Un certain Mick Jagger ...
Ça vous dit quelque chose, le nom de Mick Jagger ?
Oui ? ‘tain, vous devez être vieux … Peut-être pas autant que Sir Mick,
mais bon … Donc le Mick, il y a cinquante ans qu’il imite (le chant, la
gestuelle scénique), en évidemment plus vieux et moins bon, le Jagger du début des
seventies. Avant cela, Mick Jagger sur scène avait beaucoup emprunté à
Tina Turner, et encore avant à James Brown. Et quand il a commencé, vers 63-64,
son modèle principal c’était Solomon Burke. Solomon qui ? … Bougez pas, je
vous présente le bestiau …
Même si aujourd’hui, on cite à peu près aussi souvent Solomon Burke quand on cause musique, qu’on cite Raymond Kopa en parlant cyclisme ou Louison Bobet dans une discussion sur le foot (oui, je sais, y’a un twist, c’est pour voir si vous connaissez vos classiques).
Le brave (?) Solomon, il est, pour être gentil, un
peu tombé dans l’oubli et il risque pas trop de revenir au sommet, vu qu’il a
claqué en 2010. Il fait partie de toute une litanie de chanteurs américains de
… musique noire pour faire simple, qui ont eu leur quart d’heure de demi-gloire
au début des sixties, coincés temporellement entre Jaaaames Brown (la figure
tutélaire), Sam Cooke (le beau gosse hyper populaire à la voix de velours) et
les futures stars soul à venir (les types des écuries Stax et Atlantic, les Otis
Redding, Wilson Pickett, Sam & Dave, …). Sans oublier les hits de la Tamla ou
de Spector … Malgré tout, des Ben E. King, Arthur Alexander, Don Covay, Geno Washington,
Jackie Wilson (ces deux derniers ayant suscité deux – belles – chansons des
Dexys Midnight Runners au début des 80’s), récoltaient quelques hits et
pouvaient prétendre atteindre le haut de l’affiche. Solomon Burke faisait
partie du lot.
Des premiers enregistrements au début des années 60, une signature chez Atlantic, commencent à le sortir du troupeau d’anonymes qui s’escriment dans la chanson. Burke a pour lui une voix malléable, avec une facilité certaine pour monter dans les aigus et descendre dans les graves, et une présence sur scène physique et énergique. « Just out of reach » sera son premier succès, paru en 1961, et présent dans les charts à l’occasion d’une réédition deux ans plus tard. « Cry to me » suivra quelques mois plus tard. Le premier est une ballade soul interprétée d’une voix suave qui n’est pas sans rappeler le King Elvis himself lorsqu’il s’adonnait à ce genre de ritournelles. « Cry to me » est d’une structure plus travaillée, empruntant toujours à la soul, mais le tempo s’accélère, laissant apparaître des sonorités venues du doo-wop et du rhythm’n’blues. C’est le moment que choisit Atlantic pour faire de Burke une de ses priorités. Un auteur maison, qui commence dans la production, Bert Berns, est chargé du disque, sous le regard et les oreilles attentives de Jerry Wexler, producteur en chef d’Atlantic (et plus ou moins bras droit d’Ahmet Ertegun, fondateur du label). Solomon Burke devient une affaire sérieuse.
Ce « Rock ‘N Soul » qui résultera des séances,
indique par son titre même la direction choisie. La soul est le matériau de
base, mais un pont veut être construit avec le « rock » au sens le
plus large, c’est-à-dire un crossover entre musiques blanches et noires. Rien
de nouveau et d’extraordinaire dans la démarche artistique, si ce n’est que
généralement, ce sont des chanteurs blancs qui allaient vers la musique noire
(le cas d’école Presley), plus rarement l’inverse.
Burke bénéficie donc de la machine Atlantic, ce qui
n’est pas rien. Et de titres qui pourraient bien marcher. Bon, pas les siens,
Burke compose peu (deux titres vers la fin du disque, pas les meilleurs), mais
il peut compter sur un tracklisting sur-mesure, pour l’essentiel des reprises.
Et pas de n’importe qui. Figurent dans les crédits des noms comme Wilson
Pickett, Woody Guthrie, Don Covay, Leiber & Stoller, … Ce « Rock ‘N
Soul » va pourtant être doté d’un son assez curieux, avec une place
souvent démesurée accordée aux choristes dont les voix au premier plan viennent
parasiter Burke, pourtant pas vraiment un aphone au micro. Nouveau concept
musical (rock ‘n soul) et donc nouveau concept sonore ? Je sais pas, mais
ça pique parfois les oreilles …
Tout est fait pour attirer le chaland. Les « vieux » hits « Just out of reach » et « Cry to me » sont de la revue, et oui, on peut trouver des chansons qui tirent (un peu) vers le rock’n’roll … Bon, pas tant que ça en fait, seule « Hard ain’t it hard » peut être raccrochée au wagon du binaire. L’essentiel est composé de soul parfois énergique (« Goodbye baby (Baby goodbye), « You’re good for me »), mais le plus souvent sous forme de ballades (« Can’t nobody love them all », « Someone to love me », « He’ll have to go », cette dernière ayant dû pas mal plaire à Willy DeVille). Dans l’intitulé du disque, Burke aurait aussi pu rajouter « pop » (« Won’t you give him » semble sous forte influence Beatles), voire « gospel » et « jazz » (« You can’t love them all » a des effluves de ces deux genres. Pour faire simple, « Rock ‘N Soul » c’est un peu un fourre-tout (pas mal foutu cependant) de plein de musiques à l’époque plutôt mainstream.
L'Ecole des Fans ... |
Et Jagger et les Stones, alors ? On y vient, on
y vient… le jeune Mick était fan, essayait de tenir la scène comme Burke, et
les Stones ont allègrement pioché dans son répertoire à leurs débuts. Ils ont
repris quatre titres interprétés par Burke, dont deux qui font partie du
tracklisting de ce « Rock ‘N Soul » : « Cry to me » et
« If you need me », ce dernier quasiment plagié dans leur « Time
is on my side ». Et comme les Stones sont des garçons bien élevés qui
payent leurs dettes, ils ont parfois invité Solomon Burke à venir pousser la
chansonnette avec eux sur scène dans les années 2000, quand ils avaient pris l’habitude
de faire participer des guests à leur rock’n’roll circus…
Burke avec ce disque récoltera quelques hits mineurs
qui visiteront le ventre mou du Billboard… mais aucun n’imprimera, même pas un « Everybody
needs somebody » qui fera par contre la fortune et le succès des Blues
Brothers. Burke, même très diminué en fin de vie, continuera tant qu’il le
pourra de se produire sur scène, non sans avoir contribué à assurer sa
descendance (on parle tout de même d’une vingtaine d’enfants légitimes) …