PHILIPPE GARREL - LES AMANTS REGULIERS (2005)

 

Une affaire de famille ...

Où vu le casting il sera fatalement question de la famille Garrel. Philippe à la réalisation, son fils Louis pour le rôle principal et son père Maurice dans une scène. Sans oublier ses trois femmes (non, il est pas polygame, elles se sont succédé dans sa vie) : Nico, Brigitte Sy et Caroline Deruas. Et je vous fais cadeau du restant de la famille et des amis qui ont filé un coup de main à un moment ou à un autre …

Garrel (Philippe)

« Les amants réguliers », c’est d’abord un film qui se mérite, deux heures cinquante-cinq minutes au compteur, dans un noir et blanc hyper contrasté. Et bien que la durée ni la couleur (ou son absence) n’y soient pour quelque chose, je vais pas tourner autour du pot, c’est un film où l’on s’emmerde ferme. Bon, ça c’est fait, tous les ayatollahs de Télérama (qui l’ont même sorti en Dvd, c’est dire s’ils sont fans, et qui mettent systématiquement le dernier film de Garrel dans leur Top 10 annuel, comme Les cahiers du Cinéma le font aussi avec chaque nouveau Godard), tous les ayatollahs disais-je donc vont me lancer une fatwa, j’ai dit du mal de leur prophète …

Ce qui me gêne le plus dans « Les amants réguliers » c’est son côté égoïste. J’ai l’impression que Garrel a fait un film pour un petit cercle fermé, qu’il y rumine ses thématiques et ses obsessions, et qu’il se fout royalement du reste de l’humanité et de son avis … des univers très personnels, y’a plein de types qui les développent au cinéma. Tiens, David Lynch ou Tim Burton, par exemple. Mais tu sens qu’ils essayent de t’y embarquer dans leur monde, que tu voie, que t’essayes de piger, et après t’aimes ou pas, ça c’est plus leur problème. Garrel, il donne pas l’impression de vouloir le partager son monde, même si l’exposition familiale permanente pourrait faire croire qu’il te livre son intimité et son âme … pour moi, rien de tout cela, juste de la mise en scène pour t’incruster son point de vue …

Hesme et Garrel (Louis)

« Les amants réguliers », c’est la tranche de vie d’une petite communauté parisienne dans la France soixante-huitarde. Le film commence en 68 et se finit vers 71. Pour bien situer l’année, y’a parfois, à la place d’un intertitre, un gros plan sur un numéro de porte, 68 et 69, ensuite le procédé est abandonné, va savoir pourquoi … 68, c’est une thématique récurrente, pour ne pas dire obsessionnelle chez Philippe Garrel. La drogue aussi. Il doit bien y avoir une vingtaine de minutes dans le film où l’on a des scènes composées uniquement de gens qui font tourner une pipe d’opium … Pas un hasard non plus si on a droit à un titre de Nico (morte depuis presque vingt ans à l'époque du tournage, très toxique compagne de Garrel dans les années 70) dans une bande son musicale très chiche … tiens, une anecdote sur Nico et Garrel. En 74, l’ex-chanteuse du Velvet livre avec aussi Tangerine Dream au programme, non pas un concert, mais plutôt une performance dans la cathédrale de Reims, haut lieu de la religion et de l’Histoire de France. Garrel doit avec sa caméra immortaliser l’iconoclaste concert et en faire un film. Défoncé jusqu’aux yeux, il sera incapable de tirer la moindre image du spectacle …


« Les amants réguliers », ça tourne autour de l’histoire d’amour de François (Louis Garrel) et Lilie (Clotilde Hesme), mais pas seulement, Lilie n’apparaît qu’au bout d’une heure du film. Auparavant, on nous a présenté François, étudiant beau gosse ténébreux, et qui veut vivre de son art, la poésie, ce qui en 68 comme aujourd’hui, est pas gagné d’avance. Il a « oublié » de répondre à la conscription, s’est échappé quand les flics sont venus le chercher, a fini par se faire gauler, a pris 6 mois avec sursis et exemption de service militaire lors du procès pour insoumission qui a suivi (pour moi la meilleure séquence du film, avec le côté très « Sentiers de la gloire » du tribunal militaire). Avec ses potes, il rêve d’un autre monde, traîne sur les barricades, est hébergé chez un fils de bourgeois où avec d’autres idéalistes et artistes en herbe se forme une petite communauté très dans l’air du temps …

Lilie aussi est artiste sculpteur (ou sculpteuse ou sculptrice, je suis fâché avec l’écriture inclusive, et la première féministe qui me traite de macho rétrograde, je lui en colle une … mais non, Sandrine et Marlène, je déconne …). Une fois passée la case des sourires mutins et des regards en dessous, Lilie et François forment un couple fusionnel, avant que lentement mais sûrement, il se délite comme les idéaux soixante-huitards qui les ont faits se rencontrer. Lui restera un poète, un romantique dans l’âme, elle retournera dans le « vrai » monde, avant un final tragique …

Mai 68 vu par Garrel (Philippe)

Sauf que « Les amants réguliers » n’est pas un film « classique ». Une fois que nos deux tourtereaux sont ensemble, ils restent certes en fil rouge, mais Garrel s’intéresse aux autres et dresse un portrait parfois haut en cou…, non en noir et blanc, de leur entourage. Et on voit que beaucoup aussi « renoncent », ou vont chercher ailleurs leur rêve évanoui en France (le friqué de la bande se casse pour le Maroc et ses montagnes de hasch …). Garrel lui ne renonce pas et nous refait son mai 68. On doit subir (et je pèse mes mots) au début du film une scène de barricades interminable, apparemment filmée en studio avec quelques pavés amoncelés, des fumigènes, une bagnole qui crame, des manifestant et des CRS quasi statiques … et un passage incongru, des figurants habillés comme en 1789 qui poussent vers la barricade une couleuvrine Louis XV. Pas compris … moi je tourne qu’aux drogues légales, clopes et alcool, alors des fois y’a des trucs et des visions qui m’échappent …

Ce qui m’a pas échappé, c’est que juste après le numéro de baraque qui nous annonce que l’on est en 69, on voit la petite communauté faire une boum ou une surprise-partie comme on disait à l’époque et se trémousser au son de « This time tomorrow » des Kinks paru … en 1970. Drôle mais certainement involontaire la faille temporelle. Sinon, question musique, la scène en famille de Maurice Garrel (avec Brigitte Sy et Louis Garrel, plus familial tu peux pas, sa belle-fille et son petit-fils) me fait furieusement penser au « chef-d’œuvre » d’Ange « Emile Jacotey », concept-album dans lequel un vieux maréchal-ferrant aux fraises raconte souvenirs d’enfance, histoires et légendes de son bled, c’est dire si c’est passionnant.

Louis Garrel est dans ce film toujours habillé comme toujours (y’a une clause dans son contrat ou quoi ?) dans ses films d’une chemise blanche débraillée trop grande et d’une veste noire (qu’il oublie de se laver, et si l’on en croit la persiflante rumeur il va ressembler à Benjamin Biolay …). Même tenue vestimentaire pour Clotilde Hesme, et comme elle a la même coupe de cheveux, on croirait voir la Patti Smith de la pochette de « Horses » (le fort duvet sur la lèvre en moins, non, Patti n’est pas si moustachue que ce que certains esprits chagrins laissent entendre …)

Alors, pour en revenir au début, même s’il est incontestable qu’il y a chez Philippe Garrel une démarche artistique cohérente, louable, voire même radicale, désolé mais j’accroche vraiment pas …


2 commentaires:

  1. Je ne connais pas le cinéma de Garrel, j'ai du voir des choses, comme ça, ça me semble toujours pareil, on a l'impression que le gars est resté coincé à une époque, entre la "Dolce vita" et "La maman et la putain". J'ai lu sur Wiki que son plus grand succès en salle, c'est 95 000 spectateurs... Mais mine de rien, il sort un film tous les trois ans.

    Tiens, à propos de ton article précédent, je suis retombé ce week end sur "La dernière séance" de Bogdanovich, c'est vraiment très bien, dans mon souvenir c'était plus drôle, truculent.. ca m'a fait presque penser à "Le Lauréat". Et je ne me souvenais pas de cette scène de bain de minuit, osée à l'époque, avoir tous les acteurs et actrices à poil pendant cinq minutes.

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    1. Moi non plus je connais pas les films de la Garrel family (apparemment même le Louis est passé derrière la caméra). Celui-là, c'est lent et lourd pour pas dire lourdingue, limite bourrage de crâne pour les messages qu'il veut faire passer ... Je sens que je vais pas aller plus loin dans l'exploration de sa filmo ...

      La dernière séance, pas revu depuis une éternité, pas de souvenir non plus de la scène de bain de minuit, mais je sais que j'avais trouvé ce film excellent ...

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