GUS VAN SANT - ELEPHANT (2003)

 

Bowling for Columbine ...

20 avril 1999 à Columbine, petite ville (25 000 habitants) du Colorado. Deux lycéens de 18 ans se rendent lourdement lestés d’armes de guerre et d’explosifs dans leur école et tirent sur tout ce qui bouge. Bilan : treize morts, vingt et un blessés.

18 mai 2003. « Elephant » de Gus Van Sant, « inspiré » par la tuerie est projeté au Festival de Cannes. Quelques jours plus tard, il y recevra la Palme d’Or et le prix de la mise en scène.

Gus Van Sant Cannes 2003

Quelques mois plus tôt, un film documentaire de Michael Moore, « Bowling for Columbine », utilisait la tuerie pour un plaidoyer contre la libre circulation des armes aux USA.

Autant dire que ce massacre a bouleversé (un temps, ce genre de carnage est récurrent aux States, c’est sûr ce coup-ci on va s’attaquer au problème des ventes d’armes, vous allez voir ce que vous allez voir, et puis on passe à autre chose) la société, pour que le monde du cinéma s’en empare si vite et à deux reprises.

« Elephant » est le dixième film de Van Sant, qui a accumulé succès critiques et commerciaux (« Drugstore cowboy », « My own private Idaho », « Will Hunting », « Psycho » entre autres, je cite ceux-là parce que je les aime bien), et inaugure un dyptique avec son successeur « Last days ». A savoir que ces deux films sont très fortement inspirés par des faits réels (le suicide de Kurt Cobain pour « Last days »), mais ne sont en aucun cas des reconstitutions des faits évoqués, la licence poétique, ce genre de choses, s’est justifié Van Sant, enfin certainement pour éviter procès et procédures.


« Elephant », d’abord pourquoi ce titre ? En référence à un film anglais homonyme d’Alan Clarke (c’est là que se pointe le fan de Bowie, Alan Clarke ayant réalisé pour la télé au début des 80’s une adaptation de « Baal » de Bertold Bretch avec l’ex Ziggy dans le rôle-titre, parce que le reste de ses travaux à l’Alan Clarke, ça me dit strictement rien). Lequel film montre une série de meurtres sans motifs, et son titre fait référence à l’expression « elephant in the room », littéralement, tout le monde identifie le problème bien visible, mais personne ne cherche de solution.

Bon, c’est quoi l’éléphant dans la pièce chez Van Sant ? Ce qu’aujourd’hui on appelle harcèlement scolaire (le plus déterminé, le « cerveau » du carnage est brimé et rejeté par les autres lycéens). Le libre accès aux armes, y compris de guerre. On commande sur internet, on est livré à domicile, et c’est le jour où les deux reçoivent leur dernier fusil d’assaut maousse qu’ils passent à l’action. Malin, Van Sant ne se contente pas des faits établis qui ont généré le massacre de Columbine. On a des allusions au jeux vidéo de FPS (en gros, on flingue tout ce qui bouge, en « étant » le personnage qui tire), Van Sant avait voulu utiliser une franchise bien connue (« Doom ») qui a mis son veto. Un truc basique en noir et blanc vite créé par un informaticien de passage est montré dans le film, un des deux tueurs y joue (sans conviction, il balance assez vite son ordi portable). On a aussi en attendant le camion de livraison qui amène le dernier flingue, un reportage, un documentaire historique sur la montée du nazisme qui passe à la télé, mais les deux ados ne le regardent pas vraiment, un des deux sait même pas à quoi ressemble Hitler. On a aussi la notion de rite sacrificiel, les deux se promettent de ne pas en réchapper, et toutes leurs frustrations d’ados rejetés se traduisent par un baiser échangé sous la douche avant de s’équiper de treillis et de trimbaler leur arsenal dans des sacs. Van Sant évoque de possibles et plausibles mobiles du passage à l’acte, il n’en définit aucun comme crucial. D’ailleurs, pour brouiller les pistes, les deux tueurs semblent (sans que cela soit explicité) deux fils de bonne famille, le « leader » Alex vit (avec ses parents ?) dans une maison cossue aux grands espaces, et joue bien du piano (en l’occurrence des sonates de Beethoven qui servent de B.O. au film).


La présentation des deux tueurs (les derniers moments avant la commission de l’acte) est située vers la fin du film, et apparaît comme la litanie des causes pouvant générer un massacre de masse. Van Sant n’analyse pas, il livre des éléments.

« Elephant » ne se résume pas aux derniers préparatifs du duo d’assassins et au carnage dans le lycée, le film nous fait vivre quelques moments de différents lycéens victimes – ou pas – du gunfight. Avec un procédé original, la caméra suit souvent les protagonistes (donc filmés de dos) dans l’enfilade de couloirs du lycée et nous les présente (juste leurs prénoms) par un intertitre. Et comme certains des élèves se croisent, échangent quelques mots, on a droit à la même scène filmée sous deux angles différents (parfois trois même, on a le blond peroxydé et le photographe qui discutent quelques secondes pendant que passe en courant la moche complexée) et en faisant la plupart du temps abstraction de toute chronologie). Le contraste est saisissant entre la banalité du train-train quotidien de lycéens (les trois jeunettes amatrices de ragots, qui touchent à peine à leur plateau-repas par peur de grossir avant d’aller se faire vomir dans les chiottes, ce qui se révèlera être une bien mauvaise idée).


« Elephant », c’est aussi un casting de jeunes amateurs (de Portland, ville fétiche de Van Sant dans laquelle il a longtemps vécu et où ont été tournés nombre de ses films) dont bien peu ont continué leur carrière devant la caméra. Le seul qui a vraiment fait « carrière » (dans des rôles mineurs et souvent dans des films de seconde zone) est John Robinson (celui qui joue John, le blond peroxydé à tee-shirt jaune imprimé d’un taureau), Alex Frost (celui qui joue Alex, quasiment tous les acteurs ont gardé leurs vrais prénoms) s’étant contenté de quelques rares apparitions dans des séries B).

A noter qu’une des personnes les plus impliquées dans le projet « Elephant » est Diane Keaton, l’ex et principale égérie de Woody Allen, qui a mis des billets pour la production du film. Lequel est un peu à part dans la filmo de Van Sant, sorte de film « politique », « engagé », deux genres auxquels il ne s’est guère frotté, mis à part avec le biopic « Harvey Milk » sur l’activiste homosexuel candidat à la mairie de San Francisco.

A noter que malgré la répétition des scènes (même si elles sont filmées avec des angles différents), « Elephant » ne dure même pas une heure vingt. Comme quoi on peut être concis et dire (ou sous-entendre) beaucoup de choses.

Film crucial de Van Sant, à ranger à côté de son autre coup de poing en images « Drugstore cowboy » …


Du même sur ce blog :

Last Days



JOHN HUSTON - QUAND LA VILLE DORT (1950)

 

Le crime était presque parfait ...

Le Dvd que j’ai fait partie d’une collection Warner « L’âge d’or du cinéma américain – Les grands classiques du film noir ». J’ai aucune idée des autres titres (vu le lettrage sur la tranche et le numéro de celui-ci – 12 – il doit y en avoir une quinzaine sous cet intitulé) mais en ce qui concerne « Quand la ville dort » je valide tout à fait le titre ronflant de la série. C’est un film à voir et revoir, on ne s’en lasse pas.

A priori, rien de révolutionnaire dans « Quand la ville dort ». L’histoire d’un casse qui tourne mal. Et au cœur de l’histoire, une poignée de petits malfrats dans une petit bled du Midwest jamais nommé pendant la prohibition (Angelica Huston, dans une courte présentation du film de son père, situe l’action en 1929).

John Huston & Marilyn Monroe

A la réalisation, John Huston donc. Pas vraiment un débutant, et pas un manchot derrière une caméra, en plus d’être scénariste, producteur, et de se lancer à partir des années 50 dans une carrière d’acteur. Quand il s’attelle à « Quand la ville dort » (« The asphalt jungle » en V.O., pour une fois un titre qui claque, que ce soit en français ou en anglais), il a remporté deux ans plus tôt une statuette pour un film monumental, « Le trésor de la Sierra Madre », et il avait commencé sa carrière de réalisateur avec « Le faucon maltais », classique de chez classique, malgré une intrigue aussi claire que celle de « Mulholland Drive » du regretté David Lynch.

 « Quand la ville dort » est tiré d’une nouvelle de l’écrivain W.R. Burnett et grave dans le marbre les codes du film noir, comme « Little Caesar » du même Burnett avait « inventé » par son adaptation au cinéma le film de gangsters. « Quand la ville dort », c’est l’histoire d’une bande de petites frappes, avec cinquante nuances de loose. Tout se passe la nuit, sauf la scène finale. Le pitch est simple, un prétendu as du braquage « Doc » Riedenschneider (un immigré allemand ou autrichien, voir ou plutôt écouter son accent teuton en VO) sort de cabane et tente illico de monter « le coup » de sa vie (le braquage d’une bijouterie) grâce à des infos recueillies auprès d’un autre taulard. Il se rend chez Cobby, le gérant d’un tripot clandestin spécialisé dans les paris sur les canassons pour lui expliquer ses besoins en logistique et en personnel. Une fine équipe locale est recrutée (un chauffeur barman et bossu, une brute locale qui fera le ménage si besoin, un as du perçage de coffres), et l’avocat Emmerich (Louis Calhern), patron de fait du tripot, s’occupera du recel et de la vente du butin. Entre « imprévus » pendant le casse (une alarme qui se déclenche dans un immeuble voisin et va faire se rappliquer tous les flics du bled, et un vigile qui anticipe l’heure de sa ronde) et l’avocat véreux, forcément véreux, qui va essayer de doubler tout le monde, l’aventure se terminera mal et le plus souvent très mal pour tous les protagonistes de l’affaire. Des films avec ce genre de scénario, il doit en sortir trois douzaines par mois, aussitôt vus, aussitôt oubliés. Sauf qu’avec « Quand la ville dort », on a une œuvre majeure.

Jaffe, Hagen & Hayden

Dans le film noir, y’a toujours une ou des nanas qui entraînent les héros vers leur perte. Ici, il y en a deux. La première c’est la cocotte entretenue par Emmerich, jouée par la quasi débutante devant les caméras, une certaine Marilyn Monroe (Angela). Ecervelée pas méchante pour deux sous, mais d’une frivolité emplie de rêves qui coûtent cher (un voyage sentimental à Cuba, en ces temps-là villégiature de vacances des riches américains), elle provoquera l’irréparable chez Emmerich. Monroe n’est présente que pour deux scènes, la première vêtue d’un ensemble écossais informe à gros carreaux mais qui laisse apercevoir quand elle fait demi-tour une silhouette callipyge promise à un bel avenir. Dans la seconde scène elle minaude en longue robe bustier et laisse apercevoir son nucléaire potentiel érotique. L’autre femme « tragique », c’est une jeunette qui se trémousse sur du jazz endiablé craché par un juke-box, tout Playtex en avant devant le Doc qui ne peut s’arracher à ce spectacle, a même remis une pièce dans la machine, et les trois minutes que durent le titre lui seront fatales. Dans le casting, il y a aussi deux autres femmes. May, l’épouse d’Emmerich (malade ? infirme ?) toujours alitée, qui malgré son état de dépendance physique, garde une emprise sur son mari, démontrant que derrière le vieux beau affairiste et malhonnête, il n’y a qu’une lopette sans caractère. Doll (Jean Hagen), qui semble davantage tirer ses revenus de son corps que d’un travail « honnête », en pince pour Dix (grandiose Sterling Hayden), voit bien qu’il file un mauvais coton, et fera tout pour l’aider à s’en sortir.

Calhern & Monroe

Ce sont les hommes (ceux qui n’agissent que la nuit, quand la ville dort) et leurs interactions qui sont le cœur de l’intrigue. Huston prend du temps (indispensable, pour nous préparer à la tragédie inéluctable qui les guide) pour nous les présenter. Un peu comme dans « Seven », il nous les décrit avec en filigrane leurs péchés capitaux. Le Doc (Sam Jaffe, grand pote à Huston), c’est le besoin de luxure. Il suffit de le voir feuilleter d’un œil gourmand, un calendrier de pinups, pour comprendre que ce besoin de chair jeune et fraîche va être un sacré grain de sable dans sa trajectoire. Dix, c’est le jeu. Il est redevable à Cobby (et donc Emmerich) d’un gros paquet de dollars parce qu’il est fou de courses hippiques sur lesquelles il joue gros. Il avouera à Doll que son rêve c’est de revenir plein aux as au pays (le Kentucky) pour racheter la ferme de son paternel éleveur de chevaux. Un rêve qu’il exaucera très fugacement (magnifique dernière scène, pour une fois en plein jour, qui le verra s’effondrer au milieu de chevaux dans un enclos). Emmerich, lui, est cupide. Il a installé Angela comme une princesse, a toujours besoin de grosses sommes pour l’entretenir, se retrouve en faillite quand tout le monde le croit très riche, et en vient donc à essayer de doubler les braqueurs qu’il « sponsorise ». Cobby, c’est la lâcheté qui le perdra. Quand Dix lui demande un délai pour rembourser, il s’écrase, et quand un flic, pourtant véreux et corrompu jusqu’à la moelle lui file une paire de baffes, il se met à chialer comme un gosse et balance les braqueurs. Effet domino, tomberont avec lui le chauffeur (un barman solitaire qui préfère la compagnie des chats à celle des hommes), le perceur de coffres (rangé des voitures, mais qui fait ce dernier coup pour pouvoir soigner son gosse malade), Emmerich, Dix, le Doc, le flic ripou …

Ripoux contre ripoux ?

La présentation des personnages pourrait paraître longue (le braquage intervient peu ou prou au milieu du film) mais est essentielle pour comprendre la mécanique infernale guidée par leurs pulsions qui va s’enclencher et les perdre. Chef-d’œuvre de mise en scène d’entrée, la présentation de Dix. La pénombre, de grandes avenues miséreuses et désertes, une voiture de police qui patrouille, et Dix qui se cache dans des encoignures obscures, derrière des piliers pour ne pas se faire repérer. Sans la moindre parole prononcée, on voit tout de suite à qui l’on va voir affaire. Cette nuit, c’est le décor intangible du film. C’est le biotope des malfrats, alors que le jour appartient aux honnêtes gens.

D’une certaine façon, « Quand la ville dort » est un film moral. Les mal intentionnés finissent mal, la loi et l’ordre peuvent triompher (voir le chef de la police qui plastronne devant une meute de journalistes). « Quand la ville dort », j’en ai causé au-dessus, est un film psychologique, qui dissèque ces mécaniques de l’âme compliquées qui font dérailler les entreprises méticuleusement élaborées. Mais c’est aussi (surtout) un vrai polar tragique, avec ses scènes pleines de suspens (les braqueurs vont-ils s’en sortir quand les sirènes des alarmes mugissent ? comment va se terminer le face-à-face à quatre entre Emmerich, son homme de main d’un côté, Dix et le Doc de l’autre, et un sac plein de bijoux entre eux ? Doll réussira t-elle à sauver Dix ? le Doc échappera t-il aux flics et atteindra-t-il Cleveland ? …)

Chef-d’œuvre essentiel …





BILLY BRAGG - TALKING WITH THE TAXMAN ABOUT POETRY (1986)

 

Prolétaires de tous pays etc ...

Billy Bragg, c’est un peu le dernier troubadour. Un genre en voie de disparation (disparu ?), un descendant des Jonathan Richman, du Dylan des débuts, de tous ceux qui y ressemblent, et des vénérables ancêtres Pete Seeger et Woody Guthrie. Parenthèse : avec les géniaux Wilco, il mettra en musique des textes de Guthrie inédits (l’indispensable « Mermaid Avenue » et sa suite « Mermaid Avenue 2 » moins cruciale).

Billy Bragg est apparu sur la scène musicale anglaise au début des années 80, et évidemment pas dans l’air du temps. En plus d’être un folkeux engagé, il se double d’un romantique sentimental (il est amoureux d’Ingrid Bergman, oui, celle de Casablanca et un temps Mme Rossellini, amour platonique puisqu’elle est morte alors qu’il commençait sa carrière). Comme si ça ne suffisait pas pour faire de lui un cas social assez atypique, il va faire dans la politique, au sens noble du terme. Avoir la vingtaine dans les années Thatcher, ça a quand même tendance à radicaliser le propos …

Billy Bragg à l'ombre de Lincoln

Avec Paul Weller (ex Jam, à ce moment-là Style Council) et Jimmy Sommerville (ex Bronski Beat et là dans les Communards), Bragg va fonder le Red Wedge, au départ mouvement artistique de soutien au Labour Party, qui, plus Miss Maggie faisant des ravages sociaux, plus il attirera de monde, culminant par des tournées sous étiquette Red Wedge de nombreux artistes ayant rejoint le mouvement avant les législatives de 1987 qui se traduiront par … une victoire écrasante des conservateurs thatchériens (la troisième consécutive, un record).

Quand paraît « Talking with the taxman about poetry », joli titre de disque, discuter poésie avec un contrôleur des impôts, c’est pas la première chose qui vient à l’esprit quand on est face à l’administration, et ça le sera encore moins quand la Thatcher mettra en place à la fin de la décennie l’ignoble poll tax (qui causera en partie sa perte). « Talking … » dans sa pochette originale était sous-titré « le difficile troisième album ». Bragg commençait à être sinon célèbre du moins connu et il fallait convaincre, encore (plus) et toujours (plus). Et pas se louper …

Comme je connais pas ses deux premières rondelles, je peux pas comparer. Dans icelle, y’a un peu de tout. A mon sens construite comme un vinyle, une première partie plutôt dépouillée dans la grande tradition folk, alors que le final est beaucoup moins rêche, dans une configuration « groupe ». Je vais avancer dans le brouillard, ce qui me changera pas trop de la météo, parce que le Cd de Billy Bragg que j’ai, c’est une réédition avec une rondelle bonus, dont je vous dirai quelques mots si j’y pense. Problème, si ces titres bonus sont assez documentés niveau infos sur le livret, le « Talking … » original, que dalle. Juste les titres des morceaux, aucune info sur ceux qui accompagnent Bragg, pas les paroles des chansons, ce qui est très couillon quand on est face à un gars qui a « du texte ». Un grand majeur dressé à l’attention du label Cooking Vinyl, responsable et coupable de cette réédition. Mais que mes contempteurs se rassurent, c’est pas parce que j’ai rien à dire que je vais fermer ma gueule …

J’ai pioché à droite à gauche (surtout à gauche, toujours à gauche) qu’il y avait sur « Talking … » la présence de Johnny Marr des Smiths, Bragg ayant dans ses débuts ouvert pour la bande à Morrissey, ceci explique cela (mais sur quels titres joue Marr ? mystère mais il y a quelques parties « tranchantes » de gratte, je suppose que c’est lui), et de Kirsty McColl (Mme Lillywhite pour l’état-civil et si vous savez pas qui est Steve Lillywhite, révisez vos années quatre vingt) que même en tendant l’oreille, j’ai pas vraiment réussi à entendre dans les chœurs …

Johnny Marr & Billy Bragg

Donc Billy Bragg sur disque, c’est un mix entre crooner pop, protest singer, et déclameur de slogans marxistes hooliganesques. Ça peut paraître indigeste, mais ça ne l’est pas. Juste parfois un peu décousu …

Le titre qui s’inscruste le plus facilement dans la mémoire est le premier « Greetings for the new brunette », joli single pop en forme d’hymne (ou plutôt d’ode à une certaine Shirley) malgré un accompagnement minimaliste. Autre hommage, cette fois-ci pas à une brunette, « Levi’s Stubbs tears », Levi Stubbs étant pour ceux qui avaient pris musiques électroniques en première langue, le chanteur lead des Four Tops (une vieille obsession anglaise depuis les mods des sixties pour la soul américaine). Bien dans l’air du temps eighties, « The warmest room », avec ses couplets vaguement reggae et les refrains braillés, fait penser à Joe Jackson ou Elvis Costello à leurs débuts. J’aime bien aussi « There is power in the union », hymne-slogan juste accompagné par une guitare solo carillonnante (genre les contemporains Alarm et Big Country) qui évoque aussi la défenestration du « Star spangled banner » par Hendrix à Woodstock. Dans le genre slogan, on a aussi le radical « Ideology » voix très en avant et l’ultime « The home front », protest song linéaire et électrique.

Parfois, ce disque part un peu dans tous les sens, comme la reprise façon blues mutant du « Train train » des oubliés et oubliables Count Bishops, « The marriage » sorte de reggae au tempo mariachi qui renvoie aux brûlots sociaux des Specials. Sur un titre (« Honey I’m a big boy now »), un piano remplace la guitare acoustique ou électrique (ou acoustique électrifiée) pour assurer la mélodie lead, un autre a des relents celtiques (« Wishing the days away »), un autre (« Help save the youth of America ») fait penser aux slogans braillards de l’infect « Cut the crap », mais Bragg s’en sort mieux (c’est plus dépouillé, sur un tempo proche de celui de « Bankrobber ») que le bon vieux Joe Strummer et les bourrins qui l’accompagnaient pour ce dernier tour de piste honteusement étiqueté Clash.

Singin' in the rain Billy Bragg live

« Talking … » n’a rien de transcendant, n’est nullement indispensable, c’est juste un bon disque « militant » avec à la louche une moitié de titres plutôt pas mal, le reste relevant de l’anecdotique.

La rondelle bonus contient outre quelques démos et versions alternatives une paire de titres basés sur un duo guitare acoustique – mandoline (Bragg et un certain Hank Wagford) deux reprises, une de l’inévitable Woody Guthrie (« Deportee ») et une autre assez décalée du « Sin City » des Flying Burrito Brothers. Rien de réellement superflu, mais rien de renversant non plus.

« Talking … » c’est le genre de disques qui traverse mal les années. Nul doute qu’il était beaucoup plus important, voire d’une certaine façon crucial en termes d’engagements militants au moment de sa sortie. Presque quarante ans plus tard, il est évidemment beaucoup moins dans l’air du temps … A ranger à côté de la VHS du Live Aid …



Du même sur ce blog :