Sur la lancée ...
Les Pixies furent (oui, je sais, ils se sont reformés depuis)
à la fin des années 80 et au début des années 90 un groupe majeur. Et un groupe
d’une influence colossale sur la scène rock des années 90, s’il ne fallait
citer qu’un nom parmi ceux qui leur doivent beaucoup, allons-y pour Nirvana.
Dès le départ, on savait que les Pixies, c’était avant tout Charles Michael Kittridge Thompson IV, auto-rebaptisé Black Francis. Guitariste rythmique et compositeur quasi exclusif, gabarit de garçon boucher et voix principale assez souvent dans le registre hurlée suraiguë. Il aurait dû être de très loin le plus visible du groupe. Sauf que beaucoup de regards allaient se focaliser sur la bassiste Kim Deal, toxico hédoniste, et chœurs très présents. Qui a récupéré le qualificatif de fille la plus cool du monde. Assez rapidement, Fat Black en prit ombrage, la laissant de moins en moins intervenir vocalement sur les titres. D’où frictions et tensions entre les deux. Jusqu’à ce que début 93, Black Francis décrète tout seul la dissolution des Pixies. Les trois autres du groupe sont avertis soit par téléphone, et Kim Deal par fax (no comment …)
Exit les Pixies. Black Francis n’attend pas longtemps
avant de donner des nouvelles discographiques. Il se rebaptise Frank Black et
moins de deux mois après la fin officielle des Pixies, fait paraître son
premier et éponyme album solo … Ou son second, ou le dernier des Pixies selon
comment on envisage la chose. « Trompe le monde », le dernier Pixies
c’était lui et les autres très loin derrière, un disque de Black Francis
accompagné par un groupe. A bien des égards, « Frank Black » peut
passer pour un disque des Pixies … avec de nouveaux membres, dont un qui est
omniprésent et deviendra le compagnon attitré des jeux sonores de Frank Black
pendant quelques années, Eric Drew Feldman. Lequel Feldman a commencé sa
carrière avec le Captain Beefheart, puis Père Ubu, et fera plus tard partie au
début des années 2000 des Residents, autrement dit pas les groupes les plus
faciles musicalement à aborder.
Feldman est très présent sur ce « Frank Black ». Basse mais surtout claviers. Ce sont ses interventions qui changent la donne sonore du disque par rapport aux Pixies. Par contre, les compositions sont dans droite ligne de ce qu’on connaissait. A quelques petits changements près : finis les morceaux fourmillant d’idées et d’arrangements, les compositions sont beaucoup plus classiques, voire linéaires ; Frank Black a laissé tomber ses hurlements, il chante sur la mélodie ; et finis les chœurs additionnels. On reste quand même en terrain connu.
Et il faut bien reconnaître que les trois premiers titres
de ce « Frank Black » font la farce. Tellement bons qu’ils font
oublier tout le reste (voir paragraphe précédent et ce qui suit sur le disque).
« Los Angeles » ouvre les hostilités. Intro acoustique, mélodie
électrochoquée par la batterie, arrivée de guitares très énervées (le genre de
choses qu’on devrait apprendre dans les écoles de rock, si elles existaient),
une chanson haut de gamme, qui se calme peu à peu avant un final qu’on pourrait
se hasarder à qualifier de planant, d’atmosphérique. Du grand art, rendre
simples des choses compliquées. En parlant de choses simples, suit « I
heard Ramona sing », hommage respectueux aux Ramones, dont on a souvent tendance
à oublier que derrière le jemenfoutime bruyant, se cachaient des chansons bien
écrites, mélodiques (enfin, au début, avant que les faux frangins virent hardos
bas de gamme). L’hommage de Frank Black est un mid tempo hyper mélodique,
enrobé des claviers tournoyants de Feldman. Rien à dire, parfait.
Et puis se pointe « Hang on to your ego ». Pas signé Frank Black, mais Wilson-Asher, Brian et Tony de leurs prénoms, autrement dit le duo responsable de la quasi-totalité de « Pet sounds », œuvre majeure des Beach Boys, et de la pop des années 60 et suivantes. Cherchez pas sur votre 33 T vintage de « Pet sounds », elle y est pas « Hang on to your ego ». Mais il y en a une qui lui ressemble plus qu’étrangement, en fait y’a que les paroles qui changent, elle s’appelle « I know there’s an answer ». « Hang … » était la version originale, censée vanter les vertus du voyage sous LSD. Sous la pression (de la Columbia, de cousin réac Mike Love, …) elle sera rebaptisée « I know … » et figurera sur « Pet sounds ». Au final, aucun des deux titres siamois ne traite de LSD. La version de « Hang … » par Frank Black est mirifique, et surpasse les versions originales des Boys, ce qui n’est pas à la portée du premier corniaud venu … Et cette reprise assez inattendue (peu d’atomes crochus entre Pixies et Beach Boys) figure au moins dans le tiercé majeur des titres de la galaxie Frank Black – Pixies.
Avec les dix minutes de cette triplette introductive, ce
disque place la barre à des hauteurs stratosphériques. La suite est très
nettement en dessous. La douzaine de titres qui suit semble dominée par une
sorte de power pop, où comment l’écriture novatrice et originale de Frank Black
marche maintenant sur les traces de Cheap Trick (qui était un bon groupe avec
de bons titres, mais là n’est pas le problème, c’était quinze ans avant ce
disque …).
Le cœur de ce « Frank Black » ronronne
doucement, basé sur des midtempo interchangeables. Quelques titres restent à
sauver, comme « Fu Manchu », « « Parry the wind high,
low » avec ses airs de « Paint it, black » sur les couplets, et
surtout l’instrumental surf « Tossed ». Globalement, le final du
disque est correct, avec « Parry … », « Adda Lee » et son
intro ska, la ballade glam « Every time I go around here » et la
power pop musclée de « Don’t ya rile ‘em ». Et même si la durée
totale n’est pas déraisonnable (trois quart d’heure ), Frank Black aurait
été bien inspiré de laisser de côté quelques titres, ça aurait rendu la
rondelle meilleure et plus homogène …
Malgré son tiercé de titres majeurs, ce « Frank Black »
sera loin d’avoir le succès des disques des Pixies (qui n’on jamais été de très
gros vendeurs, c’est dire qu’ici ça va pas faire très lourd). Les suivants de Franck
Black ne feront pas mieux, leur qualité ira déclinant. A tel point que dix ans
après ce disque, Fat Frank reformera (ça à dû lui coûter au niveau amour-propre)
les Pixies, tout d’abord pour l’alimentaire (et pour des disques oubliables dans
la foulée) dans leur formation originale, c’est-à-dire avec Kim Deal. Qui ne
tardera pas à se casser, et l’histoire ne dit pas si elle en a averti Frank
Black par fax.
Et pour que le calice soit bu jusqu’à la lie, quelques
mois après la parution de ce « Frank Black », Kim Deal réactivera son
groupe récréatif-exutoire les Breeders, et sortira un honnête « Last
splash » qui sera lui un carton mondial grâce au gros hit « Cannonball »
…
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