« Death Song » ou comment le groupe messie de sa
petite chapelle peut devenir une référence pour tous. Même si c’est pas gagné.
Rien n’est jamais gagné dans cette loterie forcément aléatoire qu’est le music
business.
Les Black Angels ont commencé à déployer leurs ailes
il y a dix ans (putain dix ans !). Avec comme signe distinctif une
révération du Velvet et une génuflexion devant tous les anciens du
psychédélisme lourd et sauvage. Et dans ce genre plutôt encombré, ils sont
devenus incontournables, (re)mettant Austin sur la carte du rock qui compte, y
lançant même le Psych Fest. Qui a fini par faire de l’ombre au totalement
mainstream et monétisé à outrance SXSW (South by SouthWest), longtemps
considéré comme le plus grand festival rock des années 2000 de la galaxie. Une
Psych Fest devenue Levitation Festival et maintenant déclinée dans le monde
entier.
Evidemment, se diversifier, comme disent les hommes
d’affaires, ça peut avoir des conséquences non négligeables sur l’activité
principale. Après deux premiers disques remarquables dont un « Phosphene
dream » d’anthologie, ils avaient baissé qualitativement, laissant, à
mesure que leur réputation croissait quelques-uns de leurs premiers fans sur le
bord de la route.
Et aujourd’hui « Death Song » pourrait
être le disque de la rupture, leur ouvrir les portes du succès mainstream,
comme l’ont été en leur temps des rondelles comme « Out of time »
pour R.E.M. ou « El Camino » pour les Black Keys. Des disques qui ne
reniaient pas le passé mais ouvraient toutes grandes les portes des arenas.
Avec « Death Song » les Black Angels conservent leur ADN. Déjà, leur
nom était la moitié d’une chanson (enfin, chanson si on veut) du Velvet, et le
titre de ce disque en est l’autre moitié. Difficile de faire plus explicite,
même si rien dans ces onze morceaux ne sonne comme la bande à Lou Reed …
« Death Song » a été enregistré entre leur
fief d’Austin et Seattle. Hasard ou pas, il semblerait que l’âme des deux
Seattle guys du Club des 27 ait guidé quelques parties de guitare hendrixiennes
(les décollages « cosmiques ») ou survolé les riffs lourds très
Nirvana de quelques titres. Certitude en tout cas, ce disque a été conçu avant
le résultat de la présidentielle US alors que la sourde menace d’un Trump victorieux
commençait à se préciser et donne parfois dans le « politisé », le
constat social. C’est peut-être cet aspect de « l’œuvre » qui sera un
frein à leur expansion, les disques « militants » n’étant pas
aujourd’hui forcément bien vus, on n’est plus à la fin des 60’s, l’hédonisme et
l’insouciance sont (re)devenus rois …
Ce qui distingue de la concurrence, c’est la variété
sonore de ce qui est proposé, loin du pilonnage sonique monotone de mise dans
la boutique heavy psych. D’abord les Black Angels font sauter les verrous des
claviers et autres synthés longtemps accusés de tous les maux dès lors qu’il
s’agissait de « rock ». « Death Song » en est plein, et curieusement
(là aussi ça semble une tendance lourde du rock indie de nos jours) beaucoup
renvoient aux sonorités honnies des lustres des années 80. Exemple les plus
frappants, « I dreamt » et « Medicine » dans lesquels les
fans de Depeche Mode ne seront pas perdus, même si le premier, tournerie
hypnotique avec voix de muezzin évoque encore plus les premiers P.I.L., le
second étant beaucoup plus hermétique et énigmatique dans sa finalité, on voit
pas trop où le groupe veut en venir.
Que les amateurs de grosses guitares ne passent pas
leur chemin, y’a ce qu’il faut. Des riffs stoner de l’introductif
« Currency » (grand morceau, avec son contraste entre la douceur
mélodique et la violence sonore), au space rock sauvage de « Comanche
moon », en passant par le heavy blues rock « Hurt me down », ou
le violent « I’d kill for her » dans lequel la mélodie enfouie sous
les strates de guitares évoque Dinosaur Jr.
Et puis il y a dans « Death Song »
quelques titres qui s’imposent d’eux-mêmes, sublimant influences et références.
« Half believing », ballade à synthés planants et arpèges de guitare,
voix haut perchée, avec une montée en puissance qui montre à Arcade Fire qu’ils
ont encore du boulot. « Estimate » est le seul clin d’œil au Velvet.
Enfin, par la bande, puisque qu’on y trouve un harmonium (instrument de
prédilection de Nico lors de sa carrière solo) très en avant, un drive de
batterie imperturbable comme un mantra rythmique, qui concourent à faire de ce
morceau une expérience sonore originale et étrange. « Grab as much »,
basse caoutchouteuse, un riff qui ressemble étrangement à celui de
« Shakin’ all over » de Johnny Kidd, est un titre quasiment pop qui
finit par une boucle à la « A day in the life ». Enfin l’ultime
« Life song », c’est la musique qui visite les étoiles, et ça
mériterait de devenir le « Space Oddity » des années 2010.
Le packaging est comme toujours avec les Black
Angels somptueux, avec sa pochette très Vasarely style, et son poster dans le
digipack. Chez ces gens-là, même à une époque où les disques ne se vendent
plus, on respecte le cochon de payant.
« Death Song » constitue le premier grand
virage, « l’ouverture » vers un public que les Black Angels
souhaitent manifestement voir s’agrandir. Perso, ça me dérangerait pas qu’ils
réussissent …