Un type (Sidney Lumet) qui pour
son premier film a sorti le phénoménal huis-clos tendu « Douze hommes en
colère » mérite estime et attention. Et celui d’avant « Network »
s’appelle « Un après-midi de chien ». Et quelques mois encore avant
il y avait eu « Serpico ». Conclusion : Lumet joue
obligatoirement dans la cour des (très) grands.
« Network »
(« Main basse sur la télévision » a été rajouté au titre pour la version
française) est un film totalement déjanté. Ou plutôt il met en scène des gens
totalement déjantés. « Network » nous amène dans les coulisses d’une
chaîne de télévision nationale américaine, UBS. Une chaîne qui en principe
n’existe pas et n’a jamais existé. Mais qui, malgré toute sa démesure, est bel
et bien réelle…
Sidney Lumet |
Lumet nous montre la télévision
façon iceberg. La partie émergée, celle qui est dans l’écran et la vie des
téléspectateurs. Et puis la partie immergée, les coulisses, tous ces gens qui
n’apparaissent jamais devant les caméras mais font d’une émission ou d’une
chaîne ce qu’elle est. Et à propos de caméra, celle de Lumet a un regard acéré,
pour ne pas dire féroce.
Le monde de la télévision tel
que Lumet le montre (et tel qu’il est réellement, on le sait depuis) est un
monde à faire passer celui de la finance pour le pays de Candy. Ce qui compte,
c’est faire de l’audimat, de la part de marché, et tout utiliser pour arriver à
ses fins. Ici, la partie émergée de l’iceberg, c’est le présentateur Howard
Beale (interprété par le phénoménal acteur anglais Peter Finch), sorte de Roger
Gicquel (on me lit aussi dans les EHPAD, enfin surtout dans les EHPAD)
américain. Le présentateur du journal d’info majeur de la chaîne, un peu
beaucoup has been et qui après avoir été la superstar nationale des news, voit
son audience s’effondrer. Sentant qu’il va perdre son poste de présentateur
vedette, il annonce lors d’un journal télévisé son prochain suicide en direct. Beale
a totalement pété les plombs, carbure au whisky au litre, et devrait être
soigné pour ce qu’il est devenu, un dépressif alcoolique qui avance à grands
pas vers la démence la plus totale.
Howard Beale superstar |
Problème, l’annonce de son
suicide a fait l’effet d’une bombe dans le paysage audiovisuel. C’est là
qu’interviennent toutes les parties immergées de l’iceberg. Son pote Schumacher
(William Holden), directeur de l’info à « l’ancienne », des faits,
rien que des faits, et pas du sensationnel, qui va tout faire pour soustraire
Beale à la machine infernale qui se met en place. Parce que dans le bureau de
la directrice de la programmation se trouve Diana Christensen (fabuleuse Faye
Dunaway) qui selon sa propre expression « veut de la télé qui
saigne ». Christensen est une garce (je vais pas traiter Faye Dunaway de
salope, quand même) arriviste, qui ne rêve que de monter dans l’organigramme
d’UPS. Laquelle UPS est en train de passer sous le contrôle du gros conglomérat
audiovisuel CCA. Autant dire que des étages se rajoutent à l’ascenseur social.
Ce dont se rend parfaitement compte également Franck Hackett (le toujours
excellent Robert Duvall), directeur d’UBS …
Dès lors, contre l’avis de Schumacher
(qui se fera rapidement virer), Hackett et Christensen (lequel se sert de l’autre
pour arriver à ses fins ?) vont pousser le pathétique Beale sous les
sunlights. Il est totalement barjot ? Qu’importe, il a fait parler de lui
avec son annonce de suicide en direct, on va donc lui filer un prime time comme
ils disent aujourd’hui, le présenter comme un gourou médiatique d’une nouvelle
race pour faire venir les spectateurs sur sa tranche horaire. Et ça marche,
au-delà de tous les espoirs. Le pauvre cinoque, qui arrive parfois bourré ou en
pyjama sur le plateau se lance dans des tirades-prêches hystériques sans queue
ni tête que les spectateurs sont de plus en plus nombreux à mater. Christensen
devient vraiment quelqu’un et Hackett prend sérieusement le melon et une place
de plus en plus importante dans le conseil d’administration de la CCA. Plus rien
n’arrête Christensen qui monte une autre émission dans laquelle une pasionaria
communiste ( aux USA ! ) invite sur son plateau des terroristes (abrutis
mais d’ultra gauche révolutionnaire). Et ça marche aussi … Jusqu’à un pétage de
plombs de Beale qui un soir dévoile les dessous du rachat d’UBS par la CCA. Et …
Faye Dunaway & William Holden |
Et … je vais pas tout vous
raconter. Z’avez qu’à voir le film qui recèle son lot de scènes hystériques (le
tête à tête de Beale et du PDG du CCA est fabuleux), n’oublie pas une romance (dispensable)
entre Schumacher et Christensen, et délivre un final apocalyptique d’une
noirceur totale …
C’est là que le bât blesse
quelque peu. Lumet en fait trop (même si paraît-il des scènes du film ont réellement
eu lieu, rubrique dessous de la télé ou faits divers), surenchérissant tout au
long des deux heures sur l’hystérie communicative qui gagne tout le casting,
préférant un roller coaster d’images, de plans, de scènes de plus en plus
incroyables, une fuite en avant vers le grotesque le plus effrayant. Et on n’a
plus le temps de s’interroger, de mettre en perspective ce que l’on voit à l’écran
avec ce qui peut s’y passer réellement. On navigue plus souvent du côté de la
farce que de la satire grinçante, qui était au départ le but du jeu …
Il n’empêche, « Network »
est un film à voir. Ne serait-ce que pour le thème choisi et la performance des
acteurs (Peter Finch y gagnera un Oscar pour sa prestation, malheureusement
pour lui à titre posthume)…
Regardez « Network »
et vous ne verrez plus la télé de la même façon …
Du même sur ce blog :