Béatification ...
Être John Lennon aurait pu en soi être suffisant … Être un ex-Beatles, plus grand groupe pop de tous les temps, (co-)auteur de la moitié de leurs titres les plus connus, et leader du groupe (enfin, celui qui l’ouvrait le plus souvent, à grands coups de métaphores et de punchlines comme on dirait maintenant dans les conférences de rédaction de CNews) … Un génie, vous disaient plein de gens … Et le John se plaisait à cultiver son image de rigolo sérieux, d’intello loufoque, pour la plus grande extase de ses fans …
Une fois la débandade du plus grand etc … consommée,
les quatre (enfin, moins Ringo, qui enchaînait soirées casino et cocktails)
vont se livrer à une course à l’échalotte afin de déterminer qui était le
meilleur Beatles. Ce qui entrainera une diarrhée vinylique conséquente, à coups
d’albums tous les six mois pour Lennon et Macca, et carrément un triple vinyle
pour Harrison … et sans compter les machins inaudibles sortis par le couple
John et Yoko (« Two Virgins », « Unfinished music »,
« Wedding Album », le « Plastic Ono Band » version Yoko).
« Imagine » est le second 33T du binoclard le plus célèbre du monde, version Ghandi du pop-rock-machin …. Qui succède à l’introspectif « John Lennon / Plastic Ono Band » et deviendra le plus connu de son auteur et un incontournable de toutes les listes des meilleurs disques ever … en grande partie grâce à son morceau titre, scie pacifique et consensuelle (« … imagine all the people living life in peace, … imagine there’s no countries, no possessions … ») que tout humain, mis à part Vlad the Lad et quelques autres du même tonneau, ont entendu jusqu’à la nausée dans leur vie. S’il ne fallait garder qu’un titre de Lennon pour le « grand public », nul doute que « Imagine » serait celui-là. Un truc bête comme chou, une mélodie toute simple sur un piano légèrement désaccordé, la voix doublée du John (il ne la supportait pas « naturelle » et a systématiquement utilisé le re-recording pour ses parties vocales), et des paroles déjà en 1971 d’un autre temps autour de la thématique hippie du peace and love déjà passée de mode …
Alors forcément, quand un morceau comme ça se trouve
en intro d’un disque, ledit disque va s’écouler par millions et ravir ceux qui
ne demandent qu’à l’être. Mon exigence et ma rigueur légendaires m’obligent à
signaler à l’auditoire que, comme tous les 33T de Lennon, « Imagine »
n’est pas le chef-d’œuvre que l’on vous vend depuis cinquante ans. Meilleur que
beaucoup d’autres, certes (quelqu’un pour défendre « Some time in New York
City » ou « Mind games » ?), mais aussi bien chargé en titres
… comment dire … euh … quelconques.
Ici, deux arbres cachent la forêt calcinée. « Imagine » donc et peut-être l’encore meilleur « Jealous guy ». Ce dernier, malgré ses airs de famille troublants avec « Imagine » (le tempo, la mélodie au piano entêtante) est plus fini, plus abouti. Le pont sifflé est une bonne trouvaille et les cordes sont parcimonieusement et judicieusement dosées sur le final.
Ono, Lennon & Spector |
L’occasion de citer Phil Spector. On le sait, Lennon
et Harrison s’étaient entichés du grand homme (enfin, pas par la taille) dès la
période eau dans le gaz des Beatles. Contre l’avis de McCartney, Spector avait
produit « Let it be », album poisseux et dégoulinant de violons qui
n’arrivaient pas à masquer la panne créative de ceux qui étaient encore quatre
mais plus fabuleux pour un sou. Et logiquement, Spector allait accompagner
Harrison et Lennon dans leurs débuts en solo. Soyons clair, et de toute façon l’histoire
s’est chargée de vérifier les supputations, Spector n’a plus rien de magique
depuis l’échec de ce qu’il considérait être son chef-d’œuvre, le colossal « River
deep, mountain high » (le titre, mais aussi l’album) de Ike (prié de
rester loin de tout ça en studio) et Tina Turner. Le génie capable de
transformer n’importe quelle chansonnette en titre d’anthologie commence à être
sérieusement à l’Ouest, avant de bientôt basculer de l’autre côté de la farce …
Mais en 71, même un Spector déclinant est un type qui sait pousser les boutons dans
un studio. Pas de Wall of Sound ici, le Phil donne plutôt dans l’épuration
boisée. Quelques cordes, violons, discrets dans le mix, et pas d’instrumentation
pléthorique. Même si question casting, y’a du beau linge sur
« Imagine ». Les fidèles Klaus Voormann (pote de longue date, la
pochette de « Revolver » c’était lui) et Nicky Hopkins (cinquième
Beatles et sixième Stones), Jojo Harrison sur une moitié des titres (très bon à
la slide sur « How do you sleep ? », on y reviendra sur ce titre),
Jim Keltner (avec qui n’a-t-il pas joué ?) et Alan White (futur Yes) se
partagent les parties de batterie, le grand King Curtis vient de temps souffler
dans son sax … Et Yoko, allez-vous me dire ? Elle se contente de la
co-écriture d’un seul titre (« Oh my love »), et surtout ne vient
brailler sur aucun. Ah, et pour l’anecdote, c’est elle qui a pris la photo de
Lennon qui sert de base avant retouche nuageuse et floutée à la pochette du
disque …
A l’heure où le mot disruptif est à la mode, on peut pas dire que « Imagine » soit un disque disruptif. « Plastic Ono Band » l’était beaucoup plus, tout en rugosités et aspérités (le cri primal de Janov, la conceptualisation de Dieu, …). Lennon tirait un trait sur le monde des Beatles, dont « Imagine » est par contraste beaucoup plus proche. Et son ancien acolyte Macca au cœur des débats et du titre « How do you sleep », titre méchant et pas du tout second degré qui lui est adressé. « The sound you make is muzak to my ears », moi je veux bien, mais on peut pas vraiment dire que Lennon n’ait jamais pataugé dans la guimauve depuis la séparation des Beatles … l’assez embêtant et neuneu « Oh my love » en est la preuve ici … Ultime tacle à la carotide pour Macca, une photo au verso de la pochette qui voit Lennon tenir un cochon. Allusion à la pochette de « Ram » du Paulo où l’on voyait le bassiste poser avec un mouton. Tout ça est un peu mesquin et de toute façon niveau coup en dessous de la ceinture est loin de « The Notorious Byrds Brothers » ou David Crosby fraîchement parti du groupe est remplacé par un cheval sur la pochette … Dans ce contexte, on peut trouver étrange « Crippled inside », avec ses faux airs de « Lady Madonna » (signée McCartney), et ses rythmes antiques de jazz New Orleans. Joli morceau un peu quelconque tout de même …
Avec « Imagine » on se retrouve avec un
peu de tout et aussi un peu n’importe quoi. « I don’t want to be a soldier »,
mantra bluesy et pacifique un peu longuet, où le Jojo prend une grosse voix
grave farcie d’écho qui fait penser aux ruminations du Morrison de la fin des
Doors. Niveau rêche, on a aussi l’autre blues « It’s so hard »,
ouais, bof … « Give me some truth » fait penser à « I’m the walrus »
et bénéficie d’un solo tout en distorsion d’Harrison. Globalement, la fin du
disque ne vaut pas le début, malgré un bon « How ? » titre où les
arrangements de Spector sont le plus présents mais arrivent à rester sobres,
aidés par le chant le moins bidouillé de Lennon et son final à l’harmonica qui
renvoie à « Love me do » … Boucle bouclée ?
Au final, si Lennon avait réuni sur un seul disque
les meilleurs titres de « Plastic Ono Band » et « Imagine »,
on aurait eu quelque chose qui ressemblerait au meilleur disque solo d’un
ex-Beatles … Qui sera à mon avis « Band on the run » de McCartney-Wings
…