KING CRIMSON - IN THE COURT OF THE CRIMSON KING (1969)

 

D'algébrique et de broc ...

Ce disque-là, c’est un des incontournables du rock au sens large. Nul n’a fait et ne saurait faire quelque chose qui ressemble à une liste des meilleurs disques sans que « In the court … » n’y figure. Avec « Velvet Underground & Nico », « Dark side of the moon », le « White Album », ce disque peut se prévaloir d’une des pochettes les plus connues. La musique ? Juste pour beaucoup l’alpha et l’oméga du prog rock …

Il convient donc de dire le plus grand bien de « In the court » … et à titre tout à fait perso, un peu de mal aussi, hein, on se refait pas …

King Crimson at Hyde Park

King Crimson, qui existe peut-être encore, c’est la chose de Robert Fripp, guitariste virtuose et cérébral. Le groupe a vu défiler un nombre incalculable de musiciens dont la condition préalable à l’embauche était d’avoir un niveau technique très au-dessus de la moyenne. Pourtant, si l’on remonte aux origines du groupe, Robert Fripp n’était que le troisième sommet d’un triangle construit par les deux frères Giles, sous le patronyme hautement imaginatif de Giles, Giles & Fripp. Après quelques changements de personnel, lorsque Giles, Giles & Fripp deviendra King Crimson début 1969, seul un des deux frangins, Michael, sera encore là, à la batterie. Ont rejoint le groupe Ian McDonald, multi-instrumentiste (dont notamment la flûte dont il usera et abusera, on y reviendra), et Greg Lake (bassiste et futur membre de Emerson, Lui-Même & Palmer). Plus un poète, parolier et éclairagiste du groupe, Pete Sinfield.

En cette fin des années 60, rien ne paraît impossible. Qu’on en juge. Le 9 avril 1969, King Crimson donne son premier concert officiel (à Londres, au Speakeasy). Moins de trois mois plus tard, le 5 juillet, King Crimson est en première partie des Rolling Stones à Hyde Park (le concert-hommage à Brian Jones, mort deux jours plus tôt) devant un public estimé entre 250 000 et 500 000 personnes. La prestation de la bande à Fripp reçoit de nombreuses critiques élogieuses. Pas mal pour un groupe qui n’a pas fait paraître un seul single, et encore moins d’album …

Version gatefold ...

Le premier 33T va être enregistré durant l’été, et finalisé (en toute décontraction selon les dires des membres du groupe que l’on n’est pas obligés de croire sur parole) en huit jours. Du strict point de vue de la technique sonore, c’est assez catastrophique. Des problèmes de bandes stéréo à l’origine de craquements et de grésillements sur le master, une batterie mal enregistrée et donc sous-mixée, autant de détails qui auraient pu stopper net la carrière du groupe. Rajouter à cela une pochette où ne figurent ni le nom du groupe ni le titre du disque, encore un élément commercial suicidaire des débuts de King Crimson. C’est cette pochette sans aucune indication qui paradoxalement, va provoquer l’enthousiasme populaire. L’auteur de la pochette est un jeune informaticien, Barry Godber (mort à 24 ans l’année suivante) d’après quelques indications données par Sinfield sur le contenu et la thématique du disque. La pochette est de type gatefold et présente l’homme schizoïde du 21ème siècle. Pas la peine de la décrire, tout le monde la connaît. A l’intérieur, le visage lunaire et apparemment souriant du Roi Cramoisi. Cette pochette, choc visuel et esthétique, fera immédiatement décoller les ventes de disques (on parle là quasiment d’un autre monde, où des gens achetaient des disques et pas des abonnements à des sites de streaming farcis d’ignobles mp3 compressés), avant même de savoir quelle sorte de musique on pouvait trouver à l’intérieur …

Au centre de tout, Robert Fripp

Le premier titre du disque c’est « 21st Century Schizoid Man », un de ces morceaux épiques qui se comptent sur les doigts d’une main dans l’histoire du rock (« Good vibrations », « Born to run », liste close ?), compositions à tiroirs d’une sophistication peu commune. « 21st … » commence par 30 secondes de silences parasitées, avant qu’arrive un riff de guitare monumental doublé au sax et une voix trafiquée (pas au vocoder, qui n’existait pas) déclamant un texte cryptique duquel surnage la référence à la guerre du Vietnam (« innocents raped with napalm fire »). Mais c’est la partie centrale du morceau qui le rend unique. Un empilement de solos (surtout de guitare) construits de façon mathématique (crescendos puis decrescendos symétriques) tout à l’opposé des improvisations bluesy de rigueur à l’époque. « 21st … » sortira en single réparti sur les deux faces du vinyle (jamais écouté, mais ça doit sonner très étrange …).

Le petit frère de « 21st… » c’est le titre éponyme, en conclusion du disque. Une sorte de (très) quiet – (très) loud épique et symphonique, mais avec quelques parties assez pénibles (un malheureux solo de flûte surtout vers la fin) avant un emballement électrique et rageur… Le disque ne comporte que cinq titres enchaînés (certains en plusieurs parties, découpage typique des morceaux du prog à venir).

Il y a un autre titre intéressant, « Epitaph » qui clôture la première face vinyle. Peut-être la seule vraie concession de King Crimson à l’air du temps. Trame issue de la musique classique tendance un peu pompier (dans la lignée de Procol Harum ou des Moody Blues), et qui ressemble par moments à ce que fera le Floyd dans les années 70.


Les deux titres restants sont pour moi les deux plus problématiques. « I talk to the wind » et « Moonchild » abordent les thématiques qui feront florès chez les progueux et les babas-cool de tout poil : la balade campagnarde, la communion avec la nature (on parle au vent, à la lune, on fait l’amour aux arbres, …, toutes ces sornettes bucoliques). On notera l’omniprésence de la flûte (les fans du pénible Ian Anderson de Jethro Tull seront ravis), des interminables passages où il ne se passe strictement rien (gazouillis ineptes de mellotron exceptés).

On sait cependant que tout ce qui semble n’être que jams farineuses informes était en fait très écrit. Rien n’est improvisé dans « In the court … », tout est chirurgicalement mis en place. Fripp qui est dès cet essai inaugural le leader du groupe a un discours plombant sur la musique, intellectualisant la moindre bribe sonore. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne très pote avec Brian Eno, autre conceptualisateur forcené.

Le caractère de cochon du Robert génèrera un turn-over assez frénétique au sein de King Crimson. Qui passera le début des années 70 dans le marigot du prog-rock, d’où surnageront à peine quelques riffs monstrueux (celui de « Lark’s tongue in aspic » étant le plus mémorable), avant un nouveau disque hors norme, le très noir et très étouffant « Red » (le meilleur du groupe selon moi).

Même si « In the Court of the Crimson King » est loin d’être parfait d’un bout à l’autre, on peut difficilement se passer de l’avoir sur ses étagères …


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