Rois et Reine ...
Et s’il ne devait en rester qu’un des disques des Smiths, ce serait celui-là. Loin, très loin au-dessus des autres, n’en déplaise au fan-club (ou aux Inrocks, ce qui revient au même). Et pourtant, quand il sort, ce « The Queen is dead », troisième disque du groupe, les Smiths n’ont déjà plus rien à prouver. Et il n’y a même pas deux ans et demi qu’ils ont fait paraître leur inaugural album éponyme.
Entre-temps, ils sont devenus une institution en
Angleterre, dernière sensation de rock indé à guitares. Dans un paysage musical
gangréné par de la pop à synthés, ils s’obstinent dans une formule
guitare-basse-batterie-chant … Bien aidés pour atteindre les sommets par les
machins de plus en plus pompiers que publient les acclamés une paire d’années
plus tôt U2 et Simple Minds (de toutes façons disqualifiés pour le titre de
meilleur groupe anglais, les premiers sont Irish et les seconds Scottish). Tous
les magazines musicaux anglais vouent une vénération aux Smiths. Faut dire que
les Anglais aiment bien le rock, surtout quand c’est eux qui le font. Et donc,
plus les groupes forcent sur le « so british », plus le public local leur
fait un triomphe. Après les Jam et en attendant Oasis, c’est l’heure des Smiths
… même Londres, pourtant souvent jalouse et aimant afficher une supériorité
arrogante vis-à-vis des ploucs provinciaux, s’entiche de ces Mancuniens. Ailleurs
dans le monde, que dalle, au mieux un succès d’estime… Un peu normal, les
Smiths ne sont pas les Beatles, et ne cultivent pas l’universalisme musical.
Et ne changent rien avec « The Queen is dead ». Qui débute par le morceau éponyme, rengaine uchronique (et un des plus longs titres enregistrés par les Smiths, plus de six minutes) se moquant du grand dadais de Charles, appelé à régner maintenant que sa mère est morte. Caustique et moins direct que le « God save the Queen » des Pistols, mais pas moins malin. On reste au second degré (un Anglais digne de ce nom ne doit pas s’attaquer de quelque façon que ce soit à la Couronne). Ce ne sera pas toujours le cas. Morrissey deux ans plus tard sur son premier disque solo chantera un peu équivoque « Margaret on the guillotine » (vous me direz, Thatcher était pas Reine …).
Morrissey & Marr |
Fidèles à leur réputation friendly gay, les Smiths
mettent un beau mâle sur la pochette (Alain Delon, photo tirée du peu connu film
« L’insoumis » d’Alain Cavalier), et reconduisent une méthode gagnante.
Marr compose toutes les musiques, Morrissey tous les textes, Stephen Street est
à la console (même si cette fois-ci Marr et Morrissey co-produisent avec lui).
Les progrès viennent d’une qualité mélodique supérieure, sans titres de remplissage
un peu bâclés, d’un chant tout en micro-nuances de Morrissey (finies les
pénibles montées dans les aigus), et d’un Johnny Marr qui se lâche à la
guitare. Sans foutre les Marshall sur onze, sans se perdre dans des solos
pentatoniques à rallonge (d’autant plus que les Smiths ont très peu à voir avec
les gammes bluesy) « The queen is dead » est le disque qui permet de
comprendre pourquoi ce type discret et taiseux est considéré comme le meilleur
guitariste des années 80 ;
Et il contraste avec l’exubérance de Morrissey au
niveau des textes, qui prend un malin plaisir à cultiver une sorte
d’impressionnisme loufoque (la mélodie la plus enjouée, celle de
« Cemetary Gates », est une visite des pierres tombales des grands
poètes romantiques anglais, Wilde, Yeats, Keats). Le gars est capable d’hommages
littéraires, mais ne dédaigne pas le nonsensique complet (« Frankly Mr
Shankly » et sa mélodie sautillante, l’exubérant « Somme girls are
bigger than others »). Comme souvent, Morrissey est là où on ne l’attend
pas, Marr a plusieurs fois évoqué sa surprise de le voir écrire des paroles légères
sur des rythmes tristes et inversement, de mettre les refrains sur ce qu’il
avait composé comme couplets, … ce sont ces contrastes surprenants qui participent
aussi au charme des Smiths …
Mais point n’est besoin d’une licence de musicologie ou d’une maîtrise parfaite de la poésie de la langue anglaise pour apprécier ce disque. Il y a des choses d’une évidence immédiate. « I know it’s over » par exemple, la ballade sixties revisitée façon crooner avec un Morrissey sur les traces vocales de Sinatra. Quand on sait combien se sont vautrés dans le pathos ou la grandiloquence dans ce genre d’exercice, on apprécie d’autant plus ici le résultat.
Les Smiths, comme les plus grands sont aussi un
groupe à singles. Pas forcément présents sur les albums, même si ici on a trois
qui ont bien marché dans les charts : « Bigmouth strikes again »,
le meilleur selon moi avec un grandiose Johnny Marr, « There is a light
that never goes out », et son riff présentant des similitudes troublantes
avec celui de « There she goes again » du Velvet Underground, et « The
boy with the thorn on his side », un peu surchargé à mon goût, sur la
thématique de la jalousie passionnelle meurtrière. Je lui préfère le loufoque,
enjoué et moqueur « Vicar in a tutu ». Et s’il faut trouver un
maillon faible à cette rondelle, ce sera « Never had no one ever »
(un peu trop) tourbillonnant et (un peu trop) lyrique …
« The
Queen is dead » sera l’apogée des Smiths. Un autre disque suivra qui sent l’épuisement du
filon (« Strangeways, here we come »), Marr aura envie d’explorer d’autres
horizons musicaux, Morrissey (ancien président du fan-club anglais des New York
Dolls) voudra mettre un peu de paillettes glam dans ses chansons, et la section
rythmique Rourke et Joyce en aura assez de jouer les faire-valoir anonymes des
deux stars qui se partagent l’écriture …
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