ICE-T - O.G. ORIGINAL GANGSTER (1991)

 

Grand frère ...

Aujourd’hui le rap est mort. Comme le rock, la pop, le blues, le funk, le reggae, l’électro … Ou tout ce que vous voulez qui sort d’une enceinte (c’est quoi ça, une enceinte, demande le gamin du 21ème siècle, ses airpods dans les esgourdes crachotant une saloperie sonore en playlist sur Spotify). Aujourd’hui, on a des sortes de moines copistes sonores qui retranscrivent à grand-peine (merci Autotune) à grands coups de sons métallisés (merci le vocoder), ce qui se faisait avant (parce que c’était mieux avant, ou moins mauvais). Et plus t’as de disques (c’est quoi ça un disque, demande le gamin du dessus), plus tu t’aperçois que les plus récents tu les as déjà entendus depuis des décennies. Et je parle pas des reprises (c’est quoi ça une reprise … ‘tain, tu vas nous lâcher toi).

Donc rap is dead … de sa belle mort il y a un quart de siècle. L’assassin involontaire : Eminem dont deux ou trois disques (excellents, c’est pas le propos) l’ont fait rentrer dans le mainstream grâce à un invraisemblable paradoxe, le rap, ce genre issu des quartiers paupérisés Noirs de New York, venait d’accoucher de sa plus grande star, un minot white trash de Detroit. Blanc donc. La boucle était bouclée, la récupération à toutes les sauces en marche. Sommet (en attendant mieux ?), le quinqua Snoop Dog (celui-là même qui avait scandalisé l’Amérique du milieu des 90’s avec son gangsta-rap jazzy et porno), supporter number one des Ricains aux J.O. de Paris et premier MC des J.O. de Los Angeles. Le serial niqueur fumeur de ganja applaudissant sans discontinuer des couillons de sportifs, et vantant les immenses mérites de Trump … Comme quoi l’herbe à fortes doses peut causer des dommages cérébraux irréparables …


Revenons-en au sieur Ice-T. Né dans le New Jersey, orphelin très jeune, déménagé vers L.A., ado délinquant, militaire délinquant, puis délinquant professionnel (assez malin pour éviter les flagrants délits). Avec en fonds sonores les débuts du rap. Même s’ils sont plusieurs à revendiquer le titre, il est à la fin des 80’s un des instigateurs majeurs du gangsta-rap, et un des très rares à ne pas avoir eu besoin de s’inventer un passé « glorieux ».

Alors que la plupart de ses potes finissent en taule, il laisse tomber les braquages pour se consacrer à plein temps au rap, rassemblant des gens autour de lui (le Rhyme $yndicate, qui deviendra le nom de son label, distribué par le gros indé Sire Records).

Il y a deux portes d’entrée à la reconnaissance dans le rap. Soit avoir des textes forts, soit un son qui déchire tout. Quand tu réussis sur ces deux tableaux, soit tu t’appelles Public Enemy, soit NWA (liste close). Ice-T il a plein de choses à dire. Mais ses disques sont chiants. Des titres monolithiques, plutôt secs et austères, avec quelques samples discrets de sons vaguement jazzy ou funky en constituent l’essentiel. Et puis, ça finit jamais, rondelles témoins sonores d’une époque où le Cd régnait en maître et où le rappeur qui sortait des disques de moins d’une heure passait pour une grosse feignasse. Alors on a droit à des intermèdes-interludes dispensables et parmi les « vrais » titres, on choisit le remplissage plutôt que l’élagage.

J’ai écouté une poignée de disques de l’Ice-T et ce « Original Gangster » me semble le plus abouti du lot. Que quelqu’un de peu accro au genre balancera par la fenêtre au bout de dix minutes, c’est pas destiné au « grand public », c’est trop brut de décoffrage. Quelques titres ressortent du lot, dont « New Jack Hustler » qui est un de ses plus gros hits (une des rythmiques les plus trépidantes de la rondelle, le plus « fini, travaillé » avec ses arrangements jazzy). Dans le même registre (samples jazz, avant que le procédé devienne systématique, les débuts du rap piochant essentiellement dans le funk en général et James Brown en particulier) on peut citer « Mic contract », « Bitches 2 » (rien que le titre montre que le rap des débuts, voire de toujours, n’était pas vraiment inclusif). Côté funky, mérite la citation le groovy « Pulse of the rhyme ».


Ce qui sauve artistiquement Ice-T d’une façon générale et sur ce disque en particulier, c’est son ouverture d’esprit et/ou musicale. Le vrai dur de dur se permet de rimer sur une thématique peu en vogue, l’appel au calme, à l’apaisement, dans une époque où à L.A. deux maxi-gangs rivaux les Bloods et les Crips faisaient donner l’artillerie (souvent lourde) pour régler leurs différends (oubliez les rafales de kalach marseillaises d’aujourd’hui, au début des 90’s dans les quartiers chauds de Los Angeles, c’est toutes nuits qu’il y avait des morts). Le morceau manifeste d’Ice-T sur le sujet c’est « Escape from the killing fields », appel à ranger les flingues plutôt que de se livrer à des règlements de compte sans fin ultramédiatisés par un système qui se fout bien que de jeunes minots y laissent la peau, tant que ça fait vendre du papier ou que ça rapporte des points d’audimat. Très loin des provocations et des appels aux règlements de comptes qui feront dans la décennie momentanément la fortune de quelques-uns (2Pac, Notorious Big) avant de faire celle des sociétés de pompes funèbres. Par cet aspect-là, le propos d’Ice-T est assez similaire de celui d’un Bernie Bonvoisin lors des débuts de Trust (avant qu’il devienne fan de François Bayrou). Il se comporte en grand frère, en mec qui a donné, et qui prône la réflexion avant l’action …

Ice-T & Body Count

Autre originalité de Ice-T, l’ouverture musicale. Alors que le rappeur de base est généralement un égocentrique obtus (j’écoute que du rap, et tous les autres rappeurs sont nuls), Ice-T ouvre grand ses oreilles. Il a entendu les Beastie Boys et leurs samples de grosses guitares zeppeliniennes. Et le coup des guitares en avant Ice-T va le tenter sur deux titres, « Mind over matter » et « Midnight ». Rien cependant à côté du titre « Body Count ». Derrière il y a tout un concept, défini (lors d’une interview ?) en intro. Le rap c’est la musique des déclassés blacks, le heavy metal hard rock celle des déclassés blancs, et bien moi Ice T je vais jeter une passerelle entre les deux genres. « Body Count », c’est des vrais instruments (guitares, basse, batterie) qui envoient salement le bois. Tempo metal, solo bluesy, et l’Ice T qui rappe par-dessus. Démarche assez rare (des Noirs qui jouent de la musique de Blancs, c’est le contraire qui est le plus souvent de mise), esquissée par les Bad Brains au début de la décennie, voisine de celle de Living Colour (hard hendrixien jazzy), et beaucoup plus radicale que l’intégrale des Red Hot Chili Peppers. Descendants directs de « Body Count », Rage Against The Machine. A noter que Ice T poussera le bouchon encore plus loin, montant l’année suivante le groupe de heavy rock uniquement composé de Noirs (Body Count forcément) auteur d’un morceau à l’origine d’une des plus grosses polémiques musicales des 90’s, le brûlot sonore « Cop Killer » (tout est dans le titre).

Bien que ça n’ait pas grand-chose à voir avec la musique, signalons que Ice T diversifiera très vite ses activités, multipliant les rôles au cinéma où dans les séries TV. (bon, c’est pas des prestations à Oscars avec des réalisateurs de premier plan, on est d’accord …).

Si vous souffrez de TOC, et que vous vouliez absolument une rondelle de Ice T, « O.G. Original gangster » est celle qu’il vous faut …




FRANK ZAPPA - HOT RATS (1969)

 

Ailleurs ...

Le rock au sens le plus large, c’est le truc le plus basique qui soit. A prendre au premier degré. Et dans quelque genre qu’ils œuvrent, ceux qui en font ne dérogent jamais à la règle, il faut faire ce que le fan, le public, la maison de disques, … attendent (y compris n’importe quoi). Les plus doués (Dylan au hasard) peuvent parfois mélanger sérieux (la musique) et loufoque (les paroles). Ceux qui donnent dans le second degré (cas d’école Kiss et Queen) avec des cohortes imposantes de fans, sont méprisés par tous ceux qui considèrent que faut pas déconner, la musique c’est sérieux.

Et puis, y’a ceux qui dépassent le second degré pour amener les gens qui se hasardent à écouter leurs disques dans des contrées sonores incompréhensibles. Palme du point d’interrogation majuscule, les Residents, dont personne ne sait qui se cache derrière leurs masques oculaires et dont la musique est totalement hermétique et incompréhensible. Et puis Zappa …

Frank Zappa

Qui pour moi est une énigme. Une discographie pharaonique, que ce soit de son vivant ou post-mortem, à coups de double ou triple albums live ou en studio. Pour moi à peu près tous inécoutables (enfin, la demi-douzaine que je connais), mais le type a ses fans. Et bizarrement, chaque fan de Zappa a son propre Top 3 de ses meilleurs disques. Qu’ils ressemblent à de la pop, du rock, du jazz, du classique, du contemporain …

Zappa, c’est un potache sérieux, un mormon festif, il faut une litanie d’oxymores pour le définir. Son truc ultime, c’est le doo-wop (il en possédait des milliers de 45T), il n’y a pas plus d’une poignée de morceaux qui en soient inspirés dans son imposante production. Le doo-wop, c’est surtout vocal, et Zappa a l’habitude de tartiner des triples vinyles d’instrumentaux, voire de bruitages et de dialogues abscons. Comprenne qui pourra. Zappa, c’est le type détaché de tout à grands coups de formules décapantes, et puis capable d’aller devant les tribunaux à la rescousse des besogneux hard-rockers de Twisted Sister pour défendre leur liberté d’expression. Zappa, il a repris tous les codes du rock’n’roll circus, mais il virait impitoyablement et à jamais tout musicien de son band qui n’était pas absolument sobre (picole et drogues totalement prescrites en studio et en tournée…). Zappa, c’est un peu la théorie des contrastes et des contraires …

« Hot Rats » c’est officiellement son premier disque solo. Ceux d’avant, ils étaient parus sous les intitulés de Mothers of Invention ou Frank Zappa & the Mothers (of Invention). La différence ? En fait, y’en a pas, Zappa est la pièce centrale, le cerveau de tout ce qu’il a fait paraître. Despote libertaire, il donne la direction, écrit, arrange et produit, et une litanie de musiciens qui tournent dans le band en heavy rotation viennent ajouter leur patte à l’édifice. Ces musiciens sont soit des virtuoses reconnus priés de « déjouer », soit d’illustres inconnus sommés « d’inventer » leur technique instrumentale. Au milieu de tout ça, Zappa, grand adepte des contradictions dadaïstes mène la danse à la guitare électrique (dont il est considéré comme un des maîtres, alors qu’il ne cesse d’afficher son mépris pour les guitar heroes).

Ian Underwood

« Hot Rats », à la base, c’est le projet d’un duo. Zappa à la baguette, assisté de Ian Underwood, complice du moustachu depuis son album-pastiche des Beatles (entre autres) « We’re only in it for the money ». La place importante occupée par Underwood (piano, claviers, flûte, saxos, …), ancien élève-disciple d’Ornette Coleman (autre célèbre déconstructeur de gammes), n’est pas tout à fait due hasard. Les deux hommes sont à l’origine du projet « Hot Rats », entourés par une escouade de participants (trois batteurs, deux bassistes, deux violonistes), dont sur un titre l’ami-complice (à cette époque-là, la brouille retentissante entre les deux approche) de Zappa en termes de dadaïsme sonore, Don Van Vliet alias Captain Beefheart. Un des deux violonistes est un jeunot français, Jean-Luc Ponty (lui aussi se fâchera avec Zappa dans les seventies), et l’éminence grise du projet, qu’aurait beaucoup consulté Zappa est Johnny Otis, reconnu dans les milieux du rhythm’n’blues et du jazz, et dont le fils Shuggy (quinze ans) jouera de la basse sur un titre, « Peaches in Regalia ».

Pour faire simple, au vu du casting hétéroclite, on peut subodorer que ça peut partir dans tous les sens. Et effectivement, « Hot Rats » offre une musique inédite pour l’époque. « Hot Rats » est un disque que beaucoup considèrent comme le premier disque de « fusion ». Considéré par certains comme un disque pionnier du jazz-rock, on y trouve aussi des relents de blues, de rhythm’n’blues, de rock psychédélique, voire du funeste prog à naître sans oublier la musique contemporaine (Zappa finira groupie de Boulez) … Bon, pareil attelage incite à sauter au plus vite de la monture, sauf qu’avec « Hot Rats » c’est assez souvent supportable …

Mais pas toujours. Le « Peaches in Regalia » qui ouvre la rondelle, considéré par les fans comme « fondateur », désolé mais j’y vois qu’une bouillasse tourbillonnante, instrumentale et psychédélique, pas spécialement finaude, plutôt genre boucan plus ou moins organisé. Heureusement, ça dure pas très longtemps. Arrive ensuite ce qui est moi la masterpiece du disque (et du peu que je connais de Zappa), « Willie the Pimp ». Seul titre chanté (enfin façon de parler) du disque par Beefheart, morceau généralement honni par les jazz rockeux. Parce que « Willie … » c’est du violent. Un fond de heavy blues, un couplet psalmodié par Beefheart pendant une minute, une autre minute de grognements et borborygmes divers, et sept minutes de solos saturés de Zappa. Ce seul titre suffit à assoir la réputation de guitar hero du moustachu, c’est un titre à écouter une fois dans sa vie pour pas crever idiot, et ça enterre pas mal de la concurrence à six cordes … Par contre, le « Son of Mr Green Genes » qui suit, accumule tous les clichés insupportables (pour moi en tout cas) du jazz-rock, voire du prog. Ce titre clôturait la première face du vinyle original.


La seconde partie du disque repose sur un long titre, « The Gumbo variations » (rallongé de quelques minutes sur les éditions remastérisées par Zappa lui-même). Comme son nom l’indique (le gumbo est une espèce de ragoût louisianais aux multiples ingrédients), on passe du coq à l’âne, avec comme fils rouge les saxos de Underwood entrecoupés de solos de guitare de Zappa. Pas forcément captivant sur la durée (17 minutes quand même), mais souvent intéressant. « Gumbo … » est encadré par deux pièces plus courtes, « Little umbrellas » le plus jazzy du lot (bof …) et l’ultime « It must be a camel » qui met en avant le piano, pour un titre évoluant aux frontières du jazz, de la musique contemporaine, et du n’importe quoi …

Force est de reconnaître que « Hot Rats » est foncièrement différent par rapport à ce qui se faisait en son temps, en tout cas beaucoup plus rock et électrique que les pensums de Miles Davis rangés sous les mêmes étiquettes jazz-rock, fusion, etc …

Ce qu’on ne peut reprocher à Zappa, c’est d’être un type borné, uniquement intéressé par le monde musical qu’il se construisait disque après disque. Capable de financer les rondelles de ses proches (le très décapant « Trout Mask Replica » de Beefheart, de signer sur son label une bande de zozos dérangés et bruyants de Detroit (Alice Cooper), de faire enregistrer un groupe plus ou moins gag entièrement féminin (les GTO’s, entendre Girls Together Outrageous, groupe emmené par Pamela Des Barres, future groupie number one des seventies). C’est d’ailleurs une autre fille de GTO’s, Miss Christine, qui émerge façon inquiétant monstre aquatique d’une piscine (vide) sur la pochette de « Hot Rats » …


DON COVAY & THE JEFFERSON LEMON BLUES BAND - THE HOUSE OF BLUE LIGHTS (1969)

 

Et la lumière (bleue) fut ...

La bio de Don Covay, elle coche tellement toutes les (bonnes) cases que c’en est limite cliché … Au hasard et en vrac, énième rejeton né dans les années 30 parmi une demi-douzaine de frères et sœurs d’une famille pauvre avec paternel prêcheur, le Don a fait ses classes dans les chorales gospel de l’église à papa, a tâté du groupe doo-wop, savait jouer de plein d’instruments, composait, chantait, a commencé sur scène en première partie de Little Richard. Son premier petit succès en 1964 sera un titre qu’il a écrit (« Mercy mercy ») qui se retrouvera illico sur un disque des Stones. Trois ans plus tard, une autre de ses compositions (« Chain of fools » en haut des charts US) ouvrira le très successful « Lady Soul » d’Aretha Franklin. Don Covay est maintenant connu dans le milieu …


Mais pas pour autant reconnu de l’amateur de musique lambda. Il a sorti sous son nom une paire de disques qui selon l’expression consacrée, n’ont pas trouvé leur public. « The house of the blue lights » est sa troisième livraison. Il a regroupé autour de lui quelques fines gâchettes des studios, et baptisé son band hétéroclite (black & white) du nom ronflant de Jefferson Lemon Blues Band (que ceux qui n’ont pas compris la filiation se fassent connaître, il y a une bordée d’insultes à gagner).

On trouve dans le JLBB des gens aussi divers que le guitariste Joe Richardson (a tourné avec Chuck Berry et composé avec Alan Wilder de Depeche Mode, c’est dire si le gars est éclectique) ou John Hammond Jr. à l’harmonica et la guitare rythmique (le fils de son père, qui a signé - et généralement découvert - pour Columbia Billie Holliday, Aretha Franklin, Dylan, Cohen, Springsteen, et une palanquée d’autres à peine moins connus …). Rajoutez une section rythmique, une autre guitariste (Margaret Williams), plus parfois des cuivres, un piano, un B3 (les types sont pas crédités) Covay chante, tient la guitare lead, a composé la plupart des titres et produit l’album … Et donc avant même de l’avoir écouté, on sait qu’il va y avoir de la guitare (quatre, enterrés les bouseux sudistes à venir), du blues, et de la jam …


No surprise, on a tout ça … pour un résultat ma foi, plutôt convaincant. Bon, « The house … » n’est pas un classique du genre (blues, rhythm’n’blues, soul, machin, truc, …), même pas un classique oublié. Plutôt une bonne surprise tant la rondelle semble oubliée des amateurs (qui comme leur nom l’indique, s’extasient soit pour les classiques que tout le monde connaît et/ou d’imbitables machins obscurs). Le Don, il sait se tenir devant un micro (voix plutôt malléable, qui ne se cantonne pas à un seul registre), sait se servir d’une guitare, et compose des titres, qui s’ils ne lui apporteront pas gloire et fortune, n’ont rien de honteux. Parenthèse, j’ai pas la moindre foutue idée de comment sonnait le vinyle original, mais la réédition Atlantic 1000 (?), remastérisée par les Japonais pour le marché japonais, sonne du feu de Dieu, et pour le même prix (un billet bleu d’occase environ) qu’un vinyle d’époque crachotant, ou une réédition Cd asthmatique, vous avez la foudre dans les haut-parleurs …

Bon, un disque de black music se doit de rendre hommage aux anciens du truc. Ici, ça ne tarde pas. Première piste, le « Key to the highway » de Big Bill Broonzy. La version de Covay essaie déjà d’extrapoler du pur blues c’est pas mal, même si on a forcément l’oreille parasitée par les multiples versions (parfois excellentes) qu’en a donné Clapton (entre autres). On peut zapper les deux titres suivants, le correct sans plus blues-rock « Mad dog blues », et le feignasse « The blues don’t knock » égayé par son piano.

Les choses plus sérieuses commencent avec « Blues ain’t nothin’ … », rhythm’n’blues avec harmonica, fouillis sonore, qui ravira les amateurs des premiers Rolling Stones. Suit la pièce centrale qui donne son titre au disque. Divisée en deux parties, elle clôturait chaque face du vinyle original. « The house of blue lights Pt 1 » est introduit par un orgue Hammond. Ce titre bluesy très lent est ensuite, non pas chanté, mais crié, hurlé par Don Covay, on a droit à quelques solos de guitare (Covay aussi) qui s’entrelacent avec le B3. Un peu plus de sept minutes qui ridiculisent la plupart de la concurrence, pourtant nombreuse et pas forcément manchote de l’époque. Grand classique inconnu (ou à peu près). La Pt 2 est plus courte, plus expérimentale (incantations a capella genre prêcheur fou, quelques notes de sitar) avant de revenir sur le thème du titre où en plus du Hammond B3, c’est l’harmonica qui est mis en avant.


Avant cette Pt 2, de bonnes choses. Un hendrixien « Four women », rhythm’n’blues tout en syncopes et saturation avant une échappée dans une faille spatio-temporelle avec « Steady roller ». Titre a priori enregistré live en studio, c’est un duo entre Covay et Hammond, et c’est surtout la meilleure imitation de Robert Johnson jamais entendue. Evidemment, ils s’y mettent à deux pour recréer son jeu de guitare, le son est très approximatif, y’a quelques pains et hésitations, on entend les deux compères taper la mesure avec le pied, et Covay imite la voix aigue et nasillarde de l’homme qui a pactisé avec le diable au fameux crossroads. Amusant et bluffant.

Le titre le plus dément arrive ensuite. « Homemade love » qu’il s’appelle. Intro au piano, rythme soul alangui, avant une accélération rhythm’n’blues ponctuée par une escouade de cuivres et un duo vocal entre Covay et sa guitariste Margaret Williams, impressionnante avec sa voix hurlée suraiguë. Redoutable machine à groove et mélodie qui il me semble bien cite le « Dancing in the streets » de Martha & the Vandellas. Accalmie puis nouvelle accélération au final du titre qui là fait penser au Joe Cocker frisant l’épilepsie à Woodstock. Parenthèse, je suis preneur d’infos sur Miss Williams dont même les pages Wikimachin en anglais semblent ignorer l’existence …

« But I forgive you blues » et « Shut your mouth » marquent moins les esprits, le premier est du classic blues-rock, le second un rhythm’n’blues au tempo enlevé comme on en entendait sur toutes les rondelles de l’époque …

Ce « House of blue lights » restera la masterpiece de la discographie guère pléthorique de Don Covay. Je connais pas sa bio, mais je pense que ses activités d’auteur et de producteur suffisaient à son bonheur, il semble pas avoir recherché fortune et gloire à tout prix …

Je conseille l’achat de ce « House of blue light ». Ne vous trompez pas, y’a une purge de Deep Purple qui s’appelle pareil …