Ultrascore ...
A priori, (Christophe) Chassol n’a pas grand-chose
pour être my cup of tea … Le gars a passé des lustres dans des écoles de
musiques, des conservatoires (en France ou aux States), a tourné avec Phoenix (bof
…) ou Sébastien Tellier (re-bof …), et cite de façon ostensible Steve Reich
(musique contemporaine, minimaliste et répétitive, re-re-bof …).
Le seul truc qui m’a fait jeter une oreille circonspecte sur ce « Big Sun », c’est le label. Chassol sort ses disques sur Tricatel, le label de Bertrand Burgalat, dont les productions (lui-même, mais surtout les fabuleuses rondelles d’AS Dragon ou d’April March) sont pour moi signe de qualité et d’exigence. Burgalat, malheureusement pour lui et son banquier, ne recherche pas la rentabilité par la médiocrité.
« Big Sun » est la bande-son d’un film du
même nom. Que j’ai pas vu (pourquoi diable pas un package avec le Dvd et le Cd),
mais c’est pas grave. Je vais essayer d’expliquer le truc. Une musique de film,
ça accompagne les images, les compositeurs les plus doués étant capables de
créer un thème musical qui sera le fil conducteur de la musique. Quand c’est
réussi, le mélange image + son crée une ambiance, une atmosphère, et facilitent
l’immersion du spectateur dans ce qu’il voit à l’écran. Et quand il y a de la
musique, le son du film est relégué au second plan.
La démarche de Chassol (si j’ai bien compris à
travers les notes du livret), c’est de faire de l’image et du son qui l’accompagne
la matrice, la base même de la musique. En se servant de toute la technologie à
disposition. Un exemple, si l’on voit et entend un oiseau en train de chanter,
le chant de l’oiseau va être échantillonné, rejoué au synthé et servir de
structure mélodique ou rythmique à la musique qui va accompagner l’image et le
son (par exemple les titres « Birds 1 & 2 » et « Pipornithology
1 & 2 » sur ce disque). Cette façon de composer la musique d’un film,
Chassol l’a baptisée ultrascore.Burgalat et Chassol
« Big Sun » est un film documentaire
tourné en Martinique, département d’origine de son père Eugène (saxophoniste,
et mort avec sa femme lors d’un crash aérien en 2005). Une camerawoman (Marie-France
Barrier) et un preneur de son (Johann Levasseur) se sont baladés dans l’île,
ont filmé la nature et les gens. Et à partir de la bande-son, Chassol a mis en
musique les images. Le disque est divisé en trois parties, une heure dix et
vingt-sept titres. Parmi ces titres, nombreux sont ceux qui découlent d’une
même approche, d’un même thème, d’une même phrase musicale.
Grosso modo, la première partie est « naturelle »
(des oiseaux, un joueur de flûte), la seconde à base de voix (phonatoire dit
Chassol), qu’il s’agisse de joueurs de dominos, de poètes, griots, chanteurs ou
rappeurs locaux, et la troisième sur des traditions ou figures étonnantes locales
(un carnaval, un type bizarre en treillis avec un masque de gorille, celui que
l’on voit sur la pochette et porté par – je suppose – Chassol).Chassol dans sa période Hendrix ...
Le résultat est quand même assez déroutant. Il
semble évident que Chassol a atteint son objectif. L’écoute et le seul intitulé
des morceaux permettent de « voir » de quoi il doit retourner sur les
images. Le résultat (malgré son côté parfois « étrange »), au vu du background
et des références de Chassol est plutôt accessible. Chassol fait parfois tout
tout seul (il joue de la basse et des claviers), d’autres fois il accompagne
les gens rencontrés seul ou avec un groupe (certains titres enregistrés en
studio par de vrais gens, dont Burgalat). Assez étonnamment, des choses sans
trop d’intérêt telles quelles (le joueur de flûte, ceux de domino, les artistes
locaux qui peinent à se souvenir de leurs textes et sont souvent pour ne pas
dire toujours à la limite de la justesse, …) se retrouvent bonifiées une fois
que Chassol est passé par là. Rendre supportables les pénibles trompettes en
plastoc (les « fameuses » vuvuzellas héritées de la Coupe du monde de
foot 1990 de sinistre mémoire), ou les rythmes de batucada ou de samba sans que
cela sonne comme l’animation de fin d’année à l’EHPAD du coin, est quasi un
exploit en soi.
Parmi ceux que je qualifierai de réussis, je citerai
« Birds » et « Pipornithology » évoqués plus haut, les
variations de « Dominos » (la voix des joueurs sert de mélodie, le
cliquetis des dominos de rythmique, le tout samplé et trituré sur quatre titres,
qui s’éloignent de plus en plus du son d’origine), « Sissido » (un
rap à l’envers, l’accompagnement vient se rajouter sur la voix et non pas l’inverse
comme c’est toujours le cas dans le rap), « Samak » (même principe,
une sorte de griot déclamant finit par ressembler à du krautrock des années 70).
Pièce de choix : « Reich et Darwin » (Reich, pas le 3ème,
le Steve, mais l’intitulé du morceau est ambigu, à coup sûr volontairement), titre
qui part d’une structure minimale pour évoluer dans orchestrations plus
alambiquées, le thème minimaliste restant toujours en filigrane. Si je voulais
faire mon malin musicologue, je dirais que c’est un peu le principe du jazz
modal, sauf que je sais pas ce que c’est que le jazz, qu’il soit modal ou pas …
« Big Sun », c’est moins problématique
pour mes oreilles que ce à quoi je m’attendais, mais c’est pas pour autant que
ça va devenir un de mes disques de chevet …