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BOBBY CHARLES - BOBBY CHARLES (1972)

 

Born on the bayou ...

Fin 1955. Leonard Chess, de la maison de disques du même nom, reçoit un appel d’un gamin de Louisiane, Robert Charles Guidry. Ce minot de 17 ans lui fredonne au téléphone une chanson qu’il a écrite, « Later, alligator ». Chess, pourtant pas un philanthrope, la lui fait enregistrer et lui laisse même les droits d’auteur. Bide total. Le titre n’est pas perdu pour autant. Quelques jours plus tard, il tombe dans l’oreille de Bill Haley, toute première star de ce genre qu’on n’appelait pas encore rock’n’roll, tout auréolé du succès international de « Rock around the clock ». Haley fait sa propre version du titre du minot, rebaptisé « See you later, alligator ». Ce sera son second (et à peu près dernier) gros hit.

Début des années 2010. Rhino, label spécialisé dans les rééditions, fait les poubelles, et tombe sur le premier disque de Robert Charles Guidry, devenu depuis Bobby Charles, et qui vient de se payer un superbe costard en sapin. « Bobby Charles », paru en 1972, est réédité. Et comme bien souvent depuis des lustres, on essaye de nous vendre des machins obscurs faits par des types aujourd’hui au mieux grabataires, comme étant des merveilles oubliées des fabuleuses années 60 ou 70. Les dithyrambes pleuvent comme mousson en Inde sur des Bill Fay, Fred Neil, Linda Perhacs, Duncan Browne, … autant de gens ayant sorti au mieux une poignée de disques dans l’indifférence générale au siècle dernier. La mayonnaise prend un peu avec Sixto Rodriguez, un film (« Sugar Man »), la réédition de ses deux disques médiatisée avec des arguments (fallacieux, of course) genre le « Bob Dylan de Detroit » (après écoute, quoique sympathiques, les disques de Rodriguez sont juste du niveau des mauvais disques de Dylan). Le Bobby Charles, lui, passe sous tous les radars, le bouche à oreille mettra longtemps à infuser, et son disque finira par ressortir avec des bonus, atteignant péniblement un succès d’estime…


Retour vers le futur. Au début des 70’s, Bobby Charles qui court en vain après le succès depuis 15 ans, déménage à Woodstock. Il y a belle lurette que les derniers flonflons du festival sont éteints, ne reste plus dans le coin que les bouseux de The Band (normal, ils étaient à Woodstock dans leur maison de Big Pink avant le grand raout hippie). Et Bobby Charles est plus ou moins pote avec leur bassiste Rick Danko. Rappelons à l’usage des jeunes générations que The Band était (sous le nom des Hawks) le groupe qui accompagnait sur scène Bob Dylan lors de sa « découverte » de l’électricité, qu’ils ont mitonné ensemble ce qui deviendra les « Basement Tapes ». Et que The Band avec sa seconde galette (sans nom, avec la pochette couleur terre de sienne brûlée) a sorti un des plus beaux disques de tous les temps (avec tous ces « Across the great divide », « The night they drove Old Dixie down », « Up on Cripple Creek », « Whispering pines », j’en passe et d’aussi bons …). Avant de sérieusement décliner, et de finir par s’auto-enterrer sous la caméra de Scorsese (The last waltz »), concert d’adieu et interminable défilé des potes venus en pousser une à l’occasion. Parmi eux, Bobby Charles. Bien évidemment, coupé au montage …

1972. Avec l’aide du poteau Danko, des autres membres du Band (sauf Robertson) et de quelques types qui s’arrêtaient toujours dès lors qu’ils voyaient de la lumière dans un studio (notamment Mc Rebennack, alias Dr. John, Louisianais comme Charles et forcené des séances d’enregistrement), Charles enregistre son premier disque. Il a alors trente-quatre ans et fait déjà partie des vieux de la vieille. Il est signé par le manager du Band, Albert Grossman sur son label Bearsville.


Le résultat ? Les sachants vous diront que « Bobby Charles » est un disque de swamp rock (figure de proue du genre, Tony Joe White). Comme souvent, les sachants se trompent. « Bobby Charles » c’est beaucoup plus que ça. C’est le disque d’un type qui a eu des années pour faire macérer ses titres, et qui là, avec un backing band de rêve, les sublime. On est presque au niveau du disque du Band dont au sujet duquel il était question plus haut. C’est facile, rien à jeter sur cette rondelle. Euh, si, la pochette, le mec avec son clébard au bord de l’eau côté recto et côté verso, le Charles en train de bouffer une portion de pastèque. Même Jean Ferrat ou Nino Ferrer dans leur période Ardèche et Limousin n’ont pas osé faire aussi moche …

Parce que niveau musique, c’est stratosphérique. Tout en restant d’une facilité et d’une décontraction totale. On imagine les types enregistrant tous ensemble après avoir éclusé force bouteilles, fumé moultes cigarettes qui rendent nigaud, et s’être envoyé dans le pif quelques remontants sous forme de poudre blanche. Sans que pour autant ça fasse jam informe (en gros on est pas chez George Harrison période « All things must pass »). Toutes les racines de Charles sont là.

Le swamp rock souvent cité, cet inimitable groove chaloupé propre à la Louisiane et à La Nouvelle Orleans. Le type vient de là, est imprégné de toutes les musiques moites et swingantes du coin. On relève des touches de cajun, de zydeco, de honky tonk, portées quand il faut par des cuivres ou un accordéon (à doses homéopathiques, y’a rien qui fasse fanfare ou Clifton Chenier), et soutenues par l’omniprésent et reconnaissable entre mille piano de Dr. John (à noter que Charles est fan de Fats Domino et de son style de piano, il lui a même composé un de ses derniers hits « Walking to New Orleans »). Et puis il y a la patte rustique du Band, capable de produire une musique qu’on jugerait immémoriale, tant elle s’ancre dans les tréfonds de la culture populaire américaine. Où l’on part de très vieilles choses (de la country, du hillbilly, du western swing, du jazz, du blues) et l’on recrache tout ça au début des seventies, une époque où le Band commence à devenir quelconque, et Dylan encore pire (les minables « New morning » et « Self Portrait »). Des années plus tard, on appellera ça de l’americana ou du classic rock…

The Last Waltz, Charles caché par le micro 

Les deux premiers titres (« Street people » et « Long face »), c’est aussi fort que le Band en 69, « Small town talks » décrit mieux l’Amérique profonde (les ragots, les voisins qui s’épient) que tous les Mellencamp de la création. « It must be the good place now » est le seul morceau qui permette de citer Tony Joe White par son côté ballade feignasse, « Let yourself go » fait remonter les effluves du bayou louisianais, « Grow to old » renoue avec le meilleur des « Basement tapes » (enregistrées depuis longtemps, mais pas parues officiellement), « Tennessee blues » envisage le blues comme Hank Williams (beaucoup plus proche de la country donc, et ici avec un sublime accordéon discret).

La merveille des merveilles de ce disque se nomme « Save me Jesus », et ça pourrait presque me réconcilier avec la religion, tant c’est du même niveau que, au hasard, « Presence of the Lord » de Blindfaith ou « Amazing grace » par qui vous voulez qui en ait l’étoffe (Aretha Franklin, Ray Charles). Le titre commence à l’arrache, on sent qu’il n’y a pas eu deux cents prises, c’est du country-rock pépère (davantage de country que de rock au début, l’inverse à la fin).

Ce « Bobby Charles » aurait dû se vendre par camions. Il n’en fut rien. Et la réponse se trouve (au moins en partie) dans « All the money », inspirée par son manager Albert Grossman, véreux à souhait. Charles vient de s’en rendre compte à ses dépens (« il a tout le pognon, tout le whisky, toutes les femmes, et moi que dalle » disent en substance les paroles de la chanson). Allumer ainsi le type qui vient de te signer avant la sortie du disque n’est pas la meilleure stratégie marketing à adopter, même si Charles et ses potes devaient bien s’en foutre et de la stratégie et du marketing. Un titre en tout cas à mettre en parallèle avec le « Zanz Kant Dance » de John Fogerty dont on peut se demander s’il ne s’est pas fortement inspiré pour ce coup-là de Bobby Charles …

En tout cas, le résultat des courses sera sans appel. « Bobby Charles » sera un bide considérable. Et bien évidemment il n’aura pas une seconde chance, même si une poignée de disques sous son nom paraîtra dans les décennies suivantes, sans que cela n’émeuve qui que ce soit …

Contrairement à Yseult (??) ou Pomme (???), (en attendant l’an prochain Tristan et Poire Williams ?), Bobby Charles n’a jamais gagné de Victoire de la Musique… raison de plus pour vous intéresser à son cas …


GENESIS - THE LAMB LIES DOWN ON BROADWAY (1974)

 

Attestation sur l'honneur

Je soussigné, Lester Gangbangs, né le 15 Frimaire An CLXX dans le Pays d’Oc, sain de corps et d’esprit, en possession de toutes mes facultés, déclare être propriétaire de l’enregistrement musical ci-dessus nommé, déclare l’avoir écouté, et déclare donc être en mesure d’en donner une appréciation éclairée et pertinente.

Description du bien.

« The lamb lies down on Broadway » est un enregistrement phonographique du groupe anglais Genesis. Il se présente sous la forme d’un boîtier en plastique translucide légèrement rectangulaire d’une largeur de 142 (cent quarante-deux) millimètres, d’une hauteur de 125 (cent vingt-cinq) millimètres, et d’une épaisseur de 9 (neuf) millimètres. L’objet s’ouvre en faisant basculer le boîtier autour de deux petits ergots en plastique, laissant apparaître sur la droite un livret de 16 (seize) pages contenant le concept de l’œuvre, les paroles des chansons, les informations sur les artistes ayant participé à la création du phonogramme, diverses photographies, ainsi qu’une double page présentant les autres œuvres du groupe disponibles dans le commerce. Sur un plateau pivotant à l’opposé de l’ouverture du boîtier se trouvent calés par de petits picots centraux 2 (deux) compacts discs, un sur la face supérieure du support, l’autre sur sa face inférieure. Dans un souci remarquable d’ergonomie, le premier à apparaître à l’ouverture du boîtier est celui sous-titré « Disc One ». L’ensemble (boîtier, livret, supports musicaux) accusant sur la balance le poids de 108 (cent huit) grammes.

Usual suspects

Origine du bien.

Ainsi que stipulé plus haut, l’œuvre est dûe au groupe anglais Genesis et s’intitule « The lamb lies down on Broadway ». La parution initiale date du 18 Novembre 1974 sous la forme d’un double trente-trois tours sous pochette de type « gatefold » (pochette fonctionnant comme un livre, un disque vinyle de chaque côté). L’œuvre est parue sur le label phonographique Charisma, sous la référence CGS 101. La copie en ma possession est une réédition de 1994, référence CGSCDX 1, bar-code 7243 8 39774 2 0, fabriquée en Hollande et mise sur le commerce par la maison Virgin Records. La date d’acquisition de cet objet est pour le moment inconnue. Il ne fait l’objet d’aucun gage, nantissement ou hypothèque quelconque. Il en dans un état très correct (near mint selon le barème descriptif des sites spécialisés dans la vente d’œuvres musicales d’occasion) car peu joué.

Contenu du bien.

Le premier Cd (« Disc One ») comprend 11 (onze) pistes musicales pour une durée de 45’37’’ (quarante-cinq minutes et trente-sept secondes), le second Cd (« Disc Two ») comprenant pour sa part 12 (douze) pistes musicales pour une durée de 48’52’’ (quarante-huit minutes et cinquante-deux secondes). L’ensemble contient donc 23 (vingt-trois) titres pour une durée totale de 94’28’’ (quatre-vingt quatorze minutes et vingt-huit secondes, équivalent d’une heure trente-quatre minutes et vingt-huit secondes). Le titre le plus long est le septième du « Disc Two », ayant une durée de 8’16’’ (huit minutes et seize secondes), le plus court est le troisième du « Disc One », sa durée est de 33’’ (trente-trois secondes).

Analyse du bien.

Les mêmes en couleurs

Comme précisé au paragraphe ci-dessus, l’écoute du bien prend donc 94’28’’ (quatre-vingt-quatorze minutes et vingt-huit secondes), non compris évidemment les temps nécessaires à la mise sous tension des appareils, à l’ouverture et au chargement du lecteur audio, et au changement de disques. Ce qui est bien long.

On y entend tout du long des 23 (vingt-trois) pistes les ci-après nommés  Michael Rutherford, Phil Collins, Steve Hackett, Tony Banks et Peter Gabriel (uniquement désignés par leur prénom dans le livret dont il a été question dans le paragraphe « Description du bien », comme s’il s’agissait de vieux amis ou de gens appelés à le devenir) produire une musique de type « rock », sous-genre « progressif », catégorie  « brise-burnes ». Cette description ne visant pas à porter atteinte à des tiers, qui pris de démence ou de surdité soudaines, trouveraient un intérêt quelconque à cette œuvre, nous n’en dirons pas plus.

Tout juste nous bornerons-nous à préciser à l’attention des déprimés à cause d’un cinquante douzième confinement dans la cage à lapins qui leur sert de logement, et qui envisageraient un suicide par voie auriculaire que cette œuvre devrait facilement les amener à passer à l’acte. Mention particulière aux synthés criminels de Tony Banks et à l’insupportable voix de Peter Gabriel qui se force à piailler dans des aigus à l’hélium. Quant à l’inénarrable Phil Collins, il se contente ici de brasser de l’air autour de ses fûts, toms et cymbales divers, avant de devenir chanteur du groupe et en solo de sa voix de canard asthmatique et de faire entendre les pires sévices sonores des années 80. Les deux autres ne méritent pas qu’on s’étende sur leur cas.

A noter que « The lamb lies down on Broadway » est un concept-album ou un opéra rock ou un machin de ce genre, censé narrer les péripéties d’un certain Rael dans le New York des mid seventies … ça vous donne pas envie ?

Fait pour valoir ce que de droit.


Des mêmes sur ce blog :

We Can't Dance 



QUEEN - A NIGHT AT THE OPERA (1975)

 

Opéra comique ?

Bon, par où commencer cette affaire ?

Que d’après un sondage « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des militaires anglais (oh putain, y’aurait tellement de choses à dire … la chanson d’une des plus grosses folles du rock plébiscitée par les hommes, les vrais, ceux qui défendent la Patrie …)

Que d’après un autre sondage, « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des automobilistes qui roulent en Seat (ouais, je vous vois venir, en plus de rouler avec une caisse pourrie, ces gens-là écoutent de la musique de merde …)


Que d’après les plateformes de streaming (et suite au succès du très mauvais biopic sur Queen), « Bohemian Rhapsody » est la chanson la plus écoutée du vingtième siècle (et là, j’aimerais savoir quelle est la purge la plus écoutée de ce siècle actuel de malheur …). Et à l’attention de tous les Castex qui se croient mélomanes comme lui se croit Premier Ministre, rappelons que parmi les Anglais du XXème siècle, on trouve quelques noms comme Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Led Zeppelin, Pink Floyd, Oasis, Blur, et autres David Bowie, Elton John, George Michael, tous ces individus ayant vendus du disque par containers entiers …

Vous l’aurez compris, beaucoup de choses tournent autour de « Bohemian Rhapsody », titre composé par Freddie Mercury et considéré comme le sommet de « A Night at the Opera ». Petite remarque, ce titre était un peu le serpent de mer du disque, toujours en « work in progress » et avait fini par foutre les nerfs aux trois autres du groupe, qui lors des séances d’enregistrement, l’avaient rebaptisé du peu amène « le machin à Freddie ». « Bohemian Rhapsody », tous les Anglais de sept à soixante-dix-sept ans et plus, connaissent les paroles (abracadabrantes) par cœur. « Bohemian Rhapsody » est l’arbre qui cache la forêt « A Night At The Opera » …

Bon, par où continuer ?

Et si on parlait de Queen, ou plutôt de l’image de Queen. Queen, c’est le groupe que tous les « connaisseurs » adorent détester. Accusés de grandiloquence, de mauvais goût (tant au niveau du look que de la musique), de faire du hard et du prog bas de gamme, d’avoir sorti des titres (« We will rock you », « We are the champions ») beuglés par des hordes avinées et basses du front dans tous les stades de la planète (ou dans les fins de banquet par les mêmes avinés bas du front). Et insulte suprême, d’avoir vendu du disque à coups de dizaines de millions …


Je vais vous dire comment je vois les choses. Vous avez déjà entendu parler de second degré ? Tous les gardiens du Temple pour qui le rock et ce qui en découle doit être régi par des règles immuables et codifiées par une bande d’idoles le plus souvent cafardeuses et sacrificielles (le Club des 27, « Hope I die before I get old », les yeux battus, la mine triste et les joues blêmes en cuir noir, la défonce, la technique du solo de guitare, ou pire de batterie, …) tous ces clichés mille fois rebattus qui te situent du bon « côté » (du sérieux, de la crédibilité, du cimetière,…). Queen, comme quelques rares autres (Zappa est le premier nom qui me vient à l’esprit) l’a très rapidement joué second degré, caricaturant tous les codes du rock-pop-machin. Et la caricature, ça fait pas rire les intégristes, c’est bien connu, ça donne des envies de décapitation … Et les Queen, plus souvent que tous les autres et qu’à leur tour, se sont retrouvés le cou sur le billot … Queen, ce serait n’importe quoi, du vulgaire et du racoleur à la tonne, les Bigard du rock … ouais, faut voir …

La parole est à la défense … Techniquement, tant au niveau individuel que collectif, des arrangements et de la production, les Queen ont placé la barre plutôt haut. Combien de groupes peuvent aligner dans leur casting quatre types qui tous peuvent composer et chanter lead, placer des chœurs à rendre jaloux Beatles, Beach Boys et Byrds, hein, dites un peu … Ok, les Eagles, … tiens encore un autre groupe détesté par les auto-proclamées élites du rock … sauf que les Eagles, ils font peu ou prou toujours le même disque, voire le même morceau… ou encore Kiss, en mode Marvel meets Kiri le Clown version hard … Queen, ils partent dans tous les sens, et de préférence, ceux qui sont interdits …

Queen & Roy Thomas Baker

Déjà, baptiser un disque « A night at the Opera » (en référence bien évidemment au film des Marx Brothers, et non pas au repaire de toutes les Castafiore), montre bien que l’absurde et le second degré sont revendiqués. Et en évitant le côté potache (il arrivera parfois plus tard, à la joie des détracteurs du groupe). Ce disque, c’est une affaire on ne peut plus sérieuse et années 70 ou pas, la vénérable maison EMI qui finance, trouve l’addition plus que salée et le fait savoir au groupe. « A night at the Opera » quand il arrive dans les bacs est le disque le plus cher jamais enregistré. Et ce bien que les Queen fassent à ce moment-là tout juste partie de la seconde division du rock, très loin en termes de notoriété et de ventes des poids lourds de l’époque … Et le disque a coûté cher parce que les séances de studio se sont éternisées sous la houlette du cinquième Queen, le producteur Roy Thomas Baker, qui a bien failli y laisser sa santé mentale. Sur certains titres, dixit Brian May, les bandes étaient à la limite de la rupture et de la transparence, tant les parties instrumentales et surtout vocales, s’y bousculaient. Sans cesse sur le métier les Queen remettaient leur ouvrage.

Ce qui frappe sur le disque, c’est l’empilement des vocaux. Des chœurs surgis de partout et démultipliés par le re-recording, ce dont beaucoup se passeraient s’ils avaient un chanteur du niveau de Freddie Mercury. Un type qu’on a réduit trop facilement au gay exubérant, à sa navrante moustache, à ses marcels surmontés de capes royales démesurées, etc … en oubliant quel putain de grand chanteur il était (écoutez-le sur « You’re my best friend » ou « Love of my life » par exemple). Et un chanteur qui se contente des backing vocaux sur les compos des autres du groupe (« I’m in love with my car » chantée par Roger Taylor, « ‘39 » chantée par Bryan May »).

Même si le studio permet de démultiplier les parties instrumentales, Queen est musicalement un power trio guitare-basse-batterie. Et pas un trio de manchots, Bryan May étant régulièrement cité comme un meilleurs guitar-heroes, ce dont il doit se foutre royalement. Son truc, c’est pas l’esbrouffe, mais plutôt la technique pure (sa guitare, la Red Special, il l’a construite à l’origine lui-même, en « compilant » des pièces d’autres guitares). Brian May se retrouve donc avec un son unique, immédiatement reconnaissable (à noter pour ceux que ça intéresse, il n’utilise que très peu et très rarement des pédales d’effets, le son énorme est dû à trois amplis branchés en série avec un delay différent sur deux d’entre eux).


« Bohemian Rhapsody » a tiré « A night at the Opera » vers les sommets de la reconnaissance commerciale. A l’issue d’un bras de fer avec EMI, qui ne voulait pas d’un single de six minutes (injouable à la radio disaient-ils), qui avec ses six parties différentes faisait le pendant seventies du « Good vibrations » des Beach Boys. C’est l’obstination de Freddie Mercury qui finira par payer, le reste du groupe restant d’une neutralité toute diplomatique face à la maison de disques. En fait, ils n’y croyaient pas du tout au succès du « machin à Freddie ». Lequel succès fut considérable, entraînant l’album et l’autre single (« You’re my best friend », très bonne ballade lyrique) vers les sommets des charts.

L'autre long titre de l’album (« The Prophet’s song ») est considéré comme la masterpiece de Brian May. Ouais … pour moi, c’est un truc qui a mal vieilli, enchevêtrant sans l’entrain et le drive de « Bohemian Rhapsody », passages a capella, hard, prog … Je suis par contre beaucoup plus preneur du « I’m in love with my car » du batteur Roger Taylor (entre Ziggy-Bowie et le Floyd crashé dans le Mur), des rigolos « vaudevilles » (ce genre typiquement british un peu beaucoup passé de mode au milieu des 70’s et dont les Kinks flânant dans « Muswell Hillbillies » avaient signé l’apogée du genre) comme « Lazing on a Sunday afternoon » ou « Seaside rendez-vous ».

En passant, les Queen règlent leurs comptes aux lourdauds du glam et du boogie simpliste (Sweet, Slade, Status Quo) avec l’épatant « Sweet Lady », s’en vont rendre visite à Lady Madonna en passant par les Strawberry Fields (« Good company »), font avec « ‘39 » un clin d’œil aux mêmes Beatles (et aussi au country-rock des Byrds).

La pochade ne serait pas complète sans l’ultime titre, une relecture (point trop extravagante cependant) du « God save the Queen », moins destroy que le titre des Pistols (ah, Freddie Mercury et les Sex Pistols dans le même studio deux ans tard, que d’anecdotes fabuleuses …) ou la pulvérisation de l’hymne américain par Jimi Hendrix.

Allez, disque incontournable des seventies …




ROBERT BENTON - KRAMER CONTRE KRAMER (1979)

 

And the winner is …

Kramer, forcément (un Oscar pour le film, un pour Hoffman, un autre pour Meryl Streep). Mais aussi le réalisateur Robert Benton (deux statuettes, meilleur film et meilleure adaptation). Et le producteur Stanley Jaffe qui a pas dû regretter d’avoir mis des dollars dans cette affaire, le film ayant cartonné en salles, et pas seulement aux Etats-Unis …

Lequel Stanley Jaffe, qui après avoir acheté les droits du bouquin d’un certain Avery Corman (aucun lien avec le Roger du même nom) dont sera tiré le film branche son pote Benton sur son adaptation au cinéma. Bon, soyons clair, on a affaire là à des seconds couteaux de l’industrie du cinéma, Benton n’ayant comme titre de gloire à son CV qu’une participation au scénario de « Bonnie & Clyde », et Jaffe rien de notable (et guère mieux par la suite, à l’exception du gentiment scandaleux « Liaison fatale »).

Hoffman, Streep & Benton


Les deux compères veulent une star pour le premier rôle, et se mettent vite d’accord sur le nom de Dustin Hoffman, qu’ils vont démarcher illico. Problème, le film est centré sur une histoire de divorce et Hoffman est justement en train de divorcer, et n’a pas spécialement envie de jouer devant une caméra ce qu’il vit au quotidien. Il finit par accepter, moyennant un droit de regard et de réaménagement du scénario, ce dont il ne se privera pas quelques fois, improvisant quelques scènes … L’autre moitié sera Meryl Streep, remarquée pour un second rôle chez Cimino (l’extraordinaire « Voyage au bout de l’enfer »). Boulimique de travail, elle joue en même temps au théâtre, tourne pour Woody Allen (« Manhattan »), et donc aux côtés de Dustin Hoffman, qui fidèle à ses habitudes, la regarde de haut, même si en l’occurrence elle est plus grande que lui. 

Scénario construit autour d’un divorce donc. Et pour que la fête soit complète, il fallait un enfant (de six ans au début du film, presque huit à la fin). Le choix se portera sur un certain Justin Henry (seul rôle majeur de sa carrière qu’il poursuivra pour quelques nanars direct to Dvd), dont Hoffman s’occupera vraiment. Un peu normal, le film tourne autour de leur relation.

Une famille en or ...


Par tradition, le cinéma américain est peu friand de mélos familiaux, Douglas Sirk et Cassavettes étant à peu près les seuls à avoir construit une filmographie sur ce genre. « Kramer vs Kramer » est à mi-chemin entre les deux, un peu de la mièvrerie de Sirk et quelques pétages de pétages de plombs hystériques à la Cassavettes, témoin la scène des « retrouvailles » entre Hoffman et Streep, conclue par un verre fracassé sur un mur de restaurant (personne à part le chef opérateur n’était au courant que la scène finirait ainsi, Hoffman l’ayant improvisée sans en avertir Benton et Streep). En fait « Kramer … » s’apparente plutôt au cinéma français, champion du monde de l’observation d’histoires d’amour intimistes qui finissent mal en général (on peut penser à toute la filmo de Claude Sautet par exemple).


Même si « Kramer … » offre une histoire un peu abrupte que l’on prend en chemin. Les trois premières scènes montrent Joanna Kramer faire ses valises et ses adieux à son fils endormi, Ted Kramer obtenir une belle promotion dans son agence de pub, et lorsqu’il rentre chez lui partager cette bonne nouvelle avec sa femme, c’est pour assister à son départ. On ne saura pas grand-chose de ce qui a pu conduire à cette désagrégation du couple. Tout juste se rendra-t-on compte que le mari ne s’est jamais occupé de tâches domestiques et paternelles (quelques scènes plutôt drôles où on le voit préparer et rater pitoyablement le petit-déjeuner, ou arriver au boulot les bras chargés de courses), et que sa femme est psychologiquement tourmentée (elle fait allusion à une thérapie qu’elle a suivie, et le twist final est certes spectaculaire mais assez incompréhensible). Et ce final laisse aussi le spectateur sur sa faim (ah bon, c’est fini, et il se passe quoi maintenant ?). Entretemps, on aura vu une mère qui a abandonné mari et enfant (se contentant pendant des mois d’envoyer de rares cartes postales à son fils), revenir demander sa garde au tribunal, ce qui revient à dire qu’on lui fait quand même jouer le sale rôle d’un scénario quelque peu macho …

L’essentiel du film nous montre cet apprentissage de paternité solitaire de Dustin Hoffman, qui doit apprendre à connaître et apprivoiser son fils. Hoffman, archétype des acteurs de l’Actors Studio, trouve là un rôle sur mesure, évolutif, celui d’un père qui doit tout gérer seul (il tente bien de draguouiller voisine ou collègues de bureau, mais ne refait pas vie avec une autre femme), et doit élever son fils (l’histoire se déroule sur un an et demi). Et le petit Justin Henry s’en sort ma foi plutôt bien, certaines scènes reposant beaucoup sur lui (celles de la crème glacée, ou de son passage aux urgences de l’hôpital). A noter une similitude physique évidente du jeune Justin Henry (les mignonnes chères têtes blondes) avec le gosse qui joue le petit Anakin Skywalker dans le premier (ou le quatrième, ça dépend comment on compte) épisode de la saga Star Wars …

Un verre ça va, deux verres bonjour les dégâts ...


Et comme toujours, Meryl Streep crève l’écran. De toutes façons, qu’est-ce qu’il y à dire sur Meryl Streep ? C’est une sinon la meilleure des actrices en activité, elle pourrait rendre intéressant un personnage dans un film Marvel … Et preuve que le Benton, c’est pas un cador, elle avoue dans les bonus, alors qu’elle n’était qu’une quasi-débutante, qu’elle l’avait poussé à lui laisser réécrire ses réponses lors de la scène du tribunal, pour qu’elles sonnent féminines …

« Kramer contre Kramer » s’apparente souvent à du théâtre filmé, l’action se déroule quasiment toute dans l’appart des Kramer, dans la boîte de pub de Ted, dans un jardin public et dans une salle d’audience de tribunal. Perso, ce que je trouve le plus intéressant, c’est pas l’histoire en elle-même, vague machin larmoyant sur une cellule familiale qui vole en éclats, mais ce qui est évoqué au second plan. A savoir le monde impitoyable de l’entreprise (« on est super-potes, vachement contents de toi, mais tu passes trop de temps à t’occuper de ton mouflet, ça gêne le bon fonctionnement de la boîte, alors t’es viré »), et celui guère plus reluisant de la justice qui se monnaye très cher aux States (les avocats, machines procédurières sans âme et leurs questions, embarrassantes même pour ceux qu’ils défendent).

« Kramer contre Kramer », bien que servi par deux énormes interprètes, se situe quand même un peu en deçà de toutes les louanges qu’on lui a tressées … juste un bon film pour soirée confinée …


JACKSON BROWNE - LATE FOR THE SKY (1974)

Going to (Hotel) California ...

Donc Jackson Browne fut le gendre seventies idéal. Le beau gosse tombeur des filles de rêve (de Nico qui l’a paraît-il dépucelé à Darryl Hannah en passant par beaucoup d’autres de moindre renommée …). Beau gosse aux Etats-Unis, parce qu’ailleurs il était quand même un secret bien gardé. Beau gosse certes, mais en plus auteur de chansons (re)connues, que ce soit ses compositions pour d’autres (« Take it easy », premier gros succès des Eagles) ou pour ses disques à lui (« Doctor My Eyes », « Jamaica Say You Will »). Le genre de type qui a dû en rendre pas mal d’autres jaloux … Parce qu’en plus il était propre sur lui, bien élevé, et partie prenante pour plein de causes généralement bonnes (il sera la figure de proue du mouvement pacifiste No Nukes lorsque fin 70’s – début 80’s le risque de guerre nucléaire ressurgira …) et il a certainement pas voté Trump ...

Et donc en plus de tout ça, Jackson Browne a fait des disques et les a bien vendus, merci pour lui … Certes, pas dans le genre le plus risqué de l’époque. On parle là du style West Coast, celui qui ravagea les radios californiennes une décennie durant, avant que les Eagles et leur fameux hôtel de désintoxication n’en fassent la bande-son de la planète entière … D’ailleurs le visuel avec son bâtiment en clair-obscur de « Late for the sky » présente quelques similitudes avec celui prétendument hanté par Anton LaVey sur la pochette des Eagles … et la similitude avec la troupe à Glen Frey ne s’arrête pas là. Musicalement, c’est à peu près blanc bonnet et bonnet blanc. D’après cette signature sonore trouvant ses gènes chez Gram Parsons (avec les Byrds, les Flying Burrito Bros ou en solo), et tous ses descendants, disciples et autres enfants spirituels (Poco, Doobie Bros, Eagles, …). Et même s’il a jamais connu le risque de clochardisation, Browne est aujourd’hui (comme à l’époque d’ailleurs) le moins cité du lot. Parce qu’il a eu moins de succès commerciaux que les autres, et aussi parce qu’il a un trop bien stylisé un genre pas forcément décoiffant en ça. Browne, j’ai déjà écrit et je persiste, c’est le centriste du genre musical le plus centriste qui soit …
Inutile de chercher dans « Late for the sky » des guitares saturées, des fûts martelés, des arrangements décoiffants. Il y a derrière chaque instrument de solides mais conventionnels requins de studio californiens, emmenés par l’inamovible pote David Lindley, guitariste mais aussi (malheureusement) violoniste, ce qui fait qu’on entend un peu trop son foutu crincrin tout au long des titres. Jackson Browne n’est pas non plus une des grandes voix du rock, loin de là, il assure sans plus, et sans aucun dérapage …
Jackson Browne & David Lindley
« Late for the sky » se partage entre ballades et country-rocks pépères. Seuls deux titres sont un peu plus enlevés, le rockant « The road and the sky » (comme si l’Elton John de « Yellow Brick Road » reprenait le « Suffragette City » de Bowie), et « Walking slow », qui sort quelque peu des sentiers battus avec sa rythmique quasi reggae.
Des six autres compositions de « Late … », on notera le titre éponyme qui résume à lui seul parfaitement l’affaire, « The late show » ballade qui bien que (sur)chargée passe bien hormis son final encombré de violon et de chœurs de tous les potes West Coast (Henley, Shouter, Fogelberg, la femme à Lindley, …). Méritent aussi la citation « For a dancer » (dans un blind-test, tout le monde va dire que c’est les Eagles), ou l’ultime « Before the deluge » le seul ou Browne force un peu sa voix …
« Late for the sky » est un joli disque … Un peu beaucoup trop joli même …

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CLINT EASTWOOD - JOSEY WALES HORS-LA LOI (1976)

L'Odyssée de Josey Wales...

Il y a bien sûr le raccourci facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment, comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films, matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood, c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours… Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra lui-même en scène).

Eastwood et western, ça rime. Il a réellement lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable » en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite … Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple » américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains (même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood, touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense classique.
Avec rien de nouveau sous le soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession) sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ...
Une remarque en passant : même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri, il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit (involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard, efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ». Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ...
Au moins deux choses montrent le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche). Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw), mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur, il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande (et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray, dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère, où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda sur son canasson …
Western d’anthologie en tout cas …


Du même sur ce blog :



JONI MITCHELL - HEJIRA (1976)

Voyage, voyage ...

Aujourd’hui, environ cinq cents mois après la sortie de ce disque, qu’en reste-t-il de ce « Hejira » et de Joni Mitchell ? Pas grand-chose, ni du skeud, ni de la dame …
Celle qui fut la Reine de Laurel Canyon sinon du peuple hippy une fois la Joplin partie conduire sa Porsche peinturlurée fuschia dans les paradis artificiels qu’elle connaissait bien est aujourd’hui une vieille dame un peu beaucoup oubliée qu’il faut aider à traverser les rues et protéger de la canicule. Et les nouvelles qui suintent du net sur Joni Mitchell la disent bien malade …
Joni Mitchell elle s’est révélée au monde avec l’hymne définitif des grands raouts hippies, ce « Woodstock » dédié au festival du même nom (auquel elle n’a pas participé), qu’elle a écrit et que Crosby Stills Nash & Young ont infiniment popularisé en le reprenant sur « Déjà Vu ». Et tant qu’à évoquer les Beatles hippy, ils furent bien sûr ses amis, voire ses amants … Parce que la Joni, pas un super canon, fut une croqueuse d’hommes et un cœur d’artichaut. La liste de ses amants recoupe à peu près celle des stars du rock californien des 70’s, plus quelques autres de moindre renommée…
Joni Mitchell 1976
Son âge d’or artistique, ce sont ces mêmes seventies. Où tout est à sauver ou presque, même si la qualité ira en déclinant plus la décennie tirera vers sa fin. « Hejira », translation phonétique de « hégire » (le voyage qui marquera la théorisation de l’Islam par Mahomet si j’ai bien compris). Bon, le « Hejira » de la dame Joni est un peu moins lourd de charge devant l’Histoire. Ce voyage, Joni Mitchell l’a réalisé en bagnole avec des amis pour se refaire le moral et se ressourcer après une rupture amoureuse. Et c’est sur la route, avec les moyens du bord (la guitare) qu’elle a composé tous les titres, alors que d’habitude elle compose au piano.  Est-ce la crainte de la simplicité (les mélodies écrites à la guitare sont plus simples que celles écrites au piano) qui lui a fait rechercher la sophistication en studio, ou une suite logique somme toute, entamée avec son précédent « The hissing of summer lawns » ? Que ceux que ça intéresse se fassent connaître, il n’y a rien à gagner et pas de réponse ici …
Toujours est-il que ce « Hejira » a un enrobage musical minimaliste. Mais un minimalisme complexe. La Mitchell est allée chercher le bassiste virtuose de Weather Report Jaco Pastorius himself, et le guitariste jazzy forçat des sessions que tous les studios west coast s’arrachent, Larry Carlton. Les deux ne jouent pas sur tous les titres et pas forcément ensemble, mais l’instrumentation est réduite. Quelquefois une batterie caressée, un filet de clarinette sur un titre, une paire de cuivres quasi inaudibles sur un autre, et c’est tout.
J Mitchell & J Pastorius
Que ceux qui pensent que « Hejira » peut ressembler aux premiers crachats folks de Bob Dylan passent leur chemin, on en est ici à l’antithèse. C’est hyper technique (le Pastorius et le Carlton n’étant pas exactement réputés pour la sobriété de leur jeu), hyper compliqué (on touche aux limites de la composition à la guitare), hyper chiadé (le son est pur et clair comme du cristal, no guitare fuzz évidemment) … et souvent hyper chiant aussi …
« Hejira » est un des plus longs enregistrements couchés sur un seul vinyle (52 minutes), on est dans le cœur du mille du centre du son west coast (rien qui dépasse, qui crisse, qui grince, jamais un mot ou une note plus haute que l’autre). Les textes sont interminables (à la Dylan) et sont de purs récits (jamais de refrain), souvent axés sur sa gamelle sentimentale (dont on se fout un peu beaucoup) ... Et la Mitchell, si elle est un bon auteur-compositeur, n’est pas une chanteuse extraordinaire, elle se met souvent à la limite de la rupture dans les montées vers les aigus, et c’est plutôt pénible, même si c’est son style immuable… Alors faut chercher des branches auxquelles se raccrocher pour éviter de s’endormir.
La pochette d’abord. Et que ceux qui comprennent pas aillent voir à quoi ressemblent les pochettes de la disco de Joni Mitchell (elle a très souvent la désagréable habitude d’y mettre un de ses crobars peinturlurés arrivant à faire rivaliser en mocheté visuelle son œuvre avec celle de Dinosaur Jr, ce qui n’est pas rien …). Celle-ci, elle n’en a eu que l’idée, laissant la réalisation à des gens dont c’était le métier et c’est une bien bonne idée … on voit la Joni en surimpression d’une route attifée du béret à la Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », accessoire indispensable de toutes les bobos californiennes des 70’s …
Furry sings the blues - Neil Young & Joni Mitchell
Une moitié des titres ne mérite pas pour moi qu’on en parle, not my cup of tea … Force est de reconnaître que le joli écrin dans lequel ils sont sertis fait briller des choses comme l’inaugural « Coyote » (Pastorius et Carlton, la Joni guitare et voix, de la technique qui swingue un peu, allez ça passe …), ou le soft rock de « Song for Sharon » (la Sharon étant si j’ai bien compris une sienne amie, canadienne comme elle, qui aurait voulu être artiste et n’a pas réussi). Recueillent également un avis favorable « Furry sings the blues » (au sujet de Furry Lewis, country man bluesy septuagénaire, qui pour la petite histoire n’a pas du tout apprécié d’être l’inspirateur du titre), rehaussée surtout par la présence de l’harmonica de Neil Young qui intervient là comme dans la B.O. de « Dead Man », c’est-à-dire au feeling et ça tranche avec le côté bien clinique du restant du disque. Un mot pour « Black crow », le titre le plus « rock » (enfin le plus strident dans le contexte), mais qui n’a certainement pas été à l’origine du nom du groupe des frangins Robinson …
Précisons (rigueur, sincérité et objectivité à la de Rugy, hein, vous me connaissez) que certains bobos malentendants considèrent ce « Hejira » comme le sommet de l’œuvre de Joni Mitchell et une des merveilles du style West Coast …



METAL URBAIN - LES HOMMES MORTS SONT DANGEREUX (1981)

Metal Punk Machine
Pour situer ce dont au sujet duquel de quoi il va être question, il suffit d’aller dans les notes (faméliques) de la réédition Cd dans la section « remerciements ». On peut y lire : « Métal Urbain tient à remercier absolument personne. Merci. ». Et c’est tout. Version sans décodeur : « On vous emmerde tous. »
Métal Urbain est un groupe punk. Français. Et que cette appartenance géographique suffit à générer des problématiques que tous les Gaulois qui ont eu un jour l’idée saugrenue de relier une guitare à un ampli ont connu. En gros, soit tu passes pour un immonde copieur des anglo-saxons, soit tu fais n’importe quoi …

Et les Métal Urbain n’ont pas échappé à la règle. Groupe clivant, c’est le moins qu’on puisse dire, et un des rares de par ici à cette époque, à être cité très loin de ses terres. Des exemples : le célébrissime Dj et animateur de radio John Peel s’est démené pour les faire connaître dans la très perfide Albion. Le premier single de Métal Urbain « Panik », fut la première référence du label anglais Rough Trade (avec comme figure de proue punk les Irlandais de Stiff Little Fingers, une myriade de 45T à la fin des années 70, et plus tard des cadors des ventes comme les Smiths ou Arcade Fire …). Et un fan intarissable d’éloges, le producteur bruitiste Steve Albini (Pixies, Nirvana, PJ Harvey, Stooges, Page et Plant, rien que ça …). Et des quasi jumeaux sonores nommés Bérurier Noir (quasi, on y reviendra si j’y pense …).
Le concept de Métal Urbain, c’est qu’il n’y en a pas. Des potes de lycée qui suivent l’actu musicale montent un groupe. Sans section rythmique. Pas un souci, ils aiment bien Suicide, et une boîte à rythmes pourrie suffira. Et comme ils aiment aussi les Stooges et ces groupes de morveux arrogants qui pullulent Outre-Manche dans le sillage des Sex Pistols, ils vont pas donner dans le disco ou le prog.
Dans ce domaine, tout est à inventer en France. Hormis Little Bob au Havre et le poète bab Higelin reconverti dans le rock à guitares (« BBH 75 »), c’est la misère. Métal Urbain sera électronique (la boîte à rythmes), électrique (une guitare saturée), et agressif (les textes d’Éric Débris). Métal Urbain est aussi parisien et ce sera aussi son problème. Dans cette scène microscopique mais bouillonnante, les amitiés se font et se défont, et parmi tous ces gens qui s’appliquent à copier les punks anglais à la sauce parigote, les mouvements et aller-retours d’un groupe à l’autre se multiplient. Métal Urbain en fera les frais, voyant partir son guitariste Rikki Darling pour rejoindre l’Asphalt Jungle de Patrick Eudeline. Débris n’utilisera pas de circonlocutions absconses pour dire tout le mal qu’il pense de son « rival », ainsi que de Philippe Manoeuvre qui avait descendu les premiers enregistrements et concerts du groupe. Le poétique « Crève salope » leur est dit-on dédié.

Bon, même si on a John Peel dans sa manche et Rough Trade derrière, ça suffit pas pour devenir une star intergalactique. Les Métal Urbain sont trop … trop tout, en fait pour faire un consensus quelconque autour de leur nom. Ultraradicaux par leurs propos, ultra-sauvages par leur son (on parle là d’une époque qui ne connaissait ni les gangsta rappers ni Rammstein ou autres crétins gueulards sur gros riffs hardos), et ultra amateurs (ils ne sont pas comme Jam, Pistols ou Clash signés par des majors).
Résultat : la liste des gens ayant joué dans Métal Urbain est plus longue que la liste de leurs parutions discographiques. La formation « royale » (on ne rit pas) du groupe enregistrera en tout et pour tout trois singles avant de disparaître dans les projets plus ou moins parallèles (Metal Boys, Doctor Mix and the Remix), des tentatives avortées de carrière solo, et guère plus convaincantes de reformation (Métal Urbain, c’est son ADN, est tout sauf bankable, y’a pas un financier pour risquer une pépette sur leur nom …).
Les trois 45T sont parmi ces œuvres sans intérêt mais rigoureusement indispensables qui émaillent la grande chanson française. Peut-être pas du niveau de l’insurpassable « Fier de ne rien faire » des Olivensteins, mais pas loin … « Panik » est quasiment un classique, avec son rythme punk’n’roll et ses synthés dissonants, « Crève salope » ne fait pas exactement dans la dentelle musicale et verbale, et « Hystérie connective » est le meilleur des trois avec son manifeste sonore (synthés et grosses guitares) et sa mélodie (si, si, …). Mais pour moi, le titre qui surnage du lot est une face B (celle de « Panik »), elle s’appelle « Lady Coca Cola » et derrière ses synthés anxiogènes et sa voix déclamée reprend un thème identique à celui du « In every dream home a heartache » de Roxy Music (le type amoureux de sa poupée gonflable).
Ah ouais, je vous ai pas dit, « Les hommes morts … » est une compile, sortie en vinyle au début des années 80 (après la disparition du groupe donc), et rééditée en Cd il y a une quinzaine d’années. Aux trois singles originaux, elle rajoute quelques titres destinés à un album jamais paru, ou d’autres dispatchés sur diverses compilations étiquetées grosso modo punk. En fait le seul disque « officiel » paraîtra lors d’une reformation dans les années 2000 sous le délicat intitulé « J’irai chier dans ton vomi », ce qui montre bien que les Métal Urbain n’ont pas vraiment évolué, ou ont refusé d’évoluer …

Et le rapport avec Bérurier Noir ? Filiation évidente au niveau sonore (les Bérus ne s’en sont jamais cachés, et reprenaient parfois un de leurs titres en concert), avec la boîte à rythmes et les guitares-tronçonneuses. Ensuite, la philosophie des projets est totalement différente. Métal Urbain n’a jamais eu la moindre once d’approche festive. Et surtout, Métal Urbain est aux antipodes de l’approche que pour faire simple on qualifiera de politique des textes. Métal Urbain c’est le no future complet, rien à foutre de rien, alors que les Bérus ont une approche bordélique certes, mais issue des milieux anarchisants, qui dénonce mais propose. Les Bérus, on n’ira pas jusqu’à dire que c’est un mode de vie, mais ils s’adressent à un public de parias, de rejetés, d’exclus (volontaires ou pas) …
Métal Urbain, c’est un peu la vie et la musique version Hara-Kiri (le mag de Choron des années 70, je dis ça pour les vieillards de mon âge). C’est souvent très con, très en dessous de la ceinture, mais ça fait rigoler cinq minutes … Que demande le peuple ?