GEORGE A ROMERO - ZOMBIE (1978)

 

Lost in the supermarket ...

« Zombie » (« Dawn of the dead » en V.O.) est le plus gros succès commercial de George Romero, quasiment un blockbuster. Pas un mince exploit pour un film interdit aux moins de dix-huit ans dans certains pays dont la France (on y reviendra).

Romero, c’est évidemment un film culte en noir et blanc, « La nuit des morts-vivants », tourné à vingt huit ans avec un peu plus de cent mille dollars de budget. D’après Romero lui-même, un film par défaut, il aurait bien voulu faire un film « normal », mais il en avait pas les moyens. Sauf que le choc des images et le succès du film, vont engendrer un effet domino encore (et de plus en plus) présent aujourd’hui. Le zombie va devenir une des références des films d’horreur, une figure majeure de la pop culture. Même si Romero n’a pas créé le « personnage » mort-vivant (on a déjà vu depuis les années 30-40 sur grand écran Frankenstein, Dracula, et le « I walked with a zombie » de Jacques Tourneur, …)

George Romero

Mais Romero dans les seventies, s’en fout un peu des zombies. Il a été agacé par le sens caché que certains ont trouvé dans son film, la référence à la guerre du Vietnam, le machisme (la beigne foutue par un Noir à une femme blanche), le racisme (le seul survivant dans la baraque se fait dégommer quand il sort parce que c’est un Black). Autant d’allégations que Romero a toujours démenties mais les ragots ont la vie dure. De ce fait, il s’est toujours refusé à tourner une suite à « La nuit des morts-vivants », surtout quand ces propositions venaient des majors, il savait qu’il serait totalement bridé par les dollars, la bienséance, les impératifs commerciaux, … En plus Romero voulait faire « autre chose », s’attaquer à d’autres genres. Il a bien essayé, a tourné quelques films descendus unanimement par la critique et que personne n’est allé voir … Pour faire simple, vers 77, Romero est un has-been total.

Jusqu’au jour où il rencontre à New York Dario Argento. Romero adore les films d’Argento et l’Italien vénère « La nuit … ». Argento à son tour suggère à Romero de tourner une suite. Romero, qui commence à penser que cette fameuse suite sera sa seule porte de sortie s’il veut continuer à faire son métier n’est plus radicalement opposé au principe, mais il a pas une thune. Qu’à cela ne tienne, Argento, son frère et quelques amis ont une maison de production en Italie. Le temps de passer quelques coups de fil, et le deal est sur la table : Argento va amener cinq cent mille dollars, Romero se débrouillera pour en amener autant et la suite de « La nuit  … » pourra se faire. Romero gérera la distribution du film en Amérique et en Océanie, les Italiens auront la mainmise sur l’Europe et l’Asie (et l’Afrique, questionne l’expert en géographie ? Tout le monde s’en fout, y’a pas de ronds à se faire là-bas …). Ce partage du monde pour la gestion du film ne sera pas sans conséquences, on en reparlera aussi … A noter pour la petite histoire que si les Ritals ont bien amené le pognon prévu (et même un peu plus), Romero n’a pas trouvé grand-chose à mettre dans l’escarcelle. Par contre, il a un pote à Pittsburgh où il vit, qui vient de construire et gère un immense centre commercial. Chose inenvisageable de nos jours (pour des raisons de sécurité, d’assurances, …), il autorise Romero à y tourner toutes les nuits et le dimanche.

Ça tombe bien. Cette fois-ci, derrière l’histoire de zombies, Romero veut faire un film politique, engagé, et lâcher des vivants et des zombies dans un supermarché gigantesque, symbole même du consumérisme, ça coche plein de cases à la fois.

Les grandes lignes du scénario sont tracées. Une introduction dans les coulisses d’une émission de télé, foire d’empoigne face à la situation : une pandémie ressuscite les morts qui se mettent à traquer les vivants pour les bouffer. Deux personnages principaux (un type et sa femme qui bosse à la télé) sont présentés. Un assaut par des flics d’élite contre un immeuble occupé par des Porto-Ricains, dont certains sont des truands et d’autres des zombies (pas de détail, tout ce qui est dans la baraque va prendre du plomb) nous présente deux flics (ou militaires, on sait pas trop et on s’en fout) qui seront les deux autres personnages principaux. On va pas s’embarrasser de leurs noms, personne les a retenus …

La bande des quatre

Les quatre fuient la menace du centre de Pittsburgh en hélicoptère, survolent la cambrousse où s’affrontent (sur)vivants et zombies avant de se poser sur le toit d’un centre commercial qu’il va falloir conquérir aux zombies qui y traînent, y créer un « périmètre de sécurité » et attendre que les choses s’arrangent. Sauf que les choses ne s’arrangent pas vraiment, et l’arrivée d’une bande de bikers pillards va faire salement dégénérer la situation … Et pour faire simple (mais aussi à cause d’une histoire elle compliquée sur la propriété de l’expression « living dead »), le film s’appellera « Zombie » partout dans le monde (aux States on rajoutera « Dawn of the dead »)

On le voit vite, mis à part la présence des zombies, aucun point commun avec le film de 68. Les zombies sont cette fois-ci en couleur (gris de peau en fait), sont pas très vifs, mais toujours aussi affamés de chair humaine vivante, et pour s’en débarrasser faut les re-tuer (une balle dans la tête, ailleurs ça marche pas toujours …). « Zombie » est une fausse suite de « La nuit des morts-vivants ». Les zombies ne sont qu’un prétexte à une surenchère de gore et Romero va pousser le bouchon beaucoup plus loin que tous ceux qui ont voulu faire peur sur grand écran. Ne pas croire que le George est en roue libre totale. Principe de base : une scène choc toutes les six minutes, et le film durant au moins deux heures, (là aussi on reviendra sur la durée), ça va en faire des litres de faux sang utilisés.

Plus des trois-quarts du film se passe dans le centre commercial. Les zombies y traînent par habitude, par réflexe conditionné (des extraits d’une émission télé nous l’affirment), les quatre vivants après une opération survival (on récupère le vital et l’essentiel) s’y enferment, se servent dans tous les rayons de façon de plus en plus futile (coiffure, maquillage, restaus, champagne, vêtements, tennis, jeux vidéo, armes, voitures et j’en passe). Critique féroce pour l’appétence des deux mondes (zombies et vivants) obnubilés par le besoin de consommer, et de faire siennes des choses qui ne leur appartiennent pas. C’est cette notion de propriété (on défend notre chez-nous, alors que rien n’est à eux, ils se sont tout accaparé) qui poussera les quatre « héros » (enfin, les trois qui restent à ce moment-là) à affronter les pillards, avec les zombies comme arbitres …

Bon appétit ...

Ce qui a marqué voire traumatisé les spectateurs à la sortie de « Zombie », c’est son hyperviolence. Rien n’est suggéré, tout est montré plein champ. Les impacts de balle pleine tête, les giclées de sang, les décapitations, démembrements, éviscérations diverses, les scènes de cannibalisme. Malgré des trucages forcément d’époque (la couleur rouge vif du sang, les mannequins pas très humains, …) frissons garantis (les boyaux sont de vrais boyaux récupérés dans une boucherie, mais non, les figurants vont pas jusqu’à les bouffer réellement …). Les interdictions, avertissements et classements divers vont fleurir partout dans le monde lors de la sortie du film en salles. Mention particulière pour la France giscardienne où le film sera carrément interdit par la Commission de censure. Argento, distributeur de « Zombie » pour l’Europe, attendra l’élection de Mitterrand trois ans plus tard, pour le représenter et là, il pourra être diffusé sans problème, juste une interdiction au moins de seize ans (et ça fait du grain à moudre pour ceux qui pensent que la Droite et la Gauche c’est pareil) …

Il devrait pas avoir mal, il est déjà mort ...

En trois mois, de fin 77 à février 78, « Zombie » est tourné. Mais de quel « Zombie » parle-t-on ? Il y a quatre versions du film. Une dont le final n’a jamais été tournée, mais qui était écrit dans le scénario de Romero (elle prévoyait la mort des quatre réfugiés dans le supermarché). Une version genre « director’s cut » de deux heures et quart, jamais diffusée en salles. Et puis ensuite deux montages différents. Un de Romero destiné aux salles américaines (et autres, voir sa « zone » plus haut) de deux heures et demie. La version la plus radicale, la plus sauvage, la plus violente, jamais diffusée en Europe. L’autre montage est celui d’Argento pour l’Europe. Il a mis du pognon dans le film et espère bien que plein de gens iront le voir, et envisage aussi les passages télé et les ventes sur support physique. Il supprime une bonne part des scènes les plus gore, ce qui donne une idée de ce qui a été filmé, parce qu’on est pas vraiment dans la bluette sentimentale avec la version européenne.

Il y aura de la friture sur la ligne entre Romero et Argento. Rien de grave ou de définitif. Les divergences majeures ne porteront pas sur le montage, mais sur la musique du film. Romero, dans sa B.O. a quasi exclusivement utilisé des synthés anxiogènes. Argento ne va quasiment rien garder de cette B.O. et confier la bande-son au groupe italien de hard progressif Goblin, partenaire habituel de ces films à lui. A l’écoute de la version d’Argento, Romero va récupérer la partie très hard rock qui rythme les passages avec les scènes où figurent les bikers pillards et l’inclure dans sa version. Les deux ont soutenu mordicus que leur bande-son était la meilleure …

Quoi qu’il en soit, « Zombie » est un must. Le meilleur film de zombies jusqu’à la sortie de « Bienvenue à Zombieland » et un classique du cinéma d’horreur-épouvante-gore. Romero s’est même laissé aller à en tourner des « suites » (trois ou quatre), qui seront loin de renouveler le coup d’éclat du millésime 78 …

Pour terminer, une anecdote inattendue. Il y a un point commun entre « Barry Lyndon » et « Zombie ». Allez, je vous laisse deviner. La bonne réponse gagne le dernier Cd d’Aya Nakamura, ou une place pour aller voir Astérix version Canet. Voire même les deux, je sais me montrer généreux …