WOODY ALLEN - MATCH POINT (2005)

 

Jeu, set et match ... ou match nul ?

Woody Allen est le roi du sous-genre humour juif new-yorkais au cinéma (même si les Marx Brothers peuvent aussi être considérés comme des prétendants plus que sérieux au trône). Et Woody Allen a fait pour moi ses meilleurs films (« Manhattan » et « Annie Hall ») dans la seconde moitié des années 70. Ensuite, même si j’ai pas tout vu (le type tourne un film par an), il me donne l’impression de vivoter sur ses acquis, faisant des films pour son fan-club.

Allen & Johansson

Et puis, sentant peut-être qu’il tournait (dans tous les sens du terme) en rond, Woody Allen a fait autre chose. Là, il voulait faire un film policier. Genre peu souvent abordé par lui (la comédie policière potable « Meurtre mystérieux à Manhattan » est le seul qui me vient à l’esprit). Ses habituels producteurs ne l’entendaient pas de cette oreille, et n’ont pas mis tout le pognon qu’il voulait sur la table. La figure emblématique du cinéma new-yorkais s’est tourné vers les Anglais (la BBC a sorti le chéquier) et les banques luxembourgeoises, est parti en repérages pour Londres et a modifié son script. Dont certains esprits (forcément mauvais) ont trouvé des similitudes troublantes avec le chef-d’œuvre de Stevens, « Une place au soleil », ce qui ne me semble pas une hypothèse saugrenue.

Alors, oui, « Match Point » est un polar. Dans sa dernière partie. Parce que jusque-là, Allen prépare le spectateur à ce qui va arriver dans le dernier tiers du film. Il étudie ses personnages comme un entomologistes ses papillons, nous les montre évoluer dans leur cadre de vie. Et on se retrouve avec deux films pour le prix d’un … Mais de quelque façon qu’on l’envisage, il en manque dans chaque partie.

Bizarrement, les personnages apparaissent assez superficiels, et pas seulement à cause du milieu (la haute voire très haute société britannique) dans lequel ils évoluent. Caractères taillés à la serpe, loin des finesses auxquelles Allen nous avait habitués, et revirements et contradictions assez improbables (difficile d’imaginer un type s’improviser serial killer). Pour le côté polar, on repassera aussi. Ce film dont la conclusion (et encore, une conclusion entre chèvre et chou) qui s’appuie sur un détail (un rebond capricieux d’une bague jetée dans la Tamise, qui heurte le parapet et retombe sur la berge), laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, des trous béants dans la raquette de l’enquête policière (le journal intime qui ne révèle pas le mobile ?, l’arme du crime ?, les coups de feu qui ne s’entendent pas ?, le témoin bousculé en sortant qui ne se manifeste pas ?, etc …).

Monsieur & Madame

On dirait avec « Match Point » que Allen marche sur les traces de Hitchcock dans un troublant jeu de miroirs. Le gros Alfred était revenu finir sur la fin de sa carrière dans son pays natal (« Frenzy »), Woody Allen a relancé la sienne en s’expatriant, c’est à partir de « Match Point » qu’il a obtenu ses meilleurs scores commerciaux, avec un film selon moi très hitchcockien. Financement oblige, le casting est essentiellement anglais, à une exception près, et pas la moindre, Scarlett Johansson. Qui a dû jongler entre plusieurs engagements, effectuant plusieurs allers-retours transatlantiques pendant le tournage, quelques fois sans trop dormir et en ayant à encaisser le jet-lag. Et tous les intervenants du film (Allen, le reste du casting) sont formels, elle a été extraordinaire, et ça se voit sur l’écran, qu’elle irradie de sa présence toute en séduction animale et magnétique. Dommage qu’elle n’ait pas le premier rôle. Qui revient à l’assez transparent Jonathan Rhys Meyers (dont Allen compare la prestation dans ce film aux meilleures de Brando, … really, Woody ? t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là …).

Rhys Meyers, c’est dans le film un playboy sportif (tennisman proche du niveau professionnel), qui se fait engager dans un club privé de chicos londoniens comme prof de tennis (d’où le titre du film, et sa première scène, cette balle qui passe par-dessus le filet, et puis quand elle le touche, l’image s’arrête, on sait pas de quel côté elle va retomber, coup de chance ou coup du sort …) grâce à une de ses anciennes connaissances, fils d’un très riche entrepreneur. Il séduit assez facilement sa sœur, pucelle effacée, le mariage est prévu, ainsi qu’un boulot (très) bien payé chez beau-papa. Juste qu’à ce qu’il rencontre la fiancée de son beau-frère, américaine exilée qui rêve d’une carrière d’actrice et court les castings pour essayer (vainement) de décrocher quelque petit rôle dans la perfide Albion. Evidemment, comme en plus la Johansson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pas mal allumeuse, le sportif en tombe amoureux.

Monsieur et sa maîtresse

Ce qui ne l’empêche pas de se marier avec la fifille à papa (et maman, qui n’est intéressante que bien bourrée, ce qui lui arrive tout le temps), et d’entamer une liaison avec celle censée devenir sa belle-sœur. Sauf que les vieux l’entendent pas de cette oreille, leur fils chéri est invité à laisser tomber cette roturière et à épouser une fille digne de son rang. Bizarrement, ce genre de problème ne se pose pas pour Rhys Meyers, le plouc sportif. Qui dès lors va se retrouver coincé entre sa nunuche chicos (qui veut de la progéniture mais n’arrive pas à tomber enceinte) et la Scarlett qui est libre (et qui va se retrouver plus ou moins malgré elle en cloque). C’est ce partage entre deux femmes qui va vers le milieu du film, lancer la partie « policière » de l’affaire. Comment concilier le pognon de beau-papa et l’amour pour l’actrice déclassée sans y laisser des plumes ?

Tout ce qui a précédé est censé nous faire cerner la psychologie des personnages, sauf que tous ces revirements à 180°, et cette double vie improbable ne sont guère crédibles. Les portraits qui se voudraient finement ciselés sont finalement taillés à la hache … on a connu Allen beaucoup plus inspiré de ce côté-là. Et quant à la tragédie meurtrière qui est le tournant du film, ces trois-quarts d’heure-là sont plus près de « Tatort » que de « The Wire », si vous voyez ce que je veux dire …

Reste de belles images (après une bonne trentaine de films, Allen sait tenir une caméra, on est loin des images et des plans foutraques du début des seventies). C’est sobre et classique dans la mise en scène, bien cadré, les décors et les lieux de tournage (le manoir des bourges, la Tate Gallery, …, Allen a eu l’autorisation de tourner partout où il en avait envie) sont somptueux, certaines scènes sont superbes (le premier baiser de Rhys Meyers et Johansson sous une pluie diluvienne), mais rien de palpitant, et suspense pas vraiment haletant …

Comme en plus le Woody a des goûts musicaux sur lesquels j’éviterais de donner un avis de peur de devenir grossier, il laisse tomber le jazz à clarinette pour de l’opéra avec disques vintages en 78 tours en fond sonore (d’où un son mono et les craquements des disques), ce qui n’est pas forcément une bonne idée, même si elle est censée être raccord avec le milieu social des protagonistes …

Le tennis étant un sport où il ne peut pas y avoir de match nul, on dira que Woody Allen a gagné … sans convaincre vraiment …


8 commentaires:

  1. (je t'ai retrouvé. Il semble que ton blog ne soit plus accessible via Mozilla, mais par Edge...)

    Je te trouve un peu dur. Avec "Match point", non seulement Woody Allen proposait de sortir de sa routine, mais en plus il réalisait un de ses meilleurs films. Je le trouve quasi parfait, et je suis à chaque fois épaté de voir avec quelle facilité (si je puis dire) il arrive à trousser d'aussi bons films. Woody Allen est certainement le cinéaste le plus mésestimé des Etats Unis (un peu comme Eastwood à une époque), à croire que les gens jugent son travail uniquement sur sa manière de s'habiller ou de jouer de la clarinette, ou ses histoires privées, sans réellement regarder ce qu'il y a sur l'écran. Comme j'aimerais voir plus souvent des films d'1h30 aussi bien ficelés, écrits, joués, réalisés... Et au procès du "oui mais c'est toujours pareil" je répondrai votre honneur deux choses 1) c'est pas vrai (la preuve avec Match Point) 2) quand bien même, où est le problème ? Hitchcock et Scorsese, c'est pas toujours la même chose ? Pour certains on appelle cela 'un style' pour d'autre 'redondance' 'fainéantise'...

    En matière de polar (je dirai plus Film Noir) "Meurtre mystérieux à Manhattan" est un sommet d'ingéniosité et de drôlerie, film de chevet, référencé comme on aime. Tu peux jeter un oeil sur "Le rêve de cassandre" (tiens, c'est anglais aussi) bien noir, sombre, et que j'avais beaucoup aimé, comme "L'homme irrationnel" qui tient aussi d'un drame criminel. Plus tôt dans sa carrière "Crime et délits" est aussi un bon cru.

    RépondreSupprimer
  2. (merci Luc pour le tuyau : venir chez Lester via edge explorer)

    Moi aussi, je trouve Lester un peu dur avec la balle de match de Haleine-Boisée. Mais bon, pour quelqu'un qui a peu d'affinité avec Jean-Pierre Melville (moi), je ne donnerai pas la fessée... Je trouve que Lester argumente super bien son point de vue. Personnellement, j'ai toujours regardé ce film comme une relecture de Crimes et Châtiments de Dostoïevski. Et je trouve que c'est une belle réussite, tout aussi indispensable que le Crimes et délits dont parle Luc. Je n'ai pas forcément envie de le revoir pour le moment, mais j'aimerais bien en écrire un ou deux mots d'ici quelque temps.
    Quant à Meurtre mystérieux à Manhattan (vu il y a une vingtaine d'années), je n'ai pas accroché. Je n'ai pas aimé le personnage campé par Diane Keaton. Dans sa trilogie anglaise, Le rêve de Cassandre est à mon avis très en dessous de Match Point. Pas très maîtrisé au niveau de la narration. Mais bon, je peux me tromper. A revoir aussi un de ces jours.

    freddiefreedjââââz

    RépondreSupprimer
  3. Ah oui Freeddie, le Rêve de cassandre est en dessous, mais dans cette incursion dans le Film Noir, il ne s'en sortait pas mal. Je ne l'ai vu qu'une fois, il y a longtemps, j'avais été agréablement surpris.

    Ce que je voulais dire aussi, c'est que Woody Allen est vu souvent comme un comique, un brillant dialoguiste, la réplique qui tue ("Quand j'écoute du Wagner ça me donne envie d'envahir la Pologne"), alors qu'il est aussi un fabuleux scénariste, c'est concis, sans remplissage, parfaitement construit avec des "concepts" de départ souvent ingénieux (La Rose pourpre, Zelig, Melinda et Melinda, Minuit à Paris...) et on oublie aussi que c'est un vrai metteur en scène, pas juste un auteur qui filme. Les scènes finales de Match Point par exemple, sont remarquablement filmées, montées. je pense avoir tout vu, ou presque, de Woody Allen, je suis toujours au rendez-vous 25 ans, et même ses films mineurs (il y en a) ne sont jamais mauvais.

    RépondreSupprimer
  4. W Allen c'est de la merde.
    Schuffle Master ( alias J P Coffe)

    RépondreSupprimer
  5. Je le trouve pas ignoble "Match Point" ... s'il fallait mettre une note, allez, 3/5 ... sur la forme, c'est très bien, oui, Allen sait tenir une caméra, par contre sur le fond, l'histoire elle-même, bof ...

    Sinon, meilleure réplique de tous les temps du Woody : "La dernière fois que j'ai pénétré une femme, c'est en visitant la statue de la Liberté"

    RépondreSupprimer
  6. Le hasard... C'est pas un peu la philosophie du réalisateur dans ce film ?
    Shuffle Master : "Woody Allen, c'est de la merde". Voilà un point de vue qui ne fait pas dans la dentelle.
    Toujours l'esprit de contradiction le shuffle. J'adore !
    Si je me mets à la place de ceux qui détestent Woody Allen, je peux comprendre : une psychanalyse de bas-étage, le vide, le fait de parler pour ne rien dire ou pour ergoter, etc. L'inaction aussi. Sauf qu'en réalisant des films désespérés où il mêle humour et satire, Allen est dans l'action je trouve. Tu penses pas Shuffle ?
    Après, personnellement, si j'ai aimé Allen au départ, c'est parce que les intellectuels de tout bord le vénéraient en Occident. Après, j'ai fait mon tri, comme "tout le monde". Ahem.

    RépondreSupprimer
  7. Lester, la citation que tu donnes, c'est dans quel film ? Perso, ça ne me dit rien.
    Sinon, d'accord avec Luc : Allen c'est un metteur en scène de talent. Enfin, bien souvent j'aime beaucoup. Et Match Point, comme tu dis, les dernières scènes sont mémorables (réapparition des morts... comme dans le roman de Dostoïevski).

    Après, libre d'aimer ou pas. Y en a qui n'aiment pas Bresson ni Melville après tout. Et encore moins Ingmar Bergman (sic). Là, je me demande comment on peut ne pas aimer Bergman.

    Un jour, un collègue (prof d'anglais et cinéphile) m'a bien flingué quand même. Il vénère le réalisateur suédois comme personne. Pour lui aussi Allen, c'est de la merde. Mais le fait d'avoir rapproché Allen de Bergman quand le premier a réalisé Intérieurs, ça l'a mis dans tous ses états. Harry dans tous ses états (sic et sick).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cette citation, c'est dans un film seventies, mais je sais plus lequel ... Manhattan, Annie Hall ou Hannah et ses sœurs, je pense ...
      Je vais mettre tout le monde d'accord, je ne vénère ni Bergman ni Allen, mais force est de reconnaître qu'ils ont quelques fois fait de grands films ...
      D'ailleurs je vénère personne ... (sauf Philippe de Villiers (je viens juste d'apercevoir sa bobine de simplet derrière l'ayatollah zemmour sur un chaîne d'info) qui me fait toujours marrer ... j'y peux rien c'est nerveux ... fin de la parenthèse)

      Supprimer