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STEVEN SPIELBERG - LINCOLN (2012)

 

Bigger than life ...

Spielberg le dit lui-même, il avait quatre ou cinq ans quand on l’a amené visiter le mémorial de Lincoln, et la statue massive du 16ème Président des Etats-Unis qui en orne l’entrée l’avait très fortement impressionné. Un film sur Lincoln, il a toujours voulu le faire. Plus de soixante ans après sa visite scolaire, ce sera chose faite …

Day-Lewis & Spielberg

Sauf que … on ne s’attaque pas impunément caméra au poing à une grande figure historique (en l’occurrence la plus grande des USA), on risque gros (n’est-ce pas Ridley ?) … Et puis, bon, je connais le topo. Chaque fois qu’un artiste dans la littérature, la musique, le cinéma, parle de sa dernière œuvre, c’est toujours pour dire que c’est le projet qu’il avait en tête depuis longtemps, qu’il en est très fier, et que c’est son meilleur … Alors je sais pas si « Lincoln » traînait depuis des décennies parmi les envies de film de Spielberg, ni s’il en est vraiment fier … Est-ce que c’est son meilleur ? Pas grand-monde le pense, faut dire qu’il en a fait tellement de meilleurs les uns que les autres, que le choix est difficile. Je vais pas faire un numéro vain et prétentieux pour démontrer que le Steven il a jamais fait mieux, par contre c’est un film qui conservera une place singulière dans sa filmo. Parce qu’il est à part. Spielberg, c’est un peu comme Bowie en musique, il a touché à plein de genres, et dans plein de genres, il a laissé des œuvres marquantes et à succès.

« Lincoln » donc. Dont la vie et l’œuvre politique ont modifié à jamais les Etats-Unis et qui continue, au moment où le film est mis en chantier, près de cent cinquante ans après sa mort, à être une source inépuisable de publications, historiques pour la plupart, tout ce qu’il y a de plus sérieuses. Lincoln a beaucoup écrit, ses proches aussi, et il y a matière à détailler et affiner ce que l’on sait de lui. Spielberg va éviter l’exercice casse-gueule de la fresque biographique. Après la lecture d’un bouquin, « Team of rivals » de l’historienne Doris Kearns Goodwin, Spielberg décide que son film sera centré sur les derniers mois de la vie de Lincoln, soit la fin de 1864 qui commence à voir le déclin militaire des confédérés (en un seul mot), le tournant du 31 Janvier 1865 (vote du XIIIème amendement), et sa mort en Avril 1865. Le seul écart à cette chronologie sera la dernière scène, un flashback sur le discours d’investiture de Lincoln à l’occasion de son second mandat en Mars 1865.

M et Mme Lincoln

Spielberg a un bouquin sérieux comme point de départ. Anecdote. Spielberg, en galant homme, a souvent convié la Goodwin sur le plateau (elle avait un vague titre de consultante). Il faut voir cette intellectuelle, la soixantaine bien tassée, s’extasier comme une enfant devant les décors, les costumes, les dialogues, recréant à la perfection un pan d’Histoire de son pays. L’adaptation du bouquin en scénario sera l’œuvre de Tony Kushner, partenaire de Spielberg sur « Munich », qu’on retrouvera également sur « West Side Story » et « The Fabelmans ».

Ironie (volontaire) du sort, « Lincoln » sera en tourné en Virginie (l’Etat confédéré où ont eu les lieu les combats les plus violents de la Guerre de Sécession), et la Maison Blanche sera recrée à Richmond (la capitale de la Confédération), non par provocation, mais car le Palais du Président dissident sudiste avait été construit comme une quasi réplique de la Maison Blanche, y’avait juste les colonnes d’entrée à rajouter.

« Lincoln » commence comme « Il faut sauver le soldat Ryan ». Par une scène de guerre, une bataille dans un marais entre des Sudistes et un détachement de l’Union (les Nordistes) composé uniquement de Noirs. Là, dans la gadoue, ça finit au corps-à-corps et on s’achève à l’arme blanche. Le parallèle entre les séquences introductives des deux films n’est sûrement pas dû au hasard, mais la baston apocalyptique de « … Ryan » devient ici beaucoup plus soft (pas de sang qui gicle sur l’objectif, pas de sang tout court d’ailleurs). Non pas que Spielberg ne soit pas capable de récréer une boucherie militaire, mais dans « Lincoln » ce n’est pas le propos. Il y a la guerre, c’est tout sauf glamour, il faut situer, mais « Lincoln » n’est pas un film-spectacle ou spectaculaire.

« Lincoln » est un film de dialogues et d’acteurs.


Et là, il est temps de parler de Daniel Day-Lewis qui joue Lincoln. Rectification, Daniel Day-Lewis ne joue pas Lincoln, il est Lincoln. Mais vraiment. Comme à son habitude, il s’est extrêmement documenté, fouinant dans les bibliothèques universitaires, lisant quantité de discours de Lincoln, scrutant ses photos, … pour au final opérer sa mue en Président des USA des années 1860 (on peut dire des 60’s, ça marche pour tous les siècles ?). Les anecdotes, certaines ni confirmées ni infirmées, sont légion concernant Day-Lewis sur le tournage. Il aurait banni à titre perso tout moyen de communication qui ne soit pas d’époque (no phone, no internet, …), communiquait volontiers par écrit sur le papier à en-tête de la Maison Blanche utilisé dans le film, exigeait que tout le monde sur le plateau (Spielberg compris) l’appelle uniquement « Président » ou « Monsieur le Président », … ça peut évidemment paraître too much, voire stupide, mais c’est en opérant à peu près de la sorte sur chaque film, qu’on devient (à mon avis) le meilleur acteur de sa génération et aussi de toutes celles d’avant … Daniel Day-Lewis porte le film à bout de bras. Parce que « Lincoln » n’est pas « facile ». Tourné en lumière « d’époque », c’est-à-dire avec des intérieurs sombres ou dans la pénombre, des costumes qui ont peu à voir avec ceux de la tournée d’adieux (qui a dit enfin ?) de Kiss, et des acteurs-personnages qui s’ils furent les héros de leur temps, ne se conduisent pas exactement comme les Avengers …

« Lincoln » est fascinant parce qu’il nous montre que rien n’arrive par hasard. Lincoln (l’homme) n’est pas un chanceux qui a eu les bonnes idées au bon endroit au bon moment. Lincoln a mûri ses projets, ses visions et s’est donné les moyens de les mener à terme. Il n’a pas subi ou profité des circonstances, il a écrit de façon méthodique l’Histoire. « Lincoln » est un film politique, qui montre et dissèque les arcanes du pouvoir, les visions et les convictions des uns et des autres. Et au milieu, en précurseur des Churchill ou Mitterrand à venir, celui qui d’en haut tire les ficelles. Passionnant de voir le trio d’hommes de l’ombre qui vont « chercher » les votes par le chantage, l’intimidation, la corruption … Passionnant de voir Lincoln lui-même mettre les mains dans le cambouis (sa visite nocturne à un sénateur), chercher à convaincre des proches parfois réticents par la démonstration méthodique ou par la force (« je suis le Président des Etats-Unis, j’ai des pouvoirs immenses et je vais les utiliser »).

Malgré sa complexité, ses multitudes d’enjeux et de personnages secondaires, le récit reste fluide. Ben oui, c’est Spielberg, qui évite l’écueil de mettre en images une thèse d’histoire, qui fait un film, qui alterne des scènes fortes (celle, somptueuse, de Lincoln à cheval traversant lentement un champ de bataille jonché de cadavres dans un brouillard bleuté, est une des plus belles qu’il ait jamais tournées), avec des passages plus légers (quasiment toutes celles avec ses trois truculents hommes à tout faire). Spielberg qui choisit également de mettre en avant le cercle familial de Lincoln, les relations parfois compliquées avec sa femme (jouée par Sally Field), son fils (Joseph Gordon-Lewitt), ses soutiens politiques (Thaddeus Stevens, là aussi gros travail d’acteur de Tommy Lee Jones), ses moments de décompression (il raconte des histoires drôles quand les évènements ne le sont pas, comme Louis XVI il bricole des horloges). Lincoln n’a pas été qu’un visionnaire politique, c’est par la force des choses un chef de guerre, appliquant les théories de Clausewitz (« la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens »). Et par-dessus tout, Lincoln ne quitte jamais son but : rajouter à la Constitution un XIIIème amendement, celui qui abolit l’esclavage. Avec l’aide de son chef militaire, Ulysses Grant (qui deviendra Président quelques années plus tard), il profite de son avantage sur le terrain pour retarder au maximum les négociations de paix avec un Sud exsangue, et faire voter son amendement sachant que celui-ci serait forcément une monnaie d’échange si une fin de guerre était discutée. En quelque semaines, Lincoln réussit un échec et mat sur les plans militaire et institutionnel … fin de la leçon d’histoire …


Mais tout ça pour dire qu’il faut du talent derrière et devant la caméra pour pas endormir le spectateur. Spielberg n’utilise aucune des grosses ficelles qui lui tendaient les bras. Juste une séquence émotion lors du vote au Sénat. Plus fort, et véritable coup de génie, l’assassinat de Lincoln n’est pas montré (juste une annonce et le regard hagard de son plus jeune fils), on voit juste son cadavre sur un lit, éclairé et avec une disposition des personnages qui rappelle les tableaux ou les sculptures de Pietà de la Renaissance (ou la pochette du « Closer » de Joy Division).

Perso, la scène qui m’a le plus marqué, elle est pas dans le film, mais dans les bonus du Blu-ray. Après la première scène de bataille dans la gadoue nécessitant quelques dizaines de figurants, on voit Spielberg qui serre la main et dit un petit mot à tous ces obscurs qui passent devant lui façon procession et sans qui les films ne pourraient pas se faire.

Une anecdote racontée par Spielberg. Une fois la dernière scène tournée, il a tenu à aller voir et féliciter son acteur principal pour sa performance hors-norme et son immersion totale pendant des semaines dans son personnage. A sa grande stupéfaction il n’a pas vu Lincoln, mais Daniel Day-Lewis qui avait retrouvé son accent irlandais et ses manières de gentleman britannique, qui était redevenu « normal » en l’espace de quelques minutes. Cette rencontre et cette métamorphose en quelques minutes l’a encore plus soufflé que sa performance dans le film …

Conclusion : quand le plus grand cinéaste de son temps rencontre le plus grand acteur de son temps, ça peut pas être mauvais …

Conclusion-bis : les réacs et rétrogrades, ceux qui voyaient l’avenir en regardant dans le rétroviseur étaient Sudistes et Démocrates. Lincoln était Républicain. Quand on voit que les Républicains d’aujourd’hui mettent en avant un clown pathétique à perruque orange, on se dit que les choses ont bien changé au pays de l’Oncle Sam …


Du même sur ce blog :


STEPHEN FREARS - THE QUEEN (2006)

 

Lizzy face à son destin ...

« The Queen » est centré sur la semaine du Dimanche 31 Août 1997 au Samedi 6 Septembre de la même année. C’est-à-dire entre l’accident parisien qui lui a coûté la vie et l’enterrement de Diana Spencer, plus connue comme Lady Di.

Ceci étant dit, j’ai jamais été abonné ni même lu les torchons sur les people et les têtes couronnées genre « Gala », « Point de vue » et assimilés, et la saga et les frasques de la famille royale britannique, je m’en tape complètement. « The Queen », heureusement est un film qui fait intervenir les people, mais n’est pas un film sur les people royaux. C’est un film que je qualifierai de politique. Dont les premières scènes montrent l’arrivée au pouvoir de Tony Blair (une paire de mois avant que la Merco aille s’encastrer sur un poteau du souterrain du Pont de l’Alma), et les dernières une rencontre protocolaire entre le Prime Minister et la Queen Mom deux mois après les funérailles de Lady Di.

Mirren & Frears

C’est pour moi cette entrée en matière et le final du film qui sont les plus importants. Le reste, la semaine évoquée plus haut, a été tellement commenté et documenté, que mis à part des immersions (réussies) au 10 Downing Street, au domaine privé écossais de Balmoral et à Buckingham Palace, lieux de résidence de la famille royale, ça n’apporte pas grand-chose à l’histoire, celle qu’on écrit dans les livres. « The Queen » n’est pas une version « alternative » de l’Histoire comme peuvent l’être le « JFK » d’Oliver Stone ou le « Farenheit 11/9 » de Michael Moore. « The Queen » nous montre en continu, de façon chronologique (la date est précisée chaque fois que l’on change de journée), ces jours qui ont failli faire vaciller la monarchie britannique, et ses siècles de pouvoirs héréditaires.

Derrière la caméra, Stephen Frears, évidemment Sujet de Sa Très Gracieuse Majesté. Quasiment une quarantaine d’années derrière la caméra en 2006, parsemées de quelques aimables succès critiques et populaires (« My beautiful Laundrette », « Les liaisons dangereuses », « High fidelity », …), sans pour autant être reconnu comme un cador des plateaux de tournage. Il signe avec « The Queen » ce qui est certainement son meilleur film. Et pas qu’un peu aidé par une prestation époustouflante d’Helen Mirren, qui prouve enfin, à plus de soixante balais, qu’elle peut tenir un grand rôle dans un grand film, cantonnée qu’elle a été dans des séries B plus ou moins navrantes (je vais pas faire la liste, y’a Wikipedia qui le fait très bien). Un Oscar (mérité) viendra couronner (c’est bien le mot) sa performance en Reine d’Angleterre face à une crise morale, sociale, politique et institutionnelle.

Evidemment, et c’est précisé à la fin du générique, « The Queen » est une fiction basée sur des faits réels. Les seules versions de l’histoire ne venant que du camp de Tony Blair, campé dans le film par Michael Sheen, choisi pour une vague ressemblance. C’est lui le maillon faible du casting, alors que sa femme Cherie (Helen McCrory), ou les membres de la famille royale (eux aussi castés pour des similitudes physiques) s’en sortent mieux (le futur King Charles, son père Philip, la mère d’Elisabeth).

Tony Blair prête serment

« The Queen » mélange scènes d’archives télé et pour l’essentiel des reconstitutions, avec parfois les acteurs superposés aux images d’actualités. Inutile de préciser que rien n’a été tourné aux abords du Ritz, au Château de Balmoral, à Buckingham Palace, ou dans la cathédrale de Westminster. Mais comme vous et moi et pas grand-monde n’a jamais foutu les pieds dans ces endroits prestigieux, le subterfuge était facile (pour la cathédrale de Westminster, images d’archives et plans serrés sur les acteurs suffisent à entretenir l’illusion du réel).

« The Queen » a ceci d’efficace, qu’il nous montre deux choses. Le chaos dans lequel s’est enfoncé des jours durant la Reine et sa famille, et un Tony Blair qui très vite va finir beaucoup plus mal que ce qu’il avait commencé. Est-ce en filigrane un règlement de comptes de Frears avec celui qui a quand même bien trahi ses idéaux (et ses électeurs), il se pourrait bien.

Dans quasiment tout le film, c’est pourtant Blair qui a la main et « sauve » la Reine. Sauf que … On débute par une Elisabeth majestueuse qui pose en tenue de grand apparat pour un portrait en pied (enfin, assise) pour le peintre (officiel ?) du régime. La scène a lieu le jour des élections qui vont voir la victoire du Labour de Blair. Dans la discussion (très protocolaire) le peintre glisse que thanks God, il n’a pas voté travailliste. Plus fine, la Reine lui fait remarquer qu’elle n’a pas le droit de vote, mais on sent bien que ... vous m’avez compris … Et déjà, on voit que « The Queen » ne sera pas un pensum historique pesant. La finesse, l’ironie, le second degré, le tongue-in-cheek sont souvent de la partie. Grand numéro d’équilibriste de Frears et de son scénariste Peter Morgan, d’autant plus que les faits évoqués ne sont pas vraiment légers et ont traumatisé toute une nation. Quelques jours après les élections, entrevue officielle et en privé de Blair et Elisabeth pour l’investiture du premier Ministre. Blair, d’apparence joviale, décontractée et souriante, est intérieurement tétanisé par la solennité du moment. Beaucoup plus que sa femme, qui le rejoint dans la foulée (dans la famille Blair, et pas seulement dans le film, c’est elle qui était à gauche). On voit déjà l’instinct politique de la Reine qui a auparavant demandé à son chef du protocole de venir l’appeler au bout d’un quart d’heure pour ne pas éterniser la rencontre avec les prolos Blair, à qui elle n’a pas manqué de rappeler que son premier Premier Ministre fut un certain Winston Churchill …

Débordée par l'actualité ...

Ces décennies de pratique et de finesse politique vont se fracasser deux mois plus tard lors de l’accident de Diana. Lorsque le décès est confirmé, les certitudes et les siècles de tradition volent en éclats. Charles, bien qu’ex-mari cocu (la réciproque est aussi vraie) sent que toute la famille royale doit rendre hommage à celle qui fut femme de l’héritier du trône, d’autant plus qu’elle est adorée par le pays. Il va trouver en face lui la Reine, son époux et sa grand-mère (en gros « c’est pas une Windsor, c’est plus ta femme, que sa famille – les Spencer – se démerdent »). Toute la famille royale est au moment du décès en villégiature dans sa propriété privée de Balmoral en Ecosse et il n’est pas question de retourner à Londres, de faire quelque discours ou intervention que ce soit et d’organiser des funérailles d’apparat. Le futur King Charles (étrangement, Frears ne fait jamais apparaître ni ne cite la Camilla) doit s’appuyer sur Blair pour faire rapatrier le corps avec un minimum de solennité en Angleterre.

Blair et son équipe sentent bien que la pression populaire est en train de monter contre la Reine et les coups de téléphone se multiplient entre Downing Street et Balmoral où toute la famille Windsor continue ses activités champêtres et bucoliques (la pêche, la chasse, les grillades, les ballades en Land Rover) comme si de rien n’était. Ces face à face par British Telecom interposés sont passionnants, entre un Blair qui s’affirme de plus en plus et une Queen qui s’agace de son attitude mais commence à douter. C’est la pression populaire, cumulée à des sondages (secrets) calamiteux pour la monarchie attaquée par toute la presse sans exception, qui conduira à son retour à Londres, ses déambulations devant les tonnes de fleurs entassées devant les grilles de Buckingham Palace, son message de deuil à la Nation, les obsèques nationales avec Elton venu entonner un « Candle in the wind » (on l’entend pas mais on le voit entrer dans la cathédrale), enfin tout ce que les télés du monde entier (passage de temps en temps de vrais extraits de JT d’un peu partout) ont montré non stop et en direct pendant toute la semaine.

Blair calling : Allo, non mais allo quoi ...

La monarchie a tremblé, la popularité de la Reine s’est effondrée, Blair triomphe (sa fameuse expression de « Princesse du peuple » lors d’un discours d’hommage à Diana). Mais le film s’appelle « The Queen » et pas « Tony ». Quelques semaines plus tard, lors des rencontres hebdomadaires avec son Premier Ministre (2500 à ce moment-là, comme le lui rappelle Blair), on voit celle à qui il est interdit de faire de la politique avoir repris les choses en main, et humilier (toute en sourires et formules malicieuses) un Tony Blair qui lui est déjà sur la pente descendante …

Helen Mirren est époustouflante dans son rôle, et pas pour seulement pour son apparence similaire (l’allure, les fringues terriblement désuètes, paraît-il sa façon de s’exprimer, mais là je peux pas dire, j’ai pas de Cds de la Queen Elisabeth). Elle rend magnifiquement le désarroi d’une femme devant laquelle tout le monde s’est toujours courbé, et qui se retrouve face à une situation qui fait voler toutes ses certitudes en éclats. Mention particulière également à James Cromwell excellent dans le rôle de son mari, qui présente la facette la plus conservatrice de la famille, à grand renfort de réparties cinglantes (et donc ridicules).

Deux anecdotes pour finir.

Aussi méticuleux qu’ait voulu être Frears, il a laissé passer un pain au montage. A un moment, on voit la Reine partir se balader en 4X4 et elle fait monter deux clébards noirs (des labradors ?) dans la voiture. A la scène suivante, lorsqu’elle rouvre la portière, il en descend trois. L’autre énigme du film, ce sont les deux face à face de la Reine avec un cerf gigantesque, le premier alors qu’elle en panne avec sa vieille Land Rover, et le second alors qu’il a été abattu par des chasseurs d’un domaine voisin. Les spéculations les plus étranges se sont multipliées sur la symbolique sous-entendue. Frears affirme que ça fait partie des scènes sans aucune signification, juste là pour leur rendu visuel, et donner une durée « décente » au film (une heure quarante) …


RICHARD ATTENBOROUGH - GANDHI (1982)

Peace & love ...
« Gandhi » c’est le film d’une vie. Celle du petit Indien moustachu qui a conduit à travers un parcours humain et politique hors norme son peuple et son pays à l’Indépendance. Mais aussi celle de Richard Attenborough qui a tourné un des meilleurs biopics de tous les temps …
Au début des années 30, Attenborough a une dizaine d’années. Son père l’emmène au cinéma. Dans les courts-métrages d’actualité, un reportage sur un voyage en Angleterre de Gandhi. Ce petit mec en pagne dans les frimas britanniques provoque l’hilarité de la salle. Attenborough n’en croit pas ses yeux et encore moins ses oreilles quand son père lui souffle que cet homme dont le bon peuple se moque est des plus grands de l’humanité. Le petit garçon est fasciné à vie par cet étrange personnage. Trente ans plus tard, Attenborough est devenu un bon acteur de second plan, se rend compte qu’il ne sera jamais David Niven ou Peter Sellers, passe de l’autre côté de la caméra et décide de faire un film sur Gandhi.
Ben Kingsley & Richard Attenborough
Il mettra vingt ans pour mener son idée un peu folle à terme. Le projet est un peu barge, parce qu’Attenborough n’envisage pas exactement la chose comme un téléfilm fauché. Il lorgnerait plutôt du côté de David Lean et de ses gigantesques épopées filmées (« Lawrence d’Arabie », « Docteur Jivago »). La société de production qu’a montée Attenborough fera plusieurs fois faillite, il sera lui-même au bord de la banqueroute. Cependant, dès que son projet a été connu, un anglo-indien du nom de Motilal Kothari s’y est intéressé. C’est lui qui organisera les premiers voyages de Attenborough en Inde, où il finira par rencontrer Indira Gandhi qui lui fera obtenir un rendez-vous avec son père (non, pas Gandhi) Nehru, compagnon politique de Gandhi et premier ministre de l’Inde. Lequel est enthousiaste mais a d’autres chats politiques et financiers à fouetter. L’obstination d’Attenborough et d’Indira Gandhi, devenue ministre de l’Information puis Premier Ministre, finiront par décider des producteurs anglais de sortir les livres sterlings. Attenborough aura l’argent des British et toutes les facilités de tournage, l’accès à tous les lieux et documents concernant Gandhi en Inde …
Commence alors le plus difficile, faire le film … La seule chose que Attenborough a en tête, c’est de coller à la réalité, de Gandhi et de l’Inde. Cela passera par des reconstitutions minutieuses (des lieux, des trains qui rythment la vie et les déplacements dans le sous-continent, des costumes, …). Le challenge aussi sera de mettre en scène des personnages physiquement crédibles (Gandhi notamment, petit, courbé, moustachu, chauve, et son inamovible pagne) parce que les acteurs de ce pan d’Histoire sont quasi contemporains, on été à maintes reprises décrits, photographiés, filmés … La clé de voûte du casting (le personnage de Gandhi) est fournie à Attenborough par John Hurt qui vient d’auditionner pour le rôle principal (Hurt est grand et blond, y’aurait eu du boulot pour les maquilleurs …) et croise dans le couloir un acteur quasi inconnu surtout adepte du théâtre venu lui aussi auditionner. Hurt fait demi-tour, retourne voir son pote Attenborough et lui dit en substance qu’il vient de croiser le Gandhi qu’il cherche… Cet acteur, qui plus est anglo-indien, c’est Ben Kingsley qui trouvera là le rôle de sa vie. Kingsley est un Gandhi plus vrai que nature, complètement « possédé » par son personnage (il passera les mois de tournage quasiment toujours vêtu d’un pagne), qui en plus d’une ressemblance physique naturellement perceptible, s’appropriera tous les « tics » de Gandhi, de sa démarche à son anglais à l’accent « exotique ». Une statuette aux Oscars viendra récompenser sa performance.
Ben Kingsley vs Gandhi
Un acteur, aussi impliqué soit-il, ne fait pas un film à lui seul. La distribution, vaste patchwork (Anglais, Indiens, Allemands, Américains, …) cumule choix risqués et heureux pour le résultat. Attenborough est parti d’un postulat d’une logique implacable : des Indiens pour jouer des Indiens, des Anglo-saxons pour les Anglais. Avec toujours le même soin du détail historique, les acteurs, sans en être les parfaits sosies, seront des « copies » très acceptables de leur personnage (Rohini Attangadi qui joue la femme de Gandhi, Roshan Seth dans le rôle de Nehru, Saeed Jaffrey dans celui de Patel, et beaucoup d’acteurs de théâtre anglais très proches physiquement des personnages historiques qu’ils interprètent). Deux « valeurs sûres » sont aussi au générique. Candice Bergen qui depuis des années tannait Attenborough pour avoir un  rôle, et qui la gloire venue se contentera malgré tout de courtes apparitions dans le rôle d’une journaliste-photographe de « Life Magazine ». Et puis le cas Martin Sheen qui après les premiers rôles dans « Badlands » de Malick et « Apocalypse now » de Coppola n’a qu’un second rôle, celui également d’un journaliste américain, qui a rencontré Gandhi en Afrique du Sud et suivra le parcours et le périple de celui qui l’a d’entrée impressionné. Impressionné, Sheen le sera aussi par la beauté et surtout la misère fière de l’Inde. Il reversera l’intégralité de son cachet à des associations luttant contre la famine en Inde. Anecdote : « Gandhi » voit pour la première dans un générique le nom de Daniel Day Lewis (la petite frappe qui veut barrer la route de Gandhi et de son ami prêtre dans une ruelle d’Afrique du Sud). Et puis, parce que Gandhi s’adressait à une multitude (300 millions d’habitants aux derniers jours de l’occupation britannique) d’Indiens, en ces temps où le trucage numérique n’était même pas du domaine du rêve ou de l’utopie, il faudra à Attenborough des foules de figurants Indiens. La seconde scène du film (la première est celle de l’assassinat de Gandhi), les obsèques reconstituées de Gandhi, 34 ans jour pour jour après les « vraies » et au même endroit, réunira à peu près 400 000 figurants venus quasi spontanément. Trois minutes dans le film pour une scène légendaire par sa démesure. Dix neuf caméras, forcément une seule prise (on ne positionne pas plusieurs fois une telle foule), et les trois quarts des images bonnes pour la poubelle, notamment à cause d’enfants qui gesticulaient, dansaient et sautaient dans tous les sens, ne comprenant pas vraiment de quoi il retournait …
Les obsèques reconstituées de Gandhi
Une entrée en matière qui relègue les filmos de Griffith, Cecil B. DeMille, Lean et autres adeptes de foules en mouvement au rang de metteurs en scène intimistes. Cette scène initiale tranche avec la suivante et la solitude d’un Gandhi venu exercer ses talents de tout jeune avocat au sein de la communauté immigrée (et brimée) indienne en Afrique du Sud. Le reste du film sera dès lors strictement chronologique. Attenborough, même si on sent toute sa révérence et son admiration à celui qui deviendra Mahatma (littéralement Grande Âme) Gandhi, évite l’hagiographie béate. Gandhi n’est pas l’Elu, le Prophète, la divinité à la science infuse. Gandhi s’est construit face à l’adversité, opposant volonté et abnégation à toutes formes de force et d’injustice. De façon quasi intuitive, il créera les concepts qui ont fait florès chez tous les soixante-huitards-alternos-pacifistes all around the world, ceux de résistance passive, non-violence et de non collaboration … Sur la seule foi malgré son aspect chétif d’une force de caractère et d’un charisme hors normes (il en prendra souvent physiquement plein la gueule, et passera en tout six ans en prison), trouvant les mots ou l’attitude justes et déstabilisants pour ses interlocuteurs (cette scène où le juge anglais et toute l’assistance (anglaise) du tribunal se lèvent à son entrée alors qu’il comparaît (en pagne comme d’hab) pour rébellion à l’autorité).
Martin Sheen & Ben Kingsley
« Gandhi » est plein de scènes chocs. Celle où sous les coups de matraque répétés il se relève pour brûler les papiers de séjour infâmants de la communauté hindoue d’Afrique du Sud. Celle où des Indiens avancent par groupe de cinq vers une usine de sel gardée par l’armée et ne cherchent jamais à esquiver les bastonnades qui tombent sur eux, évacués et soignés par leurs femmes. Celle où un colonel anglais ordonne froidement et sans aucun état d’âme par la suite devant le tribunal militaire l’exécution d’une foule réunie pacifiquement (1200 morts et l’élément déclencheur, notamment par la couverture médiatique organisée par le journaliste joué par Martin Sheen du processus d’indépendance de l’Inde).
« Gandhi » est aussi plein de scènes de foule grandioses. Celle de ses obsèques bien sûr. Mais aussi celle de la première apparition de Gandhi à une assemblée du Parti du Congrès (5000 figurants sous une tente qui a bien failli leur tomber dessus). L’arrivée de Gandhi accueilli en héros en Inde après ses « aventures » sud-africaines. La Marche du Sel (Gandhi part à pied de son ashram pour aller récolter sur le littoral le sel surtaxé par l’administration anglaise, traversant le pays au milieu de foules de plus en plus colossales).
« Gandhi » le film est logiquement centré sur Gandhi l’homme. En évitant les pièges souvent inhérents à ce genre d’exercice, le portrait psychologique plombant et pénible, et l’escamotage du contexte souvent rendu de façon incompréhensible. Bon, le film dure plus de trois heures, on peut montrer plein de choses. Mais le talent, ou le coup de génie (sans lendemain) d’Attenborough, c’est d’avoir parfaitement rendu la situation complexe de l’Inde. Régie par une administration coloniale d’un autre temps (tous le faste désuet et ringard perpétué depuis l’époque victorienne), qui ne doit sa survie qu’à de solides inerties locales (cette société locale de castes, avec quelques nantis-collabos tenant le bien peu révolutionnaire Parti du Congrès entre leurs pattes pour s’enrichir encore plus auprès et avec la bénédiction de la puissance coloniale). Mis à part Nehru et dans une moindre mesure Patel, Gandhi se heurtera aussi à la force d’inertie de ces notables. Un pays immense partagé entre deux communautés religieuses (hindoue et musulmane) qui dès l’Indépendance obtenue, vont s’entretuer, aboutissant très vite à la partition pakistanaise. Le plus dur combat de Gandhi, et le seul qu’il ne gagnera pas, sera de faire de l’Inde un pays uni, et même ses habituelles grèves de la faim pour faire cesser les violences ethnico-religieuses ne seront plus couronnées de succès. Il finira d’ailleurs sous les balles d’un intégriste religieux (quoi d’autre) de son propre « camp ».
La marche du sel
Gandhi fut un personnage à l’incroyable aura (témoin son premier cercle de disciples fidèles venus d’autres races ou religions et bien mis en valeur dans le film), totalement détaché des honneurs (il refusera toujours le rôle de leader politique que tous lui laissaient) et de la réussite matérielle (il passera l’essentiel de sa vie en pleine cambrousse dans son ashram, vivant à moitié à poil, tissant lui-même ses vêtements). Seul reproche « historique » à faire au film, le balayage sous le tapis de certains points « curieux » du personnage, ses théories mystiques plus ou moins fumeuses énoncées dans ses bouquins, et sa lourde erreur d’appréciation sur Hitler et le nazisme (il est toujours resté opposé à une guerre contre l’Allemagne, malgré sa connaissance des atrocités commises).
Le succès de « Gandhi » dépassera toutes les espérances. Attenborough deviendra Sir Attenborough, le film obtiendra l’année de sa sortie huit Oscars. Attenborough avoue d’ailleurs qu’il en attendait beaucoup moins, il savait qu’il n’avait réalisé qu’un film conventionnel, certes aux moyens démesurés, mais un film conventionnel quand même, et reconnaissait que le « E.T. » de Spielberg, concurrent (laminé, quatre misérables statuettes de second plan) aux Oscars était beaucoup plus novateur.

Réédition BluRay de 2008 somptueuse, tant du point de vue technique (remaster d’une limpidité absolue), que par ses heures de bonus, souvent (très) intéressants.


ROMAN POLANSKI - LE PIANISTE (2002)

Survival ...
« Le Pianiste », c’est malgré les réalisations qui ont suivi et suivent encore, l’épitaphe cinématographique de Polanski. Le film qui résume sa vie, et pas forcément (pas du tout ?) son œuvre. C’est un film-thérapie, un film-exutoire, un film de divan d’analyste. Polanski, l’enfant grandi dans les années 40 et miraculeusement réchappé du grand massacre des Juifs polonais ne pouvait pas ne pas s’attaquer à ce thème.
Adrian Brody & Roman Polanski
Alors, formellement ou esthétiquement, « Le pianiste » n’est pas son meilleur film. C’est malgré tout son plus personnel, et pour peu qu’on ait un cœur en état d’insuffler des émotions, son plus touchant. Bon, évidemment, la leçon d’Histoire, les bons sentiments et cette atmosphère de mélo perpétuel, ont eu deux conséquences : la méfiance de certains, jugeant le film « too much ». Corollaire, des récompenses par la « profession » innombrables, dont trois Oscars (et 47698 Césars, qui comme chacun sait, sont au cinéma ce qu’Annie Cordy est à Bessie Smith).
Moi, « Le Pianiste », j’suis preneur. A mille pour cent. Et d’autant plus ces jours-ci, où l’on voit à longueur de 20 Heures, des journaleux nous faire le « devoir de mémoire » sur l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Pendant que d’autres de leurs congénères (plutôt cons tout court d’ailleurs) remettent un colifichet honorifique au maire FN de Hénin-Beaumont, au crâne bien dégagé derrière les oreilles et bien plein de remugles idéologiques pourris. Comme si on avait pas assez donné cette année en matière d’exposition faite aux cinglés intolérants. Et voir l’épouvantail Arlette Chabot (groupie insatisfaite du piteux Chirac, mais qui au moins, lui, n’a jamais transigé avec ces fachos-là), présidente de ce jury honteux avaler une colonie de couleuvres pour nous expliquer que politiquement parlant, c’est une distinction que ce pantin mérite … ‘tain, y’a des coups de pied au cul qui se perdent. Eh, Arlette, regarde ce qu’a déjà fait ce mec dans son bled, tu comprendras peut-être que vous êtes quelques-uns à avoir touché le fond …

Bon, « Le Pianiste ». Qui est en gros un biopic. Qui aurait pu être celui de Polanski lui-même. Il a préféré tourner la vie, la survie plutôt entre 1939 et 1945 de Wladislaw Szpilman, pianiste officiel et surdoué de la radio polonaise au moment où les troupes nazies envahissent la Pologne. Szpilman n’est apparemment pas un bonimenteur, le livre racontant sa traversée de la guerre publié en 1946, lui a valu bien des ennuis et une quasi-censure de la part des autorités communistes polonaises (un Juif sauvé par un haut officier SS et pas par l’Armée Rouge, les camarades rigolaient pas avec ça). « Le Pianiste » est un survival, avec des nazis à la place des zombies. C’est la grande Histoire vue par la « petite » de Szpilman. Et là, il n’est plus question d’idéologie. Szpilman est pris dans un engrenage où les salauds ne sont pas tous Allemands, et les types bien pas tous Polaks ou Juifs, où beaucoup cherchent à sauver ce qui peut encore l’être (leur vie, tout simplement) et louvoient dangereusement entre grandeur et bassesse. Il y a les bons et les méchants, et toutes les nuances entre les deux. La guerre déshumanise, et fabrique plus souvent des lâches que des héros.
Szpilman n’échappe pas à la règle. C’est le type qui vit à travers la musique et son piano, le reste lui étant souvent accessoire. Mais pas toujours. Il vend son piano une misère pour que sa famille puisse s’acheter à manger, il est lucide et fataliste devant les premières pancartes interdisant l’entrée de certains établissements à des Juifs, envoie bouler les juifs collabos. Et puis, lentement, insidieusement, quand le cauchemar meurtrier s’amplifie et qu’il faut à chaque instant assurer sa pitance puis sauver sa peau, Szpilman « lâche » les valeurs et les idéaux, jouant dans des bars pour juifs chelous gagnant de l’argent quand d’autres crèvent de faim, suppliant les miliciens juifs pour améliorer son ordinaire et celui de ses proches, devenant peu à peu un pantin sans valeurs ou morale, uniquement préoccupé de sa survie. Juste un type qui veut sauver sa peau au milieu de cette barbarie, rythmée par des intertitres qui indiquent les dates de cette période qui va de la blitzkrieg polonaise à la libération des camps de déportés par l’armée russe.

Polanski nous montre ce type aux prises avec la folie de ses congénères et de leur attitude de plus en plus incompréhensible, anormale, à mesure que la guerre et son convoi de misères avancent. Et parce que Polanski sait de quoi il parle mais aussi comment on filme, il évite les clichés. Celui de l’allégorie qui ferait passer des symboles au-dessus de l’histoire, celui du « tout est bien qui finit bien » (y’ des pourris qui s’en sortent, et des mecs bien qui crèvent). Il y a des plans d’une beauté à couper le souffle, comme celui où l’on voit Szpilman escalader le mur du ghetto de Varsovie pour revenir dans cet espace dont il s’est évadé quelques mois plus tôt, et qui d’endroit pas vraiment folichon est devenu un paysage de ruines lunaires après l’insurrection. Il y a des scènes d’une dureté glaçante, quand un officier nazi flingue d’une balle dans la nuque des juifs choisis au hasard dans une procession de travailleurs contraints, quand deux vieux affamés se battent pour une boîte de conserve qui se renverse et que l’un finit par bouffer à même le sol. D’autres sont d’une poésie irréelle notamment lorsque Szpilman, pour ne pas faire du bruit qui trahirait sa présence joue du piano sans même effleurer les touches et vit littéralement cette musique qu’il n’entend que dans sa tête.

Szpilman, c’est Adrien Brody, qui à même pas trente ans trouve là ce qui sera certainement le rôle de sa vie, composant entre sobriété du jeu et techniques de l’Actor’s Studio (il a perdu quinze kilos pendant le tournage et a appris à jouer du piano, même si ce n’est pas lui qu’on entend tout le temps). Dans ce casting de seconds couteaux, il ne cherche pas à écraser le film, est crédible de bout en bout dans un jeu tout en retenue.
Polanski est lui, comme souvent, parfait derrière la caméra. Il réussit en mettre en parallèle la survie de son personnage principal dans cette boucherie organisée et les grands faits marquants de l’histoire de Varsovie et de la Pologne au début des années 40. Une grande partie du « Pianiste » a été tournée sur les lieux mêmes où se passe l’action, dans ce qui fut le ghetto juif de Varsovie. Perso, je trouve quand même assez mesquine l’attitude de quelques-uns qui a la sortie du film n’y ont vu qu’un mélo larmoyant et émotionnel, limite une machine à Oscars.

Prévert a écrit dans un poème fameux que la guerre était une connerie. Polanski a dit la même chose. Avec une caméra …


Du même sur ce blog :


ABEL GANCE - NAPOLEON (1927)

Impérial ...
Le « Napoléon » d’Abel Gance, c’est un film comme on n’en fait plus depuis longtemps et comme on n’en fera plus jamais. Comparé à ce film, n’importe quel James Cameron fait figure de court métrage à petit budget. D’ailleurs, on peut raisonnablement se demander si « Napoléon » peut être qualifié de film. C’est une épopée en images, une œuvre et une fresque épiques qui dépassent largement le cadre du cinéma. Un projet un peu (beaucoup) fou inachevé…
Les spécialistes de cette œuvre gargantuesque (au nombre desquels Claude Lelouch et Francis Ford Coppola) dénombrent une vingtaine de versions, d’une durée variable, entre quasiment quatre heures et plus de neuf heures. La plupart des versions ayant été pendant plus de quarante ans supervisées ou effectuées par Gance lui-même, qui poursuivait là l’œuvre de sa vie. Perso j’en ai vu une, diffusée en deux fois à pas d’heure sur Arte, celle de 1971 produite par Lelouch avec des bouts de versions différentes de plusieurs époques et dialogues reconstitués en post synchro (la version originale du film dont le tournage a eu lieu en 1925-26 est bien évidemment muette). Une des versions les plus critiquées, équivalente d’un remix pour la musique, avec des acteurs parfois différents qui jouent le même personnage.
Dieudonné / Napoléon
La version que j’ai en Dvd et dont je vais causer est celle dite de Coppola (en fait des studios Zeotrope dont il est propriétaire) sortie dans de très rares salles en 1981. Au crédit, une image restaurée et pour un film de ces âges reculés, c’est appréciable. Au débit … plein de choses. Des images colorisées grâce à des filtres de couleur selon un code ( ? ) totalement incompréhensible, une musique gavante de Carmine Coppola (le frangin « musicien » de Francis Ford) à base d’ininterrompues variations de « La Marseillaise ». Et puis, et surtout, bicorne sur la perruque poudrée, cette version n’existe pas en français, on n’a le choix pour l’affichage des intertitres et des dialogues qu’à la traduction … en anglais ou en allemand. Quand on connaît l’histoire de l’époque et quelles furent les nations les plus acharnées à l’échec de la Révolution ou de l’Empire en France, ce symbolisme linguistique est soit une provoc, soit de l’humour à un degré qui m’échappe. Le film retraçant la vie d’une des figures les plus célèbres de notre histoire n’est disponible que dans la langue de ses ennemis … il y en aurait des paragraphes à noircir sur la situation de notre patrimoine culturel …
A la base, le projet de Gance était un biopic depuis l’école militaire de Brienne jusqu’à l’exil et la mort à Sainte-Hélène. A une époque où l’on faisait du cinéma de façon empirique, intuitive, tout semblait possible à Gance. Deux ans de tournage, une perpétuelle recherche de financeurs qui faisaient à tour de rôle faillite face aux moyens pharaoniques engagés en technique et en figurants, et seulement un tiers des neuf parties prévues furent plus ou moins terminées. « Napoléon » s’arrête en 1796 alors que Bonaparte, nommé Général en chef de l’Armée d’Italie, entre avec ses troupes dans la péninsule pour la conquérir.
Abel Gance / Saint-Just
Pour moi, « Napoléon », c’est un des plus grands films jamais tournés. Pas à cause de son côté cocorico-cocardier quelquefois embarrassant, mais parce que c’est un film totalement fou, une œuvre de maniaque, de cinglé total qui a repoussé toutes les limites connues de l’art cinématographique naissant. Gance s’est inspiré de Griffith pour le côté fresque plus ou moins historique (« Naissance d’une Nation » et « Intolérance » notamment) pour se livrer à un panégyrique napoléonien. Il y a dans « Napoléon » une admiration évidente de Gance pour son personnage qui donne lieu à quelques scènes allégoriques qui tiennent beaucoup plus de la béatification que de la vérité historique (les quasi-miracles qui jalonnent ses aventures, les « signes du destin », l’aigle qui le survole dans les moments cruciaux et les instants où tout bascule en sa faveur …). Clairement pour Gance, Bonaparte est « L’Elu ». Tout son génie scénaristique est de ne pas tomber dans l’hagiographie, ou pire dans le révisionnisme. Les éléments historiques, qui constituent l’essentiel du film sont conformes à ce que nous en savons, et n’ont à ma connaissance pas fait l’objet de débats et de controverses majeures au sein de la communauté des rats de bibliothèque spécialistes de l’époque. En même temps que le destin hors du commun d’un homme, c’est aussi une page d’histoire que l’on feuillette, en compagnie de Danton, Robespierre, Marat, Saint-Just, ... Ce qui donne lieu à des scènes sidérantes, immersives, qu’elles aient lieu dans l’appartement de Robespierre ou dans les travées de l’Assemblée.
Antonin Artaud / Marat
Gance est un maniaque, qui ose, prend tous les risques. Des décennies avant la Louma, il suspend sa caméra à un câble et la fait se balancer au-dessus des personnages dans un effet de vague (pour montrer des débats forcément houleux à l’Assemblée), filme un nombre incalculable de fois des scènes de poursuite à cheval depuis une voiture (on voit les innombrables traces de roues dans la poussière), met en place des trucages certes naïfs aujourd’hui (la coque de noix de Bonaparte dans la tempête au large de la Corse) mais plutôt plus élaborés que ceux de ses contemporains, superpose des images différentes (jusqu’à une vingtaine, prétend-on, alors que passé trois ou quatre, les autres deviennent indiscernables à l’œil humain), se livre à du split-screen (neuf ( !! ) images juxtaposées)... Mais tout ça, c’est du bricolage, des choses plus ou moins vues ailleurs. Le grand projet de Gance, c’est des lustres avant le cinémascope, l’invention d’un procédé technique totalement délirant, la Polyvision. A savoir trois caméras qui filment la même scène depuis des endroits différents, les image qu’elles ont tourné étant ensuite projetées sur trois écrans côte à côte. On a un aperçu du résultat sur les dernières scènes du film, visuellement c’est totalement fou, mais ça doit filer un putain de mal de crâne si ça dure longtemps. Petit problème, auquel Gance, perdu dans son œuvre, n’avait pas songé : il faudrait construire de nouveaux cinémas pour projeter en polyvision, ceux en service ne pouvant accueillir une telle largeur d’écrans … Autant dire que financièrement l’aventure « Napoléon » a été un fiasco assez colossal …
La bataille de Toulon
« Napoléon » est également différent de la plupart des films de l’époque. Dans lesquels les acteurs, compte tenu du format muet, surjouaient toutes les scènes, exagérant mimiques, mouvements et attitudes (voir les chefs-d’œuvre allemands de l’époque dite expressionniste, c’est pas par hasard qu’on l’appelle comme ça …). Il y a certes dans la mise en scène un aspect théâtral épique (cependant d’après les écrits historiques et les textes et discours qui nous sont parvenus, cet aspect était réellement dans l’air du temps), mais les acteurs ne cabotinent pas, récitent leurs textes que personne n’entendra … Ils sont leur personnage. Difficile de ne pas être secoué par les apparitions glaçantes de Robespierre, par la dureté du regard de Napoléon (Dieudonné, non, rien à voir avec l’abruti à quenelle), par le charme maléfique de Saint-Just (joué par le stakhanoviste Gance lui-même), « l’Ange de la Terreur » comme l’Histoire le surnomma, le terrible tribun le plus acharné à faire couper des têtes lors de la Terreur, par l’étrange délabrement mental que l’on sent dans l’attitude de Marat (l’assez incroyable acteur Antonin Artaud), cet homme de lettres devenu théoricien de la Révolution dans sa version sanglante.
Et puis, malgré une distribution pléthorique de personnages de premier plan, Gance n’a pas lésiné sur les personnages secondaires et les figurants. Il y en a des centaines dans l’Assemblée pour plusieurs scènes, notamment celle, lyrique dans le bon sens du terme, où les délégués du peuple entonnent la Marseillaise que vient d’écrire et chanter devant eux Rouget de Lisle. Il y en a aussi des centaines lors des scènes de bataille (et pas des cascadeurs pro, il y eut de vrais morts et blessés sur le tournage, dans des conditions à faire passer – notamment la reconstitution de la bataille de Toulon sous un déluge ininterrompu – celles des plateaux de Kechiche pour un thé à Buckingham Palace), toutes les recréations des lieux, vêtements et accessoires sont minutieuses.
Napoléon face aux morts ...
Et puis, au milieu de cette mise en images maniaque de l’Histoire, il y a vers la fin une des scènes les plus extraordinaires de tout le cinéma, lorsque Napoléon sentant que son destin va s’accomplir avec la Campagne d’Italie, se rend seul avant de rejoindre ses troupes dans le Sud à l’Assemblée Nationale s’imprégner de l’esprit de la Révolution et de ses morts. Apparaissent alors en surimpression sur l’image toutes les victimes justes ou injustes, les Danton, Marat, Saint-Just, Robespierre, les célèbres et les anonymes. Une scène d’une force et d’une émotion inouïe. Et nul doute que Malraux, au moment d’écrire son « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège … » devait avoir cette scène en tête, toute en tension héroïque …

« Napoléon », même en version colorisée, charcutée, même avec son affreuse bande-son, même sous-titré en anglais (putain, j’y reviens, faut pas déconner, en anglais !!…), c’est juste géant …

Une bande-annonce ... en anglais ...

MARTIN SCORSESE - KUNDUN (1997)


Zen, restons zen ...

« Kundun » n’est pas le genre de film qu’on attend forcément de Scorsese. Venant de lui, on compte sur des scénarios sanguins et violents, avec des personnages qui le sont tout autant. Surtout que « Kundun » arrive après « Casino » et « Les affranchis », classiques de son réalisateur. Sauf qu’entre-temps il y a eu le calme et quasi contemplatif « Le temps de l’innocence ».
« Kundun » serait plutôt à rattacher (plus sur le fond que la forme) à « La dernière tentation du Christ », résurgence des jeunes années passées par Scorsese au séminaire, et dont il a gardé un attrait, voire une fascination pour tout ce qui est religieux et mystique. « Kundun » (du nom du premier dalaï-lama de l’Histoire) raconte la jeunesse de l’actuel dalaï-lama. Et comme le type qui s’habille avec les chutes de tissu des tenues des employés de l’Equipement est une de ces vaches sacrées de notre époque qu’il est interdit de critiquer, ce mélange de biopic et de film historique est lisse comme une peau de bébé, respectueux, limite obséquieux. Certes, s’il fallait absolument choisir, mieux vaut une bande de zozos orange pacifistes, que les inventeurs de l’Inquisition ou de la charia. Mais les bouddhistes, ça reste quand même juste une fuckin’ secte (officielle), parole d’athée farouche et féroce dès qu’il s’agit de religion…

« Kundun » s’inscrit dans une mode, très prisée de la pseudo « intelligentsia » du mitan des années 90 visant à une mobilisation favorable à la cause tibétaine. Cause qui en vaut bien une autre, et le film arrive conjointement à une série de concerts des gens de la chose « rock » donnés aux Etats-Unis sous le slogan « Free Tibet » (de l’occupation chinoise), avec en figure de proue le dalaï-lama. Et si l’idée du film remonte au tout début des années 90, elle procède bien de la même démarche, et il n’est pas surprenant que Scorsese, par ailleurs grand fan de rock devant l’éternel ait apporté sa pierre à l’édifice. Ceci étant, on ne trouvera pas dans la BO de « Kundun » trace du « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones, c’est un film « sérieux » qui ne mélange pas les genres.
« Kundun » est une prouesse cinématographique, parce que Scorsese derrière une caméra, c’est quand même pas rien. Le Tibet a été « reconstruit » aux studios de Ouarzazate au Maroc grâce à des décors pharaoniques et à quelques retouches numériques. Le casting est uniquement composé de comédiens non professionnels, recrutés partout dans le monde et appartenant tous à la communauté tibétaine exilée. Il était évidemment hors de question de tourner au Tibet, toujours sous tutelle chinoise, et la mise en route du film a entraîné quelques tensions diplomatiques entre la Chine et les USA, quelques mesures de rétorsion économiques de la part de Pékin, une médiation de Kissinger, … la routine de l’étrange ballet diplomatique quasi-permanent entre ces deux états hégémoniques.
Visuellement, « Kundun » est un superbe spectacle, avec des paysages qui n’ont rien à envier à ceux des grands westerns, tout un tas de costumes étranges qui ne surprendront pas les lecteurs de « Tintin au Tibet », et des reconstitutions minutieuses des endroits, des cérémonies et des grands moments qui ont marqué la jeunesse du dalaï-lama. L’histoire montrée commence en 1937 alors qu’il n’a que deux ans et se termine lors de la « fuite » en Inde en 1959, après les premières années d’occupation chinoise et les exactions de son armée … « Kundun » est un film partisan, une hagiographie, limite un film publicitaire pour la « bonne cause ». On devine bien que cette religion étrange, qui fait d’un homme vivant une divinité, une sorte de monarque spirituel à qui tous les égards et toutes les soumissions sont dus (il y a bien à ses côtés un aréopage de conseillers-précepteurs-ministres, mais ils doivent s’effacer devant ses desiderata, les intrigues de ces « courtisans » sont évoquées mais vite éludées). Il convient de préciser que le dalaï-lama en personne a participé à plusieurs reprises au processus de création du scénario, et que tout au long de la préparation et du tournage, sa garde rapprochée de conseillers divers et variés suivait l’équipe du film.
On se retrouve donc avec une sorte de conte de fées religieux, dans lequel les « bons » sont très bons et les « méchants » très méchants. Pas très nuancé, tout ceci. Etrangement, le personnage le plus marquant du film est pour moi Mao, lors des quelques rencontres qu’il a eues avec le dalaï–lama, présenté malgré la dureté des ses propos et de sa stratégie, comme un personnage courtois, séducteur et charmeur … étrange que les consultants bouddhistes n’aient pas cherché à « noircir » davantage le personnage …
Il est clair que c’est le talent de Scorsese qui sauve le film, tirant le maximum des paysages sauvages, des palais tibétains et des costumes, jouant avec les angles de prise de vue, promenant sa caméra au milieu des protagonistes, … S’il ne peut pas glisser quelque vieux rock ou antique blues dans la B.O (confiée à Philip Glass), Scorsese ne peut s’empêcher de glisser un hommage à Méliès (prémonitoire de « Hugo Cabret » ?), à travers quelques films d’époque que regarde un dalaï-lama adolescent. « Kundun » sans quelqu’un du calibre de Scorsese, aurait ressemblé à un documentaire de Stéphane Bern sur une quelconque tête couronnée de la planète.
Reste que cet iconoclaste, ce transgresseur de genre qui a commencé sa carrière comme cameraman à Woodstock et traversé comme ses idoles les 70’s dans un grand nuage de poudres blanches, a livré là une œuvre qu’on pourrait qualifier « de commande », ripolinée et sans aspérités, à la gloire d’une personne dont le but est quand même de retourner exercer sa monarchie théocratique dans son pays … entre ça ou alors les Chinois, ils sont quand même putain de mal barrés, les Tibétains …

Du même sur ce blog :
Casino