Jeu, set et match ... ou match nul ?
Woody Allen est le roi du sous-genre humour juif
new-yorkais au cinéma (même si les Marx Brothers peuvent aussi être considérés comme
des prétendants plus que sérieux au trône). Et Woody Allen a fait pour moi ses
meilleurs films (« Manhattan » et « Annie Hall ») dans la
seconde moitié des années 70. Ensuite, même si j’ai pas tout vu (le type tourne
un film par an), il me donne l’impression de vivoter sur ses acquis, faisant
des films pour son fan-club.Allen & Johansson
Et puis, sentant peut-être qu’il tournait (dans tous
les sens du terme) en rond, Woody Allen a fait autre chose. Là, il voulait faire
un film policier. Genre peu souvent abordé par lui (la comédie policière potable
« Meurtre mystérieux à Manhattan » est le seul qui me vient à l’esprit).
Ses habituels producteurs ne l’entendaient pas de cette oreille, et n’ont pas
mis tout le pognon qu’il voulait sur la table. La figure emblématique du cinéma
new-yorkais s’est tourné vers les Anglais (la BBC a sorti le chéquier) et les
banques luxembourgeoises, est parti en repérages pour Londres et a modifié son
script. Dont certains esprits (forcément mauvais) ont trouvé des similitudes troublantes
avec le chef-d’œuvre de Stevens, « Une place au soleil », ce qui ne
me semble pas une hypothèse saugrenue.
Alors, oui, « Match Point » est un polar. Dans
sa dernière partie. Parce que jusque-là, Allen prépare le spectateur à ce qui
va arriver dans le dernier tiers du film. Il étudie ses personnages comme un
entomologistes ses papillons, nous les montre évoluer dans leur cadre de vie. Et
on se retrouve avec deux films pour le prix d’un … Mais de quelque façon qu’on
l’envisage, il en manque dans chaque partie.
Bizarrement, les personnages apparaissent assez superficiels,
et pas seulement à cause du milieu (la haute voire très haute société
britannique) dans lequel ils évoluent. Caractères taillés à la serpe, loin des
finesses auxquelles Allen nous avait habitués, et revirements et contradictions
assez improbables (difficile d’imaginer un type s’improviser serial killer). Pour
le côté polar, on repassera aussi. Ce film dont la conclusion (et encore, une
conclusion entre chèvre et chou) qui s’appuie sur un détail (un rebond
capricieux d’une bague jetée dans la Tamise, qui heurte le parapet et retombe
sur la berge), laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, des trous béants dans
la raquette de l’enquête policière (le journal intime qui ne révèle pas le
mobile ?, l’arme du crime ?, les coups de feu qui ne s’entendent pas ?,
le témoin bousculé en sortant qui ne se manifeste pas ?, etc …).Monsieur & Madame
On dirait avec « Match Point » que Allen
marche sur les traces de Hitchcock dans un troublant jeu de miroirs. Le gros
Alfred était revenu finir sur la fin de sa carrière dans son pays natal (« Frenzy »),
Woody Allen a relancé la sienne en s’expatriant, c’est à partir de « Match
Point » qu’il a obtenu ses meilleurs scores commerciaux, avec un film
selon moi très hitchcockien. Financement oblige, le casting est essentiellement
anglais, à une exception près, et pas la moindre, Scarlett Johansson. Qui a dû
jongler entre plusieurs engagements, effectuant plusieurs allers-retours transatlantiques
pendant le tournage, quelques fois sans trop dormir et en ayant à encaisser le jet-lag.
Et tous les intervenants du film (Allen, le reste du casting) sont formels,
elle a été extraordinaire, et ça se voit sur l’écran, qu’elle irradie de sa
présence toute en séduction animale et magnétique. Dommage qu’elle n’ait pas le
premier rôle. Qui revient à l’assez transparent Jonathan Rhys Meyers (dont
Allen compare la prestation dans ce film aux meilleures de Brando, … really,
Woody ? t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là …).
Rhys Meyers, c’est dans le film un playboy sportif
(tennisman proche du niveau professionnel), qui se fait engager dans un club
privé de chicos londoniens comme prof de tennis (d’où le titre du film, et sa
première scène, cette balle qui passe par-dessus le filet, et puis quand elle
le touche, l’image s’arrête, on sait pas de quel côté elle va retomber, coup de
chance ou coup du sort …) grâce à une de ses anciennes connaissances, fils d’un
très riche entrepreneur. Il séduit assez facilement sa sœur, pucelle effacée,
le mariage est prévu, ainsi qu’un boulot (très) bien payé chez beau-papa. Juste
qu’à ce qu’il rencontre la fiancée de son beau-frère, américaine exilée qui rêve
d’une carrière d’actrice et court les castings pour essayer (vainement) de
décrocher quelque petit rôle dans la perfide Albion. Evidemment, comme en plus la
Johansson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pas mal allumeuse, le sportif
en tombe amoureux.Monsieur et sa maîtresse
Ce qui ne l’empêche pas de se marier avec la fifille
à papa (et maman, qui n’est intéressante que bien bourrée, ce qui lui arrive
tout le temps), et d’entamer une liaison avec celle censée devenir sa belle-sœur.
Sauf que les vieux l’entendent pas de cette oreille, leur fils chéri est invité
à laisser tomber cette roturière et à épouser une fille digne de son rang. Bizarrement,
ce genre de problème ne se pose pas pour Rhys Meyers, le plouc sportif. Qui dès
lors va se retrouver coincé entre sa nunuche chicos (qui veut de la progéniture
mais n’arrive pas à tomber enceinte) et la Scarlett qui est libre (et qui va se
retrouver plus ou moins malgré elle en cloque). C’est ce partage entre deux
femmes qui va vers le milieu du film, lancer la partie « policière »
de l’affaire. Comment concilier le pognon de beau-papa et l’amour pour l’actrice
déclassée sans y laisser des plumes ?
Tout ce qui a précédé est censé nous faire cerner la
psychologie des personnages, sauf que tous ces revirements à 180°, et cette
double vie improbable ne sont guère crédibles. Les portraits qui se voudraient
finement ciselés sont finalement taillés à la hache … on a connu Allen beaucoup
plus inspiré de ce côté-là. Et quant à la tragédie meurtrière qui est le
tournant du film, ces trois-quarts d’heure-là sont plus près de « Tatort »
que de « The Wire », si vous voyez ce que je veux dire …
Reste de belles images (après une bonne trentaine de
films, Allen sait tenir une caméra, on est loin des images et des plans foutraques
du début des seventies). C’est sobre et classique dans la mise en scène, bien
cadré, les décors et les lieux de tournage (le manoir des bourges, la Tate Gallery,
…, Allen a eu l’autorisation de tourner partout où il en avait envie) sont
somptueux, certaines scènes sont superbes (le premier baiser de Rhys Meyers et
Johansson sous une pluie diluvienne), mais rien de palpitant, et suspense pas
vraiment haletant …
Comme en plus le Woody a des goûts musicaux sur
lesquels j’éviterais de donner un avis de peur de devenir grossier, il laisse
tomber le jazz à clarinette pour de l’opéra avec disques vintages en 78 tours en
fond sonore (d’où un son mono et les craquements des disques), ce qui n’est pas
forcément une bonne idée, même si elle est censée être raccord avec le milieu
social des protagonistes …
Le tennis étant un sport où il ne peut pas y avoir
de match nul, on dira que Woody Allen a gagné … sans convaincre vraiment …