SIDNEY LUMET - NETWORK (1976)

Echecs et audimat ...

Un type (Sidney Lumet) qui pour son premier film a sorti le phénoménal huis-clos tendu « Douze hommes en colère » mérite estime et attention. Et celui d’avant « Network » s’appelle « Un après-midi de chien ». Et quelques mois encore avant il y avait eu « Serpico ». Conclusion : Lumet joue obligatoirement dans la cour des (très) grands.
« Network » (« Main basse sur la télévision » a été rajouté au titre pour la version française) est un film totalement déjanté. Ou plutôt il met en scène des gens totalement déjantés. « Network » nous amène dans les coulisses d’une chaîne de télévision nationale américaine, UBS. Une chaîne qui en principe n’existe pas et n’a jamais existé. Mais qui, malgré toute sa démesure, est bel et bien réelle…
Sidney Lumet
Lumet nous montre la télévision façon iceberg. La partie émergée, celle qui est dans l’écran et la vie des téléspectateurs. Et puis la partie immergée, les coulisses, tous ces gens qui n’apparaissent jamais devant les caméras mais font d’une émission ou d’une chaîne ce qu’elle est. Et à propos de caméra, celle de Lumet a un regard acéré, pour ne pas dire féroce.
Le monde de la télévision tel que Lumet le montre (et tel qu’il est réellement, on le sait depuis) est un monde à faire passer celui de la finance pour le pays de Candy. Ce qui compte, c’est faire de l’audimat, de la part de marché, et tout utiliser pour arriver à ses fins. Ici, la partie émergée de l’iceberg, c’est le présentateur Howard Beale (interprété par le phénoménal acteur anglais Peter Finch), sorte de Roger Gicquel (on me lit aussi dans les EHPAD, enfin surtout dans les EHPAD) américain. Le présentateur du journal d’info majeur de la chaîne, un peu beaucoup has been et qui après avoir été la superstar nationale des news, voit son audience s’effondrer. Sentant qu’il va perdre son poste de présentateur vedette, il annonce lors d’un journal télévisé son prochain suicide en direct. Beale a totalement pété les plombs, carbure au whisky au litre, et devrait être soigné pour ce qu’il est devenu, un dépressif alcoolique qui avance à grands pas vers la démence la plus totale.
Howard Beale superstar
Problème, l’annonce de son suicide a fait l’effet d’une bombe dans le paysage audiovisuel. C’est là qu’interviennent toutes les parties immergées de l’iceberg. Son pote Schumacher (William Holden), directeur de l’info à « l’ancienne », des faits, rien que des faits, et pas du sensationnel, qui va tout faire pour soustraire Beale à la machine infernale qui se met en place. Parce que dans le bureau de la directrice de la programmation se trouve Diana Christensen (fabuleuse Faye Dunaway) qui selon sa propre expression « veut de la télé qui saigne ». Christensen est une garce (je vais pas traiter Faye Dunaway de salope, quand même) arriviste, qui ne rêve que de monter dans l’organigramme d’UPS. Laquelle UPS est en train de passer sous le contrôle du gros conglomérat audiovisuel CCA. Autant dire que des étages se rajoutent à l’ascenseur social. Ce dont se rend parfaitement compte également Franck Hackett (le toujours excellent Robert Duvall), directeur d’UBS …
Dès lors, contre l’avis de Schumacher (qui se fera rapidement virer), Hackett et Christensen (lequel se sert de l’autre pour arriver à ses fins ?) vont pousser le pathétique Beale sous les sunlights. Il est totalement barjot ? Qu’importe, il a fait parler de lui avec son annonce de suicide en direct, on va donc lui filer un prime time comme ils disent aujourd’hui, le présenter comme un gourou médiatique d’une nouvelle race pour faire venir les spectateurs sur sa tranche horaire. Et ça marche, au-delà de tous les espoirs. Le pauvre cinoque, qui arrive parfois bourré ou en pyjama sur le plateau se lance dans des tirades-prêches hystériques sans queue ni tête que les spectateurs sont de plus en plus nombreux à mater. Christensen devient vraiment quelqu’un et Hackett prend sérieusement le melon et une place de plus en plus importante dans le conseil d’administration de la CCA. Plus rien n’arrête Christensen qui monte une autre émission dans laquelle une pasionaria communiste ( aux USA ! ) invite sur son plateau des terroristes (abrutis mais d’ultra gauche révolutionnaire). Et ça marche aussi … Jusqu’à un pétage de plombs de Beale qui un soir dévoile les dessous du rachat d’UBS par la CCA. Et …
Faye Dunaway & William Holden
Et … je vais pas tout vous raconter. Z’avez qu’à voir le film qui recèle son lot de scènes hystériques (le tête à tête de Beale et du PDG du CCA est fabuleux), n’oublie pas une romance (dispensable) entre Schumacher et Christensen, et délivre un final apocalyptique d’une noirceur totale …
C’est là que le bât blesse quelque peu. Lumet en fait trop (même si paraît-il des scènes du film ont réellement eu lieu, rubrique dessous de la télé ou faits divers), surenchérissant tout au long des deux heures sur l’hystérie communicative qui gagne tout le casting, préférant un roller coaster d’images, de plans, de scènes de plus en plus incroyables, une fuite en avant vers le grotesque le plus effrayant. Et on n’a plus le temps de s’interroger, de mettre en perspective ce que l’on voit à l’écran avec ce qui peut s’y passer réellement. On navigue plus souvent du côté de la farce que de la satire grinçante, qui était au départ le but du jeu …
Il n’empêche, « Network » est un film à voir. Ne serait-ce que pour le thème choisi et la performance des acteurs (Peter Finch y gagnera un Oscar pour sa prestation, malheureusement pour lui à titre posthume)…
Regardez « Network » et vous ne verrez plus la télé de la même façon …


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