Love est un groupe qui n’a jamais eu de succès de son vivant. Et guère plus a posteriori. A deux petites exceptions près. Un morceau de rock garage, « Seven & Seven Is », que l’on retrouve dans des compilations dédiées au genre (notamment dans les bonus de la version expended de « Nuggets » en 4 Cds, la référence dans le domaine), et ce « Forever changes ». « Forever changes » est l’archétype du disque culte (comme par exemple « Village green » des Kinks), bide monumental lors de sa parution, réévalué par les manuels d’histoire du rock’n’roll et « ceux qui savent » depuis des décennies, sans que pour autant les gens se soient précipités pour l’acheter.
Love, c’est le projet d’un homme, Arthur Lee. Figure de
la scène musicale underground du Los Angeles des mid-sixties, et « priorité »
avec son groupe Love Forever Changes (raccourci en Love) du label Elektra de
Jac Holzman. Le groupe fait paraître deux disques en 1966, « Love »
(sans grand intérêt) et « Da Capo » (avec « Seven & Seven
Is », la douce ballade « Orange skies », et une bêtise qui tient
une face entière du vinyle, une première pour un disque de rock). La petite
histoire (ou la légende genre Liberty Valance), assure que c’est Arthur Lee qui
a incité Holzman à signer les Doors avec là le succès que l’on sait …
Love est un groupe multiracial (deux métis et trois blancs). Pas le premier du genre (Booker T. & the MG’s enregistrent depuis le début de la décennie, il y a des Blancs chez les Funk Brothers, le groupe de studio de la Tamla Motown), mais à l’époque ça courait pas les rues … Être une bande de musiciens californiens dans le milieu des années 60, entraîne quelques « obligations » et les dommages collatéraux qui vont avec. Les Love vivent en communauté, et appliquent en grandes quantités la sainte trinité sex & drugs & rock’n’roll. Résultat des courses, Lee devient assez rapidement complètement cinoque. Pas un hasard si on a parfois l’impression en écoutant Love de pas être très loin du Pink Floyd de Syd Barrett.
Et comme dans le Floyd, l’omnipotent Arthur Lee pourra
compter sur d’autres membres du groupe pour la composition. John Echols,
responsable et coupable de la farineuse et interminable jam du précédent
disque, heureusement aux abonnés absents niveau compos sur « Forever
changes ». Mais surtout Bryan McLean, lui aussi guitariste et
accessoirement chanteur. Pour la petite histoire généalogique, McLean est le
demi-frère de la formidable Maria McKee (débuts avec Lone Justice au début des
80’s, puis carrière solo très sous-estimée, dont quelques titres avec McLean).
Sur « Forever changes », c’est McLean qui ouvre
le bal avec « Alone again or » un des plus fantastiques titres des
60’s, où la concurrence était pourtant diablement rude. Ça commence avec des
arpèges folk acoustique, quand la batterie et les guitares arrivent, ça prend
le rythme du « White rabbit » de Jefferson Airplane, et puis les
trompettes sonnent comme jamais elles n’ont sonné et ne sonneront dans un
disque de pop-folk-rock-machin. Explication : les Love tous ensemble dans leur
communauté (une ancienne baraque de Bela Lugosi), ne sont d’accord sur rien
musicalement, et le plus souvent incapables d’assurer instrumentalement (Love
ne donnera quasiment aucun concert). Première idée de Lee : faire produire
le disque par Neil Young, alors dans Buffalo Springfield. Refus poli du
Canadien. On fera donc avec les moyens du bord, ceux d’Elektra, et l’ingénieur
attitré Bruce Botnick. Puis il faudra trouver des musiciens qui assurent. Une
partie du Wrecking Crew (dont la fantastique section rythmique Hal Blaine –
Carol Kaye) est réquisitionnée, les bandes sont effacées et réenregistrées un
nombre incalculable de fois, et au final plus personne ne sait qui joue quoi
sur quel titre. Dernière tocade de Lee : aller passer des jours avec un orchestre
philarmonique de Los Angeles sous la direction de l’arrangeur Davis Angel pour
rajouter couches de cordes, vents, cuivres, … Le résultat sera diversement
apprécié par le reste du groupe, et cette finalisation inattendue du disque
sera le début de la fin pour Love, McLean sera le premier à claquer la porte.
Quoi qu’il en soit, ces arrangements contribuent à faire basculer des chansons a priori tout ce qu’il y a de plus « classiques » vers un spectre sonore unique, luxuriant et dépouillé à la fois. Très peu partiront dans cette direction sonore : Sagittarius et The Left Banke à peu près à la même époque et les Pale Fountains (leur fantastique « Pacific Street » en 1984). Et de l’avis de ceux qui les ont scrutés, les textes (sous très fortes influences de produits toxiques) sont à peu près totalement incompréhensibles. Une des seules exceptions (et encore, de quoi est-il vraiment question) est « The Daily Planet », référence au journal dans lequel travaille Clark Kent / Superman. Mais ce que l’on retient de ce titre, ce sont les trouvailles mélodiques fabuleuses de ce rock psyché …
« Forever changes » est un des très rares
disques de l’époque où il n’y a rien à zapper (pas de raggas, de planeries
informes, de jams interminables, …). On peut se demander d’où est sortie l’idée
d’un titre comme « A house is not a motel » (à l’opposé de tout le
monde, la guitare fuzz ne mène pas le titre, elle sert d’arrangement). On reste
surpris devant « Maybe the people … », très proche de « Alone
again or » mais signée Lee (qui a copié qui ?).
Les Love ont beau vivre en vase clos, ils restent tout de
même connectés au monde musical de l’époque. « Andmoreagain » est un
des meilleurs morceaux « à la McCartney / Beatles » de tous les temps
(avec « Sowing the seeds of love » de Tears For Fears et
« Beetlebum » de Blur). « Live and let live » reprend les
bases folk des débuts du Grateful Dead, pour finir avec ses guitares fuzz dans
le rock psychédélique des contemporains Paul Butterfield Blues Band et des à venir
Quiksilver Messenger Service. « The good humor … » cache derrière ses
beaux violons pizzicato des similitudes avec les comptines psyché de Syd
Barrett sur le premier Pink Floyd.
Et puis, Love semble annoncer des choses que l’on
entendra plus tard. Il y a toute la fragilité de Nick Drake en filigrane dans
« Old man » (l’autre titre du disque composé par McLean qui chante
également lead), et l’espèce de proto-rap « Bummer in the summer »
évoque beaucoup « The Gift » sur le second Velvet Underground qui
paraîtra quelques mois plus tard …
Les chiffres de vente de « Forever changes »
seront faméliques aux States, un peu moins mauvais en Europe, en Angleterre
notamment. Rien cependant qui empêche Love de se déliter (officiellement
divergences musicales, mais aussi caractère instable et de cochon d’Arthur
Lee). La carrière de Love offre beaucoup de similitudes de parcours avec celle
de Sly & The Family Stone, qui sera quelques années plus tard aussi
erratique. Arthur Lee verra la lumière au contact de Jimi Hendrix (les bandes
de quelques titres enregistrés par les deux ne sont jamais parues et semblent
perdues à tout jamais), au point qu’une fois que le gaucher de Seattle aura
définitivement quitté ce monde, Arthur Lee affirmera qu’il en est devenu la
réincarnation (son foutraque disque solo « The Vindicator »), avant
de devenir un habitué du caniveau et un bon client des dealers en tous genres …
« Forever Changes » restera son sommet et un
sommet du rock des sixties …
Je pense que tous ceux qui ont écouté ce disque sont d'accords avec ta conclusion. J'ai réécouté tout LOVE y'a pas longtemps, et sans retrouver le sommet de Forever Changes, les albums suivants sont pas mal non plus ! Celui d'avant, "Da Capo" est très bien si on s'arrête à la face A ! La face B a dû plaire aux gars de Canned Heat et leurs boogie interminables. Leur tout premier est assez pénible, caricature du disque psychédélique, mais bon, on pardonne... Son "Vindicator" au parfum hendrixien est vachement bien ! J'ai l'impression qu'Arthur Lee aura été une des grandes personnalité des 60's, en tout cas de la scène de Los Angeles, et qu'il n'en a pas récolté les lauriers.
RépondreSupprimerRéécouter tout Love ... y'a pas de mal à se faire du mal comme tu dis ... D'accord pour la moitié de Da Capo mais tout le reste (y compris le bruyant Vindicator), ben j'écoute pas ...
SupprimerIl y a souvent eu à cette époque des grands disques sortis on ne sait d'où par des inconnus ou des types qu'on pensait pas trouver à ce niveau vu leurs rondelles précédentes (Pet sounds, le 1er Doors, Surrealistic pillow, ce Forever changes, ...) qui tendraient à prouver les bienfaits du LSD sur la créativité ... Malheureusement, force est de constater aussi que ces bienfaits ne durent généralement pas très longtemps ...
Quand je dis "tout", uniquement la première carrière du groupe, donc trois albums après Forever Change.
RépondreSupprimerLe LSD et autres joyeusetés, surement, mais aussi la concentration en un temps et un lieu d'une ribambelle de musiciens, une "scène" comme on dit, donc avec maisons de disques et chercheurs de têtes qui ont senti le filon. Dans le lot, statistiquement parlant, y'avait des chances qu'il en sorte des choses intéressantes. Un peu comme à Londres au même moment, qui a vu fleurir pléthores de groupes, ou à New York fin 60's.
Et à Paris ?
Pschiiiiitttt...........après mures écoutes, ça arrive pas à la malléole de Radiohead...
RépondreSupprimerC'est malin, j'ai dû chercher malléole dans le dictionnaire...
RépondreSupprimerMoi c'est Radiohead que j'ai dû chercher dans le dico ... j'ai pas trouvé ...
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