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ERYKAH BADU - MAMA'S GUN (2000)

 

Soul's not dead ...

Un disque de soul en l’an de grâce 2000 ? Et pourquoi pas un disque de r’n’b tant qu’on y est ? Ouais, je sais les deux termes ont été plus que galvaudés en cette fin de siècle. Et on retrouve sous ces deux vocables des choses et des gens qui n’ont rien à voir avec la soul ou le rhythm’n’blues, tels qu’on entendait ces deux termes dans les glorieuses années 60 et 70 … Pourtant, quelques-uns et unes, peu nombreux, ont tenté vaille que vaille contre les vents mauvais des diktats du music-business de perpétuer les nobles idiomes. En sachant pertinemment qu’il y avait du taf pour faire aussi bien qu’Aretha, Jaaames, Marvin, Stevie, Curtis et les autres.


A quoi on les reconnaît ces gens-là ? Pour les mecs, c’est compliqué, ils sont parfois plus sobres vestimentairement (moins de couleurs flashy, moins de bagouzes) mais pas toujours … Pour les meufs, c’est plus simple (et ça tombe bien, Erykah Badu est une vraie meuf, mère de famille, tout ça …), suffit de googleler leurs photos. Si vous voyez une pétasse à wonderbra et string apparents, maquillée comme un camion portugais, un conseil, passez votre chemin … si la nana à l’air normale, ça sent la bonne pioche.

Erykah Badu a pas un physique de top model, et pose pas façon entraîneuse de bordel mexicain. Par contre elle sait faire des disques. Celui-ci est son second, le premier (« Baduizm ») l’avait faite favorablement remarquer. Et ce « Mama’s Gun », il est très bon … même si évidemment, il arrive pas à la cheville des rondelles majeures des zozos précités deux paragraphes au-dessus. Mais la Erykah coche plein de cases. Le label, c’est Motown. La vénérable maison de Detroit avait depuis ses années soixante fini de manger son pain blanc, les mirifiques succès des artiste signés par Berry Gordy n’étaient plus qu’un très lointain souvenir. Mais y’a des étiquettes sur un disque qui restent magiques … Ensuite, la Erykah a su s’acoquiner avec les bonnes personnes, cumulant dans les crédits du disque ceux qui savaient écrire des chansons et qui faisaient des disques avec des vrais instruments. Il y avait toute une connexion où l’on trouvait les types de Outkast (un des deux, Andre 3000 est le père du mioche à Erykah), ceux des Roots (particulièrement leur batteur et tête pensante Questlove) et derrière le micro des gens comme D’Angelo ou Common qui avaient du succès avec d’honnêtes rondelles. La revanche de l’humain sur les machines, et c’est d’autant plus appréciable quand il s’agit de musiques qui se veulent vintage … Bon, au débit de ce « Mama’s Gun », la longueur. Une heure dix, c’est un peu beaucoup longuet …


Les titres up ou mid tempo sont au début, la deuxième partie du Cd fait la place aux rythmes beaucoup plus lents. Le changement intervient avec le morceau « A D 2000 », qui comme le « American skin (41 shots) » de Springsteen fait référence à la mort d’Amadou Diallo, jeune guinéen de 22 ans, dégommé par les flics new-yorkais lors d’un banal contrôle d’identité (ils lui ont tiré dessus à 41 reprises, et l’ont touché 19 fois, no comment …).

Tous les titres du disque sont enchaînés, ce qui renvoie forcément au « What’s going on » de Marvin Gaye. Mais pas seulement à cause de ça. Il y a des paroles pas très cons (« concernées » comme on disait dans les seventies), et des influences, des rythmes, des sonorités jazzy. Même si par cet aspect, on est plus proche de Sade, la belle nigériane à la musique glaciale au début des 80’s (le single « Didn’t cha now », et surtout « Time is a wastin’ »). Vocalement, Badu est assez neutre, très loin des hurleuses à la Aretha. Bon point, des saletés de machines et de plug-ins ne viennent pas y superposer leurs effets, la voix reste naturelle, et c’est du chant, pas du rap. On pense plusieurs fois au génial Stevie Wonder des 70’s (notamment sur « Bag Lady », le single qui a le mieux marché, tout en haut des charts), à d’autres moments au non moins génial Curtis Mayfield (l’introductif « Penitenciary philosophy », cocottes funky, quelques notes de guitare wah-wah, pas aussi bien que la B.O. de « Superfly », mais bien mieux foutu que la plupart des titres des Red Hot Chili Peppers dans cette veine-là). Il paraît que la dame est fan de reggae. A part avec le vert-jaune-rouge délavé de la pochette, rien dans la musique ne semble en découler …


Le disque se conclue par un long, très long (10 minutes) titre (« Green eyes ») en trois parties, qui est censé être le sommet de la rondelle. Perso, il m’a plutôt gavé, tout comme à un degré moindre « … and on », réponse au « On and on » qu’elle avait fait avec son mec (le Andre 3000 déjà cité dont elle est séparée). On en a rien à foutre, mais c’est très en vogue dans les « musiques urbaines » ces interpellations perso sur fond de règlement de comptes, même si ici ça reste très soft … Je lui préfère nettement le gentiment funky « Booty » (second degré ironique, entre le Prince de « Parade » et le Wonder de « Songs in the key of life »), « My life », très typé Philly sound, la rustique et jazzy « Orange moon », très lente, avec ses grillons en fond sonore (même si question couleur de lune, je lui préfère la bleue d’Elvis ou la jaune des Neville Brothers).

Un bon disque de soul en l’an 2000 ? Si, si, ça existait …


SHAWN MULLINS - LIVE AT THE VARIETY PLAYHOUSE (2008)

 

Soutenir l'artisanat local ...

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shawn Mullins ne fait pas partie des people du rock. A peu près inconnu en France et en Europe, et un petit statut de gloire locale chez lui, en Géorgie. Statut qui a mis longtemps à se dessiner… Mullins a commencé dans la vie active par une pige dans l’US Army, ce qui n’est pas forcément le métier le plus rock’n’roll qui soit. Ensuite il a entamé une carrière folk à la Woody Guthrie (lui, sa guitare acoustique, et la route, dans le meilleur des cas au volant d’un van pourri). Il vire ensuite folk-rock avec une bande de potes qui l’accompagne, et se fait remarquer par Sony. Le sweet smell of success lui parvient aux narines, mais ça se concrétise pas, Sony laisse tomber ce péquenot dont le grand public ne veut pas, et Mullins échoue chez Vanguard, le mythique label de jazz, puis de folk, mais là, au début du XXIème siècle, un peu beaucoup à la ramasse commercialement et artistiquement.

Shawn Mullins

Entre-temps, le groupe de potes s’est étoffé, a enregistré une paire de disques, obtenu un petit hit local (« Lullaby ») et tourné (oh pas des stades, juste des petites salles qui veulent bien d’eux). Voulant profiter de sa petite gloire locale, Mullins et son band passent à l’exercice live. Quand on est d’Atlanta comme lui, y’a un nom qui fait rêver, le Variety Playhouse. Une « petite » salle de 1000 places à l’acoustique fabuleuse, l’endroit idéal pour enregistrer un disque live … Certes à Atlanta, il y a des salles plus célèbres comme le Fox Theatre où a été capté le « One more from the road » de Lynyrd Skynyrd, des habitants plus célèbres (ils n’y sont pas nés mais y ont formé le groupe) comme les Black Crowes, Atlanta est actuellement la capitale du rap US, et James Brown y a enregistré le mythique faux live « Sex Machine ». Et la Géorgie est le dernier Etat à traverser avant d’arriver en Floride, un des Etats grand pourvoyeur du rock sudiste (Lynyrd, Blackfoot, 38 Special, Molly Hatchet, …) sans oublier Tom Petty … Tout ça pour situer le contexte, qui prend toute son importance avec Shawn Mullins.

Le contexte, y’a aussi la photo de pochette qui peut donner des indices parfois utiles. Et qu’y voit-on sur celle de ce « Live … » ? Le Shawn Mullins occupé à besogner une gratte acoustique. Il ne s’en déparera pas tout du long du concert. On le voit aussi en chemise à carreaux de bûcheron. Un look breveté par quatre porteurs iconiques. Kurt Cobain (rien à voir avec Mullins), John Fogerty (pas grand-chose, Mullins donne dans le rock, mais pas n’roll), mais par contre, pour ce qui concerne Springsteen et Neil Young, là on y est en plein dedans… Du Loner, Mullins reprend l’agencement du concert, où alternent titres acoustiques et électriques, et du New Jersey man, Mullins a le goût des histoires de l’Amérique d’en-bas …


Et celle rondelle, ducon, elle donne quoi ? Ben c’est pas mal, voire mieux. D’abord parce que c’est pas une bouillasse sonore. L’acoustique du lieu est réputée, ça sonne quasi comme en studio. Et je pense pas que ça ait été beaucoup retraficoté ensuite. Parce que Mullins, c’est un petit vendeur et donc pas un type pour lequel une maison de disques dépense sans compter en overdubs. Si l’on en croit la setlist manuscrite du concert dans le livret, tout a été gardé, soit une prestation d’un peu plus d’une heure.

Trois parties dans ce concert. Au début électrique, du rock, du folk-rock. Un cœur de concert en solo acoustique, et un final plus bruyant. C’est au milieu qu’on finit par trouver le temps long. Mullins n’est ni Dylan, ni Neil Young, ni Bruce Springsteen. Il s’en inspire, mais n’est pas à leur niveau. Pas de compos renversantes, pas de grands textes, et une voix plutôt limitée. Et là, quand t’es tout seul avec ta Gibson acoustique, pas moyen de tricher. Soit t’es dans la cour des grands, soit tu n’y es pas … C’est pas insupportable, mais bon, manquent et la flamme et l’étincelle …

Il n’en demeure pas moins que ce « Live … » s’il ne rentrera pas dans les livres d’Histoire est un disque agréable. Mullins et ses potes sont six sur scène, et comme certains sont multi-instrumentistes, on peut avoir deux guitares électriques, batterie et percussions, piano, Wurlitzer et Hammond, ou entendre quelques notes de mandoline. Pas de virtuoses là-dedans (inutile d’attendre le solo hendrixien, de batterie, ou des numéros à la Jimmy Smith au Hammond), une bande de potes qui assure plutôt bien et se contente de l’essentiel, dans le genre less is more, ce qui n’est pas forcément une tare …

Quelques titres surnagent. Les deux premiers lancent idéalement le concert, le petit rock nerveux à la Tom Petty & the Heartbreakers (influence qu’on retrouvera souvent) « Beautiful wreck », et le classic rock mid tempo avec des couplets qui se peuvent se fredonner comme dans un bon Dylan (« All in my head »). Mullins, c’est de l’americana, du classic rock, de l’AOR, appelez-ça comme vous voulez, mais y’a pas tromperie sur la marchandise, pas de disgression saugrenue, tout ça est cohérent de la première à la dernière note. On trouve aussi un morceau à la Dire Straits, « The ballad of Kathryn Johnston » qui fait penser au « Down to the waterline » de Knopfler et sa clique, et un sympathique « Santa Fe ».

Dans la partie acoustique, « Home » me paraît au-dessus du lot, et « Lonesome, I know you too well » est peut-être le titre de trop …

Mullins & Band at the Variety Playhouse

Acoustique et électrique se mélangent sur « Twin Rock, Oregon » et assurent la transition vers le final plus bruyant, mais sans excès (fans de Metallica, y’a rien pour vous dans cette galette). On retrouve la patte Petty (« Shimmer »), l’axe Springsteen et plus encore Mellencamp sur « Cabbagetown » (la nostalgie du petit bled du grand-père), l’assez curieux « Cold black heart » (du hillbilly joué à la mandoline, qui donne un côté gaélique tendance Chieftains au titre, seule petite originalité sonore de l’ensemble). Le concert s’achève sur le seul (petit) hit de Mullins, le « Lullaby » déjà évoqué quelque part plus haut (phrasé à la Lou Reed sur les couplets, refrain très FM, pour moi loin d’être le sommet du disque, mais si ça a fait gagner une poignée de dollars à Mullins, tant mieux pour lui …). Le rappel est la seule reprise du concert. Pas n’importe quel titre. « The house of the rising sun ». Classique de chez classique, traditionnel titre folk (Guthrie, Seeger, Van Ronk, Odetta, Dylan, …), parfois en version blues (Nina Simone parmi beaucoup d’autres). Les Animals en ont donné une version définitive et de loin la meilleure, elle aussi maintes fois déclinée (ah que Johnny …), avec son inoubliable ligne d’orgue Vox. C’est la version des Animals qui est ici reprise. Qu’il me soit permis d’émettre deux réserves : remplacer le Vox par le Wurlitzer est très « voyant » et gratte aux oreilles et surtout, Mullins n’a pas le gosier d’airain de Burdon …

« Live at the Variety Playhouse » ne figurera jamais dans la liste des live mythiques. Il n’en reste pas moins que si on veut écouter en public du classic rock américain, il fera amplement l’affaire …

Quand les types de l’ombre font sinon mieux du moins aussi bien que les stars …


AGNES VARDA - LES GLANEURS ET LA GLANEUSE (2000)

 

Poubelles, la vie ...

Agnès Varda fait partie des grandes (ouais, pas par la taille, elle doit culminer à un mètre cinquante) du cinéma made in France. Quand elle a commencé à tourner (en 1955, « La Pointe Courte »), ses prédécesseuses dans le métier étaient vite comptées : l’oubliée Germaine Dulac et l’encore plus oubliée Alice Guy (toutes les deux à l’époque du muet), plus peut-être quelques autres encore plus obscures …

Bon, Agnès Varda, c’est pas une forcenée des plateaux de tournage. Peu de films à son actif, et à la louche un peu plus de documentaires, genre qu’elle semble préférer. Une grande dame quand même. Niveau films, une des merveilles absolues de la Nouvelle Vague, « Cléo de 5 à 7 », et le meilleur film de Ken Loach qu’il n’a pas tourné (« Sans toit ni loi »).

Agnès Varda, la glaneuse

Sans être une stakhanoviste de la caméra, Varda est un nom qui compte. Et pas seulement parce qu’elle est l’épouse de Jacques Demy. Mais aussi parce que c’est à peu près la seule de la Nouvelle Vague à avoir évolué dans la vraie vie et à être vraiment partie prenante de la culture et de la contre-culture de l’époque. Elle a presque quarante ans quand elle va vivre avec les hippies de San Francisco, filme les Black Panthers (de manière moins fantasmée que le Godard de « One + One »), et de retour à Paris voit son nom lié au Rock’N’Roll Circus, la boîte où Jim Morrison avait ses habitudes (et où il serait mort, Agnès Varda ayant participé à « l’expédition » qui a ramené le corps chez lui dans sa baignoire selon la version « alternative » de la mort du King Lizard).

Agnès Varda est une engagée, une militante au sens noble de ces deux termes, et un modèle, avoué ou pas, pour nombre de réalisatrices françaises.

Un glaneur

« Les glaneurs et la glaneuse » est son film documentaire le plus connu (et le plus reconnu, un grand nombre de récompenses dans des festivals all around the world). Un petit truc approximatif et sans prétention … Approximatif parce que l’on s’éloigne bien souvent du thème du film (le glanage) et sans prétention, parce que filmé avec un caméscope numérique au poignet, avec juste un assistant pour conduire la bagnole un peu partout en France et accrocher le micro aux gens « interviewés » (ou du moins qui s’expriment face à l’objectif, c’est pas du question-réponse journalistique).

Le point de départ, c’est une quête des glaneurs d’aujourd’hui, et une mise en parallèle avec le célèbre tableau de Millet. Le glanage, c’est en gros l’autorisation accordée aux indigents et nécessiteux de récolter une parcelle après la récolte par son propriétaire. Pratique ancestrale qui trouve ses origines réglementées au Moyen-Âge. Depuis ses origines concernant exclusivement les productions agricoles, Varda étend considérablement sa définition, puisqu’en plus de glaneurs de patates, de pommes, de tomates, de raisins, elle nous montre des artistes récupérateurs de déchets, des gens qui se nourrissent en faisant les poubelles ou les invendus des marchés …

De l'art avec de la récup ...

Point commun de ces glaneurs, un maximum de gueules cassées, de sans-dents comme disait l’autre, de types en marge (volontairement ou pas) de la société de production et de consommation. Le glanage de la fin du XXème siècle n’a plus rien à voir avec le glanage du Moyen-Âge. La récolte agricole est énormément mécanisée et seuls les rebuts des tables de tri sont ramenés aux champs. Particulièrement flagrant pour les patates (la calibration, la normalisation obligatoires pour que le produit soit « vendable »), où des gars suivent les tracteurs et leurs remorques qui déversent dans les champs toutes les patates récoltées rejetées par les calibreuses. Des patates trop petites, trop grosses, déformées. C’est là que Varda repère des patates en forme de cœur qu’elle ramène chez elle et expose comme une œuvre d’art jusqu’à leur décomposition (revers de la médaille, comme le docu a eu du succès, plein de gens lui ont envoyé des patates en forme de cœur). Varda s’intéresse à un glaneur en particulier (il vit dans une caravane à côté d’un robinet d’eau potable à cause d’un parcours « classique », divorce, perte du boulot, noyade dans les canettes de bière, …).

Le glanage stricto sensu n’est cependant qu’un prétexte. Varda nous montre une société de consommation (sa fascination pour les files de poids lourds sur les autoroutes) et ses rebuts (les gars qui récupèrent des télés jetées sur le trottoir pour les retaper ou au pire les désosser pour en extraire les composants et le cuivre). Une société qui ne vaut que pour ceux qui consomment « réglementairement » la séquence avec les jeunes marginaux perpignanais condamnés au tribunal pour avoir escaladé (sans casse ni effraction) les grillages d’un supermarché pour faire ses poubelles. Explication gênée de la juge, un peu moins du gérant qui dit tout fier que maintenant il est obligatoire de javelliser ce qui est jeté dans les poubelles pour que ce soit impropre à la consommation …

Deux des types rencontrés par Varda ressortent du lot.

Un spécialiste des poubelles à Aix-en-Provence qui y trouve absolument toute sa nourriture et a construit toute une théorie politico-sociale sur sa ville dont il se considère comme le seigneur, toujours affublé de ses bottes en plastoc. Et comme « Les glaneurs et la glaneuse » a eu une suite « Deux ans après », dans laquelle Varda part retrouver ceux qu’elle avait filmés (et qui sont encore en vie, un petit vieux pittoresque qui squattait une cabane de jardin est mort), et assez logiquement c’est en hôpital psychiatrique qu’elle retrouve le « seigneur d’Aix-en-Provence », plutôt simplet et sympa que dangereux …

Bac+4 en biologie ...

L’autre figure marquante est un type Bac+4 en biologie qui a choisi pleinement sa marginalisation. Végétarien crudivore, il se nourrit en faisant les rebuts des étals de marché et crèche dans un foyer Sonacotra où tous les soirs il donne bénévolement des cours d’alphabétisation aux immigrés du foyer. Une leçon de désintéressement et d’efficacité, il semblerait que nos ministres de l’Education et de l’Intégration pourraient s’inspirer de cet exemple. Deux ans après, le gars vit toujours de la même façon et participe au marathon de Paris dans ses baskets de récup …

Et puis Varda se met en scène (ceux qui n’ont rien compris le lui ont reproché). Elle se filme avec des gros plans sur ses racines de cheveux blanches qui deviennent rares, ses rides, ses mains flétries et piquées de taches. Parce que pendant une bonne partie du film, elle nous montre le destin de tous ces objets qui ont vieilli et qu’on met au rebut. On était en 2000 encore loin des révélations sur le fonctionnement des EHPAD, mais là elle nous interroge sur « l’utilité » de ce qui vieillit en se mettant en abîme …Tout ce qui en quelque sorte n’est plus consommable …

En fait sous ses allures de reportage France 3 Régions, « Les glaneurs et la glaneuse » nous interroge sur l’évolution de notre société, et est éminemment politique. Depuis les modes de production et de consommation jusqu’à la mise à l’écart de tout (produits, objets, humains, …) ce qui ne passe pas dans la calibreuse …


GRAVENHURST - FIRES IN DISTANT BUILDINGS (2005)


 Never say never ...

Warp … c’est le label de Gravenhurst … Vous connaissez pas les trucs du label Warp ? Vous avez bien raison … Originellement dédié à de la musique électronique expérimentale (ça fout les jetons, n’est-il pas…), révéré par quelques malentendants adorateurs de Broadcast (Portishead du pauvre), Boards of Canada (Pink Floyd des sourds), Aphex Twin (Boulez pour trisomiques), j’en passe et des pas meilleurs, le label s’est comme tous, ouvert à l’économie de marché, comme disent les ultra-libéraux qui veulent se faire passer pour progressistes … Et donc a signé des gens susceptibles de vendre (un peu) de disque, pour faire bouillir la marmite.

Au mitan des années 2000, Warp signe le dénommé Nick Talbot (originaire de Bristol, c’est pas non plus rendez-vous en terre inconnue quand on donne dans la musique électronique), folkeux minimaliste et dépressif se cachant sous le nom de Gravenhurst … Le gars fait ses disques tout seul, et se fait accompagner par quelques comparses en live, le tout pour une célébrité qui ne lui a, on s’en doute, jamais valu la une des JT …

Nick Talbot

Tout ça pour dire, que ce « Fires in distant buildings », jeté sans la moindre once de conviction dans la gueule du lecteur de Cd, j’en attendais rien … tu parles, un folkeux lo-fi sur le label roi des joueurs de disquette …

Mea culpa, errare humanum est, and so on … Parce que sur ce « Fires in distant buildings », ben, y’a rien à jeter (ouais, bon, la pochette si on veut). Le titre de la rondelle, on le dirait trouvé par David Byrne et Brian Eno (« More songs about buildings and food » des Talking Heads). Ça tombe bien, le Brian est une des références de Talbot, et ça s’entend … enfin le Eno des disques des mid seventies, pas celui ambient ou des musiques d’ascenseur. Mais plus encore que le dégarni bidouilleur de sons et de mélodies, moi Gravenhurst, ça m’évoque Nick Drake. Du timbre voilé à la pureté mélodique des compositions, le triste barde folk à la musique féérique est présent tout le long des titres. Mais chez Talbot, les chansons ne sont pas uniquement à base d’arpèges acoustiques ou d’arrangement de cordes. Gravenhurst, on dirait souvent Nick Drake accompagné par les Yardbirds époque Beck-Page.

Parce que de temps en temps (et pas tout le temps, sinon la formule serait vite éventée), le Talbot balance de grands riffs sursaturés tous potards sur onze, et va même sur une reprise hallucinée (on y reviendra) de « See my friends » jusqu’à partir dans un rave-up acide que ne renieraient pas les fans de Quicksilver Messenger Service … Les titres de Gravenhurst prennent leur temps (huit pour plus de cinquante minutes) sans qu’une seule fois on pense remplissage ou délayage. Sur le coup, le Talbot n’a pas tout enregistré et produit tout seul, il s’est adjoint les services d’un vrai batteur (et il le fallait, une boîte à rythmes ou un séquenceur, ça l’aurait pas fait du tout sur l’intro de « Song from under the arches », cette batterie lointaine et qui semble à la dérive, avant de prendre en main le morceau, faudrait apprendre ça dans les écoles de musique). Talbot pour le reste se débrouille plutôt bien, sur tout ce qui a des touches blanches et noires (pas trop de synthés, de vrais orgues ou pianos, ou alors c’est plus que bien imité) et même à la guitare (le guitar hero chez Warp, c’est lui, et me dites pas que c’est pas difficile, que c’est le seul à en jouer sur le label …).


« Fires … », faut juste passer les trente premières secondes du disque qui donnent pas envie d’aller plus loin. Sur ce titre (« Down river », référence au millième degré à Neil Young ?), après une intro donc désolante, s’immisce une mélodie jazzy sophistiquée qui rappelle Steely Dan, avant que le final, entamé avec de gros riffs qui font planer l’ombre royale cramoisie de Robert Fripp (ou de ses quelconques imitateurs contemporains genre Black Midi).

« The velvet cell » suit, et là, avec la voix nonchalante et la mélodie power pop, on se croirait sur le premier Strokes. Une merveille de truc sautillant de trois minutes. Et alors qu’on croit que tout est dit, un break, et Talbot sur un final instrumental sur un tempo totalement différent. Bien joué … C’est ce final qui servira de base quelques titres plus loin à la bien nommée et très rock « The velvet cell reprise ». Entre temps, changement de décor sonore, le folk très Nick Drake de « Animals » et la lenteur dépouillée de « Nicole » (esprit de Leonard Cohen, sors de ce corps …) sont là pour démontrer qu’on peut encore faire du neuf et du beau avec des formules pourtant déjà ressassées à l’infini …

« Cities beneath the sea » est construit sur une base folk crépusculaire, et amène une autre preuve de l’aisance mélodique du sieur Talbot, avant qu’il fasse décoller ce titre par une partie d’orgue et une redescente rythmique où s’entrecroisent synthés discrets et arpèges de guitare (ou le contraire). Tout ça conduit à la pièce montée du disque (plus de dix minutes), « Song from under the arches ». J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de son intro avec cette espèce de batterie flottante, mais on n’est jamais au bout de ses surprises avec ce titre, où l’on trouvera des passages avec guitares lentes et lourdes (genre Black Sabbath), une partie très apaisée avant un final tout en riffs dévastateurs digne du meilleur de King Crimson. Par sa construction, ce titre n’est ni plus ni moins que du prog, mais du prog comme n’en ont même pas envisagé en rêve les Genesis ou Yes de sinistre mémoire …


Last but not least, la reprise de « See my friends » des Kinks (précision à l’usage des auditeurs habituels des productions Warp). Le titre est ici quasiment méconnaissable (ne subsiste que la mélodie très ralentie), traité comme Jojo Harrison l’aurait fait de retour de son ashram indien quand il avait la tête dans les bâtons d’encens (très psyché-orientale donc). Et le final du morceau (de moins de trois minutes dans sa version originale, on arrive ici à neuf) devrait ravir comme j’ai dit plus haut tous les amateurs de Cippolina …

Ce « Fires … » est parfait. Assez loin en termes de qualité avec tout ce qu’a produit avant ou après Nick Talbot / Gravenhurst. C’est ce que dit la rumeur publique et ce qu’il m’a semblé après l’écoute de quelques titres au hasard du reste de sa discographie.

N’empêche, un des grands disques de rock de ce siècle qui en a pas produit foule … et tout ça chez Warp … ce monde fout vraiment le camp …


NICK CAVE & THE BAD SEEDS - NO MORE SHALL WE PART (2001)

 

Sad songs ...

Au bout de presque soixante-dix ans de rock, combien sont ceux qui se peuvent se vanter d’avoir laissé une œuvre irréprochable ? Déjà, pour qu’on parle d’œuvre, faut être vieux ou au moins plus très jeune et avoir sorti pas mal de disques. Nick Cave a quasiment l’âge du rock, et une vingtaine de rondelles (trois avec Birthday Party, les autres avec les Bad Seeds) à son actif, sans compter quelques projets « récréatifs » (Grinderman …) … et puisqu’on commence à employer des termes de bilan comptable, rien à son passif … Bon, je veux pas dire par là que tous ses disques sont absolument parfaits de la première à la dernière plage, mais j’ai beau chercher, je vois pas qui d’autre n’a pas fait quelque galette chelou (voire plusieurs), n’a pas traversé quelques déserts à l’inspiration aride, n’a pas fini par s’auto plagier ou s’auto caricaturer … Et là, je parle que des plus grands, des plus célèbres … Je vais pas balancer de noms, mais on peut tous les mettre dans une case (ou plusieurs) …

Nick Cave, Bad Seeds & Mc Garrigle Sisters

Et pourtant Nick Cave n’a pas inventé une formule, à laquelle il s’accrocherait depuis des lustres. Ecoutez Birthday Party, et puis son dernier à ce jour, « Ghosteen », et montrez-moi les points communs musicaux … Aucun … alors les fâcheux qui disent que Cave (parce que ce soit Birthday Party ou les Bad Seeds, c’est Cave le chef, l’auteur quasi sans partage et le chanteur exclusif de ses projets musicaux), c’est toujours pareil, ben, no comment … parce que oui, on n’est pas obligé d’aller glisser un titre de reggae, de funk, de rock celtique, de techno ou de zumba ou que sais-je pour montrer qu’on est inspiré ou dans l’air du temps …

Cave a une voix et une présence vocale. Une voix grave, de baryton, à la Johnny Cash … et le countryman n’apparaît pas par hasard, c’est une des références de Cale, et pas seulement par le registre vocal ou l’appétence pour les fringues noires, mais par les thématiques abordées. Ils regardent tous les deux la mort en face et la chantent souvent, la religion tient une grande place chez eux, bien qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Mais en plus, Cave écrit … des bouquins, mais aussi des chansons. C’est ici qu’il convient de glisser l’allusion à Bob Dylan, autre grosse influence de Cave. Mais à la différence du Nobel de littérature Cave est aussi un performer sur scène, où il se plaît à triturer sa grande carcasse efflanquée (esprit d’Antonin Artaud, es-tu là …), sans parler des prestations « dangereuses » à la Iggy Pop de ses débuts …

Nick Cave 2001

Je vais pas jouer les encyclopédistes, les disques de Cave je les ai pas tous (une moitié à la louche, et je suis pas sûr d’avoir écouté tous les autres), mais c’est un panier dans lequel on peut puiser les yeux fermés sans risque d’être déçu … d’ailleurs, selon à qui on a affaire, il n’y a aucun consensus pour désigner le meilleur disque de Nick Cave (si ça vous intéresse, pour moi c’est « Tender Prey » à la fin des 80’s), quasiment chacune de ses rondelles a ses fervents partisans …

Alors ce « No more … », tu vas en causer ou quoi ? Voilà, voilà … On va dire qu’il est caractéristique de sa période « apaisée ». Entendez par là que Cave met de côté l’électricité rageuse et stridente qui était une marque de famille de ses débuts. Seuls le final de « Fifteen feel of pure » et « Sorrowful life » envoient la sauce, mais à l’issue d’un crescendo pour le premier, et d’un break pour le second. Nick Cave n’est plus dans le truc rock’n’roll-punk. Par contre, tous les titres sont construits autour d’une mélodie au piano, instrument omniprésent sur ce disque. Et c’est Cave qui en joue. Les mélodies sont épurées mais travaillées (on n’est pas Chez Lang Lang, ni chez Elton John d’ailleurs).

Autour du piano et de la voix de Cave, les usual suspects habituels, les Bad Seeds. Dont on a l’impression que ce sont les mêmes types depuis un éternité … ben non, on passe en général beaucoup de temps dans les Bad Seeds, mais on finit par en partir. Ici, les anciens historiques Mick Harvey et Blixa Bargeld seront bientôt sur le départ, Warren Ellis et Jim Sclavunos font quasiment figure de bleubites, alors que Thomas Wilder et Conway Savage, rarement cités comme des rouages essentiels seront finalement ceux qui auront passé le plus de temps au sein du groupe. Les Bad Seeds ne sont pas seuls derrière Cave sur ce disque. Des cordes classiques sont présentes sur de nombreux titres et les sœurs Mc Garrigle viennent en renfort aux backing vocaux. Ce qui au total fait du monde … mais tous restent discrets, quasiment effacés (par exemple les frangines folkeuses ne se font vraiment remarquer que sur le final de « Hallelujah » où leurs voix à l’unisson finissent par se substituer à celle de Cave…). Tout le monde est au service des titres et de la vision qu’en a son auteur, pas d’ego surdimensionné chez ces gens-là … Et pas non plus d’ego chez Nick Cave, « No more … », on dirait un disque solo qui se cache derrière un groupe, et c’est une tendance qui ne fera que se renforcer avec les parutions suivantes, mais Nick Cave a besoin d’être accompagné dans tous les sens du terme.

Live 2001

Ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici doivent se poser une question : du piano et une grosse voix grave en avant, y’a déjà un autre rachitique longiligne qui fait ça, il s’appelle Tom Waits. Oui, M’sieur, bien vu, mais les univers n’ont rien à voir. Waits, c’est le type bourré, le pif dans le verre, qui raconte des histoires à son voisin de comptoir. Cave, c’est le toxico en voie de sevrage qui raconte ses combats intérieurs entre Bien et Mal à son psy … Et le plus dépressif des deux n’est pas celui que l’on croit …

Alors les titres de ce « No more … » égrènent les peurs (de la mort, de la souffrance, de la solitude, …) mais de façon onirique, elliptique (Nick Cave et Robert Smith ont bien des points communs, et pas seulement par le fait de l’étiquette gothique de leurs débuts). « No more … » est un bloc homogène. Les titres sont longs (presque une heure dix pour douze morceaux), il y a incontestablement une unité de ton et musicale. Mais plus que jumeaux, les titres sont cousins. Certains sont plus épurés (quasiment piano-voix comme « Love letter »), d’autres donnent l’impression d’être surchargés (« Oh my Lord »), les plus « noirs » sont pour le final (« Gates to the garden », « Darker with the day »). Difficile de trouver des morceaux faibles, et tout autant d’en trouver qui se détachent du lot. Ceux que je préfère sont l’introductif « As I sat sadly by her side » qui donne le ton de tout ce qui va suivre, « Hallelujah » (pas celui de Leonard Cohen), avec ses couplets en forme de prière et son refrain en forme de prière, et « God in the house « (à rapprocher du « With God on his side » de Dylan ?), qui nous sert la plus belle mélodie du disque …

Un indispensable de plus de Nick Cave, et un indispensable tout court …


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PHILIPPE GARREL - LES AMANTS REGULIERS (2005)

 

Une affaire de famille ...

Où vu le casting il sera fatalement question de la famille Garrel. Philippe à la réalisation, son fils Louis pour le rôle principal et son père Maurice dans une scène. Sans oublier ses trois femmes (non, il est pas polygame, elles se sont succédé dans sa vie) : Nico, Brigitte Sy et Caroline Deruas. Et je vous fais cadeau du restant de la famille et des amis qui ont filé un coup de main à un moment ou à un autre …

Garrel (Philippe)

« Les amants réguliers », c’est d’abord un film qui se mérite, deux heures cinquante-cinq minutes au compteur, dans un noir et blanc hyper contrasté. Et bien que la durée ni la couleur (ou son absence) n’y soient pour quelque chose, je vais pas tourner autour du pot, c’est un film où l’on s’emmerde ferme. Bon, ça c’est fait, tous les ayatollahs de Télérama (qui l’ont même sorti en Dvd, c’est dire s’ils sont fans, et qui mettent systématiquement le dernier film de Garrel dans leur Top 10 annuel, comme Les cahiers du Cinéma le font aussi avec chaque nouveau Godard), tous les ayatollahs disais-je donc vont me lancer une fatwa, j’ai dit du mal de leur prophète …

Ce qui me gêne le plus dans « Les amants réguliers » c’est son côté égoïste. J’ai l’impression que Garrel a fait un film pour un petit cercle fermé, qu’il y rumine ses thématiques et ses obsessions, et qu’il se fout royalement du reste de l’humanité et de son avis … des univers très personnels, y’a plein de types qui les développent au cinéma. Tiens, David Lynch ou Tim Burton, par exemple. Mais tu sens qu’ils essayent de t’y embarquer dans leur monde, que tu voie, que t’essayes de piger, et après t’aimes ou pas, ça c’est plus leur problème. Garrel, il donne pas l’impression de vouloir le partager son monde, même si l’exposition familiale permanente pourrait faire croire qu’il te livre son intimité et son âme … pour moi, rien de tout cela, juste de la mise en scène pour t’incruster son point de vue …

Hesme et Garrel (Louis)

« Les amants réguliers », c’est la tranche de vie d’une petite communauté parisienne dans la France soixante-huitarde. Le film commence en 68 et se finit vers 71. Pour bien situer l’année, y’a parfois, à la place d’un intertitre, un gros plan sur un numéro de porte, 68 et 69, ensuite le procédé est abandonné, va savoir pourquoi … 68, c’est une thématique récurrente, pour ne pas dire obsessionnelle chez Philippe Garrel. La drogue aussi. Il doit bien y avoir une vingtaine de minutes dans le film où l’on a des scènes composées uniquement de gens qui font tourner une pipe d’opium … Pas un hasard non plus si on a droit à un titre de Nico (morte depuis presque vingt ans à l'époque du tournage, très toxique compagne de Garrel dans les années 70) dans une bande son musicale très chiche … tiens, une anecdote sur Nico et Garrel. En 74, l’ex-chanteuse du Velvet livre avec aussi Tangerine Dream au programme, non pas un concert, mais plutôt une performance dans la cathédrale de Reims, haut lieu de la religion et de l’Histoire de France. Garrel doit avec sa caméra immortaliser l’iconoclaste concert et en faire un film. Défoncé jusqu’aux yeux, il sera incapable de tirer la moindre image du spectacle …


« Les amants réguliers », ça tourne autour de l’histoire d’amour de François (Louis Garrel) et Lilie (Clotilde Hesme), mais pas seulement, Lilie n’apparaît qu’au bout d’une heure du film. Auparavant, on nous a présenté François, étudiant beau gosse ténébreux, et qui veut vivre de son art, la poésie, ce qui en 68 comme aujourd’hui, est pas gagné d’avance. Il a « oublié » de répondre à la conscription, s’est échappé quand les flics sont venus le chercher, a fini par se faire gauler, a pris 6 mois avec sursis et exemption de service militaire lors du procès pour insoumission qui a suivi (pour moi la meilleure séquence du film, avec le côté très « Sentiers de la gloire » du tribunal militaire). Avec ses potes, il rêve d’un autre monde, traîne sur les barricades, est hébergé chez un fils de bourgeois où avec d’autres idéalistes et artistes en herbe se forme une petite communauté très dans l’air du temps …

Lilie aussi est artiste sculpteur (ou sculpteuse ou sculptrice, je suis fâché avec l’écriture inclusive, et la première féministe qui me traite de macho rétrograde, je lui en colle une … mais non, Sandrine et Marlène, je déconne …). Une fois passée la case des sourires mutins et des regards en dessous, Lilie et François forment un couple fusionnel, avant que lentement mais sûrement, il se délite comme les idéaux soixante-huitards qui les ont faits se rencontrer. Lui restera un poète, un romantique dans l’âme, elle retournera dans le « vrai » monde, avant un final tragique …

Mai 68 vu par Garrel (Philippe)

Sauf que « Les amants réguliers » n’est pas un film « classique ». Une fois que nos deux tourtereaux sont ensemble, ils restent certes en fil rouge, mais Garrel s’intéresse aux autres et dresse un portrait parfois haut en cou…, non en noir et blanc, de leur entourage. Et on voit que beaucoup aussi « renoncent », ou vont chercher ailleurs leur rêve évanoui en France (le friqué de la bande se casse pour le Maroc et ses montagnes de hasch …). Garrel lui ne renonce pas et nous refait son mai 68. On doit subir (et je pèse mes mots) au début du film une scène de barricades interminable, apparemment filmée en studio avec quelques pavés amoncelés, des fumigènes, une bagnole qui crame, des manifestant et des CRS quasi statiques … et un passage incongru, des figurants habillés comme en 1789 qui poussent vers la barricade une couleuvrine Louis XV. Pas compris … moi je tourne qu’aux drogues légales, clopes et alcool, alors des fois y’a des trucs et des visions qui m’échappent …

Ce qui m’a pas échappé, c’est que juste après le numéro de baraque qui nous annonce que l’on est en 69, on voit la petite communauté faire une boum ou une surprise-partie comme on disait à l’époque et se trémousser au son de « This time tomorrow » des Kinks paru … en 1970. Drôle mais certainement involontaire la faille temporelle. Sinon, question musique, la scène en famille de Maurice Garrel (avec Brigitte Sy et Louis Garrel, plus familial tu peux pas, sa belle-fille et son petit-fils) me fait furieusement penser au « chef-d’œuvre » d’Ange « Emile Jacotey », concept-album dans lequel un vieux maréchal-ferrant aux fraises raconte souvenirs d’enfance, histoires et légendes de son bled, c’est dire si c’est passionnant.

Louis Garrel est dans ce film toujours habillé comme toujours (y’a une clause dans son contrat ou quoi ?) dans ses films d’une chemise blanche débraillée trop grande et d’une veste noire (qu’il oublie de se laver, et si l’on en croit la persiflante rumeur il va ressembler à Benjamin Biolay …). Même tenue vestimentaire pour Clotilde Hesme, et comme elle a la même coupe de cheveux, on croirait voir la Patti Smith de la pochette de « Horses » (le fort duvet sur la lèvre en moins, non, Patti n’est pas si moustachue que ce que certains esprits chagrins laissent entendre …)

Alors, pour en revenir au début, même s’il est incontestable qu’il y a chez Philippe Garrel une démarche artistique cohérente, louable, voire même radicale, désolé mais j’accroche vraiment pas …


CHRISTOPHE HONORE - LES CHANSONS D'AMOUR (2007)

 

Hommages et dommage ...

« Les chansons d’amour » en voilà un film dont je sais pas trop quoi penser. Une chose est sûre, pas un chef-d’œuvre du 7ème art, bon, c’était pas le but non plus … « Les chansons d’amour » est un film fauché, ça se voit, et c’est d’ailleurs revendiqué par Honoré lui-même.

Beaupain, Mastroianni, Leprince-Ringuet, Sagnier, Garrel, Honoré, Hesme

« Les chansons d’amour », c’est un peu une version bobo des premiers Godard notamment, mais aussi du cinéma de Truffaut, de Demy, la Nouvelle Vague en fait. Par cette obsession à mettre Paris en scène (ici en l’occurrence le Xème arrondissement, pas très loin de la Place de la Bastille) on pense forcément au Godard de « A bout de souffle », dont Honoré recopie la technique rudimentaire. On tourne en décors naturels, avec des vrais passants, la caméra installée sur un fauteuil roulant. Et donc on voit des gens qui se retournent vers l’objectif, qui sortent sur la porte des boutiques … on en a même un qui suit Mastroianni et Garrel avec un caméscope … « Les chansons d’amour », c’est aussi un clin d’œil à Truffaut (le ménage à trois à la « Jules et Jim », et un Garrel aussi tête à claques avec son jeu très stylisé que Léaud – Doinel). Et puisque comme son titre l’indique on a affaire à un film musical, impossible d’évacuer l’influence omniprésente du Demy des « Parapluies de Cherbourg » avec son actrice blonde (Ludivine Sagnier) coiffée comme Deneuve à l’époque, et dont la Chiara de fille a un des rôles principaux … et pour les maniaques, on trouve plein de pages sur le Net qui évoquent les allusions aux films de la Nouvelle Vague …

Avoir des références solides n’exclut pas d’avoir aussi un peu de rigueur. Les commentaires d’Honoré sur son film sont assez saisissants : « si le premier quart d’heure est raté, c’est pas grave », « il faut des scènes faibles pour faire ressortir les moments forts » … c’est quand même le genre de réflexions qui me laissent assez dubitatif … Parce que le challenge est de taille. Pour faire un bon film musical (et pas une comédie musicale, la différence est de taille), faut une bonne histoire et de bonnes chansons.

Sagnier, Garrel & Hesme : bizarre love triangle

Côté histoire, ça peut aller. Ismaël (Louis Garrel), Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Hesme), vivent, dorment et baisent dans le même appartement (à noter que Hesme et Garrel étaient déjà en couple dans "Les amants réguliers"  de Philippe Garrel et de morne mémoire). Et lorsque Julie meurt subitement au bout d’un petit tiers du film (ça fait penser les coups de canif dans la douche en moins à Janet Leigh dans « Psychose »), on suit la dérive émotionnelle d’Ismaël, lâché par Alice (on comprend pas pourquoi), partagé entre sa belle-famille (Jean-Marie Winling et Brigitte Rouan, les parents de Julie, Chiara Mastroianni et Alice Butaud ses sœurs), ses nanas de passage (une serveuse de bar), et sa « révélation » homosexuelle avec le frangin du nouveau copain d’Alice (Erwann, joué par Grégoire Leprince-Ringuet) … même si dans cette histoire la tendance bobo blasé surjouée des personnages finit par être redondante et plutôt pénible …

Côté chansons, la bande-son (hormis une citation des « Amoureux solitaires » de Elli et Jacno dans sa reprise par Lio, et un obscur titre de Barbara sur le générique de fin) est à mettre à l’actif (ou au passif, c’est selon) d’un pote d’Honoré, Alex Beaupain (Alex qui ? désolé, j’ai des lacunes en chanson française). Ça sonne quasi exclusivement comme du Souchon sous Lexomil, même si Beaupain cite souvent Daniel Darc (la connexion Frédéric Lo, producteur de l’ancien Taxi Girl et de la bande-son) et Etienne Daho. C’est chanté avec les moyens du bord (par les acteurs eux-mêmes en studio, et en play-back - ça se voit, pas toujours synchros – lors du tournage des scènes), pendant des séquences du film qui font penser à un vidéo-clip réalisé par France 3 Limousin pour le vainqueur du radio-crochet de la foire aux bestiaux de Tulle …

Leprince-Ringuet & Garrel : mélodie en balcon

Tiens, et puisqu’on en est à parler de Tulle (patrie du grand François Hollande, non, je déconne …), le film a été tourné pendant l’hiver 2006-2007, lors les débuts de la campagne pour la présidentielle de 2007. Au début, on voit très fugacement une affiche avec la rose du PS, et puis Garrel passe de nuit devant la permanence électorale de Sarkozy. Et comme Honoré est un « engagé », on voit Garrel et Hesme travailler (ils bossent dans la presse écrite) sur un article relatant la fameuse traque du scooter au fils à Sarko (retrouvé en mobilisant la police scientifique et les empreintes ADN, tout ça pour un scoot, et dire qu’il y a des nostalgiques de ce nabot …). Le genre de précision idéologique tant datée que dispensable …

« Les chansons d’amour », c’est quand même globalement un film élitiste (j’ai pas dit prétentieux) … ça s’adresse pas au « grand public », c’est parfois assez chiant, le jeu des acteurs me laisse perplexe (Leprince-Ringuet je le trouve pas bon dans son rôle d’ado qui s’éveille à l’homosexualité, Garrel en fait souvent trop et le reste du casting souvent pas assez, …), et la musique, passons …

« Les chansons d’amour », ça ciblait les abonnés de Télérama. De ce côté-là, objectif atteint, le mag l’a encensé … Ailleurs, les avis ont été assez mitigés et le film n’a pas enflammé la Croisette lors du Cannes 2007 …


RAOUL RUIZ - CE JOUR-LA (2003)

 

Conte (en Suisse) de la folie ordinaire ...

Les films de Raoul Ruiz que je connaissais (deux ou trois, le type en réalise autant chaque année depuis des lustres), ont un point commun : je les supporte pas … trop de trucs qui me gavent et pas grand-chose ou encore moins qui m’intéresse … son maniérisme austère me gonfle … Ruiz, c’est la caution humanitaire (le type est d’origine chilienne, il a fini en France pour fuir Pinochet et ses camps de concentration dans les stades) et artistique de notre beau (?) pays … Le type qu’on invite de temps en temps au festival de Cannes pour cautionner le genre auteurisant francophone (Ruiz a la double nationalité), mais dont même les programmes de pas d’heure la nuit sur Arte montrent jamais les films … doit être beaucoup plus facile de trouver des cinéphiles qui le connaissent pas que des types qui le trouvent excellent voire plus …

Ruiz, Zylberstein & Giraudeau

Ceci posé, venons-en à « Ce jour-là », sélectionné à Cannes en 2003. Un fil « différent » du reste de sa production, peut-on lire dans les tréfonds du web sur les pages qui lui sont consacrées et qui prennent la poussière en attendant le zozo égaré là à force de clics compulsifs et effrénés …

« Ce jour-là » est une comédie, genre auquel Ruiz (clone physique de Philippe Martinez, le Che Guevara d’occasion des 1er Mai merguez-gaz lacrymo) s’est peu souvent consacré. Bon, une comédie chez Raoul Ruiz, on n’est pas au même niveau que chez Max Pecas. C’est pire, encore plus barré et déjanté, à tel point qu’on se demande s’il s’agit bien du même type qui sort des films de trois heures sur des adaptations de Proust, grand écrivain comique comme chacun sait …

Bon, dans les castings chez Ruiz manquent les ineffables Ticky Holgado, Philippe Caroit et Caroline Tresca. Par contre on y retrouve tout le gotha révéré du cinéma français, voire d’ailleurs. Dans « Ce jour-là » on a droit dans les seconds rôles à Piccoli, Rufus, Hélène Surgère, Bidault, Balmer, Atkine, le fiston Vadim, … qui entourent les deux rôles principaux, Elsa Zylberstein et Bernard Giraudeau … ce qui sur le papier a quand même de la gueule …


Tous s’agitant sur fond de maladie mentale et d’histoire d’héritage, l’essentiel du casting étant occis au couteau de cuisine ou au marteau arrache-clous … Mais que fait la police ? Ben les flics, sous la conduite d’un impassible Jean-Luc Bideau, elle prend le café, lit les journaux et joue au billard dans une auberge, et après mûre réflexion au comptoir sur les affaires et possibles crimes en cours, elle décide de ne rien faire, manière de laisser la situation se décanter toute seule … Tout ça dans une Suisse dystopique où chaque plan en extérieur se passe au milieu de défilés de convois militaires …

« Ce jour-là » est totalement barge, entre banquets d’assassinés, visions d’anges et conspirations malsaines … Buñuel et Lynch attaqués sur leur terrain … et comme chez eux, on comprend pas toujours tout, de toute façon on a pas le temps de comprendre, ça déboule à cent à l’heure pendant plus d’une heure et demie … On a droit à tout et plus encore. Des gens qui se poursuivent sur les chapeaux de roues dans un gigantesque manoir ou son parc, on dirait du Mr Bean au ralenti (les protagonistes sont plus très jeunes), une femme qui se fait écraser par un fourgon les bras en croix genre Tex Avery, des cyclistes qui tombent de leur bécane en apercevant Elsa Zylberstein au bord de la route (y compris ceux qui réussissent à tomber alors qu’ils marchent à côté de leur vélo) … Les chassé-croisé dans le manoir semblent sortis des gags nonsensiques de Blake Edwards … Citons pour le plaisir un Giraudeau diabétique qui passe son temps à s’autotester (puis à se repeigner) avant de consciencieusement tester tous les cadavres de plus en plus nombreux qui l’entourent afin de contrôler leur taux de sucre …Ils lui ont fait bouffer des champis, à Ruiz, ou quoi ? De toute façon, suffit de la voir déambuler dans les bonus du Dvd sur les promenades cannoises pour avoir envie de se marrer. Il ne sépare jamais d’un dossier (de presse ?) qu’il porte en toute circonstance des deux mains derrière son dos, exactement comme Obélix porte ses menhirs … J’ai pas envie de savoir comment ce rébarbatif suprême en est arrivé là, mais force est de constater que « Ce jour-là » est une grande comédie (c’est pas les Tuche, ou les misères de Boon et Merad …)


En plus, le comique n’est pas seulement visuel, c’est aussi le scénario qui est délirant … Livia (Zylberstein) est l’héritière un peu demeurée de sa mère, qui a fait fortune avec le Sal Sox (du ketchup où la tomate est remplacée par du soja !). La vieille a tellement fait fortune que Livia serait à elle seule plus riche que la Suisse tout entière. Son père (ou peut-être son beau-père, on sait pas trop, y’a des zones qui restent mystérieuses dans le scénario) joué par Piccoli est un notable (notaire ? avocat ? on l’appelle Maître) qui a investi dans l’immobilier y compris jusque dans une clinique psychiatrique. Dans laquelle est enfermé à perpette Emil (sans e à la fin et sans accent au début comme il se plaît à le répéter) Pointpoirot le serial killer psychopathe du coin (excellent Giraudeau). Après que le personnel de la clinique lui eut fait un bourrage de crâne sur l’adresse et le nom de Livia (une très très méchante personne), on fait s’évader Pointpoirot, sachant qu’il va aller assassiner l’héritière dont le pognon reviendra à Piccoli et sa famille …


Evidemment, rien ne va se passer comme prévu, Pointpoirot et Livia tombent amoureux (ils se prennent réciproquement pour des anges) et dégomment accidentellement ou pas tous ceux qui viennent traîner dans le manoir familial, qu’ils veuillent s’assurer que Livia est morte ou qu’ils viennent tuer le couple de zinzins. Toute la famille (ses autres enfants, sa maîtresse, sa sœur …) de Piccoli et ses hommes de main seront tour à tour envoyés dans le manoir, y compris un agent du fisc helvétique prêt à tout pour taxer l’héritage au taux d’imposition en vigueur …

En fait, le seul reproche qu’on peut faire à « Ce jour-là », c’est qu’il n’y a pas un seul moment de répit où on pourrait comprendre tous les tenants de l’intrigue.

Question subsidiaire : Ruiz n’aurait -il pas un frère jumeau ? Parce que le Ruiz que je connaissais, je l’imaginais pas du tout tourner et surtout réussir une comédie …