Tout commence et tout finit à Alcatraz ...
« Le point de
non-retour » (« Point Blank » en V.O.) est le second film de
John Boorman. Avec derrière la MGM. Ce qui est quand même un assez remarquable
coup de bol. Parce que son premier film était plus ou moins une commande
publicitaire sur l’oublié groupe anglais du Dave Clark Five (rivaux des Beatles
pendant bien trois jours). Bon, les types de la MGM sont pas des misanthropes,
ça se saurait. Ils ont un script, un budget (pas colossal), et l’acteur
principal, Lee Marvin.Boorman & Marvin
Lee Marvin est une
« gueule » du cinéma américain, roi des seconds rôles de méchants,
voire pire (la sadique défiguration au café bouillant dans « The big
heat »), avant la consécration, toujours dans un registre
« musclé » dans « Les douze salopards ». C’est sur le
tournage de ce dernier que lui et Boorman se rencontrent, et Marvin va aider
l’Anglais à peaufiner le scénario et à imposer Angie Dickinson comme premier
rôle féminin.
Comme souvent (toujours ?) chez Boorman, le résultat est assez comment dire … décousu (picole ? drogues ? les deux ?). Mais force est de reconnaître que le gars qui n’a même pas trente cinq ans n’a pas froid aux yeux. Certains plans dénotent une originalité certaine (une contre-plongée à travers une grille, bien joué), le montage est vif, même si parfois brouillon (mais c’est fait exprès, témoin les deux flashbacks entremêlés du début, on change d’histoire toutes les dix secondes). Meilleure scène : une baston sauvage dans la pénombre des coulisses d’un club, pendant que sur scène un groupe balance du heavy-psyché-soul (?).Boorman l’a reconnu plus tard, il voulait filmer Lee Marvin à la manière d’un peintre filmant son modèle, ce qui fait que l’histoire est parfois confuse (dans la grande tradition des films noirs des années quarante et cinquante), et tous les autres rôles sous-employés. Même si ça fait parfois un peu trop démonstratif, genre « t’as vu les images que je peux amener sur l’écran », Boorman se montre brillant caméra au poing, et son sens de la mise en scène éclipse souvent l’histoire et ses acteurs.
Lee Marvin est Walker (pas de
prénom, on sait pas si c’est son nom ou un surnom). Petit délinquant branché par
un pote sur un gros coup, braquer une transaction de dope pour récupérer le
pognon. Mais tout dérape. Il devait pas y avoir de violence, mais le pote
allume (« neutralise » comme dirait Gégé Darmanin) deux types.
Ensuite du pognon, y’en a moins que prévu. Et pour couronner le tout, le
« copain » tire sur Walker, le laisse pour mort, et se casse avec le
pognon et la fiancée de Walker. La meuf, Walker qui n’a rien d’un romantique,
s’en fout un peu beaucoup. Par contre, son obsession sera de se venger et de
récupérer quatre vingt treize mille dollars, sa part du butin.
Le braquage s’est passé dans la
cour de la prison d’Alcatraz. Alcatraz (The Rock dans la langue de Dos Passos),
est un mythe de la culture policière américaine. Sur ce caillou de la baie de
San Francisco, a été construit et mis en service au début des années 30 un
centre pénitentiaire d’où l’on ne s’évadait pas (certains ont essayé, mais les
eaux glaciales de la Baie ont fait qu’ils n’ont jamais atteint la terre ferme),
et qui recevait les prisonniers les plus « compliqués » (grands
mafieux, serial killers, ce genre). La prison sera désaffectée en 1963, et les
bâtiments laissés à l’abandon. « Point Blank » sera le premier film
qui y sera (en partie) tourné avant que Clint Eastwood s’en évade et que Sean
Connery y reprenne (sans le dire évidemment) son rôle de James Bond
(« Rock » avec Nicolas Cage et Ed Harris). A noter que pour « Point
Blank », la MGM a beaucoup communiqué, invitant des équipes de télé sur le
tournage, et organisant une séance de shooting de mode pour les deux rôles
féminins principaux (Dickinson et l’oubliée Sharon Acker) qui dans le film ne
mettent pas les pieds sur l’île (Dickinson) ou n'y ont qu’une courte scène
(Acker).
Bon, revenons à Walker-Marvin.
Laissé pour mort dans une cellule, il regagne San Francisco à la nage, et
quelques mois plus tard, on le retrouve sur la trace de son ex (et donc de son
pote ripou) à Los Angeles. Il trouve d’abord la femme (Sharon Acker) qui se
suicide illico aux barbituriques, et avec l’aide d’un mystérieux indic toujours
là au bon moment, se lance à la recherche du pognon et de son ex-pote. Il sera
aussi aidé par sa belle-sœur (Angie Dickinson) et s’apercevra vite que son pote
n’était qu’un sous-fifre d’une vaste bande de voyous (certains en col blanc),
l’Organisation. Méthodiquement, Walker remontera sa hiérarchie, entassant
derrière lui les cadavres et toujours dans l’espoir que quelqu’un va lui
refiler son pactole. L’épilogue, avec le chef suprême de l’Organisation, aura
lieu lui aussi dans la cour de la prison d’Alcatraz.Angie Dickinson & Lee Marvin
Walker, qui n’est pas vraiment
un « bon », est confronté à une galerie de personnages plus retors ou
violents les uns que les autres (gros bras, snipers, …, sans compter le
triumvirat hiérarchisé des chefs), peine à se laisser séduire par Angie
Dickinson (faut le faire, en plus elle est vraiment de son côté), mais est
toujours prêt à l’affrontement violent. Le film est concis, ramassé (moins
d’une heure et demie), on a parfois du mal à suivre, il y a quelques
incohérences (plus les types sont haut placés dans l’Organisation, moins ils
sont gardés et protégés, par contre son ancien pote est constamment entouré par
une bonne demi-douzaine de gardes du corps – flingueurs).
« Point Blank », au
final, c’est quelque part entre la série B et le classique. Lee Marvin (c’était
le but du jeu) crève l’écran, et tant son personnage que le film se révèlent
être cousins de « Get Carter » (avec le toujours excellent Michael
Caine), de quasiment toute la filmo de Bronson, et de quelques-uns de celle de
Clint Eastwood.