Born to fun ...
Il y a des rondelles qui, le temps passant, prennent une
certaine patine. Pas celle-là …
D’abord parce qu’on se retrouve en présence d’un des sons
les plus typés (et pas en bien, on en recausera) des cinquante derniers siècles,
et en face d’une de ces rock’n’roll swindles que l’industrie (ou plutôt le
commerce) du disque est capable d’engendrer.
« Welcome … » et Frankie Goes To Hollywood sont
à replacer dans un contexte, celui de la fin de la première moitié des années
80. Le rock est rayé de la carte. Son dernier emblématique représentant, The
Clash, vient de subir une fin pathétique, sur fond d’embrouilles politico-musicales.
Bowie avec un disque très quelconque (« Let’s dance ») rencontre un
succès considérable, U2 et sa positive attitude pompière (« War ») commencent
à faire parler d’eux. Voilà pour les british. De l’autre côté de l’Atlantique,
Springsteen et son disque pour stades (« Born in the USA ») va rafler
une mise gigantesque (et pas imméritée). Michael Jackson vient de vendre
du « Thriller » par dizaines de millions, et les provocs tous
azimuts (pour l’époque) de Prince ou Madonna s’apprêtent à faire tinter les tiroir-caisse.
Evidemment, des bons groupes, il y en avait, mais relégués au fin fond des
statistiques de vente.
FGTH : tout le monde s'éclate à la queue leu leu ... |
Des deux côtés de l’Atlantique, d’obscurs zigotos dont
les poubelles de l’histoire sont pleines, sortaient un single qui cartonnait et
disparaissaient. Un truc éminemment rentable. Sauf qu’à pousser la logique jusqu’au
bout, si on trouvait quelques clampins qui puissent sortir plusieurs morceaux au
lieu d’un seul que le bon peuple s’arracherait, ce serait le jackpot assuré
(les ventes de singles d’abord, puis le Cd ou le vinyle qui les contient
ensuite). Et à ce jeu-là, ce sont les Anglais qui ont gagné and the winner is …
Frankie Goes To Hollywood.
Qui au début des années 80 est un vague groupe à la
réputation « sulfureuse » (bâillements) de Liverpool, tirant son nom
d’une couverture de magazine relatant un déplacement de Sinatra, un groupe autoproclamé
porte-drapeau de la gay generation locale (ce qui ne correspondait pas
exactement au crooner italo-américain) … dont personne ne veut (savent pas
jouer, n’ont pas de répertoire). Par hasard, une bonne fée va se pencher sur
leur berceau. Cette bonne fée s’appelle Trevor Horn, il a assuré sa fortune
avec les Buggles (la prémonitoire scie « Video kill the radio
stars »), il passe sa vie en studio, il vient de monter un label, dont
Zang Tuum Tumb (réduit à ZTT) est l’improbable patronyme. Le Horn est dans l’air
du temps, à tel point que les ringards prog de Yes l’embauchent à rien de moins
que l’écriture et la production. S’ensuivra « Owner of a lonely
heart », carton mondial de ces nigauds que l’on croyait disparus à jamais,
balayés par la vague punk … Horn est dès lors très demandé, n’est pas pour rien
dans le succès des excellents débuts d’ABC (le côté commercial), mais veut
signer du « difficile », ce qu’il fera avec Art of Noise et
Propaganda (re-bâillements). Dans tout cela, les Frankie seront en quelque
sorte sa danseuse …
Trevor Horn : FGTH à lui seul ? |
Même aujourd’hui, presque quarante ans après les faits, la réalité n’est pas vraiment établie. La version la plus favorable au groupe le fait enregistrer « Welcome … » avec quelques aides extérieures créditées dont Steve Howe de Yes, et Anne Dudley de Art Of Noise qui commence là une brillante carrière de compositrice et d’arrangeuse toutes catégories (musique et cinéma). A l’autre extrémité des potins, tout le disque a été écrit par Horn, joué par les types de Yes, seuls quelques vocaux du chanteurs Holly Johnson constituant la participation de FGTH à « son disque ».
Quoi qu’il en soit, le succès dépassera toutes les
espérances. Trois singles (et leurs vidéo-clips) jugés scandaleux (le tout
savamment mis en scène, mûrement réfléchi, et accompagné d’un plan marketing
minutieux) affoleront les charts européens (les Ricains n’ont pas trop suivi,
il faut dire que « Welcome … » n’est pas un « produit »
fait pour eux).
Plus d’un quart de siècle plus tard, il en reste quoi, de
tout ce bazar ?
Les Frankie ont sorti un autre album que personne n’a
acheté, entraînant la débandade du « groupe ». Le chanteur Holly
Johnson a sorti un disque solo qui s’est également vautré. Des années plus tard
le groupe s’est bien évidemment reformé dans l’indifférence générale.
« Welcome … » est un disque m’as-tu-vu, à la production délirante, surchargée et mégalo, reprenant et amplifiant tous les pénibles tics sonores de l’époque (les grosses batteries réverbérées et compressées, les basses slappées, les voix et les chœurs pleins d’écho, les effets stéréo tourbillonnants, …). Double trente-trois tours de 14 titres plus deux intermèdes, l’un sexuel et salace, le dernier pour dire que le disque est fini (!), composé en partie de titres « maison » et d’un gros paquet de reprises. Les singles (sortis sous de multiples versions) sont bien sûr là.
Frankie Goes To War ... |
« Relax » le plus successful, et accessoirement
le meilleur (le groupe se permettant même de rejeter un clip filmé par Coppola
himself) est une efficace scie pseudo-disco présentant pas mal de similitudes
avec le « Run like hell » du Floyd encastré dans le Mur.
« Two tribes » (après le sexe de « Relax », la guerre), sur
un rythme frénétique (comme un brouillon de Prodigy avant l’heure) a fait
surtout beaucoup causer à cause de son clip mettant en scène des sosies de
Reagan et Tchernenko se foutant sur la gueule dans une arène genre combat de
coqs (on est en plein retour de la Guerre Froide et des peurs de guerre
nucléaire totale ente USA et URSS). Le troisième gros succès est la ballade
grandiloquente « The Power of love » qui ferait passer les pires
excès sonores de Queen pour les premiers disques de Leonard Cohen, et qui
marquent les premiers pas d’Ann Dudley vers la gloire en y empilant des couches
et des couches de cordes. Seule autre compo signée FGTH à mentionner
l’insupportable titre éponyme (quasi un quart d’heure au compteur, sorte de
resucée de l’assez pénible « Alan’s psychedelic breakfast » du Floyd,
dans lequel le Yesman Steve Howe tartine des parties tarabiscotées de guitare
acoustique … Tout le reste ne vaut pas tripette …
Pour moi, les seuls titres à vraiment sauver en plus de
« Relax » sont à chercher du côté des reprises. « Ferry cross
the Mersey » l’archi-rebattu hymne de Liverpool de Gerry & the Pacemakers
est ici rebaptisé « Fury » et est traité façon berceuse. Amusant,
court mais dispensable. « San José » est une relecture sur un rythme
de bossa nova du « Do you know the way to San José » signé Hal David
et Burt Bacharach, et un des classiques du répertoire de Dionne Warwick. Bonne
version cool.
« War » de Barrett Strong et Norman Whitfield (un
des derniers succès de la Motown par Edwin Starr, qui faisait une fois n’est
pas coutume allusion à l’actualité, ici la guerre du Vietnam). Les Frankie en
livrent une version à rallonge gavée de pénibles percussions tribales. Cette
chanson est une des reprises fétiches de Springsteen. Dont je mentionne le nom
parce que l’autre reprise de « Welcome … » (et elle a fait jaser dans
les chaumières en son temps), c’est rien de moins que l’hymne seventies du Boss
« Born to run ». Ben je vais vous dire, si on part du principe que la
version originale est indépassable, la reprise est excellente, et la meilleure
que j’aie jamais entendue de ce titre. Rythme accéléré (mais tous les breaks y
sont), voix en haut des aigus, un peu comme si elle était reprise par les
Wampas avec un Didier Wampas qui pour une fois chanterait pas faux …
Jubilatoire, quoi qu’en aient pensé les intégristes à l’époque …
Résultat des courses : deux grands morceaux (« Relax »,
« Born to run »), une petite poignée d’écoutables, une très grosse
moitié à jeter … allez, suivant …