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JOHN BADHAM - LA FIEVRE DU SAMEDI SOIR (1977)

 

Great disco swindle ...

« La fièvre du Samedi soir » (« Saturday night fever » en V.O.) est le genre de films comme il peut en sortir deux ou trois tous les cinquante ans. Pas de scénario, des acteurs au mieux de quinzième zone, un budget de misère, un inconnu à la caméra, et résultat, un film que même les talibans doivent connaître … Comment peut-on en arriver là ? Asseyez-vous, sortez les costards blancs, les chemises à cols pelle à tarte, les chaussures vernies à talons compensés, allumez les boules à facettes, mettez à portée de main une compile de Kool & The Gang, et ouvrez grand vos oreilles, Papy Lester va vous conter cette histoire peu commune …

Badham & Travolta

A l’origine de toute l’affaire, Nik Cohn. Anglais expatrié aux States, et une des stars du journalisme « rock » des seventies, auteur de l’excellent « Awopbopaloobop alopbamboom, the golden age of rock ». Toute la presse spécialisée ou pas lui demande des articles sur les nouvelles tendances musicales. En 1975, il écrit un papier fleuve pour le New York Magazine intitulé « Inside the Tribal Rites of the New Saturday Night », racontant son immersion dans des clubs interlopes de la ville où toutes les communautés sociales et raciales de New York se réunissent à la fin de la semaine de boulot au son des rythmes disco. Cohn l’a depuis avoué, son article est totalement bidon, il a tout inventé, ces endroits au pire n’existent pas, et au mieux, il ne s’y passe pas vraiment ce qu’il décrit … Bon le disco lui existe, extrapolé du funk et de la soul (notamment de Philadelphie) un rythme dansant en 4/4 avec les seconds et quatrième temps très appuyés (le fameux tchac-poum). Mais c’est une musique pas très populaire, et surtout uniquement réservée au public Noir. Ses « héros » en 1975 sont Barry White, KC & the Sunshine Band, Gloria Gaynor, vont apparaître Donna Summer et Chic (à noter que le « Young americans » de Bowie s’inspirait en partie de ces rythmes avant-gardistes). Cette vague disco qui grandit va évidemment générer ses détracteurs (le fameux slogan « Disco sucks » et à la fin de la décennie les autodafés des 33T de disco).

L’article de Nik Cohn, des gens l’ont lu. Dont Robert Stigwood, producteur entre autres de films musicaux « contre-culturels » genre « Jésus-Christ Superstar » ou la nanardesque version filmée de « Tommy ». Stigwood vient de prendre sous son aile (moyennant un contrat léonin) un réalisateur de seconde zone, John Avildsen. Qui vient de terminer « Rocky », un film évidemment fauché sur le rêve américain à travers le prisme de la boxe, donnant la vedette à un nabot italo-américain quasiment inconnu, Sylvester Stallone. Avildsen est sommé par Stigwood de mettre en chantier et à moindre frais un film sur le disco. Manière de refaire le coup de Stallone (« Rocky » vient de sortir et grimpe au box-office), la tête d’affiche sera confiée à un certain John Travolta, acteur localement connu pour son rôle dans une série télé diffusée sur New-York … Mais Stigwood n’est pas que dans le cinéma, il est aussi dans la musique et s’est occupé notamment de la carrière de Cream et a en magasin un groupe de frangins originaire de son pays (l’Australie), les Bee Gees. Un groupe a la trajectoire bizarre, ayant commencé en Angleterre par des chansons psychédéliques, avant de tomber dans l’oubli, de revenir avec de la pop plus ou moins symphonique et des hits mondiaux (« Massassuchets », « To love somebody ») et de retomber de nouveau dans l’anonymat. Là, vers 1975, ils tentent de bricoler des morceaux sur des rythmes disco. Le requin Stigwood sent le coup double, produire un film sur le disco, et en confier la musique aux frangins Gibb, chargés d’écrire des titres pour la B.O, et de faire le tri dans tout ce qui est proposé par d’autres (y compris d’improbables reprises de la Vème Symphonie de Beethoven ou une extrapolation d’un thème de Moussorgski, ces deux titres finiront sur la bande-son du film). Comme Stigwood est dans la musique, il sent bien que la vaguelette disco peut vite faire flop, et met la pression sur Avildsen (scénario, repérages, casting, …) pour qu’il accélère la cadence. Pendant que de son côté Travolta suit depuis des mois des cadences de travail infernales avec un chorégraphe, perd des kilos, et se demande si ce film sera réellement mis en chantier.


Les choses traînent et Stigwood ne va pas faire dans le détail. Il convoque un jour Avildsen (c’est Avildsen lui-même qui raconte dans les bonus de « Saturday night fever ») en lui disant : « J’ai deux nouvelles pour toi. Une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est que « Rocky » est nominé plusieurs fois aux Oscars. La mauvaise, c’est que je te vire. ». Exit Avildsen et recrutement immédiat d’un quasi anonyme, John Badham. Avec un ordre de mission clair et concis, en gros : « Tu as trois mois pour tourner un film sur le disco avec Travolta en tête d’affiche. Et une poignée de dollars. Allez, action … ».

« La fièvre du samedi soir » sera donc tourné en extérieurs dans Brooklyn, une minable boîte locale sera relooké, et un certain Norman Wexler chargé d’écrire un scénario à partir de l’article de Nik Cohn … Inutile de dire que tout sera fait à l’arrache, Travolta ayant même à peu près carte blanche pour improviser ce qui n’est pas écrit (dans toutes les scènes, de danse ou pas) … Sauf que très vite les problèmes vont se multiplier. L’inconnue chargée du premier rôle féminin jette l’éponge (ou est virée selon les versions), et la tout autant anonyme Karen Lynn Gorney est recrutée la veille du premier jour de tournage. Au bout de quelques prises, il s’avère que tourner en extérieurs à Brooklyn n’est pas une bonne idée, c’est à peu près le seul endroit au monde où Travolta est connu, et très vite des dizaines, des centaines de badauds (ils disent des milliers dans les bonus du film, j’ai l’impression qu’ils exagèrent) vont arriver sur les lieux du tournage pour voir le héros aminci et relooké de leur sitcom favorite. La police en nombre devra les contenir, généralement sur le trottoir d’en face. Corollaire, la mafia locale, guère séduite par autant de gens et de flics sur son carré de bitume, va venir demander à Stigwood une petite contribution financière, afin de « sécuriser » les lieux de tournage. Ignorées dans un premier temps, ces demandes seront acceptées après le départ tout à fait accidentel de quelques incendies (notamment devant la boîte où se passe une grande partie du film). Mais le pire n’est pas là. Travolta sur qui repose tout le film perd au début du tournage sa femme de dix-huit ans son aînée, emportée par un cancer du sein. Il lui faudra composer avec le deuil et la douleur et assurer devant la caméra … une légende est en train de s’écrire …

Travolta & Gorney

Badham tiendra le cahier des charges, et les premières diffusions du film ont lieu fin 1977. Résultat : un film qui a coûté trois millions et demi de dollars en a rapporté quasi 70 fois plus lors de son exploitation en salles (sans compter les VHS, les locations, Dvd, Blu-ray, ou les ressorties en salles). La bande-son du film s’est dépotée à 40 millions d’exemplaires dans le monde, avec trois titres des Bee Gees (« Stayin’ alive », « How deep is your love » et « Night fever ») en haut des charts mondiaux en 1978. Il paraît que celles de « Bodyguard » et « Dirty dancing » ont fait mieux à quelques unités près. Sauf que ces deux dernières étaient des vinyles (ou Cds) simples, celle de « Saturday night fever » est un double vinyle (ou Cd).

Comment tel raz-de-marée commercial est-il possible ? Parce que contre toute attente « La fièvre du samedi soir » est un film, un vrai de vrai. Avec une histoire, des personnages pas toujours très simples-simplistes-simplets, une énorme performance de Travolta (qui est de toutes les scènes) … Et puis une conjonction étonnante avec l’actualité. La vague disco aurait pu avoir disparu lors de la sortie du film. Elle était en train de submerger le monde, tous les clubs, toutes les radios, tous les juke-boxes crachaient du disco. A quelques encablures du lieu de tournage le Studio 54 devenait la boîte la plus branchée du monde, Bianca Jagger en était son égérie (et principale cliente), son Mick de mari y passait quelques fois, et toutes les stars et milliardaires du monde s’y faisaient photographier. Et c’était une boîte à la programmation 100% disco … Rarement film a été autant raccord avec l’actualité qu’il traite (le seul autre exemple qui me vienne à l’esprit, c’est « Le dictateur » de Chaplin). Et ça attirait du monde parce qu’on voyait et entendait (en plus du chant et de la danse) dans « La fièvre du samedi soir » des choses assez rares dans les films grand public (des « fuck » et des « shit » à chaque phrase, des tétons de strip-teaseuse, des mecs qui prennent de la drogue, une tournante à l’arrière d’une voiture, un avortement, un suicide, …)

Papa et Maman Manero

« S.N.F. » (désolé je vais commencer à abréger, je commence à trouver le temps long devant mon clavier), c’est une tranche de vie de Tony Manero (Travolta of course), jeune italo-américain de Brooklyn. Il bosse dans une quincaillerie, et le samedi soir, comme c’est un bon danseur, il se met sur son trente et un et va, accompagné de ses potes aussi bas du front que lui, foutre le feu au dancefloor d’une boîte minable du quartier, espérant se faire remarquer (et plus si affinités) de quelque gonzesse peu farouche … L’intrigue essentielle du film sera pour lui de trouver une partenaire (et accessoirement de la sauter) avec laquelle il pourra remporter un concours de danse dans sa boîte de prédilection … On en connaît des films musicaux, tristes navets sonorisés où le script est aussi mince (« Footlose », « Dirty dancing », « Flashdance », et foultitude d’autres ayant eu moins de succès) qui ne présentent aucun intérêt.

Dans « S.N.F. », on s’attaque aussi à la vie sociale et familiale de Tony Manero (le paternel chômeur, la mère femme au foyer, le frère aîné au séminaire et bientôt défroqué, la petite sœur mutine, et la vieille mama au bout de la table). Cet espèce de matamore en dehors de chez lui (parce que at home il prend des torgnoles s’il se tient pas bien) se fait enfumer par sa dulcinée totalement mytho (elle est secrétaire dans une agence de com, et lui fait croire qu’elle prend le café ou ses repas avec toutes les stars du ciné ou de la chanson qui passent en ville, et ça émeut fortement Tony, lui qui ne connaît même pas l’existence d’Eric Clapton ou de Laurence Olivier …). Pourtant, Tony, il en a des références. Dans sa piaule, y’a des posters de Rocky Balboa, Bruce Lee, Al Pacino, et côté meufs, Farah Fawcett en maillot de bain et Lynda Carter dans sa tenue de Wonder Woman. Et puis, le rêve de Tony et de ses bras cassés de potes, c’est une fois passé le Verrazano Bridge (dont il connaît tous les détails architecturaux et où lui et sa bande vont faire de l’équilibre sur les travées et les filins en sortant de boîte) de pouvoir aller à Manhattan, chez les gens « bien », dans cet autre monde … et « S.N.F. », contrairement à beaucoup de ses semblables longs-métrages, n’est pas un film avec une happy end … Même Tony a à peu près tout foiré, il garde son boulot minable, il essaie d’aller vivre avec sa partenaire à Manhattan, mais c’est pas gagné, et il s’est rendu compte qu’il y a des Blacks et des Porto-Ricains qui dansent mieux que lui … et en plus de victimes virtuelles du film, le pauvre Badham s’est fait virer par la Paramount le lendemain de la première (dialogues et scènes vulgaires, les gens de la vénérable maison ayant frisé l’apoplexie sur le plan en contre-plongée de Travolta en slip). Autres victimes collatérales plus tardives : les Bee Gees, dont le nom n’est pas prononcé une seule fois (faut le faire) au cours d’un doc de 30 minutes sur la musique du film (je suppose que des histoires de contrats, de droits, de royalties ayant fini au tribunal doivent expliquer ça)…

Helen, la vraie maman de Travolta

« S.N.F. » a eu du succès parce qu’il enquille les scènes fameuses, devenues cultes. Et ça commence dès l’intro, pendant que défile le générique, où l’on voit Tony, un pot de peinture à la main, marcher en rythme sur la musique de « Stayin’ alive ». Parenthèse, pour bien situer le côté fauché du film, pendant cette scène inaugurale, Tony achète une part de pizza et une fois arrivé au magasin, vent le pot de peinture à une femme d’un âge respectable qui l’attendait. La marchande de pizza, c’est la sœur de Travolta, et la mamie dans le magasin, sa propre mère …Et puis Travolta exécute de grands numéros de danse, certains improvisés. Et sans être doublé. Il a refusé et est le plus souvent filmé de pied en cap quand il danse (comme Fred Astaire, il l’a exigé) ce qui montre qu’il n’y a pas de doublure. Enfin si, une fois, et même des années après, ça fout la rage à Travolta quand il en cause, c’est le plan au début où il met sa chaussure en face d’une exposée en vitrine pour juger de son effet. Et bien, c’est pas sa jambe, il y a eu recours à une doublure, personne a jamais compris pourquoi, juste pour lever la jambe devant une vitrine …

« S.N.F. », c’est aussi un film qui fourmille de références. Pas seulement les posters dans la piaule où le name dropping effréné de Karen Lynn Gorney. On sait pas si le scénariste a pas eu suffisamment de temps ou si c’était une feignasse, mais enfin … la boîte de Tony s’appelle le 2001 Odessey, la baston dans l’entrepôt désaffecté avec les latinos très chorégraphiée est un copier-coller de celle entre les Troogs et les Je-sais-plus-qui de « Orange mécanique », et cette rivalité entre bandes renvoie à « West side story ». Et toute la thématique et l’ambiance faussement joviale alors que des drames se nouent, les bandes et les bagnoles, ça fait quand même un peu penser à « American Graffiti ».

A contrario, quand Travolta et Gorner sont assis sur un banc sur les quais surplombés par le Verrazano Bridge, on trouvera quelques mois plus tard exactement le même plan filmé de l’autre côté du fleuve par Woody Allen (lui et Diane Keaton sur un banc) dans, of course, « Manhattan ».

Ma scène préférée : le cours de danse disco pour troisième âge dans le local où va vont s’entraîner Travolta et Gorner …

Conclusion (ouf …). Pas un chef-d’œuvre, mais un très bon film culte …


JOHN LENNON - IMAGINE (1971)

 

Béatification ...

Être John Lennon aurait pu en soi être suffisant … Être un ex-Beatles, plus grand groupe pop de tous les temps, (co-)auteur de la moitié de leurs titres les plus connus, et leader du groupe (enfin, celui qui l’ouvrait le plus souvent, à grands coups de métaphores et de punchlines comme on dirait maintenant dans les conférences de rédaction de CNews) … Un génie, vous disaient plein de gens … Et le John se plaisait à cultiver son image de rigolo sérieux, d’intello loufoque, pour la plus grande extase de ses fans …


Une fois la débandade du plus grand etc … consommée, les quatre (enfin, moins Ringo, qui enchaînait soirées casino et cocktails) vont se livrer à une course à l’échalotte afin de déterminer qui était le meilleur Beatles. Ce qui entrainera une diarrhée vinylique conséquente, à coups d’albums tous les six mois pour Lennon et Macca, et carrément un triple vinyle pour Harrison … et sans compter les machins inaudibles sortis par le couple John et Yoko (« Two Virgins », « Unfinished music », « Wedding Album », le « Plastic Ono Band » version Yoko).

« Imagine » est le second 33T du binoclard le plus célèbre du monde, version Ghandi du pop-rock-machin …. Qui succède à l’introspectif « John Lennon / Plastic Ono Band » et deviendra le plus connu de son auteur et un incontournable de toutes les listes des meilleurs disques ever … en grande partie grâce à son morceau titre, scie pacifique et consensuelle (« … imagine all the people living life in peace, … imagine there’s no countries, no possessions … ») que tout humain, mis à part Vlad the Lad et quelques autres du même tonneau, ont entendu jusqu’à la nausée dans leur vie. S’il ne fallait garder qu’un titre de Lennon pour le « grand public », nul doute que « Imagine » serait celui-là. Un truc bête comme chou, une mélodie toute simple sur un piano légèrement désaccordé, la voix doublée du John (il ne la supportait pas « naturelle » et a systématiquement utilisé le re-recording pour ses parties vocales), et des paroles déjà en 1971 d’un autre temps autour de la thématique hippie du peace and love déjà passée de mode …


Alors forcément, quand un morceau comme ça se trouve en intro d’un disque, ledit disque va s’écouler par millions et ravir ceux qui ne demandent qu’à l’être. Mon exigence et ma rigueur légendaires m’obligent à signaler à l’auditoire que, comme tous les 33T de Lennon, « Imagine » n’est pas le chef-d’œuvre que l’on vous vend depuis cinquante ans. Meilleur que beaucoup d’autres, certes (quelqu’un pour défendre « Some time in New York City » ou « Mind games » ?), mais aussi bien chargé en titres … comment dire … euh … quelconques.

Ici, deux arbres cachent la forêt calcinée. « Imagine » donc et peut-être l’encore meilleur « Jealous guy ». Ce dernier, malgré ses airs de famille troublants avec « Imagine » (le tempo, la mélodie au piano entêtante) est plus fini, plus abouti. Le pont sifflé est une bonne trouvaille et les cordes sont parcimonieusement et judicieusement dosées sur le final.

Ono, Lennon & Spector

L’occasion de citer Phil Spector. On le sait, Lennon et Harrison s’étaient entichés du grand homme (enfin, pas par la taille) dès la période eau dans le gaz des Beatles. Contre l’avis de McCartney, Spector avait produit « Let it be », album poisseux et dégoulinant de violons qui n’arrivaient pas à masquer la panne créative de ceux qui étaient encore quatre mais plus fabuleux pour un sou. Et logiquement, Spector allait accompagner Harrison et Lennon dans leurs débuts en solo. Soyons clair, et de toute façon l’histoire s’est chargée de vérifier les supputations, Spector n’a plus rien de magique depuis l’échec de ce qu’il considérait être son chef-d’œuvre, le colossal « River deep, mountain high » (le titre, mais aussi l’album) de Ike (prié de rester loin de tout ça en studio) et Tina Turner. Le génie capable de transformer n’importe quelle chansonnette en titre d’anthologie commence à être sérieusement à l’Ouest, avant de bientôt basculer de l’autre côté de la farce … Mais en 71, même un Spector déclinant est un type qui sait pousser les boutons dans un studio. Pas de Wall of Sound ici, le Phil donne plutôt dans l’épuration boisée. Quelques cordes, violons, discrets dans le mix, et pas d’instrumentation pléthorique. Même si question casting, y’a du beau linge sur « Imagine ». Les fidèles Klaus Voormann (pote de longue date, la pochette de « Revolver » c’était lui) et Nicky Hopkins (cinquième Beatles et sixième Stones), Jojo Harrison sur une moitié des titres (très bon à la slide sur « How do you sleep ? », on y reviendra sur ce titre), Jim Keltner (avec qui n’a-t-il pas joué ?) et Alan White (futur Yes) se partagent les parties de batterie, le grand King Curtis vient de temps souffler dans son sax … Et Yoko, allez-vous me dire ? Elle se contente de la co-écriture d’un seul titre (« Oh my love »), et surtout ne vient brailler sur aucun. Ah, et pour l’anecdote, c’est elle qui a pris la photo de Lennon qui sert de base avant retouche nuageuse et floutée à la pochette du disque …

A l’heure où le mot disruptif est à la mode, on peut pas dire que « Imagine » soit un disque disruptif. « Plastic Ono Band » l’était beaucoup plus, tout en rugosités et aspérités (le cri primal de Janov, la conceptualisation de Dieu, …). Lennon tirait un trait sur le monde des Beatles, dont « Imagine » est par contraste beaucoup plus proche. Et son ancien acolyte Macca au cœur des débats et du titre « How do you sleep », titre méchant et pas du tout second degré qui lui est adressé. « The sound you make is muzak to my ears », moi je veux bien, mais on peut pas vraiment dire que Lennon n’ait jamais pataugé dans la guimauve depuis la séparation des Beatles … l’assez embêtant et neuneu « Oh my love » en est la preuve ici … Ultime tacle à la carotide pour Macca, une photo au verso de la pochette qui voit Lennon tenir un cochon. Allusion à la pochette de « Ram » du Paulo où l’on voyait le bassiste poser avec un mouton. Tout ça est un peu mesquin et de toute façon niveau coup en dessous de la ceinture est loin de « The Notorious Byrds Brothers » ou David Crosby fraîchement parti du groupe est remplacé par un cheval sur la pochette … Dans ce contexte, on peut trouver étrange « Crippled inside », avec ses faux airs de « Lady Madonna » (signée McCartney), et ses rythmes antiques de jazz New Orleans. Joli morceau un peu quelconque tout de même …


Avec « Imagine » on se retrouve avec un peu de tout et aussi un peu n’importe quoi. « I don’t want to be a soldier », mantra bluesy et pacifique un peu longuet, où le Jojo prend une grosse voix grave farcie d’écho qui fait penser aux ruminations du Morrison de la fin des Doors. Niveau rêche, on a aussi l’autre blues « It’s so hard », ouais, bof … « Give me some truth » fait penser à « I’m the walrus » et bénéficie d’un solo tout en distorsion d’Harrison. Globalement, la fin du disque ne vaut pas le début, malgré un bon « How ? » titre où les arrangements de Spector sont le plus présents mais arrivent à rester sobres, aidés par le chant le moins bidouillé de Lennon et son final à l’harmonica qui renvoie à « Love me do » … Boucle bouclée ?

Au final, si Lennon avait réuni sur un seul disque les meilleurs titres de « Plastic Ono Band » et « Imagine », on aurait eu quelque chose qui ressemblerait au meilleur disque solo d’un ex-Beatles … Qui sera à mon avis « Band on the run » de McCartney-Wings …



Du même sur ce blog :

MEL BROOKS - LE SHERIF EST EN PRISON (1974)

 

Il était une fois à l'Ouest ...

Mel Brooks a toujours donné dans la comédie. Pas toujours très finaudes, ses comédies. Metteur en scène (entre autres) assez peu prolixe (il y a des décennies qu’il a arrêté de tourner, et c’est pas maintenant, à pas loin de cent ans, qu’il va s’y remettre …), il a quand même réussi à obtenir quelques petits succès critiques et publics avec trois de ses films. Avec son premier « Les producteurs », satire de l’envers du décor des musicals de Broadway, avant son coup de maître « Frankenstein Jr », pastiche du chef-d’œuvre de James Whale. Et sauvé miraculeusement des oubliettes, ce « Blazing saddles » (titre en V.O.).

Parce que le film était sorti début 74, avait été un bide total, et avait été remis à l’affiche à la fin de l’année, profitant du succès des premières séances de « Frankenstein Jr ». L’espace d’un éclair, Mel Brooks allait devenir la figure de proue du sous-genre humour juif newyorkais, avant l’arrivée de Woody Allen qui allait lui rafler son titre sans contestation …

Le Gouverneur Mel Brooks et sa secrétaire

Comme l’indique son titre en français, « Le shérif est en prison » est une parodie de western. Pas vraiment un film, plutôt une suite de sketches loufoques plus ou moins heureux. La trame de départ (vite perdue en route) est la même que dans « Il était une fois dans l’Ouest », des magouilleurs qui veulent exproprier pour faire passer une voie ferrée. Tous les ingrédients du western sont là (les gentils très gentils, les méchants très méchants et très cons, les peureux très peureux, les brutes, les Indiens, les bastons, les grandes rasades de whisky, les pin-ups chanteuses de saloon). Seul point remarquable, dans ce Texas « pour hommes », le shérif du patelin est un nègre (Mel Brooks a dû batailler avec la Warner pour que tous les « niggar(s) » des dialogues soient conservés), semi-esclave travaillant sur le chantier de la voie ferrée, qui s’est rebellé, a été condamné à la pendaison, et grâce (?) à un plan fumeux des méchants, se retrouve avec l’étoile sur le gilet …

Gene Wilder & Cleavon Little

Pour faire triompher la loi, l’ordre et la justice, il sera aidé par un prisonnier repenti, le Waco Kid, ancienne plus rapide gâchette de l’Ouest, devenu alcoolo tremblotant (mais vraiment alcoolo et vraiment tremblotant). N’ayant peur de rien, Mel Brooks proposera le rôle de ce gentil pistolero à rien moins que John Wayne, qui déclinera diplomatiquement (il a une image qui ne correspond pas vraiment au rôle). C’est finalement le complice habituel Gene Wilder qui reprendra le rôle au dernier moment, et qui est le seul du casting à faire bonne figure devant la caméra. Parce que le shérif héros du film est interprété par un certain Cleavon Little, acteur de théâtre de Broadway, assez loin, pour être gentil, de rendre une prestation oscarisable. A noter que Brooks avait suggéré le nom de son pote Richard Pryor, qui avait participé à l’écriture du scénario, rejeté par la Warner parce que pas assez connu à l’époque… Quelques troisièmes couteaux des castings (géniaux, assure Mel Brooks, hum …) complèteront la distribution. Mel Brooks jouera deux courts rôles, le Gouverneur Lepétomane (si, si, …) et un magnanime chef Indien.

Mel Brooks fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il avoue dans une interview qui accompagne le Dvd, que lui et sa femme (Anne Bancroft) vivaient dans le dénuement lorsqu’il essayait de monter le film. Le manque de moyens est évident, et est parfois utilisé comme base de gags (la baston finale qui déborde du plateau de tournage, se continue sur les plateaux voisins, avant de gagner les rues de Burbank au milieu des voitures et des bus scolaires, le tout s’achevant dans une salle de cinéma qui projette … « Le shérif est en prison ») ...

Un ange (bleu) passe ...

« Le shérif … » pastiche parfois d’autres films, les plus évidents emprunts sont à chercher du côté du récent « L’homme des hautes plaines » de Clint Eastwood (le village-leurre reconstruit qu’on fait exploser), et du beaucoup plus ancien « L’Ange bleu » (la chanteuse de cabaret, la chanson avec la chaise). Mel Brooks ne recule devant rien, c’est aussi le problème, l’humour est une denrée rare et précieuse à manier avec précaution. On peut rester réservé devant la multiplication des blagues racistes, les concours de pets après repas aux fayots, les tabassages de mémés, … Pas de blagues sur les Juifs, mais par contre l’obsession de Brooks pour les nazis avec les Sioux très organisés qui parlent allemand, la présence d’une patrouille de SS dans des mercenaires recrutés (en compagnie de types du Ku Klux Klan et de prémonitoires Touaregs armés de Kalachnikov) tient plus de l’obsessionnel que du comique …

Il faut tout de même reconnaître que certains gags nonsensiques sont bien foutus, et que Mel Brooks, en total control freak touche-à-tout, a participé à l’écriture et la composition de certains titres de la B.O. Petite anecdote : avec son budget de misère, Mel Brooks s’est quand même payé l’orchestre au grand complet (avec pupitres et tenues de gala) de Count Basie qui joue vraiment live en plein désert (pour d’évidentes raisons techniques, c’est la piste son d’un disque du Count qui a été utilisée dans le montage).

La doublette « Le shérif … » et le bien meilleur « Frankenstein Jr » seront les deux jalons de la très courte période sinon de gloire, du moins de reconnaissance populaire de Mel Brooks. Il se prendra ensuite à lui tout seul pour les Monty Python le temps de quelques risibles navets avant de ranger définitivement ses caméras au début des années 80.

Fans de Bigard et Dubosc, « Le shérif est en prison » est pour vous …


Du même sur ce blog :

Les Producteurs

Frankenstein Jr





ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



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BIJOU - OK CAROLE (1978)

 

Nostalgia …

Les Bijou furent en 76 et 77 à l’affiche de l’improbable European Punk Rock Festival de Mont-de-Marsan, initié par Marc Zermati (mort l’année dernière) et son label Skydog. Seuls les Anglais Sean Tyla et Eddie & the Hot Rods furent également des deux éditions … oui, le festival de Mont-de-Marsan, s’il fut le premier festival punk au monde, était quand même beaucoup plus orienté pub-rock (surtout la première année) que punk …


Et Bijou ? Très peu punks et pas plus pub-rockeurs. Ils venaient d’ailleurs. Géographiquement de la banlieue parisienne (Juvisy) et musicalement de déjà vieilleries pour l’époque. Des machins 50’s et 60’s. Mais ils jouaient ces trucs vieillots avec une énergie qui faisait la farce, et les faisait respecter par toute la scène musicale française contemporaine.

Bijou était le groupe de cette époque-là qui allait devenir énorme, tout le monde en était certain. Ils sont pas passés loin (quoique, ils ont vendu que des clopinettes de leurs disques), et ce sont Téléphone (surtout) et Trust (un peu moins) qui allaient rafler la mise et rallier les suffrages populaires fin 70’s – début 80’s.

Les Bijou sont un trio … de quatre personnes. Trois sur scène (Yann Dynamite à la batterie, Philippe Dauga chant et basse, Vincent Palmer chœurs et guitare), plus leur parolier et mentor Jean-William Thoury. Les lecteurs de Rock & Folk depuis …euh longtemps auront remarqué que Palmer et Thoury ont fait (font encore ?) partie de la rédaction, causant de vieilleries qui le temps passant deviennent de plus en plus vieilles. Et puisqu’on en est à causer Rock & Folk, les jambes sur la pochette de cet « OK Carole » sont celles de Brenda Jackson, elle aussi pigiste, mais chez leurs concurrents de Best dans les années 70.

« OK Carole » est le second disque de Bijou après le sympathique « Danse avec moi » (grâce notamment à ses deux quasi-classiques « Marie-France » et la reprise de « La fille du Père Noel »). « OK Carole » est plus homogène, ce qui selon le côté par lequel on aborde la chose, peut être un atout ou un handicap. Ici, la barre est carrément mise sur le vintage et la nostalgie.


Vintage parce que tout sonne « comme avant », c’est-à-dire en gros la première moitié des années soixante. Musicalement, c’est très anglais (les influences mod, premiers Who, Small Faces, …), et les paroles très français (les textes naïfs des Chats Sauvages, de Danny Boy, ce genre …).

Nostalgie parce que forcément rien ne rattache Bijou à son époque (allez si, le court « Pic à glace » peut évoquer le punk’n’roll des Ramones, exception qui confirme la règle). Palmer, maître musicien de la bande, fronce les sourcils dès qu’il est question d’un disque paru après 1966, et tout chez le Bijou de 1978 renvoie à des temps antédiluviens, la période yé-yé française (« Décide-toi (Twist) », rien que le titre, « Ton numéro de téléphone »), d’autres sont clairement sous influence période mod anglaise circa 63-65 (« Je te tuerai », « Non pas pour moi »). Le reste est à l’avenant, petits rocks concis et énergiques, paroles désuètes (l’esprit yé-yé, encore et toujours, l’ambiance du film « American graffiti »). De ce point de vue-là, un des descendant évidents de Bijou est Didier Wampas et son groupe du même nom …


Mais « OK Carole » restera surtout dans la petite (ou la grande, d’ailleurs) histoire du rock de par ici. A cause de Gainsbourg. Le Serge, plus ou moins retiré des affaires et surtout de la scène, autorisera la reprise par Bijou d’un de ses vieux titres oubliés « Les papillons noirs » (à l’origine un duo en 1967 avec Michèle Arnaud). Gainsbourg la chantera sur le disque (mixé très en arrière, c’est Dauga qui est à la voix lead), puis ne manquera pas une occasion d’aller voir ces jeunots de Bijou de scène, où il finira toujours par les rejoindre pour chanter avec eux « Les papillons noirs ». Devant l’accueil enthousiaste qui lui est réservé par le public (plutôt jeune) de Bijou, Gainsbourg se laissera tenter par l’idée de se produire à nouveau live, chose qu’il n’avait pas faite depuis des années. Ce sera la tournée restée dans les annales pour l’émoi réactionnaire qu’elle avait soulevé (à cause de sa version reggae de « La Marseillaise »), la renaissance populaire de Gainsbourg, et la naissance (plus souvent pour le pire que le meilleur) de son double Gainsbarre.

« Les papillons noirs » est le titre atypique qui sert de locomotive à « OK Carole », très largement au-dessus du lot. Dans un registre plus propre à Bijou, il convient de citer le morceau-titre, petit rock et nerveux sans fioritures (13 titres en demi-heure, des fioritures y’en a pas de toutes façons), « Sidonie » (du Wampas avant l’heure).

Difficile cependant de ne pas se gratter la tête à l’écoute de titres qu’on qualifiera d’erreurs de jeunesse (à force de rechercher la naïveté originelle du rock, faut éviter l’écueil de l’infantilisme), la palme revenant au (heureusement très court) morceau a capella « L’amitié » (peut-être une pochade de studio, chantée faux et aux paroles simplettes).

Enfin, pour l’anecdote, en plus de s’être fait piquer la popularité par Téléphone, les Bijou se sont aussi fait piquer un nom de morceau par la bande à Aubert (« J’avais un ami », les deux titres n’ont rien à voir, celui de Téléphone est le meilleur).

Inutile de préciser qu’aujourd’hui, sous le règne du streaming et des Maître (?) Gims de tout poil, ce petit disque sympa mais pas essentiel de Bijou, est, comme le reste de sa production, plutôt difficile à trouver …


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Danse Avec Moi



THE STRANGLERS - NO MORE HEROES (1977)

Deux pour le prix de deux ?

Les Stranglers ont débuté leur discographie sur les chapeaux de roues. En à peine plus de cinq mois en 1977, ils ont sorti deux trente-trois tours. « No more heroes » est le second. La moitié des titres avait déjà été enregistrée lors des sessions du précédent « Rattus Norvegicus », sessions d’enregistrement qui avaient duré 6 jours !! Autant dire que ça traînait pas…

Burnel, Greenfield, Black & Cornwell

Parce que l’époque voulait ça, pourrait-on croire … 77, c’est l’année punk, do it yourself, et fuck tout le reste … sauf que les Stranglers n’avaient à la base que peu à voir avec les tribus à crête iroquois et à épingles à nourrices … Les Stranglers étaient vieux (pour l’époque), Jet Black allait avoir 40 ans (le plus vieux punk du monde ?), Greenfield et Cornwell approchaient la trentaine, seul Burnel du haut de ses 25 ans faisait figure de minot dans cet équipage. Et puis, contrairement à l’immense majorité de leurs voisins de palier, les Stranglers savaient composer, ne se contentent pas du boucan de base alors de mise. Et accessoirement savaient se servir de leurs instruments. Musicalement et dans l’absolu, leur point faible s’appelle Hugh Cornwell qui n’est ni un guitariste virtuose ni un chanteur à voix (mais pourtant quand il quittera le groupe en 1990, les autres embaucheront deux types pour le remplacer). Cependant Cornwell ne sera pas un membre au rabais des Stranglers, au contraire ses lacunes seront le marqueur sonore du groupe, cette voix entre parlé et chanté, et les solos de guitare seront remplacés par des parties de claviers de Greenfield (médiatiquement le plus en retrait, mais celui qui donnera sa signature sonore au groupe). Les Stranglers sont un tout, un vrai groupe, et pas une juxtaposition de quatre types.

Les Stranglers seront un groupe imprévisible, et pas seulement musicalement. Autant présents dans les rubriques faits divers que dans les pages de critiques de disques. Multipliant bagarres, appels à l’émeute, déclarations ou actes sexistes, théories fumeuses, … sans que l’on ait jamais su si tout ça était spontané ou savamment mis en scène, toujours en équilibre sur le fil du rasoir. Et une bande de furieux, eux au premier degré, les Finchley Boys, qui les suivaient partout et contribuaient à entretenir l’image ultra-sulfureuse du groupe …


Déjà rien que le titre du disque témoigne de l’ambiguïté des Stranglers. « No more heroes ». Trois options : soit un coup de pompe dans les dents de Bowie dont le « Heroes » (titre et album) s’entendaient beaucoup à l’époque ; soit un regret nostalgique des temps passés et des grands personnages qu’ils abritaient ; soit un postulat punk, fuck off vos idoles seventies, on va les remplacer … Logiquement, en profitant des doubles sens, les trois à la fois, mon capitaine …

Autant à l’époque on ne savait pas trop sur quel pied danser avec les Stranglers, le temps n’a rien précisé. Musicalement, les Stranglers sont à la croisée de beaucoup de genres musicaux passés ou présents (du pub-rock, du garage, du psyché, du old rock ‘n’roll, du reggae, …) et leur son et leurs titres contiennent les germes de futurs courants en vogue dans les 80’s (new wave, post punk, pop à synthés, gothique, …). Tout ça dans le même disque, parfois dans le même morceau …

Bon je m’en vas vous dire que mis à part le très atypique « Feline », leur absolu chef-d’œuvre de 1982 (et un tournant dans leur carrière, après « Feline » ce ne sera jamais plus comme avant), je ne suis en extase devant aucun de leurs disques. Trop décousus, trop désinvoltes, trop hermétiques, abstraits, voire abscons, développant des idées et des thématiques que seuls les membres du groupe me paraissent maîtriser … Ce qui n’empêche pas leurs rondelles de contenir quelques morceaux fabuleux, généralement le plus simples, le plus abordables. Les Stranglers sont capables de merveilles mélodiques imparables.

Dans cette case, on trouve ici « Bring on the nubiles » (appel à l’orgie ?), avec un riff qui me semble un démarquage de celui de « All day and all of the night », un titre des Kinks qu’ils reprendront des années plus tard. « Something better change », emmené par Farfisa sautillant genre tex-mex, laboure les mêmes terres que le porte-parole des prolos Ian Dury. « No more heroes » le morceau-titre, sur la base d’un name dropping baroque, Shakespeare, Néron, Sancho Pança, Trotsky (sur la tombe duquel pose alangui Burnel au verso de la pochette), sera un incontournable de leurs concerts … Ces trois titres se succèdent au milieu du disque.


Qui commence par « I feel like a wog », comme du Doors en accéléré (le jeu de Greenfield évoque là très fortement celui de Manzarek, d’où la comparaison entre les deux groupes, mais qui ne vaut que pour quelques titres sur l’ensemble de leur carrière), et se termine, comme sur leur précédent « Rattus Norvegicus » par un long titre (« School mam »), perclus de synthés indigestes. Et on voit défiler tout au long des onze titres tout l’éclectisme des Stranglers, le sautillant « Bitching » (tout un programme, paroles classées X), les quasi pub-rock « Burning up time » et « Dagenham Dave », le (prémonitoire au niveau sonore) post punk « English towns », « Dead ringer » qui évoque Talking Heads et Television … le tout avec plus ou moins de réussite.

« No more heroes » est avec le temps un des trois ou quatre meilleurs Stranglers. S’ils avaient opté pour la concision en cet an de grâce 1977, et extirpé le meilleur de celui-ci et de « Rattus … », cette compilation serait fantastique. Séparément, ces deux disques sont trop inégaux, le dispensable côtoyant l’essentiel …


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Rattus Norvegicus
The Raven
Feline


SCORPIONS - BEST OF VOL.2 (1984)

 

La rigueur germanique ...

Il fut un temps que les moins de vingt ans …etc … Scorpions fut dans les années 80, un groupe au succès énorme. Voire démesuré. Des marqueurs d’une époque s’étant hissé au top à force de travail. Parce que les Scorpions, c’est pas les plus doués ou les plus flamboyants de l’histoire du rock. Juste des bosseurs, construisant disque après disque, tournée après tournée, les fondations de leur succès. Atteignant leur apogée musicale avec « Blackout » (1982), et leur apogée commerciale avec l’équivoque et centriste « Love at first sting » (1984).


Autres temps … l’épopée commerciale des Scorpions serait inenvisageable aujourd’hui, à cause de trois pochettes de disques, celles de « Lovedrive », « Animal magnetism » et surtout celle de « Virgin killer ». C’était avant les Chiennes de Garde, les tweets forcenés de la Schiappa, les hashtags accusateurs, et les velléités de quelques-unes, parties de bons sentiments égalitaires et auto-transformées en mégères tentant d’instaurer une dictature matriarcale … Bon, ces trois pochettes sont bien machistes, et celle de « Virgin Killer » (un procès – perdu – pour pédopornographie a même été intenté des décennies plus tard), euh … pas pire que - au hasard – celle de Blindfaith … En fait, ces trois pochettes, c’est juste une des preuves d’un goût douteux des Scorpions. Ils mériteraient autant de procès pour les fringues immondes dont ils s’attifaient (des machins léopards, puis à zébrures, et une fois le larfeuille bien garni de dollars, futes moulants en cuir et brushings défiant les lois de l’apesanteur, sauf Meine qui cachait son début de calvitie sous des casquettes de gavroche, en cuir forcément …). Bon, les Scorpions étaient allemands (de Hanovre l’industrielle, ce qui en soi constitue une circonstance atténuante), passaient leur temps à sans cesse remettre sur le métier leur ouvrage, et en bons employés de RCA puis d’EMI, ne s’occupaient que de musique, et pas de tout le reste …

Ce « Best of Volume 2 », pas vraiment grand monde en était demandeur. Sauf que les Scorpions triomphaient avec « Love at first sting », paru chez EMI, et donc RCA chez qui ils avaient passé les seventies, a voulu se faire un peu de brouzouf avec leur fonds de catalogue (un premier Best of des années RCA était sorti à l’époque de « Lovedrive », comme par hasard …). Déjà un best of seventies des Scorpions (qui plus est un Volume 2), c’est soit un contresens, soit un oxymore. Les Scorpions squattaient pas les radios, et encore moins les hit-parades.


Et on peut pas vraiment dire que les Scorpions, c’était la révolution de quoi que ce soit en marche. Sauf qu’à force d’obstination, bien aidés par Dieter Dierks qui fut pour eux beaucoup plus qu’un simple producteur, de disques qui s’amélioraient au fur et à mesure des sorties, et de prestations scéniques où le cochon de payant en avait pour son argent (les Scorpions étaient à l’heure, pas bourrés ou défoncés, faisaient du mieux qu’ils pouvaient sur scène, à une époque où des types s’écroulaient au bout de trois titres et où d’autres se ridiculisaient dans des morceaux qui duraient trois quart d’heure …). Et donc pas surprenant que ce soit un disque en public (« Tokyo Tapes ») qui soit de très loin leur meilleur des seventies. Les Scorpions c’était le sérieux Mercedes appliqué au hard rock.

Les Scorpions, leur âme, leur Malcolm Young, c’est Rudolf Schenker. Guitariste rythmique à Flying V, et auteur de quasiment toutes les musiques du groupe. Le Rudolf, même s’il se cache pas sur scène (il prend d’ailleurs quelques solos), il laisse la lumière à Klaus Meine (voix de cristal dans les aigus) et à Uli Jon Roth.

Un cas celui-là. Un des plus doués gratouilleurs de manche dans une décennie peu avare de guitar heroes, et un type définitivement ailleurs. Il fera plus ou moins son Clapton quand le succès arrivera, et déguerpira pour une carrière parallèle que pour être gentil on qualifiera de mésestimée … Le Uli est un de ces guitaristes obnubilés par Hendrix. Qui se divisent en deux catégories, les imitateurs laborieux (Trower, Marino, plus tard SR Vaughan, etc …), et ceux qui ont essayé de saisir l’esprit du Jimi (là il sont moins nombreux, Randy California et Uli Jon Roth, liste close pour les 70’s). Si le reste du groupe a les pieds sur Terre, Roth, lui est ailleurs, dans son univers cosmique, et ne s’adresse à ses semblables que par l’intermédiaire de sa guitare, dont il a inventé son propre modèle, la Sky Guitar (« The sky is crying », titre … d’Hendrix, évidemment). C’est Roth qui transcende « Tokyo tapes », et tirera musicalement durant toute la décennie le groupe vers le haut …


Et ça tombe bien, il y a dans ce « Volume 2 » trois extraits de « Tokyo Tapes », dont le cosmique, forcément cosmique « We’ll burn the sky », qui clôture la rondelle et suit une des rares compos signées Roth « Sun in my hand », hommage sonore évident au « Axis : Bold as love » de … Hendrix, of course …

Pour le reste, on trouve les prémices et la mise en place de tout ce qui a fait la trademark Scorpions, le son clair et mélodique (merci Dieter Dierks sur la plupart des titres), la simplicité classique (des titres plutôt courts, extrapolations sur les bases de rock’n’roll basique), et de temps en temps quelques dérapages (toujours contrôlés, hein, rigueur teutonne oblige) vers des rivages plus heavy … Avec toutes les caractéristiques du hard seventies, les relents du rock lourd psychédélique (« Looking for fire »), l’inspiration (imitation ?) du Zeppelin (l’intro très « Stairway to heaven » de « The need a million » qui fait également la part belle à d’inattendues guitares surf), les essais de ballade musclée (« Crying days », comme un brouillon de « Still loving you ») …

Cas à part dans le rock allemand de l’époque (pas de morceaux de demi-heure farcis de synthés, pas de krautrock, pas de prog qui ont fourni en ces temps-là le gros des troupes sonores prussiennes), les Scorpions ont toujours eu en ligne de mire le rock anglo-saxon et le public international qui va avec. De ce côté-là, mission accomplie …



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DAVID BOWIE - HUNKY DORY (1971)

 

The end of the beginning ...

En 1971, quand paraît « Hunky Dory », David Bowie n’est au mieux qu’un outsider parmi d’autres. Même si les tombés au champ d’honneur sont légion, il reste encore du lourd en haut de l’affiche. Et Bowie aimerait bien s’y retrouver en haut de l’affiche. Il y a une éternité (7 ans) qu’il a commencé à enregistrer. Avec des groupes d’abord, puis sous son nom (enfin sous son pseudo de scène, il est David Jones pour l’état-civil). Et seul un hit, « Space Oddity » en 1969 l’a placé fugacement sur la carte des gens qui comptent. Pire, une de ses vieilles connaissances-ami-concurrent, Marc Bolan, triomphe avec son « groupe » T.Rex.


Et Bowie, qui a toujours humé l’air du temps pour y coller au plus près comprend que des changements s’imposent. D’ailleurs, « Changes » qui ouvre son nouvel album est choisi comme single. Choisi par sa maison de disques plus exactement. Lui avait proposé « Life on Mars » …

Parenthèse martienne. « Life on Mars » est une déclinaison de « Comme d’habitude » de Claude François. Très tôt, Bowie avait voulu la reprendre, veto des éditeurs français (ils cherchaient une star pour l’adaptation, pas un inconnu). Ce sont finalement Paul Anka d’abord, et Frank Sinatra ensuite qui en feront un énorme succès international. D’ailleurs sur le verso de « Hunky Dory », à côté du titre « Life on Mars » on voit écrit entre parenthèses « inspired by Frankie ». Bowie n’a gardé que la grille d’accords et écrit ses propres paroles. Récemment, tous les JT de la planète l’ont diffusée lorsque le bidule techno américain s’est posé sur Mars. Alors que les paroles n’ont aucun rapport. Assez abstraites, elles semblent conseiller aux tenants de « l’Ancien Monde » (comme diraient les macronistes) réfractaires à tout changement des mentalités d’aller voir s’il y a de la vie sur Mars … « Life on Mars » ne sortira en single qu’un an et demi après sa parution sur « Hunky Dory » (mi-73, avec « The man who sold the world » en face B), pour surfer sur la vague Ziggy Stardust et occuper les charts. D’ailleurs le « clip » qui l’accompagne, nous montre un Bowie peinturluré par Pierre Laroche, très loin du look cheveux très longs de la période « Hunky Dory » … Fin de la parenthèse.

« Hunky Dory » est en progrès et en évolution par rapports aux précédents disques de Bowie. Il y a du changement (« Ch Ch Ch Ch Changes … »). Tony Visconti, producteur et bassiste du précédent « The man who sold the world » n’est plus du casting (il aura l’occasion de se rattraper, tant son nom s’est retrouvé associé à Bowie pendant des décennies). Derrière les consoles, officie Ken Scott (débuts tout minot aux côtés de George Martin aux studios Abbey Road, ce qui n’est pas rien pour apprendre à pousser des boutons). A la basse (et accessoirement à la trompette) Trevor Bolder. A la guitare, Mick Ronson, à la batterie Woody Woodmansey. Aux touches d’ivoire, un jeune surdoué, Rick Wakeman (oui, oui, celui-là même qui passera dans Yes avant de prendre un melon monumental et d’entamer une risible et prétentieuse carrière solo, mais qui en ce début des 70’s fait partie des pas trop mauvais Strawbs et participe à plein de sessions de studio, sessions pour lesquelles il est très demandé). Bowie joue quelques parties de guitare, les plus faciles de piano (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), et souffle dans un saxo. A la lecture du casting, on s’aperçoit qu’il suffit d’enlever Wakeman pour avoir l’équipe qui quelques mois plus tard, mettra en boîte « Ziggy Stardust » …

De Ziggy, on en est encore loin … Quoique … « Queen Bitch », avant-dernier titre de « Hunky Dory » contient tous les plans (les riffs de guitare saturée, le tempo rock’n’roll, la voix hurlée et forcée dans les aigus) de la prochaine mutation de Bowie et pourrait figurer tel quel dans « Ziggy … ». Je pense qu’au moment de l’enregistrement de « Hunky Dory », le suivant est déjà dans la tête de Bowie, au niveau sonore et dans la recherche du nom qui claque et commence par un Z. C’est malheureusement son fils qui vient de naître, le futur réalisateur Duncan Jones, qui se verra baptiser de l’encombrant prénom de Zowie … comme pour se faire pardonner, Bowie lui écrit la comptine folk « Kooks » dans un style qui fait penser à Donovan, titre dans lequel Bolder se hasarde à quelques notes de trompette.

Angela, David & Zowie Bowie

« Hunky Dory », comme ses prédécesseurs, part un peu dans tous les sens. Une tentative avouée (et avortée) d’imprimer les charts avec « Changes » qui fera de ce titre très mélodique et très pop un des classiques de Bowie, de la revue sur toutes les compilations. Une nette prédominance sur la première face du 33 Tours de parties de piano (« Oh ! You pretty things », « Life on Mars » évidemment, le dispensable « Eight lines poem »). Bowie nous refait aussi du gimmick à la 12 cordes acoustique qui avait contribué au succès de « Space Oddity » sur « Quicksand » (avec moins de réussite). Un titre qui ne vaut réellement que pour son texte ésotérique, où sont cités pêle-mêle Aleister Crowley, Himmler, Churchill, Greta Garbo, le Livre des Morts tibétain, … sans qu’on sache très bien où tout cela veut en venir … Témoin également de l’éparpillement du disque « Fill your heart » laboure les mêmes terres désuètes (vaudeville) que les Kinks de Ray Davies à la même époque.

Trois titres sont centrés autour de personnalités qui compteront beaucoup dans la vie et la carrière de Bowie. Andy Warhol dans la chanson éponyme, montre la fascination de Bowie pour le maître du Pop-art et sa galaxie, la Factory, dont font partie le Velvet Underground (il reprendra « White light, white heat » sur scène durant la période Ziggy Stardust) et qui dit Velvet dit Lou Reed (pile un an après la parution de « Hunky Dory », sortira « Transformer » produit par Bowie superstar, c’est dire si l’accélération du chanteur aux yeux vairons va devenir phénoménale …). « Song for Bob Dylan » a lui aussi le mérite de ne pas laisser planer l’ambiguïté sur le destinataire. Sur une instrumentation qui sonne très The Band, Bowie livre au Zim un hommage reconnaissant pour l’ensemble de son œuvre et de son interprétation (« a voice like sand and glue »), tout en laissant paraître une certaine frustration sur les parutions récentes, ce sur quoi on ne pouvait guère lui donner tort, Dylan étant pour le moins en 1971 à la recherche d’un second souffle créatif …

Ronson, Bowie & Woodmansey

Enfin, le titre qui clôture « Hunky Dory » est l’autobiographique « Bewley Brothers », en référence plus ou moins transparente à sa complicité adolescente avec son demi-frère Terry Burns, de dix ans son aîné, qui a été son formateur et initiateur musical (lui faisant connaître entre autres, nobody’s perfect, le jazz). Schizophrène, Burns a été interné à la fin des années 60 (il a été la source d’inspiration du titre « All the madmen » sur « The man who sold the World » et le sera plus tard de « Jump they said » qui évoque son suicide sur le disque « Black tie white noise » en 1993). Devenu star, Bowie entretiendra des rapports ambigus avec son demi-frère, réglant ses frais médicaux, le visitant parfois fréquemment, ou au contraire passant des années sans le voir ni s’inquiéter de sa santé …

« Hunky Dory » ne m’apparaît pas faire partie de la demi-douzaine d’indiscutables de Bowie, mais se situe juste en dessous, et inaugure réellement la décade prodigieuse de Mr. Jones.



Du même sur ce blog :

The Man Who Sold The World 

Ziggy Stardust

Aladdin Sane

Station To Station

Heroes

Tonight
The Next Day