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IGGY & THE STOOGES - RAW POWER (1973)

L'alpha et l'omega ...
« Raw power » est le genre de disque qui trône au milieu d’un no-man’s land où bien peu ont osé s’aventurer, et qu’encore moins ont essayé de dépasser. Une borne, une référence, une limite aussi …
« Raw power » n’a pas une histoire banale. Ce n’est pas un disque enregistré par un groupe établi, qui a sorti dix disques avant et en sortira trois douzaines ensuite. « Raw power » a été enregistré par un groupe qui n’existe pas. Ou qui n’existait plus pour être précis. Les Stooges ont sorti au tournant des années 60 deux disques cruciaux, mais aux ventes misérables. L’insuccès et une sérieuse propension à la défonce entérinent de fait la dissolution du groupe de Detroit.
Mr Jones, Mr Pop & Mr Reed, 1972
De son côté, Bowie commence en Angleterre à toucher le jackpot avec « Ziggy Stardust » après des années de vaches maigres et d’essais plus ou moins infructueux de réussir dans la musique. Bowie est un malin, et ce succès « tardif » lui a permis de bien connaître le milieu trouble du show-biz. Dès les premières liasses de livres sterling amassées, il monte sa propre maison d’édition, Main Man Production, et met à sa tête un manager filou (pléonasme) Tony DeFries. Et Bowie qui a toujours renvoyé l’ascenseur vers les gens qu’il appréciait, décide de jouer les ambulanciers pour ses idoles quelque peu en perdition. Bénéficieront de ses services en 72-73 Mott The Hoople, Lou Reed et Iggy Pop, ce dernier chanteur admiré par Bowie (Ziggy-Iggy, y’a un petit quelque chose) de ces Stooges débandés. DeFries, tout en renâclant à cause de la réputation d’ingérable d’Iggy mais sous la pression de Bowie, le signe malgré tout pour un album solo. Iggy s’envole pour Londres, cherche vaguement des musiciens de séance pour son disque, et surtout envisage de claquer tout le fric avancé pour le studio en coke et héro. Pas chien, Iggy entend partager la dope avec ses anciens potes et fait venir en Angleterre les frères Asheton (oubliant le bassiste Dave Alexander, lequel lui en voudra jusqu’à sa mort en 1975). Joyeuses séances de défonce entrecoupées d’essai d’écriture et de jams chaotiques en studio. Petit problème, Iggy seul n’a jamais été foutu d’écrire une chanson audible. Il appelle à la rescousse James Williamson, rencontré pendant la débandade des Stooges. Williamson, en plus d’être d’être un toxico de première bourre est aussi un guitariste killer qui sait écrire des morceaux, Iggy rajoute les paroles, Ron Asheton est prié de passer de la guitare à la basse. Malgré tout, peu de choses concluantes. DeFries s’impatiente, menace, et finalement Iggy lui amène les bandes qu’il a arrangées et produites de ce qu’ils ont enregistré. A l’écoute, DeFries frise l’apoplexie, contacte Bowie en tournée américaine, et lui intime l’ordre de s’occuper de ses « protégés ». Bowie se fait livrer les bandes aux USA, et en une paire de jours entre deux concerts, remixe le disque. Qui sort avec Bowie crédité au mix et Iggy Pop à la production. Et n’a aucun succès.
Les Stooges vont continuer quelques temps, livrés à eux-mêmes, enregistreront un nouveau disque semi-officiel, « Kill City », avant de disparaître de la circulation. Les aventures d’Iggy avec Bowie ou d’Iggy & the Stooges verront d’autres épisodes s’ajouter à la saga, mais c’est une autre histoire …
Iggy & The Stooges 1973
« Raw power » continuera sa carrière de disque culte pendant des lustres sous sa version initiale. Jusqu’à ce qu’Iggy Pop, devenu riche et quelque peu amnésique, se répande en arguties diverses sur « Raw power », selon lui saccagé au mixage par Bowie. Des rééditions suivront (le mix d’Iggy Pop, un coffret des « Complete sessions ») qui ne changeront guère la donne. « Raw power » sous quelque version que ce soit est surtout une tuerie totale. Magma sonore, vomi musical … testeurs de chaîne hi-fi s’abstenir …
Il faut à peine quelques secondes de l’inaugural « Search and destroy » pour mesurer l’impact de la déflagration qui s’annonce. En fait jusqu’à ce que la guitare de Williamson parte en looping incontrôlé et qu’Iggy se mette à chanter … Chanter ? Oui, ou aboyer, glapir, rugir, feuler, râler, … comme on veut, tant sa performance tient plus de l'animalité que de l’humanité. Tout « Raw power » est un orage sonique d’une intensité jamais entendue auparavant. Sans être pour autant un mur de feedback. Il y a trois titres qui ressemblent peu ou prou à des ballades (« Gimme danger », « Penetration », et « I need somebody »). Des ballades passées à la moulinette Stooges, glauques, noirâtres, atomisées, pleines de rage larvée. Des occasions d’entendre Iggy Pop version crooner, comme un Sinatra punk et déglingué (quoi que le Sinatra, côté déglingue, il était pas mal aussi …). Les cinq autres titres, des rocks furieux, déjantés, borderline (« Raw power » le titre, épitomé du rock dur, crasseux, dangereux et agressif, « Shake appeal », ou comment les Stooges envisagent le rockabilly, l’ultime « Death trip », la fin du voyage sur la highway to hell, free-rock dans l’esprit de « Funhouse », voilà c’est fini, démerdez-vous avec çà, Armaggedon times are coming, bruit de bidet final sur le rock à papa, à bobos et à babs des seventies …).
Points communs à tous les titres, un son de poubelle rock’n’roll, avec au premier plan un Iggy qui s’arrache les boyaux pour chanter (plus ou moins juste, mais c’est pas le problème), et des overdubs de guitare folle de Williamson, en perpétuelle sortie de route, toute en larsens et feedback. Au second plan, la basse de Ron Asheton jouée façon Lemmy de Motorhead (c’est-à-dire comme une guitare) et la partie de guitare rythmique ou acoustique de Williamson. Au fond, perdue dans ce brouhaha d’apocalypse, la batterie de Scott Asheton … C’est pas punk, c’est pas metal ou tout ce que vous voudrez, ça ressemble à rien de ce qui ait été fait avant ou après, c’est les Stooges de 73. Point barre.
Si vous n’aimez pas ce Cd, allez en enfer. S’il vous plaît, c’est que vous y êtes déjà.

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Live, Carcassonne, 27 Juillet 2011

TANGERINE DREAM - PHAEDRA (1974)

Un classique ...
Pas seulement de la littérature française. Aussi de la musique … Et là ça se complique, pour coller une étiquette. Musique planante ? Oui, mais pas que … Musique électronique ? Oui, certes, mais réducteur … Krautrock ? Why not, mais le terme regroupe tellement de choses …
Et pourtant, quand ce disque est sorti au milieu des seventies, ceux qui écoutaient de la musique se posaient moins de questions. Il n’était pas incongru de sortir du disquaire avec un vinyle des Stones et un du Floyd, ou bien un Led Zep et un Tangerine Dream… En ce temps-là, les minarets n’étaient pas encore construits et les ayatollahs du bon goût (enfin, du leur) prompts à trier le bon grain de l’ivraie étaient encore rares …
Tangerine Dream, qui tirent leur nom d’une chanson des Beatles fleurant bon le buvard d’acide, se sont rapidement orientés vers une musique toute électronique. Quelques tonnes de matériel, des kilomètres de câbles, du bricolage maison, le tout pour un résultat sonore quelquefois imprévisible, ouvrage qu’il fallait sans cesse remettre sur le métier …

Contrairement aux pompiers progressifs anglais, eux n’ont pas cherché leur salut dans les œuvres de Bach, ou pire, Wagner … Froese, le leader du groupe, faisait souvent état de Stockhausen, donc la musique expérimentale et avant-gardiste. La construction des morceaux de Tangerine Dream est totalement labyrinthique, rien qui ne ressemble à intro-couplet-refrain-pont …Des séquences souvent à base de Moog (leur synthé de prédilection) s’enchaînent, des thèmes sont développés, évoluent, disparaissent pour ne jamais revenir, puis on passe à un autre …
Musique planante, des grands espaces disait-on, et Tangerine Dream fut un des groupes fétiches de la queue de comète hippie, tous ces baba-cool écroulés, très en « avance » dans leur tête et qui partaient réinventer le Moyen-Age dans leur communauté ardéchoise … Fraîchement signés par Branson chez Virgin grâce à l’argent du « Tubular bells » d’Oldfield, les Tangerine Dream allaient devenir le groupe phare de la musique électronique « cérébrale » des 70’s, et leur influence sur l’ambient et le new age dont ils allaient finir par tartiner leurs disques dans les 80’s est considérable.
Avec leurs disques dont « Phaedra » est un des tout meilleurs, Tangerine Dream réussissent à créer une atmosphère musicale légère et sophistiquée, idéale pour conserver la zen attitude … ou pour aider à faire passer une gueule de bois carabinée …
Mais je vais quand même reprendre une aspirine …
Et le rapport avec Phèdre ? Aucune idée …

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Atem

MOTT THE HOOPLE - ROCK'N'ROLL QUEEN (1972)

Echec et Mott ...
Qu’en serait-il advenu des Mott The Hoople si Bowie ne s’était pas entiché d’eux et ne leur avait offert « All the young dudes » qui les a fait passer à la postérité et relancé leur carrière ?
Parce que là, quand paraît ce « Rock’n’roll Queen » début 72, ça sent le sapin, la fin de contrat. Une compilation de sept titres, dont un morceau live de dix minutes, le tout n’atteignant même pas les quarante de rigueur des temps vinyliques. Autant dire que la matière à Best of est assez rare chez Mott.
Derrière l’affaire Mott, il y a deux hommes. Ian Hunter, fan de Dylan. Pas exactement la meilleure idée à la fin des sixties, Dylan pour un tas de raisons (le retrait dû au prétendu accident de moto, les disques parus ensuite assez moyens, le son général du rock qui s’est considérablement durci, …) est à peu près oublié. La « chance » de Hunter sera de croiser la route de Guy Stevens, un des agitateurs les plus en vue du swingin’ London finissant. C’est lui qui a trouvé le nom des successful Procol Harum, qui enregistre dans son studio tout un tas de revivalistes et nostalgiques mod, … Et qui décide de prendre en main la carrière de Hunter. Stevens aide Hunter à monter un groupe (autre figure forte de Mott, le guitariste Mick Ralphs, héros de seconde zone de la six-cordes, qui fondera plus tard Bad Company), et lui conseille le look qui ne le quittera plus : cheveux mi-longs frisés, et inamovibles lunettes noires (plus un accessoire médical qu’autre chose au départ, Hunter est très myope).
Mott The Hoople 1970
Stevens produit les premiers pas discographiques. Accueil glacial. Le groupe s’entête sans lui. Même résultat. Il est prévu que le groupe assure la promotion de cette compilation (si tant est que quelqu’un soit demandeur), et se sépare, chacun s’en ira vaquer vers d’autres aventures.
Evidemment, cette compile sera un bide supplémentaire pour Mott. Et quoi qu’il se soit passé après « All the young dudes », et les disques intéressants qui ont suivi, la première partie de la carrière de Mott The Hoople ne peut être réhabilitée.
C’est indigent, voire limite grotesque. Le groupe anglais laborieux de seconde zone qui mouline sans imagination des trucs dans l’air du temps. Rien qui ressemble au Dylan chéri par Hunter (ça viendra en solo des années plus tard), mais plutôt tout qui navigue dans le sillage des Stones – Faces. Sans le talent des uns ou des autres.
Les boogie stoniens sont de la revue. « Rock’n’roll Queen » le titre, « Death may be your Santa Claus » ( ??), « Walkin’ with a mountain ». Plutôt tendance boogie bien gras et lourds que tendance stonienne d’ailleurs, sans imagination. A tel point l’anecdote fameuse concernant « Walkin’ … ». Mott enregistrait dans la cabine de studio voisine de celle des Stones, et leur parvenait le son de « Jumpin’ Jack flash ». Ces lourdauds n’ont rien trouvé de mieux que de plagier le titre qui allait devenir mythique, y compris dans les paroles, le « Jumpin’ Jack flash it’s a gas » répété ad lib par Ian Hunter …
Mais si Mott a plagié les autres, certains de ses titres n’ont pas été perdus pour tout le monde. Leur version instrumentale (mais pourquoi instrumentale ?) plutôt heavy du classique des Kinks « You really got me » a été littéralement photocopiée par Van Halen quand ils reprendront ce même titre sur leur premier disque.
Un morceau (« Midnight lady ») lorgne vers le glam lorsque T.Rex commence à squatter les ondes. Plus original est « Thunderbuck ram », qui après avoir frôlé le pire avec son intro classico-prog évolue en tournerie sauvage proche du space rock énervé que feront le Blue Oyster Cult, les Pink Fairies ou Hawkwind. Quand au titre live, un exercice dans lequel Mott a toujours eu bonne réputation, il ne la sert pas vraiment leur réputation, basé sur un medley laborieux («  Whole lotta shakin’ goin’ on » de Jerry Lee Lewis, « What I’d say » de Ray Charles) construit autour du « Keep a knockin’ » de Little Richard. Et faut faire très attention quand on touche au répertoire de Petit Richard, il a placé la barre tellement haut qu’on est souvent voire toujours ridicule, et Mott n’échappe évidemment pas à la règle.
Belle pochette … Qui évite de justesse à ce « Rock’n’roll Queen » la poubelle …

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All The Young Dudes

ROMAN POLANSKI - CHINATOWN (1974)

Noir et brillant ...
« Laisse tomber Jake, c’est Chinatown ici … ». La dernière phrase du film, prononcée par un des associés de Gittes, alors qu’il l’amène loin du carnage final…
Chinatown, c’est le quartier de Los Angeles où Gittes a commencé sa carrière de flic. Et puis dans des circonstances qui resteront mystérieuses mais qui l’ont traumatisé, il a monté un cabinet de détective privé assez florissant, qui le conduira à nouveau vers Chinatown pour l’épilogue tragique d’une enquête.
« Chinatown » le film, est sorti au mauvais moment. En 1974. Année qui a vu « Le Parrain II » rafler toutes les récompenses. Bon, moi je suis client des deux, mais s’il fallait vraiment choisir, je crois que je prendrais le film de Polanski.
John Huston & Jack Nicholson
« Chinatown » c’est une synthèse. Et une déclaration d’amour d’un des cinéastes les plus controversés (déjà à l’époque, quelque temps avant sa mise en accusation pour viol, et des années avant que cette histoires de coucherie avec une mineure plus ou moins consentante soit remise récemment d’actualité). Dont les films les plus marquants jusque-là (« Repulsion », « Rosemary’s baby », « Le bal des vampires ») ont choqué, voire traumatisé les spectateurs du monde entier, et plus encore les Américains chez lesquels il réside. « Chinatown » est totalement différent, c’est l’hommage de Polanski à une certaine forme de cinéma typiquement américain au départ, le film noir. Qui a connu son apogée dans les années 30 et 40, et généré un nombre conséquent de chefs-d’œuvre. Avec en tête de gondole son sous-genre policier, qui a vu portées à l’écran de longues lignées de (détectives) privés, englués jusqu’au trognon dans des intrigues - sacs de nœuds, et sous le charme de créatures aussi affriolantes que dangereuses, dans des ambiances alcoolisées et enfumées rythmées par du jazz cool … La quintessence du genre c’est « Le faucon maltais », adapté d’un bouquin de Dashiell Hammett, avec Humphrey Bogart - Sam Spade, et derrière la caméra John Huston.
Et pour que les choses soient bien claires, c’est le vétéran John Huston, ayant à son actif une lignée de chef-d’œuvres plus que bien fournie, qui va jouer dans « Chinatown ». Et pas une fugace apparition en guise d’hommage. C’est l’un des trois personnages centraux du film, le vieux patriarche richissime Noah Cross vers lequel vont converger toutes les intrigues du scénario. Mais les deux têtes d’affiche sont le « couple » (en fait, ils ne passent qu’une partie d’une nuit ensemble) JJ « Jake » Gittes (Jack Nicholson) et Evelyn Mulwray (Faye Dunaway). Dunaway en veuve noire (dans tous les sens du terme), allumeuse, manipulatrice, et qui cache un bien pesant secret. Nicholson en détective malin, perspicace et débrouillard, jamais armé, et n’utilisant que rarement ses poings. Un net démarquage par rapport aux Marlowe-Spade dont il est le descendant.
Jake Gittes & Evelyn Mulwray
Descendant, même pas, car dans le scénario, il est leur contemporain puisque le film se déroule dans la seconde moitié des années 30. Au départ, Gittes est contacté par une femme (Diane Ladd qui dit être Evelyn Mulwray), pour enquêter sur son mari, ingénieur directeur du Service des Eaux de Los Angeles. Lequel Mulwray ne tarde pas à être retrouvé noyé, l’occasion pour Gittes de s’apercevoir que ce n’est pas la veuve de l’ingénieur qui l’avait contactée. Malgré les pressions diverses qu’il va subir, Gittes va continuer son enquête, au milieu d’imbroglios économiques sur fond d’été caniculaire, de spéculation foncière sur l’irrigation, et d’intrigues familiales chez les Mulwray. Bien dans la tradition du film noir, faut s’accrocher pour tout suivre, mais ça reste quand même plus évident que les rebondissements en cascade du « Faucon maltais » par exemple.
L’occasion de signaler qu’il vaut mieux avoir un bon scénario pour faire un bon film. Celui de « Chinatown » est signé Rober Towne, c’est lui qui récoltera le seul Oscar du film, et en plus d’une intrigue complexe et machiavélique à souhait, un gros travail a été effectué sur le caractère et la psychologie des personnages.
Nicholson écrase la distribution, dans un jeu tout en finesse et en retenue, beaucoup plus dans la suggestion que dans la démonstration. Un jeu d’acteur quasi à l’opposé de celui très typique, tout en performance exubérante, de l’Actor’s Studio qui lui vaudra les pluies de louanges (méritées, d’ailleurs) pour « Shining », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Broadcast News », … C’est Nicholson qui le premier se saisira du scénario de Towne, et réussira à convaincre Polanski de revenir à Los Angeles pour tourner le film. Polanski hésitera beaucoup avant de se lancer.
Roman Polanski & Jack Nicholson sur le tournage
Faut dire qu’il a de plus que mauvais souvenirs à L.A., où fut sauvagement assassinée au cours d’un meurtre rituel sa femme Sharon Tate, meurtre commandité par le cinglé Charles Manson et commis par sa secte de demeurés The Family. Il y a certainement comme une forme d’exorcisme pour Polanski de se mettre en scène dans « Chinatown » sous les traits d’un homme de main de Noah Cross, prompt à sortir le stilleto (Sharon Tate, enceinte, avait été éventrée à l’arme blanche). Dans le film, c’est le nez de Nicholson qui tâtera de la lame … Mais surtout Polanski signe une merveille de réalisation, avec une reconstitution crédible (j’ai beau être vieux, j’ai pas connu cette époque) du Los Angeles des années 30, avec un foisonnement de détail vintage dans les costumes, les voitures, les demeures de la haute bourgeoisie. Une mise en scène hyper classique, avec un soin que l’on devine maniaque apporté à la lumière, au cadrage, et une place de choix accordée aux accessoires de vision (on voit beaucoup de choses à travers des jumelles, dans les miroirs ou les rétroviseurs, et une paire de lunettes brisées à double foyer mènera à la résolution de l’énigme).

Le Blu-ray disponible en France a une image d’une netteté fabuleuse, avec cependant une très légère tendance à se figer ou à tressauter. Par contre seule la VO bénéficie d’un son « moderne » (VF en mono !), et les bonus sont inexistants. La meilleure édition du support serait la version américaine All-zone pas facile à dénicher semble t-il. 



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BOB DYLAN - SLOW TRAIN COMING (1979)

Le disque de la Révélation ...

En cette fin des années 70, Giscard  (diamantaire africain et aristo fin de race, supposé descendant de Louis XV par la chambre de bonne et l’escalier de service) et Raymond Barre (prétendu ponte de l’économie, amateur de nourriture grasse et de siestes parlementaires) nous disaient qu’ils voyaient le bout du tunnel, parce qu’à cette époque-là, m’en parlez pas ma bonne dame, c’était déjà le delbor...
Dylan lui, qui pour se faire remarquer, avait l’habitude de ne rien faire comme tout le monde, voyait carrément Dieu. Alors que tout autour de lui, les dinosaures 60’s et 70’s se couchaient sous l’effet de la tornade punk, lui, impavide, continuait sa route comme si de rien n’était. Sauf que tout le monde s’en foutait de Dylan. « Blood on the tracks » au milieu de la décennie avait laissé espérer, le single rageur et engagé « Hurricane » aussi, mais bon, fallait se rendre à l’évidence, Dylan était largué, et comme toute idole qui sent son piédestal vaciller, devait se poser des questions. Dès lors, le Zim allait entrer dans sa période « mystique » et tartiner de sa nouvelle foi quelques 33 T, plus particulièrement « Slow train coming » et le suivant « Saved » qui allaient embarrasser tout le monde, y compris ses fans les plus fervents. Le maître à penser de plusieurs générations de musiciens allait tomber dans le prêchi-prêcha quelque peu béat, loin, très loin de ses fulgurances littéraires passées.
Dylan live 1979
Outre un état d’esprit sur lequel on pourrait s’interroger (perso je m’en cogne un peu de l’analyse psy et de la théologie, mais le cas Dylan à cette époque a généré des écrits innombrables), il faut reconnaître que la maison Dylan ne part pas à vau-l’eau. Il y a une cohérence dans sa démarche qu’on retrouve dans la musique. Avec « Slow train coming » Dylan s’approche comme jamais de la musique noire, celle qui vient des églises, la soul et le gospel. Et il est cohérent jusqu’au bout, faisant produire ce « Slow train coming » par le légendaire Jerry Wexler (une foultitude de disques à son actif, dont les meilleurs Aretha Franklin). Comme Dylan ne fait rien comme personne, il va prendre comme meneur de revue Mark Knopfler, dernière sensation guitaristique du moment, dont les deux premiers disques de Dire Straits se vendent comme des petits pains. Knopfler mettra dans ses bagages son batteur Pick Withers.
Des Anglais plutôt folk, Dylan, de la musique noire, un producteur de soul … mélange improbable et hautement instable. L’hypothèse de départ est trop tordue pour que le résultat soit à la hauteur. Déjà, les textes pour une fois transparents (genre cantiques, prières, foisonnant de déclaration de foi et d’allusions bibliques) sont loin d’être ses meilleurs, et les amateurs du verbe hermétique dylanien vont tirer la tronche. La musique est d’un centrisme désolant, les musiciens moulinent sans conviction une sorte de rock FM, bien propre, bien lisse, bien emmerdant, mollement rehaussé par des cuivres rhythm’n’blues et des chœurs soul en roue libre. A titre d’exemple, comparer « I believe in You », de ce « Slow train coming » avec « Presence of the Lord » de Clapton et Winwood dans Blind Faith, et on a une idée de l’abîme dans lequel patauge Dylan. Tiens, à propos de Clapton et pour boucler la boucle, « Gonna change my way », sur lequel Knopfler et Dylan plagient quelque peu le riff du « Cocaine » de JJ Cale, titre repris par … Clapton. Bon, sinon, on somnole ferme avec ce brouet FM, on ne se réveille que quand arrive le tragique reggae « Man gave names … », à faire passer Jahnick Noah pour Bob Marley, et on rigole un bon coup de cette mascarade … Et allez savoir pourquoi, « Gotta serve somebody » a fait un petit hit.
« Slow train coming » n’est pas ignoble (y’a suffisamment de pointures au casting pour que la plupart du temps « ça assure »), il est juste très formaté rock centriste. Disque très important pour les fans hardcore et les analystes du dimanche, très dispensable pour tous les autres …

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Christmas In The Heart

SAM PECKINPAH - LES CHIENS DE PAILLE (1971)

« Ils m'ont donné la rage au cœur ...
… Ces chiens de paille ». Ainsi hurlait notre Johnny national, dans une chanson inspirée par le film de Peckinpah. La rage, hum … Par où ou par qui commencer ?
Peckinpah est bien sûr en première ligne pour ce « Straw Dogs » (titre original). Peckinpah est un type pas très net, un misanthrope aux méthodes de tournage contestées et apparemment contestables, qui s’est fait un sacré nom avec « La Horde sauvage », ses gunfights au ralenti et ses gerbes de sang. Peckinpah devient (même s’il n’avait vraiment jamais donné dans la comédie romantique) le metteur en images de la violence, crue, frontale, primaire, voire sadique. Et comme Peckinpah est un perfectionniste et un grand réalisateur, il va dès que l’occasion se présentera chercher à faire « mieux » que « La Horde sauvage ». Il abandonne le projet « Délivrance » (qui sera repris et mené à terme par Boorman), pour se lancer dans l’adaptation  d’un roman anglais (« The siege of Trencher’s farm »). Adaptation comme souvent assez libre, seuls quelques éléments du bouquin sont retenus pour le scénario.
Dustin Hoffman & Sam Peckinpah
Nouveauté, Peckinpah lassé de procès d’intention, de procès tout court, de censure aux USA, décide de s’expatrier et de tourner le film en Angleterre. Difficultés pour monter le casting, finalement Dustin Hoffman sera la tête d’affiche. Et commence par s’opposer au choix d’une jeune actrice anglaise peu connue, Susan George, dont les seuls faits d’armes résident dans des seconds rôles de bimbo court-vêtue. L’atmosphère pendant le tournage sera détestable. Hoffman affiche souvent une attitude méprisante vis-à-vis de sa partenaire. Cerise sur le gâteau, Peckinpah tombe malade, souffrant d’une grosse pneumonie, refuse d’ajourner ou d’abandonner le tournage, et se soigne en buvant comme un trou. Déjà qu’à jeun il n’avait pas la réputation d’un type facile, alors là, bourré en permanence, il martyrise littéralement toute son équipe.
« Les chiens de paille », c’est l’histoire d’un engrenage qui conduit à un final hyper-violent. Toute une galerie de personnages sordides au cœur d’un village contemporain, perdu dans une campagne anglaise qui n’a rien de glamour. Peckinpah jongle avec la noirceur ou l’ambiguïté des personnages. Tant du point de vue de « l’action » que de la psychologie des protagonistes, le film n’est pas crédible. Mais Peckinpah doit s’en foutre un peu (beaucoup ?) de cette crédibilité. Et c’est ce qui est ennuyeux finalement, qui fait des « Chiens de paille » un film dérangeant.
Susan George & Dustin Hoffman
Cette obsession pour l’humiliation, pour montrer que chacun renferme sa part noire qui finalement prend le dessus, finit par être gênante. Beaucoup plus que la violence qu’elle finit par générer. Et au final, le film est plus dérangeant que choquant. Dans cette longue surenchère de pacotille, biaisée dès le départ parce que seul un carnage total peut servir la vision qu’a Peckinpah de l’histoire et des personnages.
« Les chiens de paille » ne vaut que par son esthétique. Et de côté-là il est parfait. Dès la toute première scène, on a droit à un gros plan sur les seins de Susan George qui pointent sous un pull hyper moulant. Manière de capter l’attention du spectateur (spectateur, car j’ai pas du tout l’impression que ce film puisse s’adresser de quelque façon que ce soit à un public féminin), de jouer sur la fibre du machisme et du voyeurisme. D’ailleurs l’autre seul rôle féminin notable est tenu par une gamine délurée, sexy et provocante dont l’attitude stupide va enclencher la mécanique qui conduira au cataclysme final. On a l’impression que Peckinpah déteste ses personnages, que sa caméra n’est là que pour les rendre encore plus vils. Susan George ? Allumeuse, qui se laisse serrer de près par un ancien flirt, exhibe sa petite culotte ou ses seins aux ouvriers embauchés par son mari. Dès lors le viol qui suivra ne peut entraîner pitié ou commisération quelconque. Un personnage « sacrifié » par Peckinpah. Dustin Hoffman qui joue son mari ? Vil, égoïste, trouillard, simplet perdu dans son génie mathématique, incapable d’envisager, d’anticiper et de gérer le pourrissement de la situation. Et ce type qui devient une sorte de Rambo non pas pour préserver un blessé ou protéger sa femme, mais parce qu’on est train de vandaliser « sa » maison (en plus, c’est pas la sienne, c’est celle de ses beaux-parents, mais il l’accapare, c’est lui « l’homme », c’est le possédant). Héros totalement antipathique. Les autochtones ? Galerie d’ivrognes, brutes incultes épaisses et à peu près consanguines, débiles légers, homme d’église puéril, représentant de l’autorité dépassé (c’est d’ailleurs le premier à y laisser la peau, flingué à bout portant au fusil de chasse). On cherche en vain dans ce casting le personnage « attendrissant ».
Ce qui conduit à affirmer que pour Peckinpah, le film en soi n’a pas grande importance, si ce n’est qu’il lui sert à mettre en scène la violence. Et de ce côté-là, c’est un maître. Il installe très vite un climat de tension, une atmosphère oppressante qui ne se relâche jamais et va crescendo. Peckinpah, c’est le type qui filme en couleurs les recoins les plus sombres et sordides de l’âme humaine. Sans pitié, en forçant le spectateur à regarder, à devenir voyeur. Pas d’esquive possible, les atrocités se passent pas hors-champ, c’est plein cadre. La scène du viol est dans le tiercé de tête des plus dérangeantes mises à l’écran (avec celle d’ « Irréversible » et celle de « Orange mécanique », cette dernière par un curieux hasard sortie la même année). Et ce n’est pas le nombre de morts qui est le plus choquant (une demi-douzaine, moins que dans la séquence inaugurale d’un quelconque Rambo), c’est la sauvagerie qui accompagne la plupart de ces morts.

« Les chiens de paille » a fait débat. Et suscité un procès moral envers Peckinpah. Principaux griefs de l’accusation : fascisme-totalitarisme et glorification de l’autodéfense. Des termes encore relayés de nos jours. Bon, je veux bien qu’au début des années 70, ça ait traumatisé les bien-pensants de tout bord (leur était-il seulement venu à l’idée que la seule « idéologie » présente était celle de la violence ?), mais aujourd’hui, les limites posées par Peckinpah ont été franchies et explosées par des films gore sado-maso (les « Hostel », Saw », …), sans parler des snuff movies qui fleurissent dans les recoins sombres du web … Voir du fascisme dans « Les chiens … » est une illusion d’optique, une commodité intellectuelle. L’apologie de l’autodéfense ne tient pas davantage, le défense de la maison assiégée n’est qu’un prétexte scénaristique, Hoffman est juste un lâche aux abois, il réagit comme tel, pour sauver uniquement sa peau et pas sa bicoque envahie, une fois qu’il s’est rendu compte que son bon sens diplomatique d’intellectuel n’est d’aucun effet sur ses assaillants avinés …  C’est à mon sens dans le personnage de Dustin Hoffman qu’est la clé du film, montrer comment un intellectuel, chercheur en mathématiques, peut retomber dans des pulsions barbares. La façon dont il traite de haut sa femme rajoute un drame psychologique supplémentaire à l’intrigue (d’après les témoignages des personnes présentes sur le tournage, guère différentes de celle dont Peckinpah traitait Susan George).
L’occasion de dire que c’est elle, la débutante dans un premier rôle, prise en grippe par le réalisateur et l’acteur principal, qui signe la meilleure performance du film, tout à fait naturelle et « juste » dans un tas de scènes pourtant très difficiles. En comparaison, Hoffman n’est guère crédible (enfin, plutôt la crédibilité de son personnage, ce qui a tendance à montrer les limites d’un jeu très typé Actor’s Studio).
Hasard des sorties en salle, en cette année 1971, arrivèrent sur les écrans trois films perçus comme des sommets de violence, ce Peckinpah, « Orange mécanique » et « Délivrance », suscitant vagues d’indignation, tollés des « bien-pensants », batailles d’Hernani des critiques. Aujourd’hui, ces trois films (pourtant très différents) sont à juste titre considérés comme des classiques, toutes époques confondues …

  

ANGE - EMILE JACOTEY (1975)

Un Ange passe ... 

J’ai dû vérifier, mais curieusement, il doit bien rester des gens qui écoutent encore Ange, puisque le groupe existe toujours, tourne, sort des disques, des Dvd, comme les premiers BB Brunes venus …
Ange ils sont dans les grimoires traitant de vieux rock français (quoique si Ange c’est du rock, Nabila c’est Marie Curie), rayon seventies, chapitre prog … Autant dire pas exactement ma tasse de thé … Ange, c’était the big thing du milieu des années septante. En France uniquement. Et surtout en province, la revanche des ploucs sur les Parisiens, cet antagonisme séculaire. Et Ange était vraiment un groupe campagnard (Belfort, la Franche-Comté, ces endroits où même les pauvres ne vont pas passer leurs vacances) cultivant même à l’excès ce côté rustique et paysan. Ange est une affaire de famille, celle de la famille Décamps. Deux frangins, Christian et Francis, et quand le second quittera le groupe, c’est le fils du premier qui le remplacera.
Ils sont velus, ils sont tous là : voilà les Ange
Ange, comme tous les progueux, cultive le paradoxe du progrès(sif) et la fixette pour les temps passés, thème récurent de ses « grands disques », qui s’enchaînent  vers le milieu des seventies (« Le cimetière des Arlequins », « Au-delà du délire », « Emile Jacotey », « Par les fils de Mandrin »). Bien révélateur de toutes les obsessions de l’époque pour un retour vers la campagne, la « vraie vie », et toutes ces balivernes hippies.
« Emile Jacotey », c’est un peu la quintessence de tout çà. Le disque est construit à partir de rencontres, conversations et discussions de Décamps (Christian, le chanteur et leader) avec un ancien maréchal-ferrant de village (Emile Jacotey, comment ça, vous aviez deviné ?). On entend même à une paire de reprises la voix de l’auguste vieillard sur le disque. Même si ce n’est qu’un prétexte, le disque ne raconte pas sa vie, c’est une extrapolation des légendes, contes et histoires racontées par le vieux.  Et encore, juste la première face du vinyle original la seconde étant encombrée par une fuckin’ suite, « Ego et Deus » en quatre « mouvements » (no comment).
Les textes se veulent chiadés, rehaussés par un chant maniéré, changeant, théâtral, inspiré par Brel (que le groupe avait repris sur un disque précédent). La zique, c’est du prog, parfois inspiré par Jethro Machin et les funestes Yes, sur l’intro de « Bêle, bêle, petite chèvre » (amis des titres crétins, bonjour) ou sur « Les noces ». Y’a de la ballade médiévalisante (« Jour après jour »), de la ballade épico-pompiéro-lyrico-campagnarde (« Sur la trace des fées »), du co(s)mique bon marché (« Le marchand de planètes », tournerie entre mauvais krautrock et falsification floydienne). Un titre « Ode à Emile », ritournelle assez réussie avec parties de guitare (du « mythique » Brézovar) plus ou moins intéressantes, deviendra un des classiques du groupe et le point d’orgue de leurs concerts (bâillements) …
Peut-être parce que le « rock français » de l’époque était quasiment inexistant (les Variations finis, Magma assez « branché », les deux ne vendaient de toute façon guère), Ange écoulait des centaines de milliers de ses disques … c’était le bon temps (ricanements lugubres …).

JOE JACKSON - LOOK SHARP ! (1979)

Catalogue new wave ...

Les punks avaient démontré que point n’était nécessaire d’avoir des décennies d’études musicales derrière soi pour faire des disques. Joe Jackson allait prouver que des années de conservatoire (du piano à la très sérieuse et très prestigieuse London’s Royal Academy of Music), ça pouvait aussi aider pour faire de la musique.
Avec pareil background, Joe Jackson n’a forcément rien d’un punk. Il arrivera avec ce disque, son premier, alors que les punks commencent à avoir du plomb dans l’aile, dans une Angleterre de la fin des années 70 qui voit émerger chaque semaine des sons et des gens nouveaux. Le tout englobé dans le terme générique de new wave, regroupant des artistes aussi différends que Cure, Siouxsie, Magazine, Police, Madness, Costello …
Scoop : Joe Jackson a eu des cheveux !
Costello, justement. L’autre Elvis avec lequel Joe Jackson a souvent été comparé à ses débuts. Tous les deux ont débuté avec des chansons sèches, presque austères, nerveuses, avec de nombreuses choses venues du reggae … et tous les deux ont vite été à l’étroit dans le format qui les avait fait connaître. Il y a une différence fondamentale entre eux, leur culture musicale de base. Costello rêve de folk et de country, Jackson de jazz et de musique classique, et très vite, ils bifurqueront vers ces genres qui les fascinent …
Mais à ses débuts, Joe Jackson est parfaitement raccord à l’air du temps, et son talent certain de musicien lui permettra de glisser dans ce premier disque des titres marquants, qui feront de ce « Look sharp ! » un bon succès et un des incontournables de l’époque. Un premier disque carte de visite, en ces temps reculés où l’on ne cherchait pas à tout prix la rentabilité immédiate, où l’on raisonnait en terme d’œuvre, de carrière. Joe Jackson sort un disque en prise avec son époque, mais suffisamment personnel pour qu’on le remarque du lot.
Une chose frappe tout du long de ce « Look sharp ! ». Tous les morceaux reposent sur un son de basse caoutchouteuse, ample, tenue par Graham Maby. Que beaucoup s’arracheront pour leurs disques ou leurs tournées, mais qui toujours restera fidèle à Jackson tout du long de sa carrière, inamovible piler du Joe Jackson Band … Et Maby, on l’entend d’autant plus que pas mal de titres de « Look sharp ! » sont construits à partir de bases reggae (« One more time », avec son refrain pop, sec et nerveux, « Sunday papers », sur les tabloïds anglais, « Fools in love », avec un piano jazzy au milieu du morceau, « Look sharp ! » le titre est un ska sautillant qui évolue vers des accords tarabiscotés qui eux évoquent  … le prog, nobody’s perfect). La basse est quasiment seule à assurer les couplets tout en lenteur avant un refrain très mélodique de « Is she really going out with him », premier hit de Joe Jackson et un de ses titres fétiches.
Joe Jackson Band 1979
Et puis, de temps en temps la petite équipe (guitare, basse, batterie, Jackson au piano, plus rarement à l’harmonica, et David Kershenbaum à la production) se lâche, balançant du rock’n’roll (« Throw it away »), du punk-rock (« Got the time »), deux genres dans lesquels Joe Jackson ne s’investira plus guère par la suite et ces titres font un peu figure de curiosités. Ils clôturaient chacun une face du vinyle original. Un titre saccadé (« Having loving couples ») évoque le Costello des tout débuts, un autre (« Baby stick around ») fait penser au Clash de « Give ‘em enough rope », « Pretty girls » me semble très inspiré par le « Do wah diddy » de Manfred Mann. Et pour achever le tour du propriétaire, il y a des riffs très Led Zep sur « Do the instant mash », et sur la réédition Cd deux titres bonus assez anecdotiques …
« Look sharp ! » sera assez bien perçu lors de sa sortie, et contribuera vraiment à lancer la carrière de Joe Jackson. Qui suivra dans la même veine avec « I’m a man » que l’on peut raisonnablement trouver meilleur. Ensuite, l’Anglais à forte tête (c’est pas toujours un client « facile » niveau relations humaines, il a des jours « sans », où il est très soupe au lait), bifurquera vers des genres pas très à la mode (en gros du swing jazzy très orchestré le temps d’une paire de disques) avant de revenir à la pop avec ce que beaucoup considèrent comme sa masterpiece, « Night and day », et à nouveau de repartir dans d’autres directions musicales, démontrant un talent évident, protéiforme, mais pas toujours facile à suivre …

THE CLASH - LONDON CALLING (1979)

Before the storm ...

Le dernier grand disque de rock des 70’s … quasiment le dernier grand disque de rock tout court … avant que des déluges de daubes diverses et (a)variées tombent de partout pendant plus de trois décennies …
« London  calling » … du Clash … the last gang in town… déjà en 1979 quasiment un vestige du mouvement punk original de 76-77. Un mouvement qui n’en finit déjà plus de compter ses morts et ses groupes disparus … Le Clash est encore là, mais dans l’œil du cyclone, attendu au tournant. Parce que le Clash, et surtout Strummer, le plus ancien de la bande (un des plus vieux punks du monde, 27 ans au compteur) savent qu’il faut pas faire du sur-place, que la définition même du punk (no future) est une impasse vers laquelle tous ces suiveurs horribles aux slogans simplistes se précipitent.
The Clash 1979
Strummer est un intuitif, qui fonctionne au feeling, et qui ne sait pas trop où emmener sa troupe dont il est le leader « politique ». Action Joe, marxiste convaincu sinon convaincant, se sait piégé et attendu au coin du bois par la CBS qui les a signés. Le groupe entier est mal à l’aise dès lors qu’il faut faire bouillir la marmite et aller tourner dans ces Etats-Unis qu’ils ont violemment brocardés à leurs débuts (« I’m so bored with the USA »). Le Clash aux States est observé comme une bête curieuse par un public apathique … De rage à l’issue d’un concert au New York Palladium le 21 septembre 79 où le groupe avait tout donné devant des spectateurs amorphes, Paul Simonon fracasse sa basse sur la scène. L’instant sera immortalisé par la photographe Pennie Smith et sera la pochette du futur 33T. Artistiquement, le Clash est à la dérive. N’a pas su quoi faire après son premier disque, classique punk. Avait choisi le sorcier fêlé des studios jamaïcains Lee Perry pour produire le second disque. Il n’en sortira qu’un single (« Complete control »). Et le groupe va aller se perdre avec Sandy Pearlman, le producteur attitré du Blue Oyster Cult, rechercher le « gros son », pour finalement sortir un disque de quasi hard-rock (« Give ‘em enough rope »), dont même pas une poignée de titres sont à sauver.
Donc pas de droit à l’erreur pour le troisième. Il faut vraiment trouver l’homme de la situation pour coucher sur vinyle et canaliser toute la frénésie créative du groupe, qui, amphétamines aidant, a des dizaines de titres en gestation. Guy Stevens sera l’Elu. La légende mod underground, oracle sonore du swingin’ London, l’homme qui a trouvé leur nom aux Procol Harum, produit Free, fait débuter Mott The Hoople. Stevens est recruté pour produire le disque. Las, il est alcoolique au dernier degré, perpétuellement vautré dans un hébétement éthylique. Il ne sera d’à peu près aucune utilité technique pour le groupe, prostré dans un état second en studio, tout juste bon à envoyer de « bonnes vibrations ». C’est l’ingénieur Bill Price qui de fait produira « London calling ».
Qui sera double. Problème, la CBS ne veut pas d’un double. Bras de fer avec la foutue multinationale. Au prix d’un arrangement léonin, la CBS sortira le disque au prix d’un simple 33T, le manque à gagner pour elle sera retenu sur les royalties des musiciens. Comme le Clash répètera la manœuvre avec le suivant, « Sandinista », un triple vendu au prix d’un double, et que les disques du Clash ne se vendront jamais par millions, Strummer et sa clique vont se retrouver quasiment débiteurs à vie de leur maison de disques …
London calling 45T
Avec « London calling », le Clash ne veut plus faire de punk-rock (seul « Koka-Kola » peut répondre à cette définition). Le Clash va partir dans tous les sens, livrer en 19 titres ses amours, ses obsessions, ses fantasmes du meilleur rock des deux dernières décennies. Et tout ça à grande vitesse. On avait juste eu le temps d’entendre à la radio le single, qu’une semaine après, l’album arrivait. Le single, c’était « London calling », le titre. Un truc martial, mid-tempo, inspiré par « l’incident » de la centrale nucléaire américaine de Three Mile Islands (« a nuclear error »), transposé à Londres, avec le Joe qui braillait que Londres était en train de se noyer, qu’il habitait à côté de la rivière, et qu’il avait même pas peur. La face B, c’était le colossal reggae, la reprise de l’« Armaggedon Time » de Willie Williams, et ça en faisait dans tous les sens du terme le 45T le plus apocalyptique qui soit …
« London calling », c’est le premier titre de l’album. Et on a pas le temps de souffler (on n’aura de toute façon jamais le temps de souffler durant 65 minutes) qu’arrive une reprise toutes tripes et riffs de Mick Jones en avant du « Brand new Cadillac », le seul classique de Vince Taylor, pionnier anglais maudit du rock’n’roll, que même Bowie n’avait pu réhabiliter (le personnage de Ziggy Stardust, c’est un croisement de Vince Taylor et d’Iggy Pop). Cette exhumation des racines rock’n’roll, les plus instruits (ou les plus vieux) l’avaient vu venir avec le lettrage de la pochette, directement inspiré par celui du premier disque d’Elvis Presley. De toutes façons, des vieilleries, le Clash semblait décidé à nous en faire bouffer, le morceau suivant, c’était …aargh, du fuckin’ jazz. Avec du sax ! Trahison ! … Euh non, en fait, ça swinguait mille fois plus que Mahavishnu Machin et Weather Truc réunis, ça parlait de l’histoire d’un petit dealer qui venait de se faire serrer par les keufs. Et pour tout un tas de gens, le Clash allait sortir la face de 33T la plus moderne qui soit, en n’utilisant que des musiques antédiluviennes, parce qu’elle s’achevait par « Hateful », une extrapolation de Diddley beat (modèle déposé vers 1957-58), et « Rudie can’t fail » (rocksteady, Jamaïque, début des années 60).
New York Palladium 21/09/1979 : bientôt Paul Simonon va destroyer sa basse ...
Parce que les Clash étaient fans de reggae (surtout Paul Simonon, et un peu Strummer, pour l’aspect politique et social) sous toutes ses formes. Ils en ont mis partout (déjà le fabuleux « Police & thieves » sur leur premier disque), et « London calling » sera leur disque où le reggae sera le plus présent. Le reggae, c’est la musique qu’on écoute dans les quartiers populaires de Londres, communauté jamaïcaine immigrée oblige, et le Clash est obligé, se sent investi de la mission d’être de leur côté, à leurs côtés (le groupe au complet parade, un peu comme des coqs il faut bien dire, dans Notting Hill, et ne manquerait pour rien au monde son carnaval et les émeutes qui vont généralement avec). Le reggae et ses dérivés sont partout dans « London calling ». Dans le traitement sonore de « Clampdown », gros rock qui déménage à la base, et servi bouillant, comme si les Who reprenaient Jimmy Cliff, dans le reggae-dub des « Guns of Brixton », chanté basse sur les genoux et voix sourde en avant par Simonon. « Wrong ‘em boyo », c’est du ska, comme si Madness faisait du dragster. « Lover’s rock », c’est une allusion transparente à un sous-genre de reggae, même si c’est moins suave que quand c’est chanté par Gregory Isaacs, le maître du genre. Et puis, et surtout, la profession de foi, le cœur politique du disque (en fait la vieille utopie hippie remise au goût du jour, la musique qui doit et va changer le monde), l’énorme « Revolution rock », reggae-ska et contrepoint-réponse au « Roots, rock, reggae » de Saint Bob Marley …
Le reste ? Du rock couillu, servi par un festival de riffs énervés de Mick Jones, accompagné par les accords rageurs de Strummer extirpés de sa vieille Telecaster entre deux gerbes de postillons, la basse ronde et mixée en avant de Simonon. Et derrière tout ça, derrière le trio inamovible, la pièce rapportée du Clash, le batteur. Ici Topper Headon, le batteur « historique » du groupe, même s’il n’était pas là aux débuts. Un Topper dont on a dit le plus grand mal, souvent à juste titre. Vite devenu héroïnomane à plein temps, les bras minés par la poudre, souvent incapable d’assurer le tempo en live. Et bien, là, en studio, il répond présent et pas qu’un peu, et fait la démonstration (écoutez-le sur « Clampdown ») qu’avant d’être un junkie pathétique, c’était un putain de grand batteur … alors il pousse au cul toute sa troupe sur les titres comme « Death or glory », « I’m not down », ou le gigantesque « Four horsemen » (eh non, les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, c’est pas les neuneus de Metallica, la preuve ici …). Bon, évidemment, comme tout est fait au feeling, pas trop de technique et beaucoup de cojones, quand il y a un titre trop « réfléchi », il se voit comme le nez rouge au milieu de la figure d’un clown. Ici, c’est « The card cheat », piano limite grandiloquent en intro, plein de cuivres, du pathos presque dégoulinant … on frôle la faute de goût.
The Clash live 1980
C’est pas tout. Il y a encore au menu quatre plutôt bizarreries à la base, et qui, parce que le groupe était dans un état de grâce qu’il ne trouvera plus (il n’aura pas assez de temps pour ça, d’ailleurs), sont devenus des morceaux emblématiques de ce disque. « The right profile » est un strict (enfin, dès que le Clash est dans le coup, plus rien n’est strict) rhythm’n’blues avec les cuivres et tout et tout, dédié à Montgomery Clift (perso, j’ai jamais vraiment saisi pourquoi, si quelqu’un sait, merci, mais aucune récompense n’est prévue). Deux titres de pure pop : « Spanish bombs » sur l’interventionnisme américain en Amérique Centrale, (« Sandinista » n’est plus très loin), et la superbe bluette anti-consommation de masse chantée par Mick Jones « Lost in the supermarket ». Et last but not least, l’ultime titre du disque, rajouté in extremis (il figure pas sur le tracklisting de la pochette originale), à la demande pressante de la CBS, qui après écoute des 18 premiers titres, a jugé le boulot intéressant. Susceptible de se vendre même au States, à condition de rajouter un titre bien anglais mais suffisamment américain pour que ça puisse plaire et éventuellement faire un hit chez les bouffeurs de burgers. En gros, le Clash a été sommé par sa maison de disques de rajouter un titre genre Rolling Stones, qui vendaient du « Some girls » par millions. Qu’à cela ne tienne, le Clash tutoyait les anges, pouvait tout faire … « Train in vain » sera ce hidden track ô combien stonien.
Le résultat ? Il surpasse de très loin tout ce que la mouvance punk ou assimilée a jamais produit. Totalement hors du temps et des modes, un double vinyle jalon d’un certain âge d’or du rock, voisin et égal de marqueurs de leur époque aussi forts que « Blonde on blonde », le Double Blanc, « Exile … », « Physical graffitti ». Avec « London calling » sous le bras, des concerts incessants, le Clash va devenir là, au tout début des années 1980, le plus grand groupe de rock du monde. En gros jusqu’à la parution du boursouflé « Sandinista » un an plus tard …
Certains prétendent que « London calling » est le plus grand disque de rock jamais gravé. Y'a des jours que moi aussi …

Des mêmes sur ce blog :
Combat Rock

ANANDA SHANKAR - ANANDA SHANKAR (1970)

Hindu loves rock ?

Tous les fans de Beatle George Harrison devaient se pâmer devaient cette rondelle. Tous ces amateurs d’effluves de patchouli, admirateurs de Ravi Shankar, avaient de quoi meubler le fond sonore de leurs soirées macramé en ce début des 70’s…

Ananda Shankar est le neveu de la « star » Ravi Shankar, « héros » exotique du festival de Woodstock. Et donc si je suis bien cette saga familiale compliquée, le cousin de Norah Jones. Le Ananda est considéré, à l’égal de son tonton, comme un sitar-hero, réputation acquise durant trois décennies d’enregistrements. Dont ce « Ananda Shankar » fut le premier. Et si ce disque est son plus connu en Occident, c’est parce qu’il contient en version « indienne » des reprises de « Jumpin’ Jack Flash » et de « Light my fire ». Les Stones et les Doors au sitar ? Ben oui, et ces deux titres par Shankar valent bien toutes les reprises faites par des visages pâles. La version de « Light my fire » est exceptionnelle, c’est le meilleur titre du disque, et ça fait pas du tout karaoké à Bombay. La reprise des Stones, avec une ligne de basse très en avant et des chœurs genre « You can’t always get what you want » sur le refrain ressemble à un remix, des années avant que le mot soit utilisé. Comme l’essentiel du disque, ces deux morceaux sont en version instrumentale, et ce sont bien évidemment ceux qui ont fait connaître Shankar.
Et le reste, s’enquiert le lecteur curieux ? Le reste, justement, est assez curieux. Y’a un mot qui existe, généralement employé à tort et à travers, celui de fusion. Je vais faire comme tout le monde et dire que ce disque est un disque de fusion. Entre deux mondes musicaux, celui du rock et celui de la musique traditionnelle indienne, a priori assez éloignés. Et par la participation de quelques zicos américains venus d’horizons assez divers. Jerry Scheff (le bassiste de Presley … et des Doors de « L.A. Woman »), Michael Bott (batteur des soft-rockeux de Bread), Mark Tulin (bassiste des fracassés au LSD Electric Prunes), Drake Levin (guitariste des garagistes Paul Revere & The Raiders), et quelques autres dont je ne sais rien. Plus évidemment des locaux, qui se taillent la part du lion, Shankar en tête.
La musique des titres restant (six) navigue entre le raga méditatif (pléonasme ?) du très long « Sagar (The ocean) », sonorités plus apaisées, plus relaxantes, plus new age en somme, et des tentatives de mix entre musique traditionnelle et variété anglo-saxonne (« Snow flower » et « Mamata » doivent beaucoup aux mélodies psychédéliques, alors que « Dance Indra » est beaucoup plus « roots », et que le seul titre chanté « Raghupati » est assez mauvais, hormis des scansions rythmiques qui font penser à Magma). En fait, à part les deux reprises, le seul autre titre qui trouve vraiment grâce à mes oreilles occidentales c’est « Metamorphosis ». Rythmique très rock, ambiances et instruments locaux, et ça ressemble finalement aux Moody Blues, c’est-à-dire que le funeste prog n’est pas loin, avant un final en tournerie hindouisante.
« Ananda Shankar » est un disque exotique, amusant, intéressant, et qui pourrait ravir tous les fans du technoïde Talvin Singh, fortement influencé (son Cd « OK ») par ces sonorités-là… ce qui à la réflexion doit pas faire grand-monde. Un disque tout de même pas crucial pour des oreilles occidentales. Mais peut-être qu’en s’asseyant en tailleur et en faisant brûler quelques bâtons d’encens …

TÉLÉPHONE - CRACHE TON VENIN (1979)

My generation ...

Téléphone, faut avoir été lycéen quand ils sortaient leurs disques. Sinon, c’est un truc un peu surréaliste, incompréhensible, un phénomène que les moins de … peuvent pas saisir.
Avant Téléphone, le rock français, c’était … la misère. Pour situer l’ampleur des dégâts, il faut savoir qu’au milieu des seventies, la grosse affaire par ici, c’était le prog champêtre de Ange. Et puis, à partir de 76-77, des groupes jaillissent de partout, sous influence des vagues punks anglaises ou américaines. Peu franchiront l’étape du 33T. Quelques-uns (Little Bob Story, les Dogs) récupèreront un noyau de fans fidèles, s’installeront durablement, mais vendront des nèfles. Téléphone, c’est deux paires qui se rejoignent. Aubert et Kolinka d’un côté et à l’origine du groupe, Bertignac et Corine de l’autre, plus expérimentés (ils viennent tous les deux de Shakin’ Street, et Bertignac commence à être reconnu grâce à de multiples sessions, notamment pour Higelin, comme un des bons guitaristes locaux). Téléphone n’ont rien de punk (leurs détracteurs ont eu beau jeu de se gausser d’Aubert, fils de haut fonctionnaire) et vont d’entrée avec leur premier disque rencontrer un public jeune et nombreux, et aligner des chiffres de vente « intéressants ».

Leur label EMI France, met le paquet, subodore une possibilité de carrière internationale, et envoie le groupe enregistrer son second disque à Londres, sous la houlette de Martin Rushent (au long passé d’ingénieur du son et producteur du premier Stranglers). Et à la réécoute de ce « Crache ton venin » des décennies plus tard, c’est peut-être bien le disque de Téléphone qui a le mieux vieilli.
Téléphone, c’est du classic rock. sous grosse influence Stones et Who. Et très vite, quels que soient les disques, on distingue deux points forts. La technique très au-dessus de la moyenne de Bertignac à la guitare et de Kolinka à la batterie. « Crache ton venin » est un festival des deux, Bertignac y aligne riffs sauvages, chorus musclés et solos efficaces et pas démonstratifs. Kolinka booste sa troupe, et se hisse au niveau de pousse-au-cul de gens comme Ian Paice ou Keith Moon (il est tellement impressionnant qu’il signe même un titre, « Regarde moi »). Pour être honnête, il faut dire que Téléphone a deux points faibles, la voix d’Aubert, assez limitée et souvent à la limite de la justesse, pour ne pas dire fausse tout le temps ; et un jeu de basse assez transparent de Corine. Et puis, il faut quand même dire un mot des textes, lesquels feront la joie d’un public d’ados (alors qu’il n’y en a pas dans le groupe) mais qui, avec le recul, sont quand même très moyens, développant thèmes de société traités de façon quelque peu infantile, et allitérations et rimes assez moyennes, pour être gentil …
Mais avec « Crache ton venin », ce sont les compos qui tiennent la route. Du classic rock, certes, mais balancé avec une énergie alors inédite par ici. Des boogies stoniens qui valent bien à cette époque-là ceux de la bande à Jagger et Richards (« Je sais pas quoi faire », « Facile », « Crache ton venin » le morceau, « Je suis parti de chez mes parents », le plus speed du lot). Et à la fin du disque, les deux derniers titres tentent une percée vers des sonorités plus funky (« Un peu de ton amour », « Tu vas me manquer »), et s’ils sont pas vraiment à jeter, peuvent malgré tout laisser assez dubitatif.
Sous le calque ...
Si Téléphone a eu autant de succès (les ventes de ce disque vont quasiment décupler par rapport au premier, et atteindre des chiffres qui doivent laisser songeurs les rockeurs ou prétendus tels d’aujourd’hui), c’est parce que le groupe était excellent sur scène, ne s’économisant jamais pour un public de plus en plus nombreux au fil des tournées. Et qu’il pouvait s’appuyer sur des titres que faute de mieux on qualifiera d’hymnes générationnels. Ici, il y en a trois, « Crache ton venin », « Faits divers » (un des meilleurs riffs du groupe), et l’emblématique scie désenchantée « La bombe humaine », tellement entendu qu’on ne sait plus quoi en penser.
La plupart des titres sont signés Aubert, Bertignac collabore sur quelques-uns (signature Aubertignac), on entend Corine Marienneau chanter lead un couplet de « Ne me regarde pas », « Je sais pas quoi faire » est un hommage à Godard (le titre est dédié à Pierrot le Fou et Marianne), la pochette avec son calque transparent est signée d’un jeune qui va monter (Jean-Baptiste Mondino),…
Et comme tous les autres skeuds du groupe, celui-ci n’aura aucun impact hors de France. C’est d’ailleurs cette quête de la reconnaissance internationale (et plus encore quand Branson les signera sur Virgin), qui ne sera pas pour rien dans les tensions internes (euh, et la fouteuse de merde Corine aussi, un peu beaucoup) qui finiront par avoir la peau du groupe au sommet de sa gloire cinq ans plus tard …