Affichage des articles dont le libellé est Polar. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Polar. Afficher tous les articles

JOHN BOORMAN - LE POINT DE NON-RETOUR (1967)

 

Tout commence et tout finit à Alcatraz ...

« Le point de non-retour » (« Point Blank » en V.O.) est le second film de John Boorman. Avec derrière la MGM. Ce qui est quand même un assez remarquable coup de bol. Parce que son premier film était plus ou moins une commande publicitaire sur l’oublié groupe anglais du Dave Clark Five (rivaux des Beatles pendant bien trois jours). Bon, les types de la MGM sont pas des misanthropes, ça se saurait. Ils ont un script, un budget (pas colossal), et l’acteur principal, Lee Marvin.

Boorman & Marvin

Lee Marvin est une « gueule » du cinéma américain, roi des seconds rôles de méchants, voire pire (la sadique défiguration au café bouillant dans « The big heat »), avant la consécration, toujours dans un registre « musclé » dans « Les douze salopards ». C’est sur le tournage de ce dernier que lui et Boorman se rencontrent, et Marvin va aider l’Anglais à peaufiner le scénario et à imposer Angie Dickinson comme premier rôle féminin.

Comme souvent (toujours ?) chez Boorman, le résultat est assez comment dire … décousu (picole ? drogues ? les deux ?). Mais force est de reconnaître que le gars qui n’a même pas trente cinq ans n’a pas froid aux yeux. Certains plans dénotent une originalité certaine (une contre-plongée à travers une grille, bien joué), le montage est vif, même si parfois brouillon (mais c’est fait exprès, témoin les deux flashbacks entremêlés du début, on change d’histoire toutes les dix secondes). Meilleure scène : une baston sauvage dans la pénombre des coulisses d’un club, pendant que sur scène un groupe balance du heavy-psyché-soul (?).Boorman l’a reconnu plus tard, il voulait filmer Lee Marvin à la manière d’un peintre filmant son modèle, ce qui fait que l’histoire est parfois confuse (dans la grande tradition des films noirs des années quarante et cinquante), et tous les autres rôles sous-employés. Même si ça fait parfois un peu trop démonstratif, genre « t’as vu les images que je peux amener sur l’écran », Boorman se montre brillant caméra au poing, et son sens de la mise en scène éclipse souvent l’histoire et ses acteurs.


Lee Marvin est Walker (pas de prénom, on sait pas si c’est son nom ou un surnom). Petit délinquant branché par un pote sur un gros coup, braquer une transaction de dope pour récupérer le pognon. Mais tout dérape. Il devait pas y avoir de violence, mais le pote allume (« neutralise » comme dirait Gégé Darmanin) deux types. Ensuite du pognon, y’en a moins que prévu. Et pour couronner le tout, le « copain » tire sur Walker, le laisse pour mort, et se casse avec le pognon et la fiancée de Walker. La meuf, Walker qui n’a rien d’un romantique, s’en fout un peu beaucoup. Par contre, son obsession sera de se venger et de récupérer quatre vingt treize mille dollars, sa part du butin.

Le braquage s’est passé dans la cour de la prison d’Alcatraz. Alcatraz (The Rock dans la langue de Dos Passos), est un mythe de la culture policière américaine. Sur ce caillou de la baie de San Francisco, a été construit et mis en service au début des années 30 un centre pénitentiaire d’où l’on ne s’évadait pas (certains ont essayé, mais les eaux glaciales de la Baie ont fait qu’ils n’ont jamais atteint la terre ferme), et qui recevait les prisonniers les plus « compliqués » (grands mafieux, serial killers, ce genre). La prison sera désaffectée en 1963, et les bâtiments laissés à l’abandon. « Point Blank » sera le premier film qui y sera (en partie) tourné avant que Clint Eastwood s’en évade et que Sean Connery y reprenne (sans le dire évidemment) son rôle de James Bond (« Rock » avec Nicolas Cage et Ed Harris). A noter que pour « Point Blank », la MGM a beaucoup communiqué, invitant des équipes de télé sur le tournage, et organisant une séance de shooting de mode pour les deux rôles féminins principaux (Dickinson et l’oubliée Sharon Acker) qui dans le film ne mettent pas les pieds sur l’île (Dickinson) ou n'y ont qu’une courte scène (Acker).

Bon, revenons à Walker-Marvin. Laissé pour mort dans une cellule, il regagne San Francisco à la nage, et quelques mois plus tard, on le retrouve sur la trace de son ex (et donc de son pote ripou) à Los Angeles. Il trouve d’abord la femme (Sharon Acker) qui se suicide illico aux barbituriques, et avec l’aide d’un mystérieux indic toujours là au bon moment, se lance à la recherche du pognon et de son ex-pote. Il sera aussi aidé par sa belle-sœur (Angie Dickinson) et s’apercevra vite que son pote n’était qu’un sous-fifre d’une vaste bande de voyous (certains en col blanc), l’Organisation. Méthodiquement, Walker remontera sa hiérarchie, entassant derrière lui les cadavres et toujours dans l’espoir que quelqu’un va lui refiler son pactole. L’épilogue, avec le chef suprême de l’Organisation, aura lieu lui aussi dans la cour de la prison d’Alcatraz.

Angie Dickinson & Lee Marvin

Walker, qui n’est pas vraiment un « bon », est confronté à une galerie de personnages plus retors ou violents les uns que les autres (gros bras, snipers, …, sans compter le triumvirat hiérarchisé des chefs), peine à se laisser séduire par Angie Dickinson (faut le faire, en plus elle est vraiment de son côté), mais est toujours prêt à l’affrontement violent. Le film est concis, ramassé (moins d’une heure et demie), on a parfois du mal à suivre, il y a quelques incohérences (plus les types sont haut placés dans l’Organisation, moins ils sont gardés et protégés, par contre son ancien pote est constamment entouré par une bonne demi-douzaine de gardes du corps – flingueurs).

« Point Blank », au final, c’est quelque part entre la série B et le classique. Lee Marvin (c’était le but du jeu) crève l’écran, et tant son personnage que le film se révèlent être cousins de « Get Carter » (avec le toujours excellent Michael Caine), de quasiment toute la filmo de Bronson, et de quelques-uns de celle de Clint Eastwood.


JEAN-FRANCOIS RICHET - MESRINE L'INSTINCT DE MORT (2008)

 

Ascenseur pour l'échafaud ...

Bon, il a pas fini sur l’échafaud, Mesrine (puisque « L’instinct de mort » est le premier d’un diptyque de films biographiques qui lui sont consacrés), mais il aurait pu, pour peu que les cowboys du commissaire Broussard aient tenté de l’arrêter au lieu de le cribler de balles Porte de Clignancourt. Mais c’est une autre histoire et un autre débat … un autre jour peut-être, si j’en viens à causer de « L’ennemi public n°1 » la suite (et fin) de « L’instinct de mort ».

Cassel, Richet & Cécile de France

Quand « L’instinct de mort » est mis en chantier vers la fin de la première décennie des années 2000, il y a presque trente ans que Mesrine est mort, et que ses (mé)faits font figure de babioles face à des pervers serial killers (les Heaulme, Fourniret, Louis, …), ou les futurs djihadistes à kalach … Il n’empêche que surtout durant les 70’s, le Jacquot Mesrine à défrayé la chronique, et pas qu’une fois … Roi du braquage, de l’évasion, de la com, mettant en scène sa propre histoire et légende …

L’histoire de Mesrine transposée sur grand écran, c’est l’affaire de deux hommes (quoique, on y reviendra), Jean-François Richet et Vincent Cassel. Le premier est un banlieusard militant, le self made man venu des cités, le second est un fils de ... venu des beaux quartiers et qui se la surjoue rebelle (sa fascination moultes fois étalée pour le gangsta-rap et les délinquants d’une façon générale). Alors quand le premier est venu trouver le second pour lui proposer le rôle de Mesrine, pensez si le fils de Jean-Pierre Cassel a été d’accord. L’occasion de jouer un dur autrement plus consistant et célèbre que le Vince de « La haine ». Et on sent le metteur en scène et l’acteur principal fascinés par le truand le plus célèbre de son époque. Et Cassel va y aller à fond, dans une performance digne de l’Actor’s Studio genre De Niro dans « Raging Bull ». Cassel prendra au long du tournage une vingtaine de kilos pour suivre les transformations physiques de son personnage.

Le scénario pour tourner un biopic de Mesrine, c’est pas mission impossible pour l’écrire. La documentation ne manque pas, que ce soit l’autobiographie de Mesrine (« L’instinct de mort »), et tous les entretiens qu’il a donnés à la presse dans les 70’s. Richet choisit la chronologie (sauf pendant le générique de début, qui en split screen, nous montre l’embuscade finale en 1979), procédant par bonds dans le temps, des incrustations sur l'image situant la date et le pays.

Depardieu, Cassel & Lellouche

Toute sa vie, Mesrine a été un solitaire, mais qui cherchait la compagnie, des femmes, mais aussi ponctuellement ou pour quelques mois d’autres truands avec lesquels il sévissait, au hasard de rencontres, notamment en prison où il a passé pas mal de temps. On commence donc avec la violence des tortures et des assassinats lors de la guerre d’Algérie où il était bidasse, avant la démobilisation et le retour chez papa-maman. La maison familiale est juste un point d’ancrage, car un de ses vieux copains (joué par Gilles Lellouche, son personnage est quasiment le seul inventé pour les besoins du film), le met en relation et l’intègre aux hommes de main et à tout-faire d’un caïd de la mafia parisienne membre de l’OAS, Guido. Ce dernier est joué par un Depardieu pour une fois tout en retenue, alors que son personnage pourrait donner lieu au jeu outré et expressif dont il est coutumier. Depardieu, Lellouche, les parents Mesrine (Michel Duchaussoy et Myriam Boyer), ses premières maîtresses, sa première femme, sa compagne braqueuse (Cécile de France à contre-emploi, brune en cuir et darkshades), ne sont là que pour quelques scènes. Cassel, lui, est quasiment toujours à l’image. Certainement le rôle de sa vie, sa fascination pour la truandaille (comme avant lui Melville et Delon) trouve un exutoire en la personne de l’exubérant Mesrine.

Cassel, que j’apprécie pas particulièrement, joue juste, rendant bien la faconde et la démesure violente et égomaniaque du personnage. Mesrine n’était pas le Robin des Bois moderne que certains ont cru (ou voulaient) voir en lui (et lui-même a toujours démenti cette image d’Epinal). Mesrine prenait du fric aux riches (les grosses entreprises, les banques, les casinos, les milliardaires qu’il kidnappait, …), mais ne le refilait pas aux pauvres, il le claquait en babioles pour ses femmes et/ou maîtresses, flambait (et perdait gros) aux tables de poker, et finançait son quotidien (vivre caché entouré d’un luxe de précautions quand toute la flicaille de France essaye de te serrer coûte cher).

Il y a quand même un problème avec « L’instinct de mort ». Pour moi, il s’appelle Richet. Le gars (qui a pourtant réussi comme d’autres expatriés européens avec de gros budgets aux States) assure tout juste. Le making-of du film est révélateur. Le metteur en scène, c’est Cassel, qui suggère, propose (ou plutôt impose), remanie parfois le script, place les caméras, les autres acteurs. Problème, Cassel n’est pas un réalisateur, et Richet, on l’aperçoit tout juste assis dans un coin, observant et écoutant son acteur principal diriger le tournage. Encore plus flagrant quand Depardieu et Cassel ont des scènes ensemble, Richet disparaît totalement de la circulation, attendant que les deux aient arrangé les scènes … Richet filme sobrement, et parfois trop sobrement. Son montage est très académique. Et quand il s’essaye à une « fantaisie » (dont il semble très fier), un effet tournoyant de caméra quand Cassel-Mesrine est enfermé au cachot dans un QHS de prison canadienne, ça dénote totalement avec le reste des prises de vue. Problématiques aussi, les scènes de gunfights. Outre une paire de ralentis accélérés sur les balles de revolver à la « Matrix » dispensables, il manque cruellement de rythme. On est loin des gunfights de Michael Mann dans « Heat » ou de la folie furieuse de Ridley Scott dans « La chute du Faucon Noir ». Flagrant notamment lors de l’attaque par Mesrine et son complice québécois de la prison où ils ont été enfermés et où ils reviennent après s’être évadés pour libérer les autres détenus. Plus gros foirage à mon sens, le face à face de Mesrine et son pote avec les gardes-chasse canadiens, qui manque singulièrement de tension, alors que c’est la dernière scène du film.

M. et Mme Mesrine

Il me semble que Richet a été dépassé par l’enjeu (et le budget conséquent de 45 millions pour le diptyque). Il a eu les moyens (tournage en France, en Espagne, au Canada, et même à Monument Valley alors que Mesrine n’a jamais foutu les pieds en Utah, il a été arrêté avant d’y arriver en Arizona). A son crédit, il a bien rendu la violence (souvent générée par lui-même) dans laquelle baignait Mesrine.

Conclusion, « L’instinct de mort » est un bon film, quand même en dessous de ce qu’aurait pu donner la démesure du personnage hors norme (quoi qu’on pense de lui) dont il raconte les premiers faits d’armes. Le second volet (« L’ennemi public n° 1 ») c’est encore plus un one-man show de Cassel … après, verre à moitié vide ou à moitié plein, chacun est libre de choisir son camp …


OTTO PREMINGER - AUTOPSIE D'UN MEURTRE (1959)


« Les dessous chics …

C’est ne rien dévoiler du tout, se dire que lorsqu’on est à bout, c’est tabou » (premier couplet de « Les dessous chics », paroles et musiques Serge Gainsbourg, sur l’album « Babe alone in Babylone » de Jane Birkin). Bon, la chanson de l’habitant de la rue de Verneuil n’avait rien à voir avec « Autopsie d’un meurtre », mais elle aurait pu …

Parce que les dessous chics de Laura Manion, lorsqu’ils vont apparaître dans le prétoire de la salle d’audience, vont avoir un rôle déterminant pour l’issue du procès.

On rembobine …

Otto Preminger

Un type à l’apparence cool, arrive de la pêche au volant d’un cabriolet un peu cabossé dans un petit bled. C’est Paul Biegler (joué par le toujours au minimum excellent James Stewart, et ici il est grandiose), ancien procureur, maintenant avocat sans conviction et sans clients. Il est célibataire, et son truc, c’est donc la pêche à la ligne (son frigo est rempli, mais vraiment rempli, de truites), jouer du piano, et boire quelques verres en compagnie de son vieux pote McCarthy (Arthur O’Connell, star des seconds rôles), avocat comme lui et n’ayant pas traité la moindre affaire depuis une éternité, ce dont il se console en étant bourré du matin au soir. Pour mettre un peu d’ordre dans le frigo, materner les deux potes alcoolisés et j’menfoutistes, et accessoirement répondre au téléphone du bureau si par hasard il venait à sonner, Maida Rutledge (Eve Arden, elle aussi des dizaines de seconds rôles à son actif).

Et justement, ce jour-là, il a sonné le téléphone. Une femme appelait l’avocat. Rendez-vous est pris immédiatement. Et là se pointe une jeune bimbo allumeuse et aguicheuse, qui trouble et met mal à l’aise Biegler. Elle a une affaire à lui proposer. Elle s’appelle Laura Banion, elle a été tabassée et violée à la sortie d’un bar, et quand son mari militaire s’en est rendu compte, il est allé vider son chargeur sur le quidam, il se retrouve forcément en taule, et de toute évidence au moins pour un bail, sinon la chaise électrique (même au pays de la NRA, faire justice soi-même est plutôt mal vu par les tribunaux). Laura Banion (Lee Remick dans ce qui est sans doute son meilleur rôle, toute en électricité sensuelle) veut que Biegler défende son mari, gagne le procès et le fasse sortir de taule, rien que ça … Comme son dernier client vient de quitter la ville en oubliant de le payer, Biegler accepte l’affaire bien qu’il la considère comme perdue d’avance.

Stewart & Remick

Les rencontres avec le mari embastillé (Ben Gazzara dans un de ses premiers rôles) ne laissent pas présager d’une excellente collaboration. Le bidasse est plutôt soupe au lait, et faut pas compter qu’il fasse profil bas. Quant à sa femme, comme si de rien n’était, elle continue d’aguicher tous les mâles dans les clubs. Biegler s’en aperçoit alors qu’il est allé taper le bœuf avec le pianiste de l’orchestre (Duke Ellington, à l’écran pour une courte scène, mais surtout compositeur de la B.O.). Mais enfin, avec l’aide de son staff (son vieux pote et sa secrétaire), Biegler va tenter le coup.

A ce moment-là, on en est à un peu moins d’une heure de film. L’heure et demie qui suit va se passer quasi exclusivement dans la salle de tribunal. Biegler devra démontrer le viol, perpétré par le gérant du bar (dont le serveur et une énigmatique gérante ne sont à priori pas là pour l’aider), et plaider le crime passionnel sous l’emprise d’une démence passagère (« impulsion irrésistible » ils disent dans le film) pour obtenir la non-culpabilité de son client. Tout en étant face à un vieux juge à qui on ne la fait pas, et à l’accusation, représentée par le procureur qui lui a succédé, assisté d’un jeune avocat déjà très renommé (un des premiers rôles de George C Scott, qui une dizaine d’années plus tard défraiera la chronique du tout-Hollywood en refusant l’Oscar qui lui a été décerné pour son rôle dans « Patton »).

« Autopsie d’un meurtre » est tiré d’un best-seller du même nom sorti l’année d’avant. Son auteur, sous le pseudo Robert Traver, est John D. Voelker, avocat passionné de pêche, et le bouquin est inspiré d’une affaire qu’il a réellement plaidée.  Etrange boucle …

Scott, le juge & Gazzara

Derrière la caméra, un atypique, Otto Preminger. Le gars a commencé comme acteur et metteur en scène de théâtre en Autriche, a fui la montée du nazisme (il considère que la mentalité viennoise en est le terreau intellectuel et idéologique), a commencé comme « employé » de Darryl Zanuck à la Fox, avant d’envoyer bouler les majors et de devenir le propre producteur de ses films. Si les thématiques de son œuvre apparaissent aujourd’hui banales, à leur sortie ses films ont divisé et souvent choqué le milieu du cinéma, « L’homme au bras d’or » sur la drogue, « Bonjour tristesse » adaptation du premier roman jugé scandaleux de Françoise Sagan, « Carmen Jones », relecture du Carmen de Bizet avec des acteurs Noirs, « Sainte Jeanne », sur la résurrection de Jeanne d’Arc, … Preminger est un directeur d’acteurs … euh, on dira très dur, sa technique de l’image est parfaite (référence majeure de Tavernier), c’est un dandy toujours tiré à quatre épingles, ne se déparant que très rarement du costard-cravate, et grand amateur d’art et de culture française (le type a plusieurs Picasso).

« Autopsie … » est un film rigoureux. Les sujets qui y sont abordés, le viol, le meurtre, la psychologie et la démence étaient jusque là bannis au cinéma (le fameux code réactionnaire Hayes), ou au mieux traités de la façon la plus elliptique possible. Dans « Autopsie … », on parle de spermatogenèse, d’acte sexuel accompli, de culottes déchirées, dans des scènes où les arguments sont développés. Preminger s’est entouré de médecins, de psychiatres, pour présenter à l’écran des discussions et interrogatoires scientifiquement crédibles. Un soin encore supérieur a été accordé à la partie purement judicaire (le procureur est un vrai juriste et le juge un vrai juge de l’Etat du Michigan, où se déroule l’action et où a été tourné le film).

Stewart, Ellington & Remick

Preminger n’ayant pas vraiment la réputation d’un joyeux boute-en-train, on pourrait s’attendre à quelque chose d’hyper pointu, hyper technique, hyper sérieux dans les thèmes abordés et le jeu des acteurs tant la trame du scénario n’incite pas à la franche rigolade. Bon, on n’est pas chez les Tuche, mais ces deux heures et demie, sans être légères, offrent des respirations bienvenues, et nombre de scènes et de situations drôles (Lee Remick est too much en allumeuse sexy, et son clébard boit de la bière avant de s’endormir), même au tribunal (le savant jeu de positionnement de Scott qui veut empêcher Gazzara et Stewart d’échanger des regards, et la désopilante gymnastique de ce dernier qui en découle).

Une fois qu’on est rodé au difficile ballet de la procédure judicaire américaine (comment, vous avez jamais vu « 12 hommes en colère » ?), on se passionne pour l’intrigue, qui est, comme le chef-d’œuvre de Lumet, un polar à l’envers, parce que l’on reconstitue l’affaire par les témoins et les propos des avocats, et petit à petit, on déroule l’écheveau de la tragique soirée. Bizarrement, et c’est assez surprenant parce qu’on n’en était pas à dix minutes près, le film fait l’impasse sur les plaidoiries de Biegler et de la partie civile, ce qui nous prive de ce qui aurait sans nul douté été un grand numéro de Stewart.

Stewart qui au titre d’acteur sera une des sept nominations du film pour les Oscars. Le film n’en obtiendra aucun, surprenant au vu de sa qualité, pas tant que ça si on repositionne ses thématiques dans la fin des années 50 américaines, trop de sujets jusque là tabous étant abordés de façon frontale. Je sais pas si dans la vénérable académie, il existe une catégorie dédiée au générique, en tout cas mention particulière à celui de « Autopsie … », signé comme souvent chez Preminger par Saul Bass, animation basée sur la déstructuration tant des formes que du lettrage, le tout accompagné par un thème de Duke Ellington.

Novateur voire avant-gardiste par ses thématiques lors de sa sortie, « Autopsie d’un meurtre » est aujourd’hui à juste titre considéré comme un immense classique …


JONATHAN DEMME - LE SILENCE DES AGNEAUX (1991)

 

Deux en un ...

Jonathan Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé « Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer, « Le silence des agneaux ».

Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992

« Le silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris, centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et serial killer cannibale.

Le film se resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …

Et pour le même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling – Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des deux histoires.

Clarice de l'autre côté du miroir ...

Jodie Foster (Clarice Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver », et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés au seconds rôles …

Ce qui impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève, tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue avec lui …

La jeune stagiaire est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence », lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice, grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues du FBI sont sur une fausse piste …

David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...

Starling, comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sens  du terme. Hopkins est magistral dans le rôle de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran. Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).

Même Jonathan Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie …

On a rarement l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux qui le visionnent pour la première fois …

SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


NORMAN JEWISON - DANS LA CHALEUR DE LA NUIT (1967)

 

Pour la (couleur de) peau d'un flic ...

Un film qui commence par une chanson de Ray Charles (« In the heat of the night », comment, vous aviez deviné ?) pendant que défile le générique ne peut être foncièrement mauvais. Mais pendant le générique, y’a pas que du son. On voit un panneau qui indique qu’on est à Sparta (au fin fond du fond du Sud, du Mississippi en l’occurrence, assez près de la frontière de l’Arkansas). Le bled existe bel et bien, mais apparemment les scénaristes sont fâchés avec la géographie, parce qu’à moment donné y’a un type à pied qui essaye de rejoindre l’Arkansas en traversant un pont, sauf que la frontière de l’Arkansas est à au moins deux cents bornes de Sparta que le type vient de quitter avec des chiens policiers au cul … Ouais, je sais c’est mesquin … bon, on reprend au générique …

Derrière la caméra, Norman Jewison

Donc, un mec costard, souliers vernis et valise classe, cadré à partir du nombril descend du train en pleine nuit à la gare de Sparta. On voit sa main et on sait qu’il est Noir … Seconde scène. Un flic du cru, Sam Wood (joué par Warren Oates) achève de bouffer dans un diner miteux tenu par un patron qui semble un tantinet demeuré. Le flic commence ensuite sa patrouille, que l’on sent réglée comme du papier à musique. Un petit arrêt voyeur devant une maison dans laquelle une jeunette cuisine et se balade à poil … Ce qui nous vaut le même cadrage de la donzelle que celui de Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », c’est le bas et le cadre de la fenêtre qui cachent ce qu’à l’époque il convenait de ne pas montrer (personne n’a copié personne, la première des deux films a eu lieu à une semaine d’intervalle). Le pandore poursuit sa patrouille et à un croisement, tombe sur un macchabée étiré au milieu du bitume …

Et pas n’importe quel macchabée, c’est le type le plus riche du bled, qui avait le projet de construire une usine. Il est mort d’un coup à la tête, et on lui a piqué le pognon qu’il avait dans son portefeuille. Branle-bas de combat au poste de police, dirigé par Bill Gillepsie (remarquable Rod Steiger, massif, bourru, bas du front, et un Oscar à la clé) qui donne l’ordre de surveiller les sorties de la ville, dont la gare. C’est là que Sam Wood arrête le type qu’on a vu descendre du train à la première scène et qui attend sa correspondance. C’est le coupable idéal, il est Noir, et a plein de fric dans son larfeuille …

Poitier & Steiger

On comprend de suite que « Dans la chaleur de la nuit » coche la case polar et la case raciale, voire raciste. Hasard heureux, le film sort à peu près en même temps qu’éclatent des émeutes raciales aux States, et notamment à Chicago. « Dans la chaleur de la nuit » n’est pas un film militant pour autant. Derrière la caméra, le Canadien Norman Jewison, honnête second couteau de la réalisation (il a déjà à son actif « Le Kid de Cincinnati », et plus tard quelques succès grand public comme « L’affaire Thomas Crown », « Rollerball » ou « Eclair de lune ») et pas vraiment « engagé » … Celui qui est engagé par contre, c’est Sidney Poitier qui joue le rôle du Noir. Déjà repéré dans des films « à message » (« La Chaîne / The Defiant Ones » avec Tony Curtis), oscarisé pour l’anodin « Le lys dans les champs » en 1964, et vu en tête de cortèges militants (Marche pour l’emploi et la liberté).

Dans « Dans la chaleur de la nuit », il est Virgil Tibbs, et une fois arrêté et confronté à Gillepsie / Steiger, il ne va pas vraiment être le suspect idéal (il est le chef et l’élément le plus brillant de la Brigade des homicides de Philadelphie), et son supérieur par téléphone va lui demander de collaborer avec la police locale et d’élucider le meurtre de Sparta.

Poitier, Oates & Steiger

Dès lors, tout le film va se consacrer à deux choses : l’élucidation du meurtre et les rapports (professionnels et humains) entre Tibbs et Gillepsie. Il y a des choses fort bien vues. La multiplication des suspects idéaux selon qu’ils sont soupçonnés soit par Tibbs soit par Gillepsie. Une scène où après avoir sauvé Tibbs du lynchage par une bande de jeunes rednecks, Gillepsie l’héberge chez lui pour la nuit et où l’on voit que ce type désagréable, hautain (l’art de toiser ses interlocuteurs derrière ses lunettes de soleil aux verres jaunes fumés) et raciste est en fait un solitaire fragile que sa solitude fait souffrir.

Et même si on comprend bien les deux moteurs du film, on a parfois l’impression que Jewison (et par extension ses acteurs principaux) en font trop. Les suspects se multiplient, et quand le véritable assassin est démasqué, c’est le moins crédible du lot avec son histoire d’avortement abracadabrante. De même les « je t’apprécie – je te déteste » qui n’en finissent plus entre les deux flics finissent aussi par lasser. Il manque de l’épaisseur au scénario et l’imbroglio final n’est pas à la hauteur de ce que le film laissait entrevoir …

« Dans la chaleur de la nuit », c’est un bon film. Manque juste quelques petites choses pour que ce soit un grand film (ce qui l’a pas empêché de rafler la statuette en 1967)


WOODY ALLEN - MATCH POINT (2005)

 

Jeu, set et match ... ou match nul ?

Woody Allen est le roi du sous-genre humour juif new-yorkais au cinéma (même si les Marx Brothers peuvent aussi être considérés comme des prétendants plus que sérieux au trône). Et Woody Allen a fait pour moi ses meilleurs films (« Manhattan » et « Annie Hall ») dans la seconde moitié des années 70. Ensuite, même si j’ai pas tout vu (le type tourne un film par an), il me donne l’impression de vivoter sur ses acquis, faisant des films pour son fan-club.

Allen & Johansson

Et puis, sentant peut-être qu’il tournait (dans tous les sens du terme) en rond, Woody Allen a fait autre chose. Là, il voulait faire un film policier. Genre peu souvent abordé par lui (la comédie policière potable « Meurtre mystérieux à Manhattan » est le seul qui me vient à l’esprit). Ses habituels producteurs ne l’entendaient pas de cette oreille, et n’ont pas mis tout le pognon qu’il voulait sur la table. La figure emblématique du cinéma new-yorkais s’est tourné vers les Anglais (la BBC a sorti le chéquier) et les banques luxembourgeoises, est parti en repérages pour Londres et a modifié son script. Dont certains esprits (forcément mauvais) ont trouvé des similitudes troublantes avec le chef-d’œuvre de Stevens, « Une place au soleil », ce qui ne me semble pas une hypothèse saugrenue.

Alors, oui, « Match Point » est un polar. Dans sa dernière partie. Parce que jusque-là, Allen prépare le spectateur à ce qui va arriver dans le dernier tiers du film. Il étudie ses personnages comme un entomologistes ses papillons, nous les montre évoluer dans leur cadre de vie. Et on se retrouve avec deux films pour le prix d’un … Mais de quelque façon qu’on l’envisage, il en manque dans chaque partie.

Bizarrement, les personnages apparaissent assez superficiels, et pas seulement à cause du milieu (la haute voire très haute société britannique) dans lequel ils évoluent. Caractères taillés à la serpe, loin des finesses auxquelles Allen nous avait habitués, et revirements et contradictions assez improbables (difficile d’imaginer un type s’improviser serial killer). Pour le côté polar, on repassera aussi. Ce film dont la conclusion (et encore, une conclusion entre chèvre et chou) qui s’appuie sur un détail (un rebond capricieux d’une bague jetée dans la Tamise, qui heurte le parapet et retombe sur la berge), laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, des trous béants dans la raquette de l’enquête policière (le journal intime qui ne révèle pas le mobile ?, l’arme du crime ?, les coups de feu qui ne s’entendent pas ?, le témoin bousculé en sortant qui ne se manifeste pas ?, etc …).

Monsieur & Madame

On dirait avec « Match Point » que Allen marche sur les traces de Hitchcock dans un troublant jeu de miroirs. Le gros Alfred était revenu finir sur la fin de sa carrière dans son pays natal (« Frenzy »), Woody Allen a relancé la sienne en s’expatriant, c’est à partir de « Match Point » qu’il a obtenu ses meilleurs scores commerciaux, avec un film selon moi très hitchcockien. Financement oblige, le casting est essentiellement anglais, à une exception près, et pas la moindre, Scarlett Johansson. Qui a dû jongler entre plusieurs engagements, effectuant plusieurs allers-retours transatlantiques pendant le tournage, quelques fois sans trop dormir et en ayant à encaisser le jet-lag. Et tous les intervenants du film (Allen, le reste du casting) sont formels, elle a été extraordinaire, et ça se voit sur l’écran, qu’elle irradie de sa présence toute en séduction animale et magnétique. Dommage qu’elle n’ait pas le premier rôle. Qui revient à l’assez transparent Jonathan Rhys Meyers (dont Allen compare la prestation dans ce film aux meilleures de Brando, … really, Woody ? t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là …).

Rhys Meyers, c’est dans le film un playboy sportif (tennisman proche du niveau professionnel), qui se fait engager dans un club privé de chicos londoniens comme prof de tennis (d’où le titre du film, et sa première scène, cette balle qui passe par-dessus le filet, et puis quand elle le touche, l’image s’arrête, on sait pas de quel côté elle va retomber, coup de chance ou coup du sort …) grâce à une de ses anciennes connaissances, fils d’un très riche entrepreneur. Il séduit assez facilement sa sœur, pucelle effacée, le mariage est prévu, ainsi qu’un boulot (très) bien payé chez beau-papa. Juste qu’à ce qu’il rencontre la fiancée de son beau-frère, américaine exilée qui rêve d’une carrière d’actrice et court les castings pour essayer (vainement) de décrocher quelque petit rôle dans la perfide Albion. Evidemment, comme en plus la Johansson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pas mal allumeuse, le sportif en tombe amoureux.

Monsieur et sa maîtresse

Ce qui ne l’empêche pas de se marier avec la fifille à papa (et maman, qui n’est intéressante que bien bourrée, ce qui lui arrive tout le temps), et d’entamer une liaison avec celle censée devenir sa belle-sœur. Sauf que les vieux l’entendent pas de cette oreille, leur fils chéri est invité à laisser tomber cette roturière et à épouser une fille digne de son rang. Bizarrement, ce genre de problème ne se pose pas pour Rhys Meyers, le plouc sportif. Qui dès lors va se retrouver coincé entre sa nunuche chicos (qui veut de la progéniture mais n’arrive pas à tomber enceinte) et la Scarlett qui est libre (et qui va se retrouver plus ou moins malgré elle en cloque). C’est ce partage entre deux femmes qui va vers le milieu du film, lancer la partie « policière » de l’affaire. Comment concilier le pognon de beau-papa et l’amour pour l’actrice déclassée sans y laisser des plumes ?

Tout ce qui a précédé est censé nous faire cerner la psychologie des personnages, sauf que tous ces revirements à 180°, et cette double vie improbable ne sont guère crédibles. Les portraits qui se voudraient finement ciselés sont finalement taillés à la hache … on a connu Allen beaucoup plus inspiré de ce côté-là. Et quant à la tragédie meurtrière qui est le tournant du film, ces trois-quarts d’heure-là sont plus près de « Tatort » que de « The Wire », si vous voyez ce que je veux dire …

Reste de belles images (après une bonne trentaine de films, Allen sait tenir une caméra, on est loin des images et des plans foutraques du début des seventies). C’est sobre et classique dans la mise en scène, bien cadré, les décors et les lieux de tournage (le manoir des bourges, la Tate Gallery, …, Allen a eu l’autorisation de tourner partout où il en avait envie) sont somptueux, certaines scènes sont superbes (le premier baiser de Rhys Meyers et Johansson sous une pluie diluvienne), mais rien de palpitant, et suspense pas vraiment haletant …

Comme en plus le Woody a des goûts musicaux sur lesquels j’éviterais de donner un avis de peur de devenir grossier, il laisse tomber le jazz à clarinette pour de l’opéra avec disques vintages en 78 tours en fond sonore (d’où un son mono et les craquements des disques), ce qui n’est pas forcément une bonne idée, même si elle est censée être raccord avec le milieu social des protagonistes …

Le tennis étant un sport où il ne peut pas y avoir de match nul, on dira que Woody Allen a gagné … sans convaincre vraiment …


JAMES GRAY - LA NUIT NOUS APPARTIENT (2007)

 

Because the night ...

… belong to lovers … Tout commence bien dans le film. Par la vision d’un bout de téton d’Eva Mendes en train de se faire peloter par Joaquim Phoenix … Ca donne envie de voir la suite hein, on a connu pire comme première scène. Elle, c’est Amada, bomba latina d’origine portoricaine. Lui, c’est Robert, un gérant d’une boîte de nuit new-yorkaise qui tourne bien. Le proprio, c’est un grand-père russe qui vit peinard au milieu d’une partie de sa famille, et est très sympa avec son gérant …

Mendes, Gray & Phoenix

Robert, il se fait appeler Robert Green. Parce qu’il a un nom de famille difficile à porter. Celui de son père, chef de la police new-yorkaise (impeccable, comme toujours serait-on tenté de dire, Robert Duvall), qui va prendre sa retraite. Son successeur tout désigné est son autre fils, aux états de service irréprochables (Mark Wahlberg). Robert déteste les flics (il tire sur les joints, ne crache pas sur un petit rail de coke), les rapports avec son frangin et son père sont exécrables. La situation ne va pas s’arranger quand ils l’avertissent qu’un Russe, Vadim, client assidu de sa boîte est soupçonné d’être un des plus gros dealers et importateurs de came de New York. Il se trouve que c’est aussi le neveu du vieux proprio … Robert envoie balader père et frère, et refuse de coopérer avec eux, il est très bien avec le proprio, et veut le faire investir dans une autre boîte qu’il gérerait aussi …

Le frangin organise une descente de police dans la boîte, fait interpeller de façon musclée Robert et Vadim contre lequel il ne trouve rien de probant … sauf qu’il faut pas trop chatouiller la mafia russe, le flic prodigue va l’apprendre durement à ses dépens, et se ramasser une balle dans la tête (il s’en sort miraculeusement après des mois d’hosto). Dès lors la situation devient cornélienne pour Robert : renouer les liens familiaux et coopérer avec sa famille de flics, ou laisser courir et même basculer du côté du dealer russe.

Wahlberg & Duvall

Tout ça, c’est en gros la première demi-heure du film. Et c’est un bon début. Parce qu’il y a de sacrés bons acteurs (le quatuor Phoenix, Mendes, Wahlberg, Duvall), et derrière la caméra un type qui tient la route, James Gray. Etrangement sous-estimé aux Etats-Unis, où il est classé plutôt cinéma d’auteur ou indépendant. Il a du mal à trouver des financements, tourne donc peu (un film tous les six-sept ans), bien qu’il réunisse autour de ses projets des acteurs bankables à qui il fait appel régulièrement, créant une sorte de Gray family dont les piliers sont Phoenix et Wahlberg. Et les histoires de famille compliquées seront souvent au cœur de son œuvre.

« La nuit nous appartient » (« We own the night » en V.O.), est le troisième film de Gray, après « The Yards » et « Little Odessa ». C’est son premier succès public notable (hormis comme d’hab aux States) et la critique, un chouia moins enthousiaste que le public, est plutôt bonne…

Gestes barrière COVID ? Non, labo de coke ...

« La nuit nous appartient » n’est pas un mauvais film. C’est pas une masterpiece non plus … trop de choses dans le scénario ne sont guère crédibles, et Gray a un peu trop recours à tous les poncifs du « polar contemporain ». Les poursuites en bagnole, les gunfights, ne sont pas les points forts du film (c’est linéaire et assez prévisible). Le méchant Vadim, hormis dans une scène dans le labo de drogue, qui est censé être un tueur sans scrupule, est plutôt bien naïf et ne fout pas les jetons (on est très très loin d’un Daniel Day-Lewis dans « Gangs of New York », d’un Nicholson dans « Les Infiltrés », d’un Javier Bardem dans « No country for the old man », pour citer trois films assez voisins par le scénario). Ensuite, ce drame familial avec dilemmes, fautes, pardons, rédemptions, n’atteint pas les sommets émotionnels qu’il est censé viser. Malgré les nombreux face-à-face entre les protagonistes principaux, seule une scène de tensions et d’engueulades entre Eva Mendes et Joaquim Phoenix est à la hauteur des combats intérieurs qui agitent les personnages.

« La nuit nous appartient » est quand même un bon polar. Mais qui laisse un peu sur sa faim (le face à face final au milieu de roseaux enfumés est quand même bien foiré). Les meilleures scènes sont finalement celles qui sont tournées en boîte de nuit (de bonnes scènes de foule, des angles de prise de vue intéressants et parfois originaux) et qui bénéficient en plus d’une bande-son irréprochable (Blondie, Clash, Specials, Bowie, … et même une séquence live de Coati Mundi, le clown exubérant et quasi alter ego d’August Darnell dans Kid Creole).

Gray fera par la suite partie du décor du Festival de Cannes, ses films seront toujours bien accueillis (« Two lovers », « The Immigrant », « The lost city of Z », « Ad Astra »), mais sans jamais vraiment déclencher l’enthousiasme (toujours un peu trop de quelque chose et pas assez d’autre chose …).

D’un autre côté, a-t-il vraiment envie de tourner des blockbusters ?


SAMUEL FULLER - LE PORT DE LA DROGUE (1953)

 

France, pays des libertés ...

Commençons d’abord par ce qui souvent n’est décrit que comme une anecdote concernant ce film … En version originale, il s’appelle « Pickup on South Street », ce qui, de quelque façon qu’on l’envisage, est pour le moins assez éloigné niveau traduction du titre français. L’intrigue tourne autour du vol d’un microfilm contenant des secrets (lesquels, on ne sait pas et on s’en fout un peu) qu’une cellule de communistes américains veut transmettre aux Russes … en France, comme le Parti Communiste fait un paquet de voix aux élections et afin de ne pas fâcher ses sympathisants, d’aimables pressions ont été faites sur la Twentieth Century Fox pour que le film soit présentable. Solution : garder exactement les mêmes images et le même minutage, supprimer la version en anglais, et la remplacer par une version française dans laquelle tout ce qui faisait allusion au communisme sera remplacé par des allusions à la drogue … Je sais pas ce que Fulller a pensé de tout ça. Peut-être qu’on lui a pas demandé son avis ou qu’on a jugé en haut qu’il avait rien à dire … Parce que quand il tourne « Le Port … », Fuller est une recrue de la Twentieth qui ne remplit guère les coffres de la compagnie.

Samuel Fuller

Fuller, c’est d’abord une grande gueule. Journaliste et reporter de guerre, il a même servi dans la 1ère Division d’Infanterie, la fameuse Big Red One qui sera plus tard le sujet et le titre de son film le plus populaire. Dans un début des années cinquante qui voit les Etats-Unis se méfier de plus en plus de l’ancien allié Russe, Fuller fait figure par ses prises de position d’anticommuniste que pour faire simple on qualifiera de primaire… en fait, ce serait plutôt un anar de droite réactionnaire, rien à foutre de rien et mort aux Rouges. Finalement pas très éloigné de Godard qui en fera un acteur dans son propre rôle au début de « Pierrot le Fou » …

Là, pour le moment, quand il envisage le tournage de « Pickup … », il a tout à prouver à Hollywood. Bizarrement, ce film au scénario un peu bas du front, est très réussi. Jouant sur des genres voisins (polar, film noir, espionnage), il est sauvé par un rythme d’enfer (tout est dit en 77 minutes), des performances d’acteurs de haut vol, et quelques scènes marquantes …

D’entrée la caméra se fixe dans un métro archibondé sur une belle brune Candy (Jean Peters) en gros plan. Deux autres types ne la quittent pas des yeux. Un troisième survient, s’approche de Candy, se colle à elle et commence à déplier son journal. Tout le monde a l’air tendu, l’atmosphère est oppressante et étouffante dans la rame, la sueur perle sur les tempes de la fille. Et puis la caméra nous montre en gros plan les mains du liseur de journal. L’une des mains est libre, ouvre le sac à main de Candy, tâtonne à l’intérieur, et finit par se saisir du portefeuille. Le métro arrive à la station, la porte s’ouvre, le pickpocket disparaît, les deux gars qui surveillaient la fille échangent des regards, hésitent à le poursuivre, la rame repart.

Jean Peters & Richard Widmark

On apprend très vite que Candy est une « mule » (le terme n’existe pas à l’époque), son amant lui a confié des microfilms qu’elle doit remettre à une personne dans un hôtel, les deux gars qui la surveillaient sont des flics qui voulaient coincer le destinataire du microfilm, et le pickpocket, qui n’était au courant de rien, s’aperçoit rentré chez lui (une cabane sur pilotis au bord du fleuve) qu’il a mis la main sur quelque chose qui peut s’avérer rentable …

Dès lors, tout le monde va se mettre à chasser tout le monde, tout le monde va chercher à faire basculer quelqu’un dans son camp. Le scénario est d’une fluidité remarquable, ce qui est loin d’être toujours le cas pour ce genre de films. Candy retrouve assez vite son voleur, interprété par un superbe Richard Widmark, qui quitte ses seconds rôles dans les westerns pour trouver là le personnage de sa vie … frimeur, arrogant, grande gueule, il est le centre de toutes les attentions (c’est lui qui a le Précieux, comme on dit dans le Seigneur des Anneaux). Les trois ou quatre personnages de flics les plus présents sont des flics typiques du cinéma américain de l’époque (maniant alternativement bluff, coups de pression, chantage, arrangements douteux, et évidemment souvent en retard et blousés …). Le petit ami (au début, la situation s’envenimera ensuite entre eux) de Candy est aussi une petite frappe typique (pétage de plombs, torgnoles, coups tordus et flingue sorti plus souvent que de raison).

Ritter & Widmark

Le haut de l’affiche (en plus de Peters et Widmark) est tenu par l’excellente Thelma Ritter, spécialiste des seconds rôles (six nominations aux Oscars dans cette catégorie). C’est elle l’annuaire des quartiers mal famés de la ville, elle connaît tout sur tout le monde dans cette faune interlope. Son job dans cette sorte de Cour des Miracles, c’est de vendre des cravates et de monnayer des infos. Elle vit seule dans une chambre minable, et économise de l’argent pour atteindre le but de sa vie, se payer une concession dans une cimetière pour ne pas finir à la fosse commune … Son face-à-face avec les policiers alors que ceux-ci n’arrivent pas à identifier le pickpocket et ont recours à ses « services » est une merveille d’enquête sommaire (était-il blond, brun, droitier, gaucher, comment tenait-il le journal, était-il très près de sa victime, …) et efficace. L’autre face-à-face de Thelma Ritter avec le petit ami de Candy est au cœur du film, lorsqu’elle comprend que quoi qu’elle dise (ou ne dise pas) elle a toutes les chances de se faire descendre. Un quasi monologue avec un antique blues qui passe sur un électrophone, le retour du bras à la fin du morceau est synchro avec le coup de feu qui lui est destiné …

La bicoque de Widmark ...

L’intrigue évolue sur le même tempo que la relation Peters – Widmark (je t’aime moi non plus, j’essaie de t’arnaquer, je ne t’aime plus, je suis amoureux, …), deux marginaux (on apprend qu’elle a eu fait le trottoir), prêts à tout au début pour de l’argent, puis après pour sauver l’être aimé.

Fuller met aussi au centre des retournements de situation le drapeau (rouge, forcément rouge) que constitue l’anticommunisme. Point remarquable du film, le traitement réservé aux femmes : menacées, tabassées (la première rencontre de Peters et Widmark après la subtilisation du microfilm est plutôt musclée, il l’aligne pour le compte d’une bonne droite), Ritter et Peters finiront révolvérisées. Même si à l’époque dans ce genre de film les femmes n’ont pas le beau rôle, victimes du machisme ambient (dans les scénarii et la vraie vie), dans « Le port de l’angoisse », elles dérouillent salement …Fuller n’est pas exactement un tendre romantique derrière la caméra …

Ce film, passé quasiment inaperçu lors de sa sortie, a depuis été réévalué. Il est maintenant reconnu comme un petit classique du film noir, et c’est mérité …


A noter une excellente édition Dvd (série Hollywood Llassics) qui donne les deux versions du film, l’originale sous-titrée et la piteuse version française …