin Luther King … même si le « By the time I get to Arizona » (allusion au « By the time I get to Phoenix » de Glenn Campbell et surtout sa reprise par Isaac Hayes) est une attaque au vitriol contre un Etat qui a refusé d’instaurer la journée hommage à Martin Luther King. Une attaque accompagnée d’un clip controversé, y compris par la veuve de King, mais la polémique, souvent recherchée, ça fait aussi partie de Public Enemy …

« Apocalypse 91 … » c’est peut-être pas le meilleur de Public Enemy (pour ça voir plutôt du côté de « Fear of a Black Planet », mais les deux premiers ont aussi leurs fans). C’est peut-être leur plus varié, ou leur moins monolithique, comme on veut … La suite (à part la compile de remixes « Greatest misses ») est beaucoup plus dispensable …    


Des mêmes sur ce blog :

It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back                                          




OASIS - BE HERE NOW (1997)

 

Stadium rock ...

Plus dure sera la chute … Quatre ans après s’être extirpés du néant, la bande des frères Gallagher est à peu près devenue la plus grosse attraction musicale du monde dit libre. Il y en a qui arrivent à gérer ce statut et tout le gigantisme dans tous les domaines qui va avec, comme au hasard les Stones. Mais pas Oasis …

D’abord parce que les types sont ingérables. Enfin, les deux qui comptent, les deux frangins. Avec mention particulière à Liam, oscillant en permanence entre Sid Vicious et Mr Bean, capable de réparties incendiaires et parfois drôles, mais aussi de boxer sa gonzesse. Tout ceci hypertrophié par beaucoup d’alcool et de coke. Mais ça fait vendre du tabloïd (la pseudo guéguerre Blur-Oasis), et donc entretient la surmédiatisation du groupe.

Oasis 1997

Qui peut s’appuyer sur ses deux premiers disques plus que bien torchés, reprenant les choses là ou Beatles et Stones les avaient laissées en 68, et Who et Faces en 71. A la manœuvre, et donc à l’écriture, Noel, lider maximo de la bande. Qui a trouvé un gimmick au niveau du songwriting qui fait que ça accroche. Des mélodies mid tempo (qu’il suffit d’accélérer ou de ralentir pour avoir un nouveau titre), des guitares lourdes, une rythmique qui enclume, et des arrangements et des constructions de titres (à peu près toujours les mêmes) qui semblent être ce que le peuple (celui qui contribue à faire des chiffres de vente colossaux) a envie d’acheter à ce moment-là.

Alors, qu’est-ce qui les a pris avec ce « Be here now » ? J’en sais rien et je m’en fous, mais je m’en doute un peu. Tout le monde (le Noel, toujours responsable de tous les titres, le reste du groupe, le management, le label, …) a pris le melon. A voulu faire un disque qui marque l’Histoire. A la manière d’un Michael Jackson qui écrivait tous les jours sur le miroir (qu’on imagine grand comme un parking de supermarché) de sa salle de bain « 100 millions », soit le nombre de disques qu’il voulait en vendre alors qu’il s’attelait au successeur de « Thriller ». Et si le Michou se shootait à l’oxygène dans un caisson hyperbare, les Oasis carburaient à des trucs qui te déglinguent aussi les neurones.

Comment personne, parmi tous ceux qui étaient concernés avant que le disque sorte, n’a été foutu de se rendre compte qu’il y avait un gros souci avec « Be here now ». Peut-être quelqu’un a-t-il osé faire la remarque aux sourcilleux frangins, mais il est sûr qu’il n’a pas été écouté …

Deux frères ...

Tout dans « Be here now » empeste la mégalomanie. De la pochette à « messages » et énigmes, à cette litanie de titres interminables. Le lecteur de Cd affiche 71’38’’ pour onze titres. Presque six minutes par morceau, et il y en a même un (« All around the world ») qui dépasse les neuf minutes. Et comme les types sont pas des virtuoses, ça mouline à l’infini le même accord, et c’est pas les claviers (qui rejouent généralement les accords de guitare) qui viennent aérer ce son. Toutes ces couches instrumentales empilées, mixées tous les potards sur onze, ça fait beaucoup plus de bruit que de musique. Parce que la partie musicale de l’affaire est réduite au strict minimum, des trucs qu’on a déjà entendus sur les deux disques précédents, en plus concis et plus imaginatif (la bonne trouvaille de la scie musicale sur « Wonderwall » par exemple). En gros le son de « Be here now » est peu ou prou celui du magma de guitares saturées qu’on trouvera un peu plus tard sur le live « Familiar to millions ». Qui lui a tout de même l’avantage d’être aussi un greatest hits live.

Bon, des hits, il y en a deux de corrects sur « Be here now ». Pas forcément par hasard, ce sont deux ballades très typées 70’s, où il faut le reconnaître, Oasis excelle. « Don’t go away » ne déroutera pas les fans des Red Hot Chili Peppers, n’est point trop assourdissante, et a l’immense mérite d’avoir un final à la guitare acoustique, ce qui offre une pause bienvenue pour les oreilles …  « Stand by me », elle, figure dans la poignée des meilleurs titres d’Oasis, avec sa montée progressive vers un refrain qui sait se faire désirer. Dans à peu près le même registre, un bon point également au morceau-titre, qui ne marque tout de même pas autant les esprits … Des titres dont la construction convient parfaitement au style vocal de Liam Gallagher, jamais aussi à l’aise que dans les tempos lents. Ce qui nous amène à souligner son inaptitude souvent criante lorsque le rythme s’accélère. Le lad suprême est à la ramasse sur le up tempo de « My big mouth », et la plupart du temps est obligé de gueuler plutôt que de chanter pour pas se faire écrabouiller vocalement par le mur de guitares.


Du coup, tout ce que les détracteurs d’Oasis avaient d’emblée mis en avant se trouve ici de façon exacerbée. Le manque d’imagination de l’écriture de Noel, la manque de souplesse vocale de Liam, la technique musicale rudimentaire de l’ensemble, les citations-hommages-pastiches un peu trop voyants (Lennon et les Who sur l’insignifiant « Fade in – Fade out », « It’s getting better » qui cite par son intitulé les Beatles de « Sgt Pepper’s … » mais est un des plus mauvais de la rondelle avec l’épouvantablement strident « I hope, I think, I know »). Pour tenter de sauver la face, Oasis va même jusqu’à s’autoparodier (« The girl in the dirty shirt » reprend tous les tics d’écriture de Noel et tous les tics vocaux de Liam entendus jusque là).

En fait un seul titre résume l’affaire. Le premier, « D’you know what I mean ? ». Une intro avec bruit d’avions (on se croirait dans « The Wall » ou « The final cut » de Waters / Pink Floyd), des borborygmes de synthés … Il faut attendre une minute pour que le titre « démarre », avant que s’enchaînent clins d’œil appuyés à tout ce qui a fait le succès du groupe, sans que jamais celui-ci ne semble mettre un terme à cet enchaînement de grosses ficelles (7 minutes 42 secondes au compteur).

Un mot sur l’ésotérique pochette. On voit bien qui « commande ». Noel au premier plan, Liam un peu en retrait, les trois autres loin derrière. Un calendrier qui indique la date de sortie dans le pays concerné, une Rolls dans une piscine (référence à une anecdote avinée de Keith Moon), une montre sans aiguilles (là, ça m’étonnerait que ça fasse allusion au film de Bergman « Les fraises sauvages » où on en voit une similaire), la Vespa, le vieil électrophone (la nostalgie, camarades, c’était mieux avant), la mappemonde du premier disque, et puis plein de détails que seuls peuvent assimiler les fans hardcore … Il paraît que c’est une des pochettes les plus chères de l’histoire du rock … bâillements …

La suite de l’aventure ne sera pas meilleure, loin de là. Vladimir Gallagher devra lâcher du lest, laissant les autres (malheureusement) écrire des chansons, en contrepartie de quoi il passera (malheureusement) occasionnellement derrière le micro, le tout dans une ambiance de guerre civile fratricide qui durera une dizaine d’années avant le sabordage parisien.

Bien que globalement très médiocre, « Be here now » est le dernier disque studio encore écoutable d’Oasis …


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(What's The Story) Morning Glory ?