GUNS N'ROSES - APPETITE FOR DESTRUCTION (1987)

 

Welcome to Sunset Strip ...

1987 … Ça commençait à sentir le sapin … Les joueurs de synthé à un doigt de la new wave retournaient dans l’obscurité d’où ils n’auraient jamais dû sortir, U2 sortait un grand disque pour le marché américain (« The Joshua tree »), laissant plus ou moins au vestiaire guitares et tempos rapides, Simple Minds viraient pompier new age, Cure devenaient joyeux (un comble), … Du côté des Ricains, pas mieux chez Dylan, Springsteen, Neil Young, auteurs de rondelles que pour être gentils on qualifiera d’embarrassantes. Seul Prince sortait avec une régularité de métronome un chef-d’œuvre par an (en 87, c’était « Sign the times », à mon sens le meilleur de sa discographie) …

Ouais, mais voilà, j’aimais bien entendre le son d’une guitare saturée branchée sur un ampli Marshall, et de ce côté-là c’était la soupe à la grimace. Jesus & Mary Chain chez les Rosbifs, Hüsker Dü de l’autre côté de l’Océan, quelques rares autres de moindre niveau un peu partout, le tour du proprio était vite fait … restait les hardos pour envoyer du boucan … sauf que j’avais plus quinze ans, et que les rondelles calamiteuses de Scorpions, Van Halen, Aerosmith ou AC/DC n’étaient pas faites pour ranimer ma flamme. La « fameuse » NWOBHM m’avait toujours gonflé, leur tête d’affiche Iron Maiden en tête, les lecteurs de Bruitos Magazine commençaient à se refiler sous le manteau le nom de Metallica (bâillements) …


Quelques Ricains, maquillés comme des voitures volées (ou comme Bowie à la fin d’un concert en 73) lançaient la mode du glam metal, dans le meilleur des cas un revival Alice Cooper (qui, comme par hasard, n’était pas vraiment au mieux dans les 80’s). Phénomène musical essentiellement californien (Mötley Crüe, Ratt, Poison, Cinderella, Quiet Riot, …), qui se concentra vite sur Los Angeles, et établit son siège social sur une partie de Sunset Boulevard, là où se trouvaient salles de jeux, dealers, boîtes de striptease et jeunesse blanche, Sunset Strip. Et on y voyait parader tous ces groupes, dans une compétition de looks décadents, tous ces types bourrés et/ou défoncés avec à leurs bras des bimbos fortement siliconées, délurées et court vêtues, ce qui faisait fantasmer tous ceux qui ne s’étaient pas encore faits un nom.

Parmi ces anonymes, deux types avaient monté chacun leur groupe, L.A. Guns et Hollywood Rose. Le premier fondé par le guitariste Tracii Guns, le second, Hollywood Rose par un certain William Bruce Rose Jr, venu de sa cambrousse de l’Indiana pour profiter de la fête non-stop de Sunset Strip. Cas social à peu près désespéré, il se rebaptisera Axl Rose (anagramme transparent, y’ a que sept lettres …). Les deux groupes fusionnent en Guns N’Roses, les musiciens défilent, certains arrivent, d’autres font leurs valises, dont assez vite, Tracii Guns. Au bout d’un moment, la formation se stabilise. Aux côtés d’Axl Rose, on va trouver trois américains, le guitariste rythmique Izzy Stradlin, le bassiste Duff McKagan, le batteur Steven Adler, et un guitariste anglais, Saul Hudson, auto-rebaptisé Slash. Slash est pour ainsi dire un enfant de la balle, sa mère était conceptrice de tenues de scène, notamment pour David Bowie, qui paraît-il l’a un temps fréquentée pas seulement pour des raisons artistiques …


Ce quintette va se faire une place et un nom sur Sunset Strip. Ils emménagent dans un squat, vite rempli de bouteilles vides, de poussières blanches et de filles consentantes. Et surtout, emmenés par Axl Rose, émérite bagarreur, faire changer toute la concurrence de trottoir quand ils les croisent sur Sunset Strip. Le premier, David Geffen au nez particulièrement creux dès qu’il s’agit de trouver des gens à fort potentiel commercial, les repère et les signe. Et là, miracle …

Les cinq zozos, à longueur de temps dans un état proche du comateux, vont s’atteler à l’enregistrement d’un disque qui va faire date. Parce qu’il va s’en vendre des dizaines de millions all around the world, et parce qu’en plus il est excellent. En gros, « Appetite for destruction » est le dernier grand disque de (hard) rock des seventies sorti alors que la décennie suivante va sur sa fin.

« Appetite ... » est un concentré et un résumé de tout ce que le rock pour les hommes, les vrais, a fait de mieux depuis trois décennies. Du rock’n’roll fifties (Cochran, Petit Richard, …), du British 60’s (Stones, Yardbirds, …), du hard 70’s (Purple, Led Zep, AC/DC, Aerosmith, …), du punk surtout américain, plus « brutal » que les British (Black Flag, Bad Brains, Dead Kennedys, …). Tout ça mélangé à la sauce Guns N’Roses, sans que jamais ça sonne comme un copier-coller. Il y a une trademark Guns avec ce premier disque. Tous les titres ont une longue intro, travaillée (celle, mirifique de « Paradise City » dure 1’20’’ et en est le meilleur exemple), des couplets, des refrains, des ponts, et un vrai final (jamais de shunt brutal ou de fading). Autrement dit, même sous l’effet bulldozer de certains morceaux bien bourrins (« You’re crazy », exemple type), il y a un vrai travail d’écriture.


Avant d’être la chose d’Axl Rose qui imposera ses avis aux autres à coups de baffes, le Guns N’Roses d’ « Appetite … » est le disque d’un vrai groupe, où chacun participe sans chercher à attirer sur soi la lumière. Les trois de la rythmique maintiennent une pression constante, Slash balance de courts solos antithèse de la plupart des guitar-heroes, l’Axl utilise plusieurs tonalités, ne se contentant pas de brailler dans les aigus … Pour faire un grand disque, il faut au moins un titre qui marque les esprits, qui serve de locomotive pour le reste de la rondelle. « Appetite … » ne fait pas les choses à moitié, ou plutôt la moitié des titres sont fabuleux.

Par ordre d’apparition, « Welcome to the jungle » est une entrée en matière idéale, intro marquante, mid-tempo appuyé par une batterie tachycardique, pont qui lorgne vers celui de « Whole lotta love » … « Nightrain » est un des nombreux singles, pas exceptionnel, juste excellent. « Paradise City » est au moins dans le Top 10 des plus grands morceaux de hard, intro fabuleuse, accélération permanente de dragster, faux final avant les deux dernières minutes où tout le monde est à nouveau à fond. Claque monumentale … « My Michelle » n’a rien à voir avec celle de McCartney, mais serait très fortement inspiré d’une copine junkie d’Axl Rose, tempo de punk’n’roll lui aussi en accélération permanente. « Sweet child o’ mine » est l’autre titre d’anthologie, ballade up tempo, le titre qui met le plus Slash en valeur. « Rocket Queen » conclut les cinquante trois minutes du disque en apothéose avec ses deux parties distinctes reliées par des roulements de batterie et les gros riffs de Slash.


Alors forcément le reste souffre un peu de la comparaison, que ce soit le hard tendance FM de « Mr Brownstone », les ponts façon psyché de « It’s so easy », le bourrin « Out ta get me » avec ses chœurs de hooligans et ses faux airs par moments de « Flight of the rat » du Purple. Une paire de titres sont un peu les parents pauvres de la rondelle, plutôt anecdotiques (« Think about you », « Anything goes »), bien qu’ils puissent faire figure de chefs-d’œuvre chez la plupart de la concurrence …

Pour faire retomber les dithyrambes, juste un mot sur la pochette, plutôt très moche, sachant que celle qui était prévue (un dessin représentant un robot qui vient de violer une femme affalée contre un mur culotte sur les genoux), a été jugée trop vulgaire (juste verdict) par Geffen et supprimée assez vite.

Le mystère restera de savoir comment cinq toxicos je-m’en-foutistes ont pu pondre pareille merveille. Parce que la suite sera une assez remarquable chute libre. Axl Rose prendra un melon phénoménal, entre réparties aberrantes, torgnoles à tout-va à tout ce qui passe à portée, nouveau look à base de bandanas et de shorts de cyclistes, admiration sans burnes pour Elton John, etc … Tout ça culminant avec les deux heures et demie de la doublette « Use our illusion », où une poignée de bons morceaux (dont une reprise d’anthologie de « Knockin’ on heaven’s door ») seront noyés sous un déluge de titres à rallonges boursouflés et prétentieux, le tout avant l’inévitable débandade, le nullissime disque en solo d’Axl sous le nom de Guns N’Roses après quinze ans ( ! ) de studio, et les tout autant prévisibles réconciliations, reformations, etc …

« Appetite for destruction » avait suffi pour entrer dans la légende …


NURI BILGE CEYLAN - LES CLIMATS (2006)

 

Vague de froid sur un couple ...

Nuri Bilge Ceylan, c’est pas compliqué, ses six derniers films ont été sélectionnés au Festival de Cannes. Ce qui ne veut rien dire … ou beaucoup de choses. Bon, Ceylan il est Turc, et la Turquie, c’est un pays de cinéma, comme ses plus ou moins voisins l’Iran ou l’Inde. La Turquie produit essentiellement pour son marché intérieur (on ricane pas, c’est un peu le cas de la France aussi …). Le pays s’est fait situer sur les mappemondes du septième art par son premier réalisateur star, Ylmaz Güney, avec « Yol » au début des années 80, Palme d’Or à … Cannes, forcément Cannes, et qui a bénéficié d’une diffusion internationale. Aujourd’hui, concernant les réalisateurs turcs exportables, le compte reste vite fait : Fatih Akin (expatrié en Allemagne mais qui retourne parfois tourner au pays) et Nuri Bilge Ceylan (expatrié un peu partout mais revenu au pays pour tourner).

Ceylan & Ceylan

Ceylan, il est venu au cinéma un peu par hasard, il était beaucoup plus bibliothèques que salles obscures. Même s’il avoue avoir été fortement impressionné dans sa jeunesse par « L’Avventura » et « La Notte » d’Antonioni, et « Le silence » de Bergman. Il a vécu de petits boulots à l’étranger (barman à Londres), et suivi un parcours universitaire aux States, section photographie. Son rêve, c’était d’être embauché par National Geographic (le magazine, la chaîne TV dérivée n’existait pas encore). Sauf que la réalité le rattrape, sous la forme d’un appel à effectuer son service militaire en Turquie (parenthèse, dans une discussion avec Laure Adler de 2006 en bonus du Dvd, Ceylan estime avoir des devoirs – dont le service militaire – envers son pays, mais reste très elliptique, pour ne pas dire muet, sur la situation politique turque de l’époque ; actuellement, il ne porte visiblement pas Erdogan dans son cœur, fin de la parenthèse). Il revient au pays et là s’inscrit à la fac de cinéma d’Istanbul.

Tout ça a laissé des traces, notamment ses études en photographie. Les images de films de Ceylan sont somptueuses, ce qui prouve qu’il y a de superbes paysages en Turquie, que Ceylan sait les trouver, et surtout les mettre en valeur par un sens aigu du cadrage. On passe de superbes panoramiques à de très gros plans sur les acteurs. Ceci étant, le cinéma turc n’a pas les moyens d’Hollywood. Ceylan, peu connu à l’époque, n’échappe pas aux contraintes financières. « Les climats » est fait avec les moyens du bord, tout est fait avec le cercle des amis et le cercle familial. Ceylan joue le personnage principal, sa femme Ebru a le premier rôle féminin (mais elle était déjà actrice), ses parents ont même droit à une scène avec lui, dans leur propre rôle …


Ne surtout pas déduire qu’on a un machin genre potes de lycée à qui on a filé une caméra et qui présentent leur film à la classe à la fin de l’année. « Les climats », c’est un gros travail sur l’image, mais pas que. Le son est également exploité d’une manière peu conventionnelle, pour pallier de longues séquences sans dialogues. Ceylan a horreur du silence, tous les sons sont généralement suramplifiés (exemple le plus frappant, les cigarettes quand on tire une bouffée, mais pas seulement, aussi les bruits extérieurs comme les oiseaux, les insectes, le vent, la mer, les objets qu’on utilise …). Et puis, alors qu’on croirait que la proximité familiale ou amicale du casting aiderait à la spontanéité, sans cesse sur le métier les scènes sont remises. Exemple assez édifiant, après « l’accident » de scooter, une voiture s’arrête, le conducteur en descend pour porter assistance (il va se faire méchamment rabrouer). Ça dure dix secondes à l’écran, plusieurs « acteurs » ont été testés, avec plusieurs dialogues et plusieurs réactions. Mais, roulements de tambours, j’ai vu un pain : vers la fin, la scène est située au petit matin dans une chambre d’hôtel, le jour se lève, mais sur une montre on peut voir qu’elle indique quatre heures vingt-cinq, c’est le problème des gros plans quand on a pas de budget pour les retouches numériques derrière …

« Les climats » est un film taiseux. Comme à peu près tous les films de Ceylan que je connais … sauf qu’ici ça s’y prête encore plus. Le film raconte l’histoire d’un couple, Isa et Bahar (Ceylan et sa femme) qui part en vrille. Il est bien plus âgé, intellectuel (universitaire en archéologie), elle est jeune et dans l’artistique (scénariste). Il est calme, égoïste, un brin machiste et paternaliste, elle est beaucoup plus spontanée et « vivante ». On les voit déjà loin l’un de l’autre alors qu’ils visitent, pour son boulot à lui, les ruines de la cité de Kaz, dix minutes sans un mot, puis une engueulade pour des futilités lors d’une soirée chez des amis, le lendemain, elle lui masque les yeux alors qu’ils se baladent en scooter d’où gamelle et chacun se démerde de son côté et une séparation prononcée lors de trois magnifiques scènes à la plage (une rêvée, une ou ils se séparent physiquement - elle va se baigner, il reste sur le sable -  et la dernière où la séparation est prononcée et actée en paroles). Cette première partie se passe en été.

Une seconde partie se passe en automne. On suit Isa de retour à sa fac à Istanbul, avec son pote enseignant comme lui, ses parents, et puis une ex qu’il retrouve, d’abord dans une librairie avec son mec, puis seule chez elle, pour une longue scène controversée. Ceux qui avaient oublié leurs lunettes ont parlé de viol, sauf qu’elle l’aperçoit en rentrant chez elle, reste pensive et souriante, lui ouvre ensuite la porte sans problème, et fait semblant de résister lorsqu’il devient entreprenant … on dira qu’elle aime bien  les rapports physiques musclés … et d’ailleurs, c’est elle qui le recontacte et l’allume ensuite … escapade amoureuse sans lendemain, un ‘tit coup en passant pendant que le mari est en déplacement … ce qui fait que notre Isa se retrouve seul, ce qu’il n’aime pas …


Troisième partie, en hiver. Isa a facilement retrouvé la trace de Bahar qui bosse sur un film dans les neiges de l’Anatolie. Prétexte professionnel futile (y’a un tas de cailloux en ruines à côté, c’est pour son boulot), il va essayer de recoller les morceaux avec son ex … Valse-hésitation entre les deux, conclue par une dernière scène magnifique …

Bon, « Les climats » a les qualités de ses défauts, et inversement … ces personnages mutiques ne dégagent aucune sympathie, ni même empathie. Le rythme est lent comme un cortège funèbre, contemplatif, méditatif. En clair, ça manque de vie pour être prenant. Mais c’est bien filmé, bien interprété, un gros travail sur le son et l’image réussis … ce qui fait pencher la balance du bon côté, c’est que la durée du film reste dans le domaine syndical, à peine un peu plus d’une heure et demie …

Les derniers films de Ceylan, les célébrés « Winter sleep » et « Le poirier sauvage » flirtent voire dépassent les trois heures, sont esthétiquement magnifiques mais aussi plutôt chiants, et il y a évidemment nettement moins d’action que dans un épisode des Avengers …

Alors peut-être que « Les climats » est une bonne porte d’entrée pour aborder l’œuvre de Ceylan …