Deux en un ...
Jonathan
Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans
passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis
au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur
lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé
« Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences
comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer,
« Le silence des agneaux ».Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992
« Le
silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui
coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que
ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et
critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur
film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque
façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice
pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et
Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet
devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver
lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait
de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son
seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris,
centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et
serial killer cannibale.
Le film se
resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez
rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami
qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de
leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout
repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de
digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal
Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il
des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux
heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …
Et pour le
même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling –
Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des
deux histoires.Clarice de l'autre côté du miroir ...
Jodie Foster (Clarice
Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà
vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver »,
et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un
type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du
grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star
du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de
Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est
enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés
au seconds rôles …
Ce qui
impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires
racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le
moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé
de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième
sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en
psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa
peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement
dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une
mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices
qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève,
tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les
roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue
avec lui …
La jeune stagiaire
est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas
besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la
première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence »,
lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo
Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode
opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance
psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi
spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice,
grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues
du FBI sont sur une fausse piste …David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...
Starling,
comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une
trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de
Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un
Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme
de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sens du terme. Hopkins est magistral dans le rôle
de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran.
Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et
muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un
aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo
Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop
facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration
de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un
flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la
campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques
répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un
excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas
étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels
de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).
Même Jonathan
Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection
avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon
trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans
le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur
des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de
Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les
robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie
…
On a rarement l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux qui le visionnent pour la première fois …
Je vois que tu es dans ta série "films parfaits". C'est bien simple, même vu vingt fois, je défie quiconque de ne pas le regarder une vingt et unième à l'occasion d'un passage télé (dans un genre similaire, le "Zodiak" de Fincher n’est pas mal non plus, mais moins iconique parce que ne voit pas le méchant.). Chose rare, je me souviens exactement de l'effet produit lorsque je l'ai découvert au cinéma, y'a pourtant trente ans. Un mélange d'effroi et de fascination. Et le silence qui régnait dans la salle à la fin, les gens sortaient groggy, on venait de voir un truc comme on n’en avait jamais vu.
RépondreSupprimerDemme enfile les scènes sans presque se rendre compte que ce sont des morceaux de bravoures (la première rencontre en prison, scène à l'aéroport, l'évasion avec le masque de chair, le montage parallèle dont tu parles, les lunettes infra-rouge...). Ce qui fascine c'est l'extrême simplicité du film, la mise en scène ne recherche pas l'épate, le rythme est pépère, rien de tapageur ou d'agressif. Ce n'est pas la peine puisque ce que Demme raconte se suffit à soi-même. Il fallait faire confiance au scénario, au potentiel de l'histoire, et faire le job techniquement derrière. Il montre le strict nécessaire à la compréhension de l'intrigue, et comme tu le dis, les à-côtés sont zappés. Ce qui fait la différence, ce sont les personnages de Clarisse et Hannibal, et leurs interprètes.
Si bien que ça, ce film ? J'avais pas plus percuté que ça, faudrait que je le revois à la lecture de ce nouvel angle. Mais clair que la même année, j'avais préféré les deux films cités et aussi le JFK de Stone.
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