Slasher 2.0 ... ou la somme de toutes les peurs ...
Wes Craven
est déjà une star avant même qu’il réalise « Scream ». Tous les fans
de films un peu tordus et glauques, de genre, d’horreur, enfin quel que soit
l’épithète dont on les qualifie, le connaissent depuis ses débuts dans les
années 70 et sa doublette déjà marquante « La dernière maison sur la
gauche » et « La colline a des yeux ». Sa notoriété et sa
reconnaissance ont encore fait un bond en avant dans les années 80 avec
« Les griffes de la nuit » qui met en scène le croquemitaine Freddy
Krueger, qui vient tuer ses victimes dans leurs rêves. Tout ça a un peu rempli
le portefeuille de Craven, mais qui voudrait faire autre chose, marquer son
temps par un film indiscutable, qui soit à la fois un sommet et un
renouvellement d’un sous-genre du cinéma d’horreur dont il est déjà le maître,
le slasher.
Wes Craven & Drew Barrymore |
Il a bien essayé, mais sans succès, beaucoup de ses films n’ont pas, comme on le dit pudiquement, rencontré leur public, et il en a été réduit (obligé ?) à tourner des suites guère convaincantes de « La colline … » et des « Griffes … ». Et au milieu des années 90, Wes Craven est un peu au fond du trou. Il a bien reçu en primeur et exclusivité un scénario d’un certain Kevin Williamson, débutant fauché, intitulé « Scary Movie ». Il a accroché mais ne sait pas trop quoi en faire, et surtout où trouver du pognon pour ce film. C’est sans compter sur l’obstination de Williamson, qui balance son scénar chez tous les producteurs susceptibles d’être intéressés. Deux manifestent leur intérêt, la Miramax et une de ses sous-divisions, Dimension Films. C’est cette dernière qui emportera l’enchère (à la baisse, le temps presse pour les finances de Williamson).
Parenthèse.
Dimension Films est dirigée par les frères Weinstein. Qui avec le succès mondial
phénoménal de « Scream » vont entamer la constitution de leur empire,
qui une vingtaine d’années plus tard s’effondrera avec « l’affaire »
Harvey Weinstein (une quarantaine d’années de taule à ce jour, plus des
dizaines d’affaires à suivre, pour harcèlement sexuel sur des actrices). Fin de
la parenthèse.
Ulrich, Barrymore, Campbell, McGowan, Lillard, Cox & Arquette |
Le scénario
de Williamson va être étoffé, rebaptisé « Scream » (le titre
« Scary Movie » ne sera pas perdu pour tout le monde) et confié à Wes
Craven qui retrouve quasi miraculeusement cette histoire qui l’avait séduite
quelques mois auparavant. Ce n’est pas pour autant qu’il se retrouve avec un
budget sans limites. Et il va faire des choix a priori déroutants. Une oubliée
des castings depuis ses débuts dans « E.T. » va trouver dans
« Scream » un second rôle qui va relancer sa carrière. Drew
Barrymore, à peu près disparue des radars, mais pas des tabloïds (son amitié
avec Courtney Love et Linda Perry, dans une sorte de version féminine cocaïnée
et alcoolisée du Rat Pack), va retrouver une crédibilité cinématographique (et
encore plus de fric pour picoler férocement). Autre choix « étrange »
de Craven, Courteney Cox qui commence à être très connue pour son rôle dans la
série pour ados attardés « Friends », et qui va jouer une journaliste
envahissante et déterminée. Le rôle principal sera donné à une quasi inconnue,
Neve Campbell, tout comme la plupart des rôles secondaires (Rose McGowan, David
Arquette, Skitt Ulrich, Matthew Lillard, Jamie Kennedy). Un ami de Craven, le
Fonzy de « Happy days » (Henry Winkler), jouera le proviseur du lycée,
et une autre disparue des radars, Linda Blair (la gamine possédée de
« L’Exorciste ») fera une paire de caméos (une journaliste). Tout
comme sa référence Hitchcock, Wes Craven fera aussi une apparition (l’agent
d’entretien du lycée, habillé avec la tenue de Freddy Krueger).
Tiens, j’ai
placé le nom d’Hitchcock. De toutes façons, il aurait été difficile de ne pas
le citer. D’abord par qu’il fait des caméos dans ses films. Ensuite parce qu’on
y retrouve souvent du comique qui vient se greffer au suspense. Et ensuite
parce qu’il a tourné « Psychose », dont le début de
« Scream » sera très inspiré.
En effet les premières scènes de « Scream » sont fabuleuses. On y voit celle qu’on suppose être l’héroïne (Drew Barrymore) se faire harceler au téléphone pendant qu’elle est seule chez elle, avant qu’elle se fasse étriper et pendre à un arbre. Une douzaine de minutes d’abord amusantes, puis glaçantes … A peu près le même sort que Marion Crane (Janet Leigh) dans « Psychose » (pas le seul point commun, le copain de Neve Campbell – choisi pour une vague ressemblance avec Johnny Depp – dans « Scream » s’appelle Loomis, comme John Gavin dans le film d’Hitchcock).
On l’aura
compris (enfin, ceux qui ne l’ont pas vu, mais qui ne l’a pas vu)
« Scream » est placé sous les signes de l’hommage, de la comédie et
du slasher. Niveau slasher, Craven a dû faire face à la censure (plusieurs
scènes ont dû être raccourcies ou certains plans retirés, sous peine
d’interdiction aux mineurs), ça y va fort dans « Scream », les coups
de couteau et les giclées de sang pullulent. Le tout sur fond de vengeance et
de malédiction familiale (pas le meilleur aspect du scénario, on s’en fout un
peu de l’histoire de la mère de Sydney Prescott – Neve Campbell). Mais
« Scream », c’est aussi une comédie genre college movie (et les
réalisateurs ricains font pas dans la demi-mesure quand ils traitent le sujet,
à grands coups de gags et de personnages lourdauds). Là aussi quelques
débutants (y compris Rose McGowan) en rajoutent me semble-t-il maladroitement
des tonnes. Et puis, et surtout, « Scream » s’adresse aux amateurs
« du genre », multipliant références, commentaires, et allusions à
des films marqueurs de leur temps (ceux entre autres de Craven, mais surtout à
« Halloween », diffusé et commenté lors de la party sanglante finale,
et à Jamie Lee Curtis et sa poitrine généreuse). Avec dissertations orales (la
plupart des jeunes protagonistes sont des fans d’horror movies et théorisent à
la moindre occasion sur ce qu’il convient de faire et surtout de ne pas faire :
no sex, ne jamais ouvrir les portes, ne jamais dire qu’on va revenir, …) en
fonction des situations …
Le début de
« Scream » est exceptionnel, et le final d’anthologie (vingt minutes
avec un twist scénaristique et des jump scares toutes les minutes). Le cœur du
film est traité façon enquête policière (un coupable est démasqué d’entrée,
mais n’est-il pas innocent ?), avec fausses pistes (le gros plan sur les
chaussures du shériff, les mêmes que celles du tueur dans les toilettes du
lycée, la piste du père disparu, l’air louche du cameraman de Courteney Cox,
voire David Arquette), pendant que Neve Campbell passe son temps à s’échapper
des griffes du tueur qui la poursuit partout où elle va (le plus souvent en
dépit du bon sens et de la prudence la plus élémentaire).
Ce tueur mystérieux deviendra iconique, avec son masque de fantôme (Ghostface) et sa grande cape noire. A noter que ce masque, après bien des essais non convaincants de bien d’autres, était fabriqué en quantités artisanales par une petite boîte pour les fêtes d’Halloween. Ils en ont vendu des millions dans le monde depuis, merci « Scream » …
Cox, Kennedy & Campbell : If you want blood ... |
Contrairement
à la plupart de ses « concurrents » (les films avec Freddy, les Vendredi
13, Halloween) « Scream » ne laisse pas une fin « ouverte »,
l’histoire est terminée. Ce qui n’empêchera pas « Scream », comme les
autres déjà cités de devenir une franchise et d’avoir des suites (avec les
rescapés du film, et aussi quelques morts qui réapparaîtront). J’ai un jour
essayé le 2 ou le 3, je sais plus, c’était tellement con que je suis pas arrivé
seulement au milieu … En cela « Scream » a suivi la rhétorique
numérotée de tous ces films de slasher, sans s’en démarquer qualitativement …
« Scream »
a aussi une autre particularité. C’est selon Wes Craven le premier film à
ouvrir dans son générique final une section de « non-remerciements ». Ces non-remerciements
sont adressés à un collège et une municipalité (Santa Rosa en Californie), où
devait se tourner le film. Apprenant que c’était un film violent avec beaucoup
de meurtres qui allait être mis en boîte, et par peur de « contamination »
de la jeunesse locale, toutes les autorités locales sont revenues sur leurs
autorisations et ont contraint toute l’équipe à déménager vers des contrées
plus accueillantes, mettant par là en danger le timing du film et son
financement. Epilogue assez connu et que Wes Craven ne manque pas ironiquement
de rappeler à toute occasion : le principal opposant au tournage de « Scream »,
un prof, a quelques temps après sa « croisade » été condamné lourdement
pour violences conjugales …
Bon, et ton
avis ferme, définitif et incontestable, il vient ou quoi ? Voilà, voilà …
« Scream »
est un film culte, pas de problème, avec son alternance entre comique et ultra
violence gore. La partie slasher, avec son scénario malin, est très réussie,
par contre ces blagues d’ados surjouées (surtout les rôles tenus par Matthew
Lillard et Jamie Kennedy) empestent trop cette surenchère grassement comique et
typiquement américaine des college movies …
Pour moi, le
must du slasher, ça reste « Halloween » (le premier, évidemment), le
film qui a réellement établi tous les codes du genre. Ne restait plus pour
avancer qu’à transgresser ces codes, ce que Craven (et Williamson) ont malignement
su faire …